| TOURNER, verbe I. − Empl. trans. A. − Travailler au tour. 1. Façonner, usiner au tour. Tourner le bois, l'ivoire, les métaux; tourner des pièces. Il m'a semblé doux de me retrouver chez moi, au milieu de mes livres et je continue, comme autrefois, à tourner des phrases. Cela est aussi innocent et aussi utile que de tourner des ronds de serviettes (Flaub., Corresp., 1871, p. 256).Maillecottin, qui avait poliment débrayé pour se tenir prêt à répondre, se remettait à tourner son obus (Romains, Hommes bonne vol., 1938, p. 250). − Absol. Utiliser un tour. Monsieur de Watteville passait sa vie dans un riche atelier de tourneur, il tournait! (Balzac, A. Savarus, 1842, p. 4).Mon ami, vous devriez acheter un tour et apprendre à tourner (Labiche, Isménie, 1853, 9, p. 351). − Dans le domaine de la cuis.Peler en donnant une forme arrondie et régulière. Tourner des pommes de terre, des navets, un citron. (Dict. xixeet xxes.). 2. Au fig. [Le compl. désigne des mots, un propos, un écrit] Arranger, présenter avec un certain style, disposer d'une manière adéquate au but recherché. Savoir tourner un compliment, les mots d'un billet, un vers; tourner une lettre dans le beau style. Vous ne connaissez pas la véritable éloquence. On tourne une grande période autour d'un beau petit mot, pas trop court ni trop long, et rond comme une toupie (Musset, Lorenzaccio, 1834, ii, 4, p. 147).Enfin elle se décide à tourner cette phrase, qui n'est rien d'autre qu'une requête (H. Bazin, Vipère, 1948, p. 267). B. − 1. Faire mouvoir quelque chose autour d'un axe; imprimer un mouvement de rotation à quelque chose. Tourner une manivelle, une meule; tourner la clef dans la serrure; tourner le commutateur; tourner une poignée (de porte, de fenêtre). Au moment de regagner son lit pour un sommeil trop court, le docteur tournait le bouton de son poste. Et des confins du monde, à travers des milliers de kilomètres des voix inconnues et fraternelles s'essayaient maladroitement à dire leur solidarité (Camus, Peste, 1947, p. 1329): 1. L'eau montait jusqu'au potager par l'effet d'une grinçante machine à godets que l'ancêtre Amédée Baudoin avait installée, jadis, à l'imitation des norias orientales. Deux fois par jour, en été, les enfants tournaient ensemble la grande roue de la mécanique et remplissaient un bac dont l'eau, chauffée pendant le jour, était déversée, le soir, sur les plates-bandes altérées.
Duhamel, Suzanne, 1941, p. 130. − P. anal. Tourner sa cuiller dans son café. Il tournait songeusement sa cuiller dans son potage (Martin du G., Thib., Épil., 1940, p. 893). − P. ext. Remuer, agiter pour délayer, mélanger, etc. Tourner son café; tourner une sauce; tourner la salade. Auguste apporta les deux brocs. Et, lentement, il versa le sang dans la marmite, par minces filets rouges, tandis que Quenu le recevait, en tournant furieusement la bouillie qui s'épaississait (Zola, Ventre Paris, 1873, p. 689): 2. Noirs dans la neige et dans la brume,
Au grand soupirail qui s'allume,
Leurs culs en rond,
À genoux, cinq petits, − misère! −
Regardent le boulanger faire
Le lourd pain blond.
Ils voient le fort bras blanc qui tourne
La pâte grise et qui l'enfourne
Dans un trou clair.
