| TRANCHANT, -ANTE, part. prés., adj. et subst. masc. I. − Part. prés. de trancher*. II. − Adjectif A. − 1. [En parlant d'une chose] Dur et effilé, propre à trancher. Bistouri, couteau tranchant; disques tranchants d'une machine; côté tranchant d'une lame, d'une hache; pierre tranchante. Il n'avait pas pris le soin d'ôter de son lit une multitude de cailloux assez tranchants qui n'amélioraient pas son sommeil (Hugo, Travaill. mer, 1866, p. 267).Les pattes courtes armées d'ongles tranchants comme des griffes de carnassier (Pesquidoux, Chez nous, 1921, p. 85). ♦ Instrument tranchant. Instrument comportant une ou plusieurs lames, et destiné à couper. On voit sur le lit une simple paillasse recouverte d'une toile noire; à côté, des instruments tranchants, un réchaud rempli de feu (Janin, Âne mort, 1829, p. 130).Les instruments tranchants peuvent être stérilisés à sec ou, comme nous le pratiquons dans mon laboratoire, par immersion dans un mélange alcool-éther (J. Verne, Vie cellul., 1937, p. 20). 2. Spécialement a) HIST. Écuyer tranchant. V. écuyer A 2 b. b) VÉN. Côtés tranchants. Côtés non usés du pied des cerfs, daims et chevreuils (d'apr. Duchartre 1973). B. − P. anal. ou au fig. 1. [En parlant d'une chose] Qui procure une sensation de coupure. Synon. aigu.Froid tranchant. Tous les matins arrivaient dans un grand ciel sans nuages, lavé par une petite bise tranchante (Giono, Chant monde, 1934, p. 155).Puis il se dressait sur de nombreuses jambes soudain multipliées (...) qu'une douleur tranchante fauchait par fagots cliquetants (Colette, Gigi, 1944, p. 122). 2. [En parlant d'une pers.] Qui tranche, règle les choses d'une manière rapide, absolue et irrévocable. Synon. cassant, catégorique.Esprit tranchant. J'aime les gens tranchants et énergumènes. On ne fait rien de grand sans le fanatisme (Flaub., Corresp., 1853, p. 148).− Non, Simon, non! − Pourquoi? − Restez mon frère, mon père! − J'ai bien le droit d'épouser ma sœur, ma fille! Tranchante elle dit: − Vous savez que c'est impossible (Giraudoux, Simon, 1926, p. 227). 3. [En parlant d'un comportement, d'une manière de penser ou de s'exprimer] Où se manifeste la volonté de trancher, de décider d'une manière rapide et irrévocable, en coupant court à toute discussion. Synon. péremptoire, sans réplique.Autorité, voix tranchante; argument, ton tranchant; gestes tranchants; manières, opinions, paroles, réponses tranchantes. La recherche théorique de la liberté ne lui suffisait plus, il fallait qu'il descendît, qu'il allât se contenter dans les axiomes tranchants de Charvet (Zola, Ventre Paris, 1873, p. 745).Rien, dans leurs propos, qui ne fût tranchant: les hommes, les événements, les opinions, jugés en une phrase, exécutés presque toujours, et sans appel (Montherl., Célibataires, 1934, p. 741). C. − Vieilli ou littér. [En parlant d'une chose] Qui tranche, contraste violemment. Leur peau [des quadrupèdes carnassiers], quoique variée de quelques couleurs tranchantes, comme les bandes du tigre et les anneaux de la panthère, ne présente que le dur contraste du fauve et du noir (Bern. de St-P., Harm. nat., 1814, p. 268).La tête levée, ils admirèrent les rectangles des crénelures aux bords tranchants dans le ciel vif (Triolet, Prem. accroc, 1945, p. 54). − Au fig. Sans nuances, abrupt. Oppositions, divisions tranchantes. Rapprochés, séparés par de tranchants contrastes (...) la vive couleur de l'un mordant, pour qu'elle vibre mieux, la couleur franche de l'autre, les personnages de La femme en fleur sont serrés comme raisin dans le pressoir (Colette, Jumelle, 1938, p. 8). III. − Subst. masc. A. − 1. Côté affilé d'un instrument destiné à couper. Synon. coupant, taillant.Affiler, affûter, aiguiser le tranchant d'une lame; tranchant d'un couteau, de ciseaux, d'une bêche, d'une hache; tranchant d'une charrue. [Les toupies] couraient (...) sur des tranchants de sabre, sur des fils de fer, véritables cheveux tendus d'un côté de la scène à l'autre (Verne, Tour monde, 1873, p. 133): Beaucoup [de pickpokets] portent des bagues munies de tranchants qui permettent de couper l'étoffe d'un veston un peu au-dessous du niveau de la poche intérieure; le portefeuille glisse dans la main...
