| TUER, verbe trans. I. − Empl. trans. Qqn/qqc. tue qqn/qqc. (à, dans ... par qqc.) A. − Qqn/qqc. tue qqn (+ compl. désignant souvent l'arme utilisée).Faire mourir de mort violente, causer la mort de quelqu'un. 1. Qqn tue qqn (+ compl. prép.) a) Donner volontairement la mort à quelqu'un, lui ôter la vie. Synon. assassiner, exécuter, supprimer; (vx, p. plaisant.) occire, trucider; (pop.) crever, démolir, descendre, étendre, flinguer, liquider, zigouiller.« Ils s'étaient juré leur foi De s'épouser sitôt que serait mort le maître Et le tuèrent dans son sommeil d'un coup traître » (Verlaine,
Œuvres compl., t. 1, Jadis, 1884, p. 381).Avec un mortier. Elle a tué sa tante. Un gros mortier familial − ils sont maintenant introuvables (Colette, Pays connu, 1949, p. 177). − Empl. abs. Ôter la vie. Quand vous ne tuez pas pour manger, vous tuez par passe-temps ou par habitude, et votre empire n'est qu'un immense charnier (Ménard, Rêv. païen, 1876, p. 46).La violence n'est nullement la guerre. Un soldat ne ressemble pas du tout à un bandit qui tue pour s'enrichir (Alain, Propos, 1921, p. 191). − ART MILIT. Se faire tuer. Mourir au combat. Voici donc (...) la seule raison pour laquelle des milliers de jeunes Français tuent et se font tuer en Indo-Chine (L'Humanité, 19 janv. 1952, p. 1, col. 3-4).Il est nécessaire que l'enseignement militaire trouve des méthodes spécifiques, puisqu'on y apprend d'abord, selon la terminologie usitée, à tuer et à ne pas se faire tuer (Serv. milit. et réforme arm., 1963, p. 48).Impers., au passif. Il fut tué beaucoup de gens dans la dernière bataille (Littré). ♦ Empl. abs. Tue! tue! [,,Cri par lequel les soldats s'excitaient autrefois au carnage`` (Lar. Lang. fr.)] Tir à tuer. Tir au but exécuté par des tireurs d'élite, avec une arme munie d'une lunette de visée. Demain ou après-demain, qu'adviendra-t-il si, une nouvelle fois, les Casques bleus français sont les victimes choisies de ce qu'ils appellent déjà les « tirs à tuer »? (Le Point, 8 mai 1978, p. 64, col. 1). − Proverbes. Quand l'un dit tue, l'autre dit assomme. Renchérir sur. (Dict. xixeet xxes.). Qui veut tuer son chien l'accuse de la rage (Dict. xixeet xxes.). − Loc. adj., vieilli. Raisons, objections à tuer chiens. Raisons, objections qui ne sont que des prétextes. (Ds DG). SYNT. Tuer qqn à coups de bâton, d'un coup de couteau, à coups de pistolet, de révolver, d'un coup de fusil, d'un coup de poignard, d'un coup de sabre, d'épée; tuer net, raide; tuer son adversaire en duel; tuer en asphyxiant, en étouffant, en étranglant, en noyant; tuer qqn en lui coupant/tranchant le cou, la tête, en lui cassant/rompant/tordant le cou, en le passant par les armes; tuer un adversaire en traître, traîtreusement (dans son lit, dans son sommeil); tuer qqn de sang-froid; tuer qqn avec préméditation; tuer un blessé, un mourant; tuer un criminel; tuer son enfant/son frère/sa mère/son père/sa femme/un roi/un tyran; tuer à petit feu. b) Causer la mort de quelqu'un; commettre un homicide involontaire, par imprudence. On tue les somnambules quand on leur crie leur nom, même dans une langue étrangère (Giraudoux, Siegfried, 1928, i, 6, p. 45).On peut être tué dans un tournoi, mais seulement par accident, comme dans une course automobile, un match de boxe ou un assaut d'escrime (Jeux et sports, 1967, p. 11). c) [Le compl. d'obj. dir. désigne un animal] Faire mourir volontairement de mort violente; mettre à mort. Le matador tue le taureau. Faire périr, détruire (des animaux nuisibles ou incommodes). Tuer des insectes. [César] porte à la main une petite raquette en toile métallique, pour tuer les mouches (Pagnol, Fanny, 1932, i, 1ertabl., p. 7). ♦ BOUCH. Assommer à mort, égorger un animal de boucherie. Tuer un bœuf au fusil, d'un coup de merlin; tuer des moutons, des volailles; un cochon bon à tuer/à être tué. Il n'y a rien pour le dîner, ce soir (...). Ce matin, Tricoter n'avait pas encore tué (...) Il devait tuer à midi. Je vais moi-même à la