Rimbaud, Poés., 1871, p. 69. − Au fig. Tourner ses pouces. V. pouce I B 2. 2. Disposer autour de quelque chose. Tourner une corde autour de qqc. (Dict. xixeet xxes.). 3. a) Suivre, longer en changeant de direction, en effectuant un mouvement courbe ou circulaire. Tourner (la pointe d')un cap, un promontoire; tourner un bois. Comme son père tournait le coin de l'église, Catherine (...) se hâta de le rejoindre, pour prendre avec lui la route de Montsou (Zola, Germinal, 1885, p. 1261).Pendant que je réfléchissais au moyen de tourner cet obstacle imprévu, j'entendis soudain derrière moi le hennissement malencontreux de mon cheval se répercuter à travers le bois (Gracq, Syrtes, 1951, p. 78). − En partic. Tourner l'angle, le coin d'une rue; tourner la rue. Changer de direction à l'endroit où une rue débouche dans une autre. Je pris ma course et revins justement à la maison de la comtesse au moment où un coupé fermé en sortait. Cette voiture tourna la rue à gauche (Gobineau, Pléiade, 1874, p. 73).Comme un lapin, le fuyard frappé entre les épaules au moment où il tournait l'angle de la rue roula en boule sur le trottoir et resta là, le nez à terre (Van der Meersch, Invas. 14, 1935, p. 161). b) Prendre à revers. Tourner l'ennemi, les positions de l'ennemi. Le plan de Napoléon était de tourner le corps du général Mack en faisant filer ses divisions par le bas Danube (Sand, Hist. vie, t. 2, 1855, p. 121).Ils se heurtèrent contre toute une compagnie du 88ede ligne, qui avait tourné la barricade (Zola, Débâcle, 1892, p. 617). c) Au fig. − [Le compl. désigne un obstacle, une difficulté] Éviter, éluder, contourner. Tourner une défense. Il se prépara donc encore une fois à tourner la vérité, au lieu de l'aborder de front (Sandeau, Mllede La Seiglière, 1848, p. 263).Si chacun d'entre nous est incommunicable en proportion de sa richesse affective, il ne peut tourner cet obstacle que par la ruse d'une évocation (Huyghe, Dialog. avec visible, 1955, p. 29). − [Le compl. désigne une loi, un règlement] Ne pas respecter sans enfreindre; se soustraire plus ou moins habilement au respect d'une loi. Je me ferais fort de tourner la loi et de vous arracher aux étreintes de l'article 960 du chapitre des Donations; avec le Code, il y a toujours moyen de s'arranger (Sandeau, Mllede La Seiglière, 1848, p. 213).Déterminé à vivre en parfait honnête homme, je m'applique à tourner la loi, partant à éviter ses griffes (Courteline, Article 330, 1900, p. 258). C. − 1. Diriger par un mouvement courbe ou circulaire. Tourner son fauteuil; tourner son fusil vers; tourner la tête; tourner les pieds en dedans. [Julien] avait grand soin de tourner sa chaise de façon à ne pas apercevoir Mathilde (Stendhal, Rouge et Noir, 1830, p. 403).C'étaient presque toutes de grandes filles très parées qui tournaient paresseusement le cou vers les passants (Nizan, Conspir., 1938, p. 239). − P. anal. Tourner les yeux, le(s) regard(s) vers qqn/qqc. Se mettre à regarder dans une nouvelle direction. Au moment où l'accusateur public, M. de l'Argentière, se leva et entonna sa déclamation, Apolline, frappée comme à un accent connu, tourna ses regards sur lui, jeta un cri perçant, et se renversa sans connaissance (Borel, Champavert, 1833, p. 35).Sa vue ne lui causait que du mal (...). Pourtant, elle n'était pas assez maîtresse d'elle-même pour ne pas tourner les regards vers lui, de temps à autre, et c'était afin de le surveiller (Radiguet, Bal, 1923, p. 183). − Littér. Tourner ses armes contre qqn. V. arme II A 4 a. − Au fig. Orienter vers, sur. Tourner ses pensées, ses idées, son esprit; tourner sa colère contre qqn. La direction donnée par Socrate consistait (...) à tourner toutes les investigations vers la question de la morale et du bonheur (P. Leroux, Humanité, 1840, p. 56).Il tournait la conversation sur la danse avec l'espoir de la toucher (Jacob, Cornet dés, 1923, p. 171). 