| ÉBAUCHER, verbe trans. I.− [Le compl. d'obj. désigne une chose concr. ou abstr.] A.− [Le compl. désigne des productions humaines] 1. [Le compl. désigne une chose concr.] Donner à un objet en cours d'exécution une première façon, une première forme. (Quasi-)synon. commencer, préparer; anton. achever, finir, terminer. a) Dans les domaines intellectuels, littér. et artistiques.Indiquer la forme générale et les parties principales d'un ouvrage. Ébaucher un article. Il consent à ébaucher à ses heures perdues un cours d'histoire philosophique, fantastique et pittoresque (Musset, Lettres Dupuis Cotonet,1837, p. 524).Il retrouva, à demi ébauché sur sa planche, le dessin de machine à vapeur qu'il avait commencé (Verne, 500 millions,1879, p. 221). − Spéc., PEINT., SCULPT. Exécuter à grands traits une composition, modeler ou dégrossir sommairement un matériau de sculpture. Ébaucher une statue, un tableau, une médaille (Ac. 1932). Le monsieur en veston de velours était ébauché entièrement (Zola,
Œuvre,1886, p. 47).Elle serait un modèle rêvé pour la Charité à l'éventail qu'il se projetait d'ébaucher le lendemain (Louÿs, Aphrodite,1896, p. 44). ♦ Ébaucher à la détrempe. On a vu (...) les artistes de la Renaissance ébaucher à la détrempe (Moreau-Vauthier, Peint.,1933, p. 130).Ébaucher en frottis, en grisaille. Couvrir une toile (...), c'est ébaucher en frottis, c'est disposer des masses en tons légers et transparents (Baudel., Art romant.,1867, p. 388).Un portrait qu'il avait entièrement ébauché en grisaille à la terre verte (Moreau-Vauthier, Peint.,1933p. 206). b) TECHNOLOGIE − Exécuter l'opération initiale par laquelle on obtient une pièce brute destinée à être travaillée et finie. Tour à ébaucher; outils à ébaucher; machines employées pour ébaucher. (Quasi-)synon. dégrossir, épanneler, équarrir, tailler; anton. achever, fignoler, finir, rachever.On creusa les fondements, on éleva les murailles, on ébaucha la charpente (Hugo, Rhin,1842, p. 67).La pièce est ensuite ébauchée et creusée (...) sur un mandrin creux (Rousset, Trav. pts matér.,1928, p. 112).Sa couturière (...) lui essayait une robe à peine ébauchée, un fourreau noir très décolleté (L. de Vilmorin, Lettre ds taxi,1958, p. 44). Rem. On rencontre ds la docum. le part. passé adj. ébauché. [Rachever, c'est] finir (...) une pièce (...) ébauchée ou préparée (Al. Brongniart, Arts céram., 1844, p. 158). Il y avait seulement au fond [de la carrière] un petit monceau de pierres grises nouvellement détachées des parois et deux ou trois dalles ébauchées sur le bord (Lamart., Tailleur pierre, 1851, p. 406). Dans la taille à la main, on débite les blocs ébauchés provenant de la carrière, à l'aide de coins en fer (Lambertie, Industr. pierre et marbre, 1962, p. 65). − Exécuter les phases préparatoires d'un travail. Gervaise acheva enfin la coiffe du bonnet de Madame Boche. Elle en avait ébauché les dentelles, les détirant à la main, les redressant d'un léger coup de fer (Zola, Assommoir,1877, p. 510). ♦ Emploi abs. Mais pour vous, je ferai celle [la tête] de monsieur tout entière. Les élèves ébauchent, car je n'y tiendrais pas (...) Je ne puis donner que le fini (Balzac, Comédiens,1846, p. 337). 