boucherie (Colette, Mais. Cl., 1922, p. 23).C'est par saignée à la gorge qu'on tue toujours ces animaux et le sang est entièrement recueilli pour la préparation du boudin (Brunerie, Industr. alim., 1949, p. 60). ♦ CHASSE. Tuer du gibier, des lièvres, des perdrix. Pour chasser le crocodile, on l'attire avec un cochon de lait qui crie, puis on lui bouche les yeux avec des boulettes d'argile; enfin, on le tue commodément et sans péril (Arnoux, Rêv. policier amat., 1945, p. 76).Il faut ordinairement charger son fusil à balle ou à grosses chevrotines, pour le tuer [le loup] plus aisément. Cependant on le tuerait avec du plomb en le tirant de très près, ce que j'ai vu plus d'une fois (La Hêtraie, Chasse, vén., fauconn., 1945, p. 161). ♦ [À l'occasion d'un sacrifice] Tuer un animal. Immoler, sacrifier un animal. Tuer n'est pas assassiner. Devant l'autel où brille une flamme épurée, Le bouc impur se change en victime sacrée (Hugo, Cromwell, 1827, p. 322). − Loc. verb. ♦ Tuer le cochon. Abattre un cochon, à domicile, et procéder à la préparation immédiate de jambons, rillettes, saucisses, boudins dans une ambiance de fête et donnant lieu à des réjouissances. Aujourd'hui, il y a comme ça (...) la grosse Laure Duvernet qui va à la ferme des Glorias aider à tuer le cochon (Giono, Regain, 1930, p. 14). ♦ Tuer le veau* gras. Tuer la poule aux œufs d'or. V. poule I A 4.Tuer le ver*. Tuer les mouches au vol/tuer les mouches à quinze pas. V. mouche I C 4. − [Dans un sens affaibli] Vieilli. Tuer son cheval (sous soi). Synon. épuiser, crever (fam.).Vous tuez votre cheval de le mener toujours au grand galop (Ac. 1835, 1878). À galoper comme cela, vous allez tuer votre cheval (Nouv. Lar. ill.). ♦ P. métaph. J'ai parlé imprudemment (...) des restaurations des tableaux du Musée: le grand Véronèse, que ce malheureux Villot a tué sous lui (Delacroix, Journal, 1853, p. 84). d) P. anal. [Le compl. d'obj. dir. désigne un végétal] Abîmer, saccager. Un des plus sûrs moyens de tuer un arbre est de le déchausser et d'en faire voir les racines (Joubert, Pensées, t. 1, 1824, p. 346).J'ai le respect du pain. (...) Les moissons m'ont été sacrées, je n'ai jamais écrasé une gerbe, pour aller cueillir un coquelicot ou un bluet; jamais je n'ai tué sur sa tige la fleur du pain (Vallès, J. Vingtras, Enf., 1879, p. 36). e) Au fig. Faire disparaître quelqu'un dans son rôle, sa qualité. Jubin rédigeait un journal par autorité de Justice. C'est-à-dire que les propriétaires le voulaient mettre à la porte, s'apercevant qu'il tuait l'abonné; mais la Justice a ses idées (...) et elle maintenait Jubin (Veuillot, Odeurs de Paris, 1866, p. 35).Le gros négociant veut tuer le petit (Hamp, Champagne, 1909, p. 125).Effacer, détruire l'empreinte laissée par une personne, un peuple. L'Allemagne veut propager sa civilisation par la force. Elle veut tuer notre vie spirituelle propre. Ils ne viennent pas seulement tuer nos vivants, mais tuer nos morts, les empêcher de continuer leur immense action dans le monde (Barrès, Cahiers, t. 11, 1918, p. 350).Faire oublier, surpasser quelqu'un. Tuer un auteur, son modèle, son original. Sarah Bernhardt (...) par son sublime même, tuait autour d'elle tous les autres interprètes (Mauriac, Bloc-Notes, 1955, p. 173). − Synon. de étouffer.Le poëte [Sainte-Beuve] a été tué par le critique, par le lettré curieux que brûlait le feu de tout comprendre et de tout expliquer (Zola, Doc. littér., Sainte-Beuve, 1881, p. 217). f) P. exagér. Tuer qqn (avec qqc.).Fatiguer, incommoder extrêmement. Il me tue avec ses compliments, ses criailleries; cet enfant me tue. Il avait souvent dit: « Ils me tueront, avec leur système de chauffage! » (Renard, Journal, 1900, p. 566). 2. Qqc. tue qqn a)
α) [Le suj. désigne la cause (arme, projectile, substance mortelle) de la mort] Dans la reliure du volume, tu vois cette poudre grise que j'ai rapportée? Une pincée en tue son homme dans le quart d'heure (Montherl., Malatesta, 1946, iv, 9, p. 532).