2. a) Mettre quelque chose dans la position inverse de celle occupée auparavant. Tourner les feuillets d'un livre. Il pense à des fleurs, à des prairies de foin en fleur; à des appels de femmes qui tournent le foin (Giono, Colline, 1929, p. 191).Daniel prit sur le piano un tome du Tour du Monde (...). Le jeune homme, qui, penché sous l'abat-jour, tournait les pages avec une application d'enfant sage (Martin du G., Thib., Épil., 1940, p. 875). − Au fig. Tourner la page. V. page2A 3.Tourner sa veste*. b) Mettre à l'envers. Synon. retourner.Tourner un gant/ses poches à l'envers. « Il n'y a plus de galons », disaient-ils, en tournant leurs manches en dedans (Barrès, Cahiers, t. 11, 1917, p. 279). 3. Mettre, présenter en sens inverse ou sur un côté opposé en accomplissant ou en faisant accomplir un mouvement de rotation. M. Thibault lui coupa la parole. (...)Il tourna le buste vers Mmede Fontanin, et commença d'un ton appliqué (Martin du G., Thib., Cah. gr., 1922, p. 598).Les soldats affolés se retournèrent, les artilleurs essayèrent de tourner leurs pièces (Malraux, Espoir, 1937, p. 454). − Loc. Tourner bride*. Tourner casaque*. Tourner le dos*. Tourner les talons. Faire demi-tour. Olivier venait d'apercevoir Georges, son jeune frère. Il saisit Bernard par le bras, et tournant les talons aussitôt, l'entraîna précipitamment (Gide, Faux-monn., 1925, p. 1145). 4. Manipuler, agiter, remuer en tous sens (un objet). L'importance de son acte le bouleversait. Il tournait nerveusement sa casquette entre ses doigts (Dabit, Hôtel Nord, 1929, p. 23).L'autre, qui tournait son chapeau entre ses mains, leva vers Tarrou un regard incertain: − Il ne faut pas m'en vouloir (Camus, Peste, 1947, p. 1346). − Au fig. Examiner, considérer quelque chose sous tous ses aspects. Tourner et retourner une question; tourner les propos de qqn dans sa tête. Toute la marche de l'Europe depuis quatre siècles se résume en cette conclusion pratique: élever et ennoblir le peuple, donner part à tous aux délices de l'esprit. Qu'on tourne le problème sous toutes ses faces, on en reviendra là (Renan, Avenir sc., 1890, p. 334).À force de tourner la chose dans sa tête le fils Le Berre jugeait que la mère était de trop dans le monde (Queffélec, Recteur, 1944, p. 184). 5. Locutions a) Tourner le cœur/les cœurs. Soulever le cœur, écœurer. La fumée du cigare m'avait tourné le cœur, et j'étais dans un véritable état d'hallucination et d'hébétement (Malot, R. Kalbris, 1869, p. 128).Dès qu'elle ouvrait la bouche, une odeur épouvantable, une pestilence à faire tourner les cœurs, s'exhalait (Zola, Lourdes, 1894, p. 15). − Au fig. Inspirer du dégoût. J'ai l'impression que vous n'êtes pas étranger à ces mystifications continuelles (...) qui font tourner le cœur du citoyen éclairé (Giraudoux, Intermezzo, 1933, ii, 2, p. 99): 3. La contingence n'est pas un faux-semblant, une apparence qu'on peut dissiper; c'est l'absolu, par conséquent la gratuité parfaite. Tout est gratuit, ce jardin, cette ville et moi-même. Quand il arrive qu'on s'en rende compte, ça vous tourne le cœur et tout se met à flotter (...): voilà la Nausée...
Sartre, Nausée, 1938, p. 167. b) Tourner la tête. Étourdir, griser. Ça, ce doit être du champagne, dont j'ai souvent entendu parler, de ce vin de France qui tourne la tête à ces hommes batailleurs, et les porte à faire la guerre contre tout le monde (Erckm.-Chatr., Ami Fritz, 1864, p. 199).Sans doute y avait-il dans l'air de ce jour-là, avec l'odeur aromatique et grisante des foins de l'alpe, de quoi tourner la tête la plus revêche (Peyré, Matterhorn, 1939, p. 52). − Au fig. ♦ Tourner la tête, la cervelle à qqn. Inspirer à quelqu'un des pensées extravagantes, hors du sens commun. Tu m'as tourné la cervelle avec tes projets, lui dit Constance, je m'y brouille (Balzac, C. Birotteau, 1837, p. 28).Tu lis trop. Tous ces romans te tournent la tête. Qu'as-tu besoin de t'intéresser à des histoires de gens que tu ne connais pas? (Salacrou, Terre ronde, 1938, i, 4, p. 165).En partic. Tourner la/les tête(s). Inspirer un amour violent à quelqu'un. Je suis une coquette. J'ai voulu vous tourner la tête hier au soir et j'y ai réussi. Je parle de votre