| VOILE1, subst. masc. A. − Pièce d'étoffe qui recouvre, protège ou masque. 1. [À propos d'une chose] a) Pièce d'étoffe, qui cache une ouverture (porte, fenêtre...) et fait office de rideau (d'apr. Littré). Le porche du parvis de Saint-Clément a conservé entre les deux chapiteaux antérieurs une barre de fer qui porte des anneaux; ils indiquent qu'un voile y était suspendu pour préserver les religieux des importunités de la rue (Lenoir, Archit. monast., 1852, p. 100). b) Pièce d'étoffe qui dérobe aux regards un objet de culte, un monument, une plaque commémorative avant ou pendant une cérémonie. Une brume impondérable noyait les cannelures et le grand voile tricolore qui battait du haut en bas de la façade du Palais-Bourbon (Nizan, Conspir., 1938, p. 40).V. voiler1A 1 a ex. de Desmoulins. − En partic. ♦ LITURG. Voile (du calice). Pièce de soie ornée qui couvrait le calice et la patène pendant une partie de la messe et dont l'usage est aujourd'hui abandonné. (Dict. xixeet xxes.). ♦ [Dans le temple juif] Grande pièce d'étoffe précieuse séparant le saint des saints du reste du temple et masquant le sanctuaire où se trouvait l'arche d'alliance (Dict. xixeet xxes.). Le voile du temple de Jérusalem se déchira de haut en bas au moment où mourut Jésus (Lar. Lang. fr.). 2. [À propos d'une pers.] a) Pièce d'étoffe légère et transparente dont les femmes se couvrent la tête, le visage et parfois une partie du corps, soit de façon habituelle, soit à l'occasion de certains événements ou de certaines cérémonies. Voile de mariée, de communiante; voile de coton, de gaze, de mousseline, de soie, de tulle. Teresina: Eh bien, don José, appelle le chapelain, qu'à l'instant même il nous unisse... Don José: Eh bien, ma belle Teresina, allez mettre votre voile blanc (Dumas père, Don Juan, 1836, II, 2etabl., 8, p. 40).J'écoutais Mrs. Weldon, déjà célèbre alors, qui interprétait Gallia. Vingt ans plus tard, elle faisait un « numéro » sur la scène d'un music-hall; et c'était une sorcière de Macbeth, en voiles de deuil, les cheveux tout blancs (Blanche, Modèles, 1928, p. 220). b) Morceau de tissu fin qui orne un chapeau, une coiffure féminine. Synon. voilette.Voile d'un hennin. Le couvert mis, le souper préparé, elle vint s'asseoir au milieu de nous, sans châle, sans chapeau ni voile, et je pus la regarder à mon aise (A. Daudet, Femmes d'artistes, 1874, p. 73). c) Dans la relig. islam. − Pièce d'étoffe légère mais opaque que portent en public les femmes musulmanes et les Touaregs et qui leur cache le bas du visage à partir des yeux. Julie: Qu'est-ce que vous faites de toutes les femmes arabes que vous prenez? Saqueville: On les met dans une tente avec les enfants (...) Ordre de casser la tête à quiconque oserait toucher le voile d'une des prisonnières (Mérimée, Deux hérit., 1853, p. 70). − Pièce d'étoffe qui recouvre la chevelure des femmes musulmanes. Le foulard est une « obligation fondamentale inscrite dans le Coran », assurent les théologiens, même les plus modérés. Contraindre une musulmane à ôter son voile reviendrait donc à nier la religion d'Allah (Télérama, 23 févr. 1994, p. 18, col. 1). d) Dans la relig. cath.Pièce d'étoffe que les religieuses et les novices portent sur la tête et dont elles se couvrent parfois le visage. Du cloître nous passâmes dans le jardin, où la religieuse me dit qu'on avait porté la sœur malade: en effet, je l'aperçus à l'extrémité d'une longue allée de charmille; elle était assise, et son grand voile noir l'enveloppait presque tout entière (Duras, Ourika, 1824, p. 10).Les cornettes des sœurs, les voiles, les béguins (Laforgue, Poés., 1887, p. 66). ♦ Prendre le voile (pour une femme). Entrer en religion. Sous Ferdinand VII, c'était, paraît-il, chose courante qu'une jeune fille, à la veille de prendre le voile, assistât à une course et même fît quelques passes à un jeune taureau (Montherl., Bestiaires, 1926, p. 514).Prise de voile. Cérémonie qui consacre l'entrée en religion. Les dames causaient d'une prise de voile, une cérémonie très touchante (Zola, Nana, 1880, p. 1153). e) Coiffure