β) [Le suj. désigne un élément naturel: la foudre, le cyclone, le feu, la mer...] La mer, en grande artiste, tue pour tuer, et rejette aux rochers ses débris, avec dédain (Renard, Journal, 1887, p. 4).
γ) [Le suj. désigne le chagrin, la maladie] Le gentilhomme est à la mort. C'est une de ces âmes tendres qui, ne connaissant pas la manière de tuer le chagrin, se laissent toujours tuer par lui (Balzac, Gobseck, 1830, p. 422).Il y a cent ans, une épidémie de peste a tué tous les habitants d'une ville de Perse (Camus, Peste, 1947, p. 1323).
δ) [Le suj. désigne le temps, la vie] La vie nous tue tous les jours un peu: pour Dieu, ne l'aidons pas à nous achever plus vite (Fromentin, Dominique, 1863, p. 143).Et s'il est vrai que toutes [les heures] blessent et la dernière tue, ainsi que l'affirme le cadran de la tour, les blessures du moins ne déchirent pas, mais endorment (Arnoux, Abisag, 1919, p. 309).
ε) P. anal. [Le compl. d'obj. dir. désigne un animal, une espèce du monde animal] Détruire, exterminer. Ce procédé tue les ferments lactiques et les microbes pathogènes, mais respecte les spores des ferments de la caséine (Macaigne, Précis hyg., 1911, p. 242).Les produits arsenicaux tuent le doryphore (Davau-Cohen1972).
ζ) [Le compl. d'obj. désigne une plante] L'air gelé devient résistant, palpable tant il fait mal (...) il mord, traverse, dessèche, tue les arbres, les plantes (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Amour, 1886, p. 738). b) P. exagér.
α) Excéder, épuiser de fatigue. Ce travail l'a tué. Tous les plaisirs tuent, et sont aimés (Alain, Propos, 1914, p. 187).
β) Faire succomber moralement, désespérer. Ennui, secrets, souvenirs, impuissance, solitude qui tue(nt) qqn. Il est des injures qui tuent moralement leur homme si elles restent impunies, et qui cependant ne peuvent se réparer par la voie des tribunaux (Proudhon, Guerre et paix, 1861, p. 219).Et elle répétait, le corps plein d'un deuil qui la tuait de stupeur: − Qu'y a-t-il d'autre que l'amour... (Noailles, Nouv. espér., 1903, p. 116). − P. anal. [Le suj. désigne notamment un élém. de la vie intellectuelle ou morale] L'esprit humain ne répugne pas trop à l'erreur, mais il est maladroit de la lui servir à trop forte dose; alors elle tue ou n'agit pas (Cousin, Hist. philos. mod., t. 1, 1846, p. 80).Si le contradictoire et l'absurde tuaient, nous mourrions tous au sortir du ventre maternel (Arnoux, Solde, 1958, p. 111).
γ) Mettre en difficulté pécuniaire. Synon. écraser.Il me serait impossible de grappiller cette année dix mille francs sur mon ambassade. Les frais d'établissement me tuent (Chateaubr., Corresp., t. 5, 1822, p. 281).