Green, Journal, 1934, p. 242. − P. anal. Il se déchirera au tranchant des éclats de marbre, et les os passeront à travers la peau (Flaub., Tentation, 1849, p. 221).Un avion passe au-dessus de moi; je l'entends couper l'air du tranchant de ses ailes (Morand, Eau sous ponts, 1954, p. 234). 2. En partic. À deux tranchants; à double* tranchant. Dont la lame est affilée des deux côtés. Arme à deux tranchants. Nous avons lancé la francisque à deux tranchants (Chateaubr., Martyrs, 1810, p. 288).La première chose que je vois, c'est ma belle-sœur Clotilde à qui un jeune homme inconnu se mettait en devoir de retirer de son ventre une grande épée à deux tranchants (Claudel, Protée, 1914, ii, 1, p. 332). − Au fig. ♦ Qui procède de deux manières différentes pour atteindre son but. Si Ibrahim-Pacha venait à essuyer des revers, l'émir Beschir se tournerait encore du côté des Turcs, et les aiderait à écraser les Arabes; Ibrahim, qui se doute de cette politique à deux tranchants, compromet tant qu'il peut le prince (Lamart., Voy. Orient, t. 1, 1835, p. 276). ♦ Qui peut produire deux effets opposés, qui peut se retourner contre son auteur. Toute idée révolutionnaire est un outil qui a deux tranchants, l'un avec lequel on coupe, l'autre auquel on se coupe (Hugo, Rhin, 1842, p. 404).Mais la charité est une arme à deux tranchants. Elle se retourne non seulement contre moi, mais contre celui à qui je l'ai faite, car la charité manque toujours son but (Montherl., Démon bien, 1937, p. 1351). B. − P. anal. Face étroite de quelque chose. Synon. tranche1.Il était appuyé sur le tranchant de l'une des deux portes d'entrée (Gozlan, Notaire, 1836, p. 156).Une pierre roulait, puis Joseph avance le pied, cherchant un appui sûr pour le tranchant de sa semelle (Ramuz, Gde peur mont., 1926, p. 195). − En partic. Le tranchant de la main. Partie la plus mince de la main, qui est opposée au pouce (p. oppos. au plat de la main). Il se souvenait parfaitement d'avoir indiqué, du tranchant de sa main, l'entaille qui coupait Paris de la place du Château-d'Eau à la barrière du Trône (Zola, Curée, 1872, p. 584).Maurras baisse la tête et fait toucher à Gondran le nœud des vertèbres. − Juste là, avec le tranchant de la main. − Il saignera? − Non, si tu tapes bien sec (Giono, Colline, 1929, p. 185).Le tranchant de la jambe. Partie avant de la jambe, qui est opposée au mollet. (Dict. xxes.). C. − Spéc. Instrument formé d'une lame et d'un manche. 1. APIC. Instrument qui sert à détacher les rayons des parois de la ruche. (Dict. xixeet xxes.). 2. MÉGISS. Couteau souple à deux manches, à lame longue, qui sert à écharner les peaux au travail de rivière. (Dict. xxes.). D. − Au fig. Caractère abrupt, péremptoire de quelque chose. Tranchant d'une admonestation, d'une opinion. C'est exactement La Rochefoucauld qu'il [Pascal] rappelle, qu'il égale par la précision et le tranchant de son analyse, qu'il surpasse par la profonde générosité du but et du mouvement (Sainte-Beuve, Port-Royal, t. 3, 1848, p. 357).On connaît l'alternative: ou nous ne sommes pas libres et Dieu tout-puissant est responsable du mal. Ou nous sommes libres et responsables mais Dieu n'est pas tout-puissant. Toutes les subtilités d'écoles n'ont rien ajouté ni soustrait au tranchant de ce paradoxe (Camus, Sisyphe, 1942, p. 79). Prononc. et Orth.: [tʀ
ɑ
̃
ʃ
ɑ
̃], fém. [-ɑ
̃:t]. Att. ds Ac. dep. 1694. Fréq. abs. littér.: 809. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 1 833, b) 857; xxes.: a) 728, b) 978. Bbg. Quem. DDL t. 17, 27. |