| ÉBAUCHE, subst. fém. I.− Action d'ébaucher*. A.− Rare. Action de donner la première forme à un objet, à une chose. L'ébauche empirique des grandes lois morales précéda longtemps tout essor décisif des moindres lois physique (Comte, Catéch. positiv.,1852, p. 187). ♦ Emploi abs. Au commencement de tout âge littéraire, on remarque une période d'ébauche (Taine, Philos. art,t. 2, 1865, p. 325). − CÉRAM., rare. Synon. de ébauchage.L'ébauche [d'une pâte céramique] est [souvent] difficile à bien conduire (Al. Brongniart, Arts céram.,1844, p. 123). B.− En partic. Action d'ébaucher un geste, une relation, une action, transitoire ou dont le caractère est de rester inachevé. Par une sorte d'intuition subtile, une inflexion de voix, l'ébauche d'un geste, un rien l'avertissait (Gide, Et nunc manet,1951, p. 1127).Créer, au moins dans mon imagination, entre Marino et moi comme une ébauche de complicité (Gracq, Syrtes,1951, p. 36). − Rare. Ébauche de (suivi d'un inf. ou d'un nom). Quand on désire une femme dont on ne sait pas le nom, apprendre ce nom, c'est comme l'ébauche de la posséder (Montherl., J. filles,1936, p. 1023): 1. ... il aurait voulu danser, se prosterner, frapper de son front la terre, et finalement le [le chat mauve] manger : ce dernier mouvement étant celui qui pousse les croyants à manger leur dieu, les amants à baiser et à mordre l'être qu'ils aiment, qui est l'ébauche de l'acte de le manger (« manger de caresses »).
Montherlant, Le Démon du bien,1937, 2epart., p. 1328. II.− Usuel. État de ce qui n'est qu'ébauché. A.− [En parlant des productions humaines] Première forme, première façon donnée à une chose. 1. PEINT., SCULPT. Dessin, peinture, etc. réalisés pour préparer une œuvre projetée. Ébauches de dessin; des ébauches originales; admirable, impressionnante, magnifiques, sublimes, superbe ébauche(s). Même dans les plus vagues ébauches, il [Goya] a laissé l'empreinte d'un talent vigoureux (Gautier, Tra los montes,1843, p. 116).Je le [Rodin] revois pétrissant dans la glaise de petites ébauches rapides (Rodin, Art,1911, p. 22). 2. [En parlant d'un ouvrage intellectuel, d'une œuvre artistique ou littér.] Ébauche légère, grossière, magistrale, vigoureuse; ouvrage à l'état d'ébauche; concevoir, faire, improviser, tracer une ébauche. (Quasi-)synon. brouillon, canevas, esquisse, essai, jet (premier jet).Bienfaisante illusion de n'avoir donné jusqu'à ce jour que les ébauches du chef-d'œuvre qu'il va maintenant produire (Mauriac, Journal 1,1934, p. 95).On a beaucoup discuté sur des brouillons, des fragments, les premières ébauches de ces trois grands livres (Guéhenno, Jean-Jacques,1950, p. 143): 2. ... c'était moins une pièce qu'une ébauche, une œuvre à peine achevée qu'on aurait moins de scrupule (...) à traiter comme un canevas de la commedia dell'arte.
Duhamel, Chronique des Pasquier,Suzanne, 1941, p. 234. 3. [En parlant de réalisations intellectuelles] L'ébauche d'un programme; l'ébauche d'un roman, d'une scène de comédie (Ac. 1932). Les ébauches de lois et de constitutions, qui furent l'expression des premiers besoins (Proudhon, Propriété,1840, p. 204).Il n'est pas étonnant que l'astronomie ait figuré parmi les premières ébauches de la raison humaine (Boll, Qq. sc. captiv.,1941, p. 185): 3. C'est aussi à Aristote que revient le mérite d'avoir distingué avec une grande netteté le rôle des propositions « universelles » de celui des propositions « particulières », première ébauche des quantificateurs.
Bourbaki, Éléments d'hist. des math.,1960, p. 14. 4. Spéc., CÉRAM., TECHNOL. Pièce brute obtenue à partir de l'opération d'ébauchage. À l'exception de la métallurgie... il n'y a pas d'art dont les produits terminés diffèrent plus de leur ébauche que celui de la poterie (Al. Brongniart, Arts céram.,1844, p. 2).Cette opération [de dégrossissage des tôles pour fer blanc] se poursuit tant que la température de l'ébauche est assez élevée (Gasnier, Dépôts métall.,1927, p. 57).L'ébauche ainsi obtenue est (...) examinée, et on enlève à la fraise tous les défauts (Gasnier, Dépôts métall.,1927p. 139). B.− P. anal. [Dans un processus de formation, d'évolution] Premier indice, premier développement (d'une chose en devenir). (Quasi-)synon. commencement, début, germe, naissance; anton. aboutissement, accomplissement, réalisation. 1. [En parlant des mouvements humains] a) [Mouvements intérieurs et productions spontanées de l'esprit] L'ébauche d'un projet. Les mots inachevés, les ébauches de phrase qui reviennent tout le temps (Sartre, Nausée,1938, p. 130).Il se formulait dans ma tête des ébauches de pensées singulières (Romains, Hommes bonne vol.,1939, p. 203).Cherchons plutôt une idée ou ce qu'en sera l'ébauche, la promesse (Aymé, Mouche,1957, p. 15). b) [Courant de pensée, mouvement, action collective] Mais pourquoi insister sur ces ébauches doctrinales, puisqu'une synthèse complète va nous être offerte par saint Augustin (Gilson, Espr. philos. médiév.,t. 1, 1931, p. 159).Les premières ébauches de la vie démocratique ont fait s'épanouir l'esprit de compétition (Jeux et sp.,1967, p. 764): 4. ... rien ne m'autorisait à supposer la moindre ébauche de résistance. Plus chimérique encore me paraissait une organisation de celle-ci.