δ) Fam. Faire taire, stupéfier. Môssieu, que j'y lui ai répondu, c'est pas la position qui dégrade l'homme... Ça l'a tué (Méténier, 1887ds Larch. Suppl. 1889, p. 246). B. − Qqn/qqc. tue qqc. 1. Qqn tue qqc. (+ compl. prép.) a)
α) Vieilli ou région. (Touraine). Éteindre. Tuer le feu (DG). Tuer la chandelle (Rougé, Folkl. Touraine, 1949).
β) Tuer le goût de qqc. Étouffer, altérer le goût d'un mets, d'une boisson, d'un aliment par quelque chose de plus fort. (Dict. xxes.). b) P. métaph. ou au fig. Étouffer, faire cesser, faire taire. Tuer un bruit, une légende, un désir, une initiative; tuer l'action, l'avenir, la confiance, la foi, l'imagination, la liberté, la pensée; tuer la monarchie, la république, la révolution, les institutions. Le banqueroutier, l'adroit capteur de successions, le banquier qui tue une affaire à son profit ne produisent que des déplacements de fortune (Balzac, Illus. perdues, 1843, p. 716).Tu as un peu de la voix des prophètes lorsque tu ne te noies pas dans les âneries des théoriciens qui t'entourent, lesquels tuent toute grandeur, toute générosité, toute poésie (Jammes, Corresp.[avec Gide], 1902, p. 191). − SPECTACLES. Faire échouer. Il suffit qu'un acteur se « désaccorde » pour tuer un spectacle. Il y a là quelque chose de comparable à une conversation où l'interlocuteur parle à quelqu'un qui n'écoute pas (Arts et litt., 1936, p. 64-12). − [P. méton. du suj.] Tes yeux dépassent tous les ciels (...) Flèches de joie, ils tuent le temps, ils tuent l'espoir et le regret, ils tuent l'absence (Éluard, Donner, 1939, p. 69). − Loc. verb. ♦ Tuer (le temps) (fam.). Occuper, passer le temps (en l'absence de toute autre occupation). J'entrai au cercle, espérant rencontrer un camarade avec qui tuer un peu de nuit avant d'aller me coucher (Bourget, Physiol. amour mod., 1890, p. 9): 1. Le mieux que nous ayons à faire, c'était de tuer le temps en attendant... En attendant quoi? Je suivais d'un regard hébété les hommes casqués qui couraient sur la pelouse d'un vert agressif, et je me répétais avec anxiété: tuer le temps! Alors que nous n'avons pas une heure à gâcher.
Beauvoir, Mandarins, 1954, p. 314. P. anal. Tuer l'ennui. Aux Jacobins les coups de dix heures retentirent (...) d'un geste instinctif, tous, pour tuer l'attente, tirèrent leur montre du gousset, la réglant (Estaunié, Simple, 1891, p. 38).♦ Tuer (qqc.) dans l'œuf*. c) ALIM. Provoquer un accident dans la fabrication (d'une boisson, notamment du cidre) qui se traduit par une coloration noire et une perte de saveur (d'apr. Clém. Alim. 1978). d) TECHNOL., FORAGE. Tuer un puits. Vaincre la pression des fluides rencontrés dans un forage (d'apr. Pétrol. 1964). 2. Qqc. tue qqc. a) Causer la disparition de quelque chose, avoir raison de quelque chose. Le train a tué la diligence; les grandes surfaces ont tué le petit commerce. Lorsque naît une grande invention, il semble qu'on soit saisi de peur et qu'obligatoirement, pour reprendre l'expression de Victor Hugo « ceci doive tuer cela ». On a craint que le disque tue le livre (Disque Fr., 1963, p. 5).P. métaph. Mon père, qui n'est pas domestique, ménage avec des frissonnements qui font mal, un pantalon de casimir noir, qui a avalé déjà dix écheveaux de fil, tué vingt aiguilles, mais qui reste grêlé, fragile et mou! (Vallès, J. Vingtras, Enf., 1879, p. 63). b) Anéantir; détruire, ruiner. Tuer l'intérêt de qqc.; tuer l'honneur, la carrière