| TRAÎTRE, TRAÎTRESSE, subst. et adj. I. − Substantif A. − Celui, celle qui trahit, qui se rend coupable d'une trahison. Synon. délateur, judas, parjure, renégat, transfuge.Le traître tient à sa merci l'État-major. On ne peut pas le condamner, il parlerait (Clemenceau, Vers réparation, 1899, p. 75).Il y eut un traître parmi les apôtres (Billy, Introïbo, 1939, p. 66). B. − P. ext. Personne qui agit avec perfidie, qui est susceptible de nuire d'une manière hypocrite. Synon. félon, fourbe, perfide.Flatteries, bassesses d'un traître. Des imprécations éclataient, il y eut une poussée pour se jeter sur le traître. Eh quoi! il avait juré avec eux, la veille, et on le trouvait au fond, en compagnie des autres? (Zola, Germinal, 1885, p. 1415): Un léger sourire vint sur les lèvres de la marquise. − Major, dit-elle, mon mari est un traître, ou plutôt c'est un mari comme il y en a tant, qui préfère un échiquier à sa femme, et qui, pour concilier ses devoirs et ses passions, met sa femme sous la protection de son ami.
Ponson du Terr., Rocambole, t. 2, 1859, p. 191. P. métaph. Marcel Proust m'initia à cette « mécanique » que tant de lettres et de confidences nous ont, depuis la mort de Proust, rendue familière; il appelait ainsi l'art de se conduire avec cette fameuse traîtresse qu'est la maladie (Morand, Visit. du soir, 1949, p. 24).♦ Personne infidèle en amour. Je me trouvais si en colère contre cette traîtresse, que j'avais résolu de partir de Gibraltar sans la revoir (Mérimée, Carmen, 1847, p. 61). ♦ Traître de mélodrame. [P. réf. à l'acteur qui dans les anciens mélodrames, jouait les rôles de traître, de scélérat] Homme qui affecte des airs sombres, tragiques. Vous vous posez là comme un traître de mélodrame (Balzac, Cous. Pons, 1847, p. 298).La grande figure du comte Mosca (...) n'est plus, dans la pièce de M. Paul Ginioty, qu'un personnage secondaire, d'allure médiocre, avec un petit air de traître de mélodrame (Léautaud, Théâtre M. Boissard, 1943, p. 46). − P. exagér., vx. [Sans impliquer de trahison] Bandit, scélérat. Mon traître de fils. On se pénètre. Nous avons l'un sur l'autre une obscure fenêtre, Et nous voyons nos cœurs sinistres. Ton amour, Ton dévouement, j'en ris, vieux traître (Hugo, Torquemada, 1882, p. 13). ♦ En apostrophe injurieuse. Traîtres! lâches! que ne viennent-ils eux-mêmes jouir de mes larmes de démence et de rage? (Hugo, Han d'Isl., 1823, p. 110).Salomon: Ah! vous avez le temps (...) Le feu a pris dans la cave, et vous demeurez au grenier. David: Ah! double traître! (Dumas père, Kean, 1836, ii, 2etabl., 1, p. 121). − Loc. En traître. D'une manière perfide; en agissant par surprise. Agir, attaquer en traître. − Ah! Tu m'as pris en traître! s'écria celui-ci en feignant une grande colère (Champfl., Souffr. profess. Delteil, 1853, p. 26).Avais-je la cervelle éparse? Sans doute entre Auteuil et Bercy... Elle ne m'a pas pris en traître Sais-je pas sur le bout du doigt, Que toute honnête soupe doit Être brûlante ou ne pas être? (Ponchon, Muse cabaret, 1920, p. 157). II. − Adjectif A. − 1. [En parlant d'une pers.] Qui trahit ou est capable de trahir. Synon. déloyal, fourbe, perfide.Âme traîtresse. Eugénie eut peur d'être lâche et traîtresse en divulguant ces secrets que garde la société tout entière (Balzac, Fille Ève, 1839, p. 188).Il s'est décelé en défendant les généraux traîtres et en réclamant les mesures criminelles d'une clémence intempestive (A. France, Dieux ont soif, 1912, p. 249). − [Inv. en genre] Traître à.Traître à son roi, à sa cause. Les gueux capables de vouloir l'abandonner [Mayence] seraient fusillés sur-le-champ comme traîtres à la patrie (Erckm.-Chatr., Hist. paysan, t. 2, 1870, p. 108).Morand promène des Asiatiques à Londres, des Américains en Syrie (...) il fait voir nos coutumes par ces yeux (...). Mais, en même temps, il s'arrange pour que ces visiteurs aient beaucoup perdu de leur pureté primitive et soient déjà tout à fait traîtres à leurs mœurs sans avoir tout à fait adopté les nôtres (Sartre, Sit. II, 1948, p. 226). 