de tissu sous laquelle, dans certaines professions, les femmes enferment leurs cheveux par mesure d'hygiène. En revenant dans un taxi où Pauline l'embrassait, il se disait qu'elle n'était acceptable que comme un souvenir d'enfance, le reflet des infirmières à voile bleu avec leurs seins si beaux sous les empiècements carrés (Nizan, Conspir., 1938, pp. 27-28). f) P. ext. Tissu très léger fait de laine, de coton, de soie, de fibres synthétiques, utilisé dans la confection de vêtements ou dans la fabrication de rideaux. Je n'aime pas beaucoup cette robe-là, trop parée, trop messe de mariage. Je préfère tout bas la mienne en voile ivoire (Colette, Cl. s'en va, 1903, p. 145).Peu de temps après, j'étais conduit de nouveau devant le juge d'instruction. Il était deux heures de l'après-midi et cette fois, son bureau était plein d'une lumière à peine tamisée par un rideau de voile (Camus, Étranger, 1942, p. 1171). g) Littér., souvent au plur. Vêtement léger et qui recouvre le corps de la femme. Danse des sept voiles. Les nuits où tu voudras que je danse, je danserai jusqu'au matin. Je danserai tout habillée, avec ma tunique traînante, ou sous un voile transparent, ou avec des caleçons crevés et un corselet à deux ouvertures pour laisser passer les seins (Louÿs, Aphrodite, 1896, p. 56). ♦ Sans voile(s). Sans vêtements, entièrement nu. Dès le lendemain, l'étonnement fut pour lui. Car la petite épouse convaincue se promenait déjà sans voile (Colette, Belles sais., Nudité, 1943, p. 136). B. − Au fig. 1. Tout ce qui cache, dissimule, altère la réalité. Un voile sombre commençait à descendre sur les destinées de la France (Stendhal, Napoléon, t. 1, 1842, p. 259). ♦ Abaisser, étendre, jeter, mettre, tirer un/le voile (sur qqc.). Tenir une chose cachée ou la condamner à un oubli définitif. Ce seroit en vain que nous voudrions jeter le voile brillant des arts et des sciences physiques sur les plaies épouvantables que nous avons faites à l'humanité (Bonald, Législ. primit., t. 1, 1802, p. 225).Dissiper l'ignorance, ce n'est pas créer la lumière, mais abaisser le voile qui la cachait en partie (Lamennais, Indifférence, t. 2, 1817-23, p. 138). ♦ Avoir un voile devant/sur les yeux. Ne pas voir la vérité, avoir des préjugés. Il faut que l'imagination d'une femme reste toujours vierge: il faut qu'elle ait toujours un voile devant le cœur et devant les yeux. L'amour n'est que mistère et délicatesse (Chênedollé, Journal, 1833, p. 178).Un voile tombe des yeux de qqn. Être subitement éclairé. Depuis que ce secret m'a été connu... il m'a semblé qu'un voile tombait de mes yeux (Dumas père,Angèle, 1834, V, 5, p. 200). ♦ Lever, soulever le voile. Révéler. Il faut, pour les grossières illusions du respect extérieur, une simplicité que nous n'avons plus; nous sommes trop fins pour ne pas soulever le voile (Renan, Avenir sc., 1890, p. 463).Lève un voile, un voile encore; il y a toujours sous un symbole, un autre symbole (Toulet, Nane, 1905, p. 13).Soulever un coin du voile. Faire entrevoir, découvrir. Le regretté, le cher Alfred Vallette souleva pour moi un coin du voile en me faisant un jour remarquer qu'un Parisien, c'est un Français (Fargue, Piéton Paris, 1939, p. 171). ♦ Arracher, déchirer le voile; le voile se déchire, tombe. Révéler de façon brusque ou brutale; avoir cette révélation. Un jour, pourtant, le voile se déchira, une lumière nouvelle fut jetée sur les choses que j'étudiais (Lacretelle, Silbermann, 1922, p. 28). ♦ Couvrir, envelopper d'un voile. Cacher, tenir secret. Je ne vous dirai pas que c'est pendant la guerre que le ministère achève d'épuiser le peuple et de dissiper les finances, qu'il couvre d'un voile impénétrable ses déprédations et ses fautes (Robesp., Discours, Guerre, t. 8, 1791, p. 48).Mais encore ces deux événements furent-ils enveloppés d'un voile qui ne se leva qu'au jour des aveux suprêmes (Balzac, Lys, 1836, p. 216). ♦ Sous le voile de. Avec un déguisement trompeur. Un de ces hommes qui cachoient, sous le voile du patriotisme, les intentions les plus favorables pour la cause du pouvoir exécutif... (Robesp., Discours, Guerre, t. 8, 1792, p. 102). ♦ Sans voile(s). Sans détour ni dissimulation. Dites-moi sans voiles, avec une liberté de reine, dans quel sentiment vous voilà étendue auprès de moi (Barrès, Mystère, 1923, p. 38). 