| VEUF, VEUVE, adj. et subst. I. − Adjectif A. − Dont le conjoint est mort. Homme veuf; dame, femme veuve. Je vois encore (...) sa sévère toilette de bourgeoise veuve (Mirbeau, Journal femme ch., 1900, p. 292).Un gros fermier de Bourg-Éloi, demeuré veuf avec une fille non mariée (Martin du G., Vieille Fr., 1933, p. 1073). − Être veuf de qqn.Avoir perdu son conjoint. MmeDesforges, fille d'un conseiller d'État, était veuve d'un homme de Bourse (Zola, Bonh. dames, 1883, p. 444).P. ext. Avoir perdu un être cher. L'homme soucieux de l'avenir, la mère veuve d'un fils, la fiancée hantée du bien-aimé, l'enfant enchanté d'un jouet (Pesquidoux, Livre raison, 1928, p. 130). B. − P. anal., fam. Momentanément séparé de son conjoint. Au moment où la comtesse dépliait son ombrelle, Michaud s'avança pour lui dire que le général la laissait veuve probablement pour deux jours (Balzac, Paysans, 1844, p. 196). C. − Au fig., littér. 1. Être veuf de qqc.Être privé, dépourvu de quelque chose. Synon. être orphelin* de qqc. a) [En parlant d' une pers.; le compl. désigne un inanimé abstr.] Mais bientôt, veuve de ses illusions, elle s'était trouvée dans une solitude affreuse (Flaub., 1reÉduc. sent., 1845, p. 149).À mesure qu'il était plus seul, veuf d'amitiés et d'amours (...), Dieu remplissait en lui tout l'espace (Rolland, Beethoven, t. 2, 1937, p. 334). b) [En parlant d'une chose; le compl. désigne un inanimé concr.] Je regardais les ceps veufs de fruits, ceux que les grêles du printemps avaient hachés dans leur fleur (Bourget, Disciple, 1889, p. 179).On avait fermé les grandes salles de réception qui, veuves de leurs lustres, leurs bronzes et leurs ornements, avaient un aspect désolé et funèbre (Van der Meersch, Invas. 14, 1935, p. 143). 2. Être veuf de qqn.Être privé de (son responsable). La France était veuve de son roi (Besch. 1845-46). Département veuf de son préfet (Lar. 19e). − DR. CANON., vx. Église veuve. Collégiale qui a été cathédrale. L'église de Saint-Quentin était une église veuve (Ac.1835, 1878). II. − Substantif A. − Personne dont le conjoint est décédé; p. ext., personne remariée après un veuvage. Veuf inconsolable, inconsolé; veuf aisé, remarié; veuve désespérée, éplorée, infortunée; veuve joyeuse, légère; vieux veuf; charmante, jeune, jolie, pauvre, riche veuve; veuve en (grand) deuil, en larmes, en noir, en pleurs; veuf sans enfant; veuve sans ressources; douaire, pension de veuve; premier mari d'une veuve; épouser un veuf. La coutume des veuves indiennes qui se brûlent sur le bûcher de leurs maris (Balzac, Lys, 1836, p. 233).M. Jérôme se glorifiait d'appartenir à une famille où les veuves ne quittaient jamais le noir (Mauriac, Baiser Lépreux, 1922, p. 210). − Veuf de qqn.Il espère me faire obtenir, en qualité de veuve d'officier général, la pension que l'autre gouvernement m'avait toujours refusée (Dumas père, Angèle, 1834, II, 5, p. 147). − Veuve abusive*. Fils* de veuve. − Veuve de guerre. Femme qui a perdu son mari à la guerre. Le maire avait dit: − Toi, tu es veuve de guerre, tu as droit à un prisonnier (Giono, Gd troupeau, 1931, p. 187). − Madame veuve + nom patronymique.V. madame II A 1. − Au fig., vieilli. [P. allus. à Marc XII, 41-44 et à Luc XXI, 1-4] Denier, obole de la veuve. Modeste offrande prélevée sur de maigres ressources; p. ext., don, présent ayant apparemment peu de valeur mais qui représente beaucoup pour le donateur. Il venait de nous faire un petit cadeau, bien léger à la vérité, disait-il, mais tout se mesure aux circonstances, et dans celle-ci c'était pour lui, ajoutait-il, le denier de la veuve (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène, t. 1, 1823, p. 287).V. obole B ex. de E. de Guérin. − Loc. verb. Avoir affaire à la veuve et aux héritiers (vieilli). Avoir affaire à forte partie. (Dict. xixes.). Défendre, protéger... la veuve et l'orphelin*. B. − Spéc., au fém. 1. FR.-MAÇONN. [Parfois avec une majuscule] Enfants de la veuve. Francs-maçons. Voilà! Les enfants de la Veuve se lèvent contre le tyran, s'écria le bisaïeul. On venge Hiram sur le Mauvais Compagnon (Adam, Enf. Aust., 1902, p. 82).À l'origine, les francs-maçons furent appelés « Enfants de la Veuve » parce que chacun d'eux était symboliquement la réincarnation de maître Hiram, fils d'une veuve de la tribu de Nephtali (Faucher1981). 