2. [En parlant d'une chose] Vieilli. Qui a le caractère de la trahison, de la perfidie. Affabilité traîtresse; paroles traîtresses. Des faveurs traîtresses (Ac.). B. − [Parfois inv. en genre] Qui est capable de faire du mal sans qu'on s'y attende, qui est plus dangereux qu'il ne paraît. Brume, pluie traîtresse; eaux stagnantes et traîtresses. Je vais en Espagne (...). Même les femmes en ont [des poignards] dans leurs corsets et dans leurs jarretières (...). Vrai, sans farce, il faut prendre garde, elles sont traîtres en diable (Mérimée, Mosaïque, 1833, p. 234).Il lui fallut bien, tout de même, traverser trois prés, sauter un traître petit ruisseau, où il faillit plonger les deux pieds à la fois (Alain-Fournier, Meaulnes, 1913, p. 61).Fam. [En parlant d'un vin] Je crois que tu deviens un peu fou, mon pauvre Auguste. C'est son Moselle [vin]... Il est si traître... (Giraudoux, Ondine, 1939, I, 7, p. 60). − [En parlant d'un animal] Méfiez-vous de ce chien, il est traître; prenez garde à ce cheval, il est traître. Les chats sont ordinairement traîtres (Ac.). ♦ [Dans un cont. métaph.] Que j'en ai levé par-là [quai Malaquais et quai Voltaire], de ces idées de sonnet! (...) plusieurs, m'ayant leurré longtemps, ont fini par s'envoler (...) d'autres (...) étaient de traîtres oiseaux à qui j'ai tordu le cou, de peur qu'ils n'allassent redire ce qui se passe chez moi (Veuillot, Odeurs de Paris, 1866, p. 466). − [En parlant d'une maladie] J'espère que vous aurez quitté Carabanchel sans attendre un traître rhume, pour vous avertir qu'il fait toujours plus froid à la campagne qu'à la ville (Mérimée, Lettres ctessede Montijo, t. 2, 1868, p. 355). C. − Loc. fam. [L'adj. fonctionne comme un intensif de la nég.] Pas un traître mot. Pas un seul mot. Je n'ai pas compris un traître mot à ses explications. Madame d'Espard, qui depuis plus d'un mois ne voyait plus la princesse, et n'avait pas reçu d'elle un seul traître mot, vint, amenée par une excessive curiosité (Balzac, Secrets Cadignan, 1839, p. 360).Le troisième hésita, puis se décida à commander: − Same thing! L'aubergiste, qui ne comprenait pas un traître mot d'anglais, mais trop orgueilleux pour en rien laisser voir, servit les deux premiers (Guèvremont, Survenant, 1945, p. 229). − P. anal. Tu n'avais pas un traître sou, au début de notre collage (Ponchon, Muse cabaret, 1920, p. 187). ♦ Rare. [Dans une prop. affirm.] Tout ce que j'ai à dire au maréchal, c'est ce traître mot: « Voilà M. Grandet, excellent financier (...) » (Stendhal, L. Leuwen, t. 3, 1835, p. 332). REM. Traîtrillon, subst. masc.,hapax. Le voilà [Marmont] (...) la consolation de la conscience des traîtrillons, quand ils se comparent et qu'ils s'absolvent en l'insultant (Arnoux, Roi, 1956, p. 87). Prononc. et Orth.: [tʀ
εtʀ
̭], fém. [-εs]. Ac. 1694, 1718: traistre, traistresse; dep. 1740: traître, -esse. Étymol. et Hist. 1. a) Ca 1100 subst. masc. träitre « celui qui trahit » (Roland, éd. J. Bédier, 201); 1636 en traître « par trahison » (Corneille, Cid, V, 6); 1798 (Ac.: On dit familièrement, Il ne m'en a pas dit le traître mot, pour dire, Il ne m'en a pas dit un mot); b) xiiies. subst. fém. traïtresse « femme qui trahit » (La Fille mal gardée, éd. P. Meyer ds Romania, t. 26, p. 89, vers 68); ca 1175 adj. traitresse « qui trahit, qui est perfide » (Chron. Ducs Normandie, éd. C. Fahlin, 4635); 2. 1552 adj. traitre « qui est plus dangereux qu'il n'y paraît » (Ronsard, Les Bacchanales, éd. P. Laumonier, t. 3, p. 211, vers 522); 3. 1647 subst. fém. traîtresse terme d'injure qui n'implique pas trahison ou perfidie (Scarron, Jodelet, III, 7 ds Livet Molière). Francisation d'apr. trahir* du lat. traditor, -oris; le cas suj., parce que ce terme était fréq. empl. comme appellatif, l'a emporté sur le cas régime tradetur fin xes. (Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 148) − xves. ds La Curne, s.v. traitour; cf. également la forme trahisseur « id. » xives. (Gloss. lat.-fr., ms. Montp. H 110, fo247 vods Gdf., s.v. traisseur) − 1574 (Fr. Perrin, Pourtraict, fo23 ro, ibid.). Fréq. abs. littér.: 1 651. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 2 147, b) 2 429; xxes.: a) 3 823, b) 1 586. Bbg. Ascoli (C. I.). Sagginoli diversi. Archivo glottologico italiano. 1890, t. 11, p. 440-441. |