2. [Le compl. désigne une réalisation intellectuelle] Ébaucher une classification, une définition, une démonstration, une théorie, des conceptions nouvelles. Les Grecs, si avancés en géométrie, ne purent ébaucher la mécanique qu'envers quelques cas d'équilibre, sans jamais entrevoir les lois élémentaires du mouvement (Comte, Catéch. posit.,1852, p. 114). − Emploi pronom. à sens passif. Je te parlerai des travaux vagues que j'ai entrepris cette année finie, et qui malgré tant de grèves, de menées continues, se sont ébauchés (Valéry, Corresp.[avec Gide], 1894, p. 227). B.− P. anal. 1. [Axe temporel; dans un processus de formation, d'évolution] a) Commencer, donner naissance à une chose. Toutes les statues possibles étaient ébauchées en lui (Jouhandeau, M. Godeau,1926, p. 272).C'est une loi naturelle que toute chose ébauchée tend à accomplir sa destinée possible (Huyghe, Dialog. avec visible,1955, p. 164). − Emploi pronom. Apparaître, se former. ♦ [En parlant des productions de l'esprit] Des mots, sans lien, s'entrechoquent dans sa tête. Des phrases, même, s'ébauchent, avec des sonorités de meetings (Martin du G., Thib.,Été 14, 1936, p. 687).Et je me sens l'esprit vaguement pressentir tout le trésor infus des réponses qui s'ébauchent en moi devant une chose qui m'arrête et qui m'interroge (Valéry, Variété V,1944, p. 12). ♦ [En parlant des mouvements de l'âme] Des mouvements de colère s'ébauchaient au plus noir de moi-même; mais je pouvais encore les contenir (Bosco, Mas Théot.,1945, p. 9).L'audacieux projet d'enlèvement qui commençait à s'ébaucher en mon cœur (Gide, Thésée,1949, p. 1441). b) [En parlant d'un mouvement, d'une institution] Commencer à établir, constituer, une chose. Les échanges d'information technique et scientifique, la spécialisation des fabrications, la standardisation des armements sont à peine ébauchés par l'OTAN (Billotte, Considér. strat.,1957, p. 4210): 1. ... toute une série de mesures introduisant graduellement la classe ouvrière dans la puissance économique et ébauchant un demi-communisme dans la production paysanne.
Jaurès, Ét. socialistes,1901, p. 65. − Emploi pronom. à sens passif. Se dessiner, naître. Déjà s'ébauche à l'intérieur de la religion paulinienne elle-même le conflit qui déchirera plus tard l'église et la divisera en protestants et catholiques, en jansénistes et jésuites (J. Vuillemin, Essai signif. mort,1949, p. 204).En 1941, la résistance s'ébauchait à peine (De Gaulle, Mém. guerre,1954, p. 238). c) [En parlant de phénomènes naturels] − [En parlant d'un phénomène génétique] Commencer à se réaliser. Toute la première division de la vie animale, celle qui a rapport à l'action des corps extérieurs sur le nôtre, est à peine ébauchée dans le fœtus (Bichat, Rech. physiol. vie et mort,1822, p. 198).Les allantoïdiens ébauchent, (...) dans l'œuf (...), les organes qui servent à la respiration aquatique des vertébrés anallantoïdiens (E. Perrier, Zool.,t. 3, 1899-1925, p. 2359). ♦ Emploi pronom. à sens passif [Dans l'ordre évolutif ou dans l'ordre génétique, en parlant d'un être vivant] Naître, prendre forme. La larve intelligente qui palpite et s'ébauche dans le limon primitif (Faure, Hist. art,1921, p. 207): 2. Sortis de la confusion originelle, on les [les organismes] voit s'ébaucher en masses informes, sans organes différenciés, puis essayer un ordre embryonnaire où les organes modèlent une forme fruste, non déliée, dont les membres semblent encore engagés dans la matrice obscure, ...