de qqn. Toute révolution politique, dit M. Cousin, est une idée qui se réalise, c'est-à-dire une idée qui abroge une idée antérieure, qui la tue (Proudhon, Créat. ordre, 1843, p. 219).Il était d'autant plus difficile aux successeurs de faire du neuf que vingt ans de copie industrielle avaient tué chez le grand public le goût de la nouveauté (Viaux, Meuble Fr., 1962, p. 172). − [P. réf. à l'oppos. lettre, mot/pensée et p. réf. à la loc. la lettre tue, l'esprit vivifie tirée de la 2elettre aux Corinthiens (3, 6)] J'appelle erreur ce qui tue, et vérité ce qui vivifie (L. Daudet, Stup. XIXes., 1922, p. 272).Le Saint Père a vécu chez nous. Il sait de quels fonds intégristes montent certaines dénonciations, et que l'intégrisme, c'est la Lettre devenue virulente, la Lettre qui tue (Mauriac, Nouv. Bloc-Notes, 1959, p. 266). c) BEAUX-ARTS. [En parlant d'un effet, d'une couleur éclatante, d'une lumière trop vive qui en affaiblit un/une autre] Atténuer , neutraliser. Le fond tue les figures [dans les Lutteurs de Courbet], et il faudrait en ôter plus de trois pieds tout autour (Delacroix, Journal, 1853, p. 19).La patine que cet or prend en vieillissant ne fait pas toujours mauvais effet, car elle tue le brillant de l'or employé; le seul ennui, c'est que l'effet futur est très aléatoire (Closset, Trav. artist. cuir, 1930, p. 50). II. − Empl. pronom. A. − réfl. Qqn se tue 1. a) S'ôter la vie. Synon. se suicider, se donner la mort (v. donner I C 1 a β), se noyer, se pendre, se poignarder, se brûler*, se faire sauter* la cervelle, se loger*, se tirer une balle* dans la tête, (se) faire hara-kiri*, se détruire (fam.), se supprimer (fam.), se zigouiller (arg.).Se tuer pour échapper au déshonneur, à la torture. Elle ouvrit la fenêtre pour se tuer ou se sauver; elle n'en savait rien (A. France, Jocaste, 1879, p. 137): 2. Schopenhauer invite chaque homme, non pas au suicide matériel, mais à une mortification de tous ses désirs. Il ne s'agit pas de se donner la mort. « Quiconque se tue, veut la vie: il ne se plaint que des conditions sous lesquelles elle s'offre à lui ». La volonté de vivre persiste. Or c'est elle qu'il faut anéantir ou, du moins, endormir.
Théol. cath.t. 4, 11920, p. 1272. − Rare. [D'une manière virtuelle] Le suicide est comparable au geste désespéré du rêveur pour rompre son cauchemar. Celui qui par effort se tire d'un mauvais sommeil, tue; tue son rêve, se tue rêveur (Valéry, Tel quel II, 1943, p. 114). b) Trouver la mort dans un accident. Synon. fam. se casser, se rompre le cou*.Se tuer dans un accident (d'avion, de train, du travail); se tuer en tombant d'un toit; se tuer en montagne, en mer; se tuer au volant de sa voiture. L'enfant pencha le buste hors de la fenêtre sans répondre et ses deux pieds quittant le sol, elle poussa un cri de terreur. − Tu pourrais te tuer, galopin, fit-elle (Bernanos, Crime, 1935, p. 851). 2. Fam. [Dans un sens affaibli] a) Se donner beaucoup de mal, se fatiguer à l'extrême; compromettre sa santé. Se tuer à l'ouvrage, au travail, à la peine; se tuer à force de travail, à force de boire; se tuer de travail; se tuer à plaisir; se tuer pour élever ses enfants, pour entretenir sa famille. Je viens de la machine. Ils se tuent pour tenir la vitesse. La chaufferie est à modifier complètement... Et moi, j'ai promis d'arriver coûte que coûte (Peisson, Parti Liverpool, 1932, p. 83).En se tuant à la tâche, sans équipement, les