Gide, Ainsi soit-il,1951, p. 1233. 2. [En parlant des productions de la nature] (Quasi-) synon. amorce, embryon, germe. a) [En parlant des premiers stades dans la genèse d'un organe, d'une fonction] L'activité de la conscience chez un fœtus ou, tout au moins (...) l'ébauche d'une conscience prénatale (Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 215): 5. Il faudrait donc chercher les premières ébauches du langage dans la gesticulation émotionnelle par laquelle l'homme superpose au monde donné le monde selon l'homme.
Merleau-Ponty, Phénoménologie de la perception,1945, p. 219. − Spéc., BIOL. Partie d'un embryon contenant les matériaux dont dérivera un organe (d'apr. Méd. Flamm. 1975). Ébauche fondamentale, présomptive, primitive, primordiale, secondaire; ébauches dentaires, florales; l'ébauche cardiaque, rétinienne, du mésoderme, du système nerveux central; différenciation, formation des ébauches. La subdivision de l'ébauche embryonnaire à un stade voisin de la gastrulation (Caullery, Embryol.,1942, p. 115).Les ébauches qui deviendront l'appareil circulatoire, par exemple, apparaissent de place en place, avant le flux de la circulation, et fusionnent ensuite pour former le réseau vasculaire (Ruyer, Cybernétique,1954, p. 184).Une ébauche présomptive est d'abord chimiquement organisée (Hist. gén. sc.,t. 3, vol. 2, 1964, p. 635). b) [En parlant d'une forme antérieure à une autre dans la chaîne d'une évolution] Ébauche fruste, rudimentaire. Les lithocardites sont des coquilles de cœur, les ébauches d'un cœur qui battra (Bachelard, Poét. espace,1957, p. 112): 6. Les fossiles sont, pour Robinet, des morceaux de vie, des ébauches d'organes qui trouveront leur vie cohérente au sommet d'une évolution qui prépare l'homme.
Bachelard, Poét. espace,1957p. 111. C.− P. ext. État de ce qui est terminé, mais imparfait. 1. [En parlant d'un obj. fabriqué] On les vit s'enfoncer dans une ébauche de sape, puis s'éloigner en rampant (Dorgelès, Croix de bois,1919, p. 270).L'atmosphère glaciale, aggravée par cette ébauche d'alcôve frileuse amarrée au flanc de la chambre comme un canot de sauvetage (Gracq, Beau tén.,1945, p. 119): 7. Le tout ressemblait à une de ces ébauches de fortification de campagne, comme sur un champ de manœuvres il arrive à une compagnie d'en tracer (...) à titre d'exercice.
Romains, Les Hommes de bonne volonté,Verdun, 1932, p. 150. − P. anal. Dans les autres villes de la province, on ne trouve que des ébauches de municipalité sans caractère (Thierry, Tiers État,1853, p. 307). 2. P. métaph. ou au fig. Anne était un échantillon à peine dégrossi de l'Ève universelle. À cette ébauche avait échu ce hasard, le trône (Hugo, Homme qui rit,t. 2, 1869, p. 8).Hors les murs, on rencontrait de vagues ébauches qui s'approchaient plus ou moins des archétypes sans atteindre à leur perfection (Sartre, Mots,1964, p. 38): 8. Et puis la terre est sortie des flots, et la nature a oublié cette ébauche marine. Elle l'avait laissée là, imparfaite, se dégradant même, dans la suite des siècles : et les sirènes ont le sentiment amer de leur grandeur ruineuse et de leur déchéance.
Mille, Barnavaux et quelques femmes,1908, p. 125. Prononc. et Orth. : [ebo:ʃ]. Ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1619 esbauche « première forme d'une œuvre d'art » (Inventaire de G. Pitan, maître peintre, 23 sept. ds J. Guiffrey, Artistes parisiens du XVIeet du XVIIes., p. 103 ds IGLF : Item, unze petits cuivres, dont troys d'esbauches). Déverbal de ébaucher*. Fréq. abs. littér. : 540. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 607, b) 912; xxes. : a) 798, b) 808. DÉR. Ébauchon, subst. masc.Pièce de racine de bruyère grossièrement ébauchée*, destinée à la confection d'une pipe. Le modèle et l'ébauchon tournent parallèlement (Genevoix, Marcheloup,1934, p. 84).− [eboʃ
ɔ
̃]. − 1reattest. 1932 (Lar. 20e); de ébaucher*, suff. -on*. BBG. − Quem. Fichier. − Rog. 1965, p. 91. |