2. Argot a) Vieilli. [Parfois avec une majuscule] La veuve. La potence ou la guillotine. Synon. madame (v. ce mot II D), mademoiselle (v. ce mot II C 2).− Que ferais-tu pour un billet de mille francs? − Tout ce qu'on voudrait. − Risquerais-tu le pré (les galères)? − Parbleu! − Et pour deux? − J'affronterais la veuve (la guillotine) (Ponson du Terr., Rocambole, t. 5, 1859, p. 90). − (...) on risque gros. − Quoi? − La veuve. − La... la... la veuve! (...) − Oui: la fenêtre au père Guillotin... le couperet... la bascule... − On n'a pas tué! − On aurait pu (Vialar, Clara, 1958, p. 58). − Loc. verb. Épouser la veuve. Être pendu ou guillotiné. Épouser la veuve (être pendu), comme si la corde du gibet était veuve de tous les pendus (Hugo, Dern. jour condamné, 1829, p. 52).Pour la décapitation (...) [les malfaiteurs ont plusieurs expressions] Pardon! j'oubliai la principale: « épouser la veuve » (Dussort, Preuves exist., 1927, dép. par Esnault, 1938, p. 39). b) [Souvent avec une majuscule] La Veuve poignet. Masturbation masculine. Vous sentez comme un vertige au bas du ventre (...). Faut la douche froide ou la veuve poignet pour vous soulager (Fr. Lasaygues, Vache noire, hannetons et autres insectes, 1985, p. 19). 3. a) BOT. (Fleur de) veuve. Scabieuse à fleurs d'un noir pourpré. À sa robe, elle a attaché un bouquet de veuves nouvelles (Quinet, Ahasvérus, 1833, 3ejournée, p. 270). b) ORNITH. Passereau d'Afrique à plumage sombre et à longue queue. J'apprends aussi à connaître d'autres oiseaux, l'immense jabiru (...) et la veuve à longue queue, si recherchée de nos concierges (Morand, Paris-Tombouctou, 1929, p. 128). c) ZOOL. Veuve noire. Araignée venimeuse d'Amérique du Sud. L'Amérique, et spécialement le Brésil, rassemble presque toutes les Araignées dangereuses: des Lycoses au venin nécrosant, la « Veuve noire » (...), des Mygales au venin neurotrope (La Gde encyclop., Paris, Larousse, t. 5, 1972, p. 920). REM. Veuvier, adj. et subst. masc.,rare, vieilli. (Homme) veuf. Sieur Clubin était veuvier (Hugo, Travaill. mer, 1866, p. 137). Prononc. et Orth.: [vœf], fém. [vœ:v]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. a) α) Subst. fém. ca 1150 vedve « celle qui n'a plus de mari » (Alexis, éd. Chr. Storey, 491); ca 1370 vefves (Jehan le Fèvre, Lamentations de Matheolus, éd. A. G. van Hamel, II, 945, p. 71); 1596 veuve (Hulsius d'apr. FEW t. 14, p. 432a); 1689 le denier de la veuve « présent modeste offert par un pauvre » (Mmede Sévigné, Corresp., éd. R. Duchêne, t. 3, p. 486);
β) adj. fém. ca 1135 veve feme (Couronnement de Louis, éd. E. Langlois, 84); 1306 veuve femme (Joinville, Vie de Saint Louis, éd. N. L. Corbett, 8588, p. 206); fin xive-déb. xves. femme veufve (Quinze joyes du mariage, éd. J. Rychner, p. 100, 49); b) fig. ca 1206 vauve « privé de » (Guiot de Provins, Bible, éd. J. Orr, 352: sa terre est bien de s'onor vauve); mil. xves. veufve (Charles D'Orléans, Rondeaux, 62, 9, éd. P. Champion, p. 325); 1550 la terre veuve (Ronsard, Odes, éd. P. Laumonier, t. 1, p. 181); 2. a) α) adj. masc. ca 1200 veves (en parlant d'un homme) (Naissance du Chevalier au Cygne, éd. H. A. Todd, 1707); fin xiiies. hom vesve (Livre Roisin, éd. R. Monier, 116, p. 76); xves. vefve de femme (Perceforest, t. 3, fo93 ds Littré); 1535 vef (Pierrefleur, Mémoires, éd. L. Junod, p. 101); 1552 veuf (Ronsard, Amours, t. 4, p. 155);
β) 1596 subst. masc. (Hulsius, loc. cit.) − 1680, Rich. qui note ,,il faut dire et écrire veuf et non vef``; b) 1549 fig. (Du Bellay, L'Olive, 84, 12, éd. H. Chamard, t. 1, p. 99: suis-je donq' veuf de mes sacrez rameaux). B. 1. 1628 subst. fém. « la potence » épouser la veuve (Jargon de l'Argot réformé ds Sain. Arg., p. 102); 2. 1835 « guillotine » (Elouin, Dict., I, p. 43). C. 1764 subst. fém. « petit oiseau des Indes de la grosseur d'un moineau » (Valm.). Du lat. vidua « veuve », fém. de viduus « veuf », « privé de quelque chose ». La prédominance du genre fém. en a. et m. fr., qui s'explique par le fait qu'au Moy. Âge, une femme qui avait perdu son mari se trouvait dans une condition sociale plus défavorable, entraîne l'usage de l'adj. fém. qualifiant un homme. Au xvies., la prise de conscience de l'antagonisme gramm. entre les deux mots, amène la formation du masc. veuf, sur le modèle du couple neuf/neuve. Fréq. abs. littér.: 3 933. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 4 161, b) 7 231; xxes.: a) 4 375, b) 2 416. |