paysans ne peuvent parvenir à un volume de production qui leur procurera un revenu net susceptible de leur donner les avantages de la société moderne (Debatisse, Révol. silenc., 1963, p. 162). − Se tuer à + inf.S'évertuer inutilement à. Se tuer à faire des remontrances à qqn, à lui répéter toujours la même chose. J'ai tout vendu! Mon Dieu! Tout vendu! (...) Je me tue à te dire! Tout au « Crédit Lémenthal »!... à Monsieur Rambon! Tu le connais bien? Au contentieux! Y avait plus autre chose à faire! (Céline, Mort à crédit, 1936, p. 547). Rem. Hanse ds Dupré 1972 note: ,,L'expression se tuer de s'est employée autrefois [...] avec le sens parfois discutable de « faire incessamment ». Son ami se tuait de lui dire [...] Ce tour semble sorti de l'usage courant. On dirait se tuer à``. b) Empl. réfl. indir. Se tuer (telle partie du corps) à. S'abîmer (telle partie du corps) à. Il y a en ce moment, des millions de pauvres enfants, enfermés dans des salles froides, qui se tuent les yeux et l'esprit à épeler le monde sur de sales bouts de papier (Zola, Contes Ninon, 1864, p. 291).Se tuer (l'esprit, l'âme) à. Se fatiguer à l'extrême à. Il y a manière pour un artiste de vivre de son corps sans se tuer l'âme dans ce métier-là (Sand, Maîtres sonneurs, 1853, p. 296). 3. a) P. exagér. Se tuer l'un l'autre, les uns les autres. Synon. s'entre-tuer, s'entr'égorger.[Gervaise] saisit enfin l'une des boucles, une poire de verre jaune; elle tira, fendit l'oreille; le sang coula. Elles se tuent! Séparez-les, ces guenons! dirent plusieurs voix (Zola, Assommoir, 1877, p. 398). − [En parlant d'un endroit où l'affluence est excessive] La pièce nouvelle a un succès fou, on s'y tue (Ac.1935). b) P. anal., BEAUX-ARTS. Se ternir, s'affaiblir mutuellement. Ces lumières se tuent. Ces deux nuances se tuent mutuellement, elles se ternissent l'une l'autre (Littré). Dans ce tableau simplifié (...) tout ce que le peintre a voulu exalter se manifeste beaucoup plus nettement que dans la composition où tous les éléments se contredisent, se nuisent, se tuent (Arts et litt., 1935, p. 84-08). B. − à sens passif 1. Qqn se tue.[Le suj. désigne un animal] Être, devoir, pouvoir être tué. Les bœufs se tuent avec un maillet de fer, les porcs avec un couteau (Besch.1845-46). 2. Qqc. se tue.Être détruit, effacé. Le temps, le chagrin se tuent par le travail, l'étude, les voyages (Besch.1845-46). Prononc. et Orth.: [tɥe], (il) tue [ty]. Homon. tu. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) Ca 1140 « ôter (à quelqu'un) la vie d'une manière violente » (Grand mal fit Adam, éd. H. Suchier, 9); ca 1200 « égorger ou assommer (des animaux de boucherie) » (Nardin, Lexique comparé des fabliaux de Jean Bedel); 1559 tué subst. « personne qui a été tuée » (Amyot, Vies, Galba, 33 ds Littré); b) 1553 la bouche qui ment, tue (lat. occidit) l'ame (Bible de l'imprimerie Gerard, Sap 1, 11); 1690 « faire périr (les plantes, en parlant du froid) » (Fur.); c) ca 1276 soi tuer « compromettre sa santé » (Adam de La Halle, Jeu d'Adam, 1003 ds T.-L.); 1462 se tuer de (Villon, Testament, éd. J. Rychner et A. Henry, 1813); 1633 se tuer de « se donner beaucoup de peine pour » (Corneille, Veuve, III, 4); 1659 se tuer à (La Mesnardière, Poésies ds Livet); 1538 se tuer « se donner la mort » (Est., s.v. manus sibi afferre); 1718 se tuer « être tué par accident » (Ac.); 2. a) 1468 tuher « éteindre (un feu) » (doc. de Vienne ds Gdf. Compl.); b) ca 1140 tuer (qqn) « faire perdre connaissance » (Geffrei Gaimar, Hist. des Anglais, éd. A. Bell, 541); ca 1150 soi tuer « s'évanouir » (Thèbes, éd. G. Raynaud de Lage, 6004); ca 1160 soi tuer « provoquer en soi un état de prostration » (Eneas, 4901 et 4929 ds T.