2. Tout ce qui obscurcit, rend moins nette l'apparence, la réalité des choses et des êtres vivants. Voile de tristesse. Elle est toute jeune, la dame du caïque, et très belle, malgré je ne sais quel voile de mystérieuse mélancolie jeté sur tout son pur visage (Farrère, Homme qui assass., 1907, p. 81).Et je sais que, quelque application que j'apporte à remettre ma vie et son amour avec elle dans l'axe des relations contrôlables, la nature surréelle de cette femme se révélera avec une évidence accrue et se confirmera, de jour en jour, avec des faits sur lesquels mon esprit, attentif à garder intacte une raison, étend le voile de l'oubli (J. Bousquet, Trad. du sil., 1936, p. 237). C. − P. anal. 1. Tout ce qui cache partiellement ou en totalité, qui rend la vision imprécise. Voile des nuages, de la nuit. Puis Jules aperçut à ses pieds (...) le véritable Paris, enveloppé d'un voile bleuâtre, produit par ses fumées (Balzac, Ferragus, 1833, p. 143).Pendant une demi-heure, l'eau tomba à seaux, la foudre gronda sans relâche. Les hommes, debout devant la porte, contemplaient le voile gris de l'averse, les ruisseaux grossis, la poussière d'eau volante montant du clapotement des flaques (Zola, Assommoir, 1877, p. 440). 2. Spécialement a) ANAT. Voile du palais. Cloison musculo-membraneuse qui sépare la partie nasale de la partie buccale du pharynx. V. palais2A anat. ex. de Zola. b) BOT. [Chez les basidiomycètes] Enveloppe qui réunit le chapeau au pied de ces champignons (d'apr. Gatin 1924). c) MÉD. Voile du poumon. Diminution homogène de la transparence d'une partie du poumon atteinte d'une lésion peu importante, visible à la radioscopie. [Le médecin] ayant fait mettre l'enfant le torse nu lui trouva la cage thoracique étroite, un voile au poumon, des membres cachexiques (Vialar, Homme de chasse, 1961, p. 99). d)
ŒNOL. Pellicule microbienne qui se forme à la surface du vin et des boissons alcoolisées laissées en vidange (d'apr. GDEL). e) PEINT. ,,Altération d'un film de vernis se traduisant par une diminution du brillant et un aspect trouble`` (Lar. Lang. fr.). f) PHOT. Partie anormalement obscure d'une épreuve − blanche sur la photo − due à diverses causes, notamment à une exposition excessive à la lumière. Voile de développement. (Dict. xxes.). g) PHYSIOL. Trouble de la vision, obscurcissement du champ visuel. Avoir un voile dans le regard (Dict. xxes.). − Vx. Voile(s) de la mort. Obscurcissement de la vision à l'approche de la mort. À travers les voiles de la mort qui semblaient s'étendre sur ses paupières, Consuelo vit sa joie, et n'en fut point effrayée (Sand, Consuelo, t. 2, 1842-43, p. 35). − [Chez les aviateurs] Voile noir, rouge. Obscurcissement du champ visuel dû à un trouble de la circulation sanguine provoqué par une forte accélération. (Dict. xxes.). h) ZOOL. [Chez les larves de mollusques] Expansion cutanée bordée de cils, placée au-dessus de la bouche, et qui sert d'organe locomoteur (d'apr. Lar. encyclop.). Le bourrelet interne, musculaire [des Lamellibranches], peut constituer un « voile » (...) capable de se relever ou de se rabattre pour modifier l'admission de l'eau dans la cavité palléale ou son expulsion (Zool., t. 1, 1963, p. 1041 [Encyclop. de la Pléiade]). Prononc. et Orth.: [vwal]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. a) Ca 1180 vol « pièce d'étoffe qui couvre la tête des religieuses » (Gautier d'Arras, Ille et Galeron, éd. F. A. G. Cowper, 3342: Un vol et une blance gone Comme rencluse et comme none); 1571 prendre le voile (Ronsard, Epitaphe de Françoise de Viel-Pont ds
Œuvres, éd. P. Laumonier, t. 15, p. 303); 1667 quitter le voile (R. Arnauld D'Andilly, Mémoires, t. 2, p. 95); b) α) ca 1170 voil « pièce d'étoffe qui couvre une partie du corps » (Beroul, Tristan, éd. E. Muret et L. M. Defourques, 4001); spéc.