Faure, L'Esprit des formes,1927, p. 58. Rem. On trouve aussi en ce sens ds la docum. un emploi adj. du part. passé. Les corps animés renfermaient « quelque puissance naturelle et une matière déjà ensemencée, et, en quelque façon, les commencements ébauchés des êtres à venir, qui devaient sortir de leur corruption » (J. Rostand, Genèse vie, 1943, p. 14). − [Dans la vie physique] Commencer à se développer. Il ébauchait une calvitie dont il disait lui-même sans tristesse : « crâne à trente ans, genou à quarante » (Hugo, Misér.,t. 1, 1862, p. 157). ♦ Emploi pronom. à sens passif. À mesure que l'enfant grandissait, de lointaines ressemblances, s'ébauchant sur son visage, émouvaient doucement l'aïeule (Moselly, Terres lorr.,1907, p. 67).Avec soudain dans leurs faces ébauchées [de deux élèves] des yeux d'hommes (Druon, Gdes fam.,t. 1, 1948, p. 92). 2. Au fig., littér. [P. anal. avec la naissance d'une œuvre en cours d'exécution; dans un processus de perception, en parlant d'êtres imaginaires ou existants] Faire apparaître les contours, la forme générale d'une chose, d'un être. (Quasi-)synon. dessiner, esquisser. a) [Le suj. désigne l'être lui-même] De grands arbres ébauchaient dans le noir leurs formes menaçantes (Moselly, Terres lorr.,1907, p. 271).En haut, l'homme ne bougeait plus. À peine ébauché des ténèbres il s'était refondu dans les ténèbres (Bosco, Mas Théot.,1945, p. 192). − Emploi pronom. Apparaître. Quasi-synon. (se) dessiner, (s')esquisser, paraître, percer, poindre, sortir, surgir.En des reculs de brume s'ébauchait le cône vaporeux des sapins (Châteaubriant, Lourdines,1911, p. 22).Quelques maquignonnages s'ébauchèrent au dessert qui me mirent les nerfs à vif (Gracq, Syrtes,1951, p. 72): 3. ... les deux colosses qui trônent avec une pose d'éternelle impassibilité, montagne de granit à forme humaine, devant l'entrée de l'Aménophium, s'ébauchaient dans une demi-teinte bleuâtre, ...
Gautier, Le Roman de la momie,1858, p. 211. ♦ S'ébaucher dans (+ nom de matière).Et, quant à moi, je vois des serpentes, des stryges, Tout un fourmillement de monstres, s'ébaucher Dans la brume qui sort des fentes du plancher (Hugo, Légende,1859, p. 368): 4. Et, dans le brouillard, déjà s'ébauchait cette image familière qui hante mes instants de demi-conscience et de demi-sommeil, ma propre-image, comme un masque sur le fond de la nuit.
Daniel-Rops, Mort, où est ta victoire?1934, p. 346. b) [Le suj. désigne la source de lumière] Les compositions de Goya sont des nuits profondes où quelque brusque rayon de lumière ébauche de pâles silhouettes et d'étranges fantômes (Gautier, Tra los Montes,1843, p. 118).La fumée d'une flambée ébauchant dans ses méandres des monstres errants (Huyghe, Dialog. avec visible,1955, p. 97). C.− P. ext. [Plan qualitatif, en parlant d'une chose terminée, mais imparfaite] Réaliser un ouvrage imparfait, grossier, non fini. Il enlève le râteau et reste saisi devant une caricature du prince ébauchée au charbon sur le pilastre (Sardou, Rabagas,1872, I, 3, p. 3).Les nids sont souvent à peine ébauchés, parfois bâclés (Bachelard, Poét. espace,1957, p. 94): 5. Les peintures réelles sont à peine ébauchées et n'offrent rien de ces délicatesses de modelé et de ces mouvements expressifs que nous admirons dans les traductions − ces belles infidèles! − que nous propose ledit professeur.
