| TRAQUER, verbe trans. A. − [Le compl. désigne un lieu, un animal, un gibier] 1. CHASSE a) Battre, fouiller un lieu pour faire fuir le gibier. Je savais traquer les bois comme la braconne en personne (Roupnel ds Lar. Lang. fr.). b) Rabattre le gibier vers une ligne de chasseurs postés ou en marche. Les yeux avides, terriblement attentif, il surveille la lisière d'un buisson où ses chiens traquent quelque bête (Guéhenno, Journal homme 40 ans, 1934, p. 248).On ne les voit pas [les éléphants dans les herbes]. Mais on entend très bien leur digestion, les borborygmes du ventre. Ce sont les vieux solitaires que l'on piste et que l'on traque qui sont le plus dangereux (Cendrars, Homme foudr., 1945, p. 64). c) Cerner le gibier dans un cercle de chasseurs (traqueurs et tireurs) qui se resserre de plus en plus. On organise une battue pour le lendemain. On le traque, on le fusille par feux de salves. Il en est parfois autrement. L'ours éventre les chiens, un homme même, et emporte sa proie (Pesquidoux, Chez nous, 1921, p. 238). 2. P. ext. Poursuivre, rechercher pour attraper et tuer. Celle-ci, restée tout à fait paysanne, bêche, désherbe, traque les escargots dans leurs derniers retranchements (Colette, Cl. école, 1900, p. 277).L'automne m'accueillit de nouveau, et, avec une passion que l'âge n'a pas émoussée, je traquai la bécasse (Jammes, Mém., 1922, p. 181). B. − P. anal. [Le compl. désigne une pers.] Poursuivre sans relâche une personne en fuite pour l'arrêter, la capturer. Quelques paysans racontèrent au grenadier que la comtesse avait vécu un mois entier dans une forêt, et qu'ils l'avaient traquée pour s'emparer d'elle, sans pouvoir y parvenir (Balzac, Adieu, 1830, p. 39).Le port de New-York. 1834. C'est là que débarquent tous les naufragés du vieux monde (...). Les premiers socialistes allemands, les premiers mystiques russes. Les idéologues que les polices d'Europe traquent; ceux que la réaction chasse (Cendrars, Or, 1925, p. 29). − [Dans un cont. érotico-sexuel] Elle n'avait rien oublié du temps lointain où elle habitait chez sa tante, à Paris, et où Daniel adolescent la traquait, comme un possédé, dans tous les coins de l'appartement (Martin du G., Thib., Épil., 1940, p. 862). − P. exagér. [Le suj. désigne un fâcheux, un gêneur ou une pers. indiscrète] Poursuivre sans cesse, en dérangeant. Synon. harceler.Tout ce battage qu'on faisait autour de Robert (...). On l'avait vivement supplié de briguer l'Académie et de demander la Légion d'honneur; les journalistes le traquaient, et on imprimait sur lui des tas de mensonges (Beauvoir, Mandarins, 1954, p. 163). − P. métaph. ou au fig. [Le suj. désigne un élément de situation ou un sentiment] Être traqué par le remords, le besoin. Je n'aurai plus dans 9 mois aucune crainte pour mon avenir et pourrai travailler sans être traqué par la nécessité (Balzac, Corresp., 1833, p. 360).Il tentait alors de reprendre ses esprits et de venir à bout de la terreur qui le traquait au fond de l'être (Carco, Homme traqué, 1922, p. 94). C. − Au fig. [Le compl. désigne une chose] 1. [Le suj. désigne une pers.] Pourchasser, rechercher avec obstination (pour combattre, détruire quelque chose, ou s'emparer de quelque chose). Ernest Jünger, durant ces sombres années [de l'occupation allemande], est un soldat vainqueur dans Paris où il traque les livres rares ou épuisés, ne pourchasse que les fleurs et que les insectes (Mauriac, Bloc-Notes, 1957, p. 347): Elle cherchait seulement à m'empêcher de sortir avec elle, et moi, par l'annonce brusque de ce projet que je ne comptais nullement mettre à exécution, à toucher en elle le point que je devinais le plus sensible, à traquer le désir qu'elle cachait et à la forcer à avouer que ma présence auprès d'elle demain l'empêchait de le satisfaire.
Proust, Prisonn., 1922, p. 107. 2. [Le suj. désigne une chose] Réduire, faire disparaître. L'Atakor n'était plus qu'un chaos monstrueux au milieu des buées nocturnes que traquait le petit jour (Benoit, Atlant., 1919, p. 294).La science, chaque jour, traque le hasard, le grignote, et nous prouve que ce n'était que le nom de notre myopie (Druon, Gdes fam., t. 2, 1948, p. 173). Prononc. et Orth.: [tʀake], (il) traque [tʀak]. Att. ds Ac. dep. 1762. Étymol. et Hist. 1. Av. 1577 « chasser [les troupeaux] devant soi » (R. Belleau, Bergeries, éd. 1578, t. 1, p. 17 ds Littré: le traquant berger); 2. a) 1726 « poursuivre [le gibier] » (J. B. Rousseau,
Œuvres, Amsterdam, 1726, t. 2, p. 105 ds Trév. Suppl. 1752: un chevreuil traqué dans le taillis); b) 1740-55 p. anal. « poursuivre [une personne en fuite] » (Saint-Simon, Mémoires, éd. A. de Boislisle, t. 13, p. 228: Vaudémont le fit traquer et prendre); c) 1821 p. exagér. « poursuivre à outrance, harceler » (A. Morellet, Mém., t. 2, p. 23: une révolution qui allait traquer, comme des bêtes nuisibles, les nobles et les grands et les riches dans toute l'étendue du royaume); d) 1839 « combattre, chercher à faire disparaître (quelque chose) » (Balzac, Fille Ève, p. 143: amour [...] traqué); e) 1874 expr. comme un animal traqué (Gobineau, Pléiades, p. 276); 1913 air de bête traquée (Alain-Fournier, Meaulnes, p. 292); ca 1911 regard traqué (Gide, Feuillets, p. 353); 1922 regard traqué (Montherl., Songe, p. 125); 3. 1771 « fouiller (un bois) pour en faire sortir le gibier » (Trév.: traquer un bois). Orig. incertaine. Prob. dér. du m. fr. trac « piste, trace » (trac1*). Fréq. abs. littér.: 462. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 243, b) 514; xxes.: a) 691, b) 1 062. |