β) 1210-14 voil en parlant d'une femme (Jean Renart, Galeran de Bretagne, éd. L. Foulet, 2019); 1623 porter le voile de l'espousee (Coeffeteau, Histoire Romaine, p. 388);
γ) 1821 « morceau de tissu fin qui orne un chapeau » (Obs. modes, t. 7, p. 96); c) 1721 « pièce d'étoffe avec laquelle les femmes musulmanes se masquent le visage » (Montesquieu, Lettres Persannes, p. 172); 1721 vivre sous le voile (Id., ibid., p. 181); 1743 sans voiles « à visage découvert » (Cl. Godard D'Aucour, Mémoires turcs, t. 1, p. 134); 2. a) 1193-97 voile « grand rideau, tenture » (Hélinant, Les Vers de la Mort, éd. Fr. Wulff et Em. Walberg, XXXIII, 10, p. 31: Morz voit par mi voile et cortine); b) déb. xiiies. hist. juive Le veil del temple (André de Coutances, Evangile de Nicodème, éd. G. Paris et A. Bos, 131); c) 1622 « étoffe légère qu'on place sur le calice pendant la messe » (Inv. de Notre Dame de Reims, fol. 67 vods Gay); 1637 voiles de calice (N. de Peiresc, Lettres, t. 5, p. 48); 3. 1627 « vêtement léger et transparent qui couvre le corps » ici, celui des dieux (Ch. Sorel, Le Berger extravagant, p. 231); 1772 (Crebillon fils, Le Sylphe, p. 154: son sein n'avoit d'autre voile qu'une gaze légère, que le zéphyr derangeoit); 4. 1723 « tissu léger et croisé analogue à celui dont on fait le voile des religieuses » (Savary t. 2, p. 1935). B. Sens métaph. 1. ca 1200 voil « élément qui modifie l'apparence de quelque chose » (Moralité sur Job ds Li Dialogue Gregoire le Pape, éd. W. Foerster, p. 303: a la foiz si(u)t la tristece la maurteit de lever, et aumbret par un voil de dolor tote la bone oevre ke la pense avoit comenciet par bone entencion); 2. 1561 « moyen employé pour dissimuler la réalité » (Ronsard, Elégie à J. Grévin ds
Œuvres, t. 14, p. 196: & d'un voile divers Par fables ont caché le vray sens de leurs vers); 1593 (Satyre Ménippee, Harangue de Monsieur d'Aubray, éd. Ch. Read, p. 263: Vous estes descouvert, le voile est levé!); 1647 (Cl. Malleville,
Œuvres Poét., p. 297: J'exposeray tes faits sans ombres et sans voiles); 1679 déchirer le voile de (J.-F. de Retz, Mémoires, t. 2, p. 105); 1742 lever un coin du voile (Racine, La Religion, p. X). C. Sens anal. 1. 1550 se dit de ce qui rend moins net ou obscurcit (Ronsard, Odes, IV, 16 ds
Œuvres, t. 2, p. 142: Mais quand le paresseus voile De la nuit quitte les cieux); 2. a) 1584 « obscurcissement du champ visuel » (Id., Elégies, ibid., t. 18, p. 126: Mes yeux estoyent couverts d'un voile tenebreux, Mes oreilles tintoyent, & ma langue seichée Estoit à mon palais de chaleur attachée); b) 1733 le voile mortel (A. Piron, Gustave Wasa, p. 377); 1761 les voiles de la mort (Ch. P. Colardeau, Caliste, p. 356); c) 1876 phot. (L. Girard, Journ. offic., 6 oct., p. 7350, 2ecol. ds Littré Suppl.). D. 1. a) 1667 bot. « enveloppe sèche, mince et coriace qui entoure les fleurs de certaines liliacées » (P. Morin, Remarques nécessaires pour la culture des fleurs, p. 279 d'apr. FEW t. 14, p. 224b); b) 1872 « membrane qui enveloppe les bords du chapeau des champignons avant leur maturité » (Littré); 2. 1784 anat. les voiles du palais (Diderot, Éléments de physiol., p. 148). Du lat. velum « voile, toile, tenture, rideau », empl. également au figuré. |