-L.); ca 1165 soi tuer « faillir mourir » (Benoît de Ste-Maure, Troie, 22137, ibid.); c) 1549 tuer qqn « importuner extrêmement (en parlant d'un récit ennuyeux, etc.) » (Est.); 1608 tuer le tans « s'amuser à des riens » (Régnier, Satyres, VIII, 118, éd. G. Raibaud, p. 85); d) 1616 tuer (l'espoir) « faire disparaître, anéantir » (D'Aubigné, Tragiques, éd. E. Réaume et De Caussade, t. 4, p. 221); e) 1746 tuer (une couleur) « en détruire l'effet par un contraste (terme de peinture) » (Marsy, Dict. de peint. et d'archit., t. 2, p. 289); f) 1752 se tuer (en parlant du cidre) « noircir après avoir été tiré du tonneau » (Trév.). Continue le lat. pop. *tutare, lat. class. tutari « protéger, garantir de », qui semble être devenu synon. de exstinguere « éteindre » et « tuer ». On trouve dès le 1ers. les expr. tutare famem, sitim synon. de extinguere famem, sitim « éteindre la faim, la soif », cf. aussi a. prov. tu(d)ar « éteindre, tuer », ital. attutare, stutare « éteindre; adoucir, calmer ». Le sens de « éteindre » a été conservé en fr. class. de même que dans certains parlers de la Bretagne à la Savoie. V. aussi occire. Fréq. abs. littér.: 9 163. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 11 999, b) 13 543; xxes.: a) 14 750, b) 12 597. DÉR. 1. Tuable, adj.,fam. a) Qui peut être tué, qui mérite d'être tué. Nous étions la gent corvéable, taillable et tuable à volonté; nous ne sommes plus qu'incarcérables (Courier, Pamphlets pol., Au réd. « Censeur », 1819, p. 11).b) Bon à tuer pour être consommé. Ce cochon est tuable. Ces poulets sont tuables (Besch. 1845-46). − [tɥabl̥], [tyabl̥]. Att. ds Ac. 1762-1878. − 1resattest. a) 1566 [éd.] « qu'on peut tuer » (H. Estienne, Apologie pour Hérodote, p. 266 ds Gdf. Compl.), b) 1812 « bon à tuer (en parlant d'un animal) » (Mozin-Biber); de tuer, suff. -able*. 2. Tuage, subst. masc.a)
α) Action de tuer. Le tuage d'un bœuf, d'un cochon. Au fig. [P. réf. à la loc. verb. tuer le ver*] L'un et l'autre éméchés un brin par le tuage matinal du ver (La Petite lune, 1878-79, no45, p. 3).
β) ,,Prix que l'on donne pour faire tuer un animal de boucherie`` (Flick 1802). b) Technol., forage. [Corresp. à supra I B 1 d] ,,Opération par laquelle on supprime un puits de pétrole au moyen d'explosifs`` (Rob. 1985). Le système de sécurité pour le « tuage » des puits en cas d'accident (Sciences et Avenir,avr. 1981,p. 34, ibid.).− [tɥaʒ], [tya:ʒ]. − 1resattest. 1200-20 tuage « redevance que l'on payait pour l'abattage du bétail » (Peage de Sens ds Bibl. Éc. Chartes, t. 27, p. 292), 1680 « abattage du bétail » (Rich.), 1802 « prix que l'on donne pour faire tuer un animal de boucherie » (Flick); de tuer, suff. -age*. BBG. − Bonan Garrigues (M.), Élie (J.). Essai d'anal. sémique... Cah. Lexicol. 1971, no19, pp. 88-89. − Foster (Br.). The Semantic history of « tuer ». In: [Mél. Girdlestone (C. M.)]. Newcastle, 1960, pp. 107-123. − Gohin 1903, p. 348. − Nyrop (Kr.). Le Verbe tuer. In: Nyrop (Kr.). Ling. et hist. des mœurs. Paris, 1934, pp. 274-279. − Quem. DDL t. 25. − Vising (J.). Ét. étymol. sur fr. tuer... In: [Mél. Rajna (P.)]. Firenze, 1911, pp. 395-405. |