T'Serstevens, L'Itinéraire espagnol,1963, p. 208. ♦ Emploi pronom. Dans le roc, un tronçon de route parfois s'ébauche avec des repentirs, dessine une grecque (Morand, Air indien,1932, p. 112). Rem. On rencontre en ce sens ds la docum. des emplois adj. du part. passé. Le grand pas qui sépare l'art définitif de l'art ébauché est cette invention des formes accomplies que découvrent les yeux de l'âme (Taine, Philos. de l'art, t. 1, 1865, p. 115). − P. anal. [En parlant de productions naturelles] Cette pauvre dame romaine, ébauchée à demi (A. Daudet, Femmes d'artistes,1874, p. 175).Son corps énorme et mal ébauché (Zola, Le Capitaine Burle,1883, p. 144). II.− Au fig. Action d'engager une action transitoire ou dont le caractère est de rester inachevée. (Quasi-) synon. dessiner, esquisser, tracer; anton. achever, accomplir. A.− Exprimer quelque chose au moyen d'un demi-geste. Ébaucher un sourire, une moue. L'abbé Volland se leva en ébauchant élégamment un de ces saluts ecclésiastiques qui ressemblent à une révérence (Theuriet, Mariage Gérard,1875, p. 30).Il se contenta d'ébaucher un geste énergique de protestation (Martin du G., Thib.,1940, p. 806).Il quitta la pièce, s'arrêta hésitant sur le seuil, ébauchant de la main un signe qui ne s'acheva pas (Gracq, Syrtes,1951, p. 131). Rem. On rencontre ds la docum. le part. passé adj. Ses gestes ébauchés et qui s'arrêtaient net (Cendrars, Main coupée, 1946, p. 277). ♦ Emploi pronom. Peut-être un sourire contenu (...) mais déchiffrable pour son copain (...) s'ébaucherait-il sur les lèvres du Vidame (Arnoux, Solde,1958, p. 75). B.− Dessiner un mouvement dans une intention particulière. Il pensait à ce faible mouvement qu'elles [ces mains] ébaucheraient pour se joindre (Saint-Exup., Vol nuit,1931, p. 105).Donnez-moi d'ébaucher un geste dont la pleine efficacité m'apparaîtra en face des puissances de diminution et de mort (Teilhard de Ch., Milieu divin,1955, p. 79): 6. Il [le sujet] ébauche plusieurs mouvements selon la ligne droite et selon différentes courbes, et si l'un de ces mouvements se trouve être circulaire, il l'achève promptement.
Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception,1945, p. 127. C.− Engager une relation non-durable. Ébaucher des amitiés, des amours, des idylles. (Quasi-)synon. amorcer, entamer, entreprendre.Tous les jours elle faisait son tour du lac, ébauchant là des connaissances qui se dénouaient ailleurs (Zola, Nana,1880, p. 1450).J'essayai en manière de préambule d'ébaucher une sorte de conversation anodine (Céline, Voyage,1932, p. 263). − Emploi pronom. Que d'aventures s'ébauchent et se défont dans cet endroit de Paris si accueillant (Fargue, Piéton Paris,1939, p. 118): 7. Des amours s'ébauchaient entre jeunes gens de l'île, arrangées le plus souvent ou approuvées par les familles, et qui vêtaient, sur l'étroit récif, un caractère instant.
Queffélec, Le Recteur de l'île de Sein,1944, p. 152. Prononc. et Orth. : [eboʃe]. Demi-longueur de [o] ds Passy 1914 et Barbeau-Rodhe 1930. Enq. : /eboʃ, D/ (il) ébauche. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1369 a. pic. esbosquier « dégrossir (des poutres) » (Arch. Nord, B 15275, fol. 52 ds IGLF); 2. 1380 esbochier « réaliser l'ébauche d'un objet » (doc. 12 déc. ds Ch. Dehaisnes, Doc. et extraits divers concernant l'hist. de l'art dans la Flandre, l'Artois et le Hainaut avant le XVes., t. 2, p. 568); 1549 esbaucher (doc. 4 février ds M. Roy, Artistes et monuments de la Renaissance en France, t. 1, p. 172). Dér., à l'aide du préf. es- (é-*), dés. -er, de l'a. fr. bauch (bau*), proprement « poutre » (v. FEW t. 15, 1, p. 39a); les formes en -o témoignent dès l'orig. d'un croisement avec esbochier « tailler la vigne » (xives. ds Gdf.), dér. de l'a. b. frq. *bosk (bois*). Fréq. abs. littér. : 757. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 751, b) 1 586; xxes. : a) 989, b) 1 130. Bbg. Archit. 1972, p. 45. − Cohen 1946, p. 14 (s.v. ébauché). − Mat. Louis-Philippe. 1951, p. 135. − Rog. 1965, p. 91. − Sain. Sources t. 3 1972 [1930] p. 12. |