tête, poursuivit-elle avec un sourire triste, et pas du tout de votre cœur, bien que vous ayez fait semblant de me l'offrir (Gobineau, Pléiades, 1874, p. 70). ♦ Tourner les têtes. Susciter l'admiration, l'enthousiasme. Le jeune prêtre qui, selon l'expression du docteur Gallet, « tournait les têtes faibles de Campagne » (Bernanos, Soleil Satan, 1926, p. 192). c) Tourner le sang, les sangs. Bouleverser, émouvoir de façon intense. M. Madinier, sur la plate-forme [de la colonne Vendôme], montrait déjà les monuments. Jamais madame Fauconnier ni mademoiselle Remanjou ne voulurent sortir de l'escalier; la pensée seule du pavé, en bas, leur tournait les sangs (Zola, Assommoir, 1877, p. 449). 6. Tourner à/en.Transformer en donnant un aspect, un caractère différent, une autre signification. Tourner qqc. à son avantage, à son profit; tourner qqc. en bien, en mal, en dérision, en ridicule. Fritz, depuis sa fuite de Hunebourg, avait le vin singulièrement triste et tendre; même ce petit verjus, qui ferait danser des chèvres, lui tournait les idées à la mélancolie (Erckm.-Chatr., Ami Fritz, 1864, p. 110).Quelque effort qu'il fît, toutefois, pour changer de ton et tourner la chose en plaisanterie, j'eus peine à me prêter à son manège (Milosz, Amour. init., 1910, p. 234). ♦ Tourner qqn en dérision, en ridicule. Se moquer, ridiculiser. On me tourne de nouveau en ridicule, on vient m'insulter jusques sous mon écorce, où je reste inébranlable comme la grosse pierre du rivage (Crèvecœur, Voyage, t. 2, 1801, p. 21).Les Anglais étaient très haïs et très craints, en France (...) On les tournait en dérision de diverses manières. En jouant sur leur nom (...) on les nommait anges (A. France, J. d'Arc, t. 1, 1908, p. 25). 7. Dans le domaine du cin. a) [Le compl. désigne un film, un plan, une séquence] Faire, réaliser. Il y a longtemps que Malraux a subi l'attraction du visible; dès 1936, en tournant son film l'Espoir, il découvrait l'expression photographique (Huyghe, Dialog. avec visible, 1955, p. 12). − Absol. Faire fonctionner la caméra, filmer. Silence, on tourne! (Dict. xxes.). b) [Le suj. désigne un acteur] Jouer, tenir un rôle. Je soupçonne, d'après un biographe, qu'il [Jean Marais] jouera, tournera, peindra jusqu'à ce qu'on le pulvérise (Cocteau, Poés. crit. I, 1959, p. 242). II. − Empl. intrans. A. − Se mouvoir en effectuant une rotation. 1. a) Se mouvoir, se déplacer en décrivant une circonférence ou une ellipse autour d'un point donné. La terre, en tournant sur elle-même, dans un jour, présente au soleil tour à tour son hémisphère supérieur et inférieur, et en tournant autour de lui obliquement dans un an, elle lui montre tour à tour son hémisphère septentrional et le méridional (Bern. de St-P., Harm. nat., 1814, p. 352).Elle me montrait la vertigineuse arête éclairée violemment par la lune. (...) Dans une heure, la lune aura tourné derrière la montagne, ce sera le moment (Benoit, Atlant., 1919, p. 282). b) Effectuer un mouvement de rotation autour d'un axe. La clef tourne dans la serrure; la porte tourne sur ses gonds; tourner comme une toupie. Quatre broches gigantesques qui tournaient avec un bruit doux, devant les hautes flammes claires (Zola, Ventre Paris, 1873, p. 643).Le doigt noir du cadran solaire tournait sur le mur de la villa (Jouve, Paulina, 1925, p. 73).La roue* tourne. ♦ [P. méton. du suj.] L'horloge, la pendule tourne. L'heure tournait. Elle tourna... jusqu'à l'arrivée du lieutenant (Benjamin, Gaspard, 1915, p. 117). − [Le suj. désigne un disque ou, p. méton., un morceau de musique] Une vieille rumba tournait sur un phono (Malraux, Espoir, 1937, p. 559). ♦ [Constr. factitive avec faire] Faire tourner un disque, un électrophone. Lucas, chef d'aéroport, fait, nuit et jour, tourner le gramophone qui (...) provoque une mélancolie sans objet qui ressemble curieusement à la soif (Saint-Exup., Terre hommes, 1939, p. 190). − En partic. [Le suj. désigne une table] Que pensez-vous des tables tournantes? J'ai vu tourner un guéridon (A. France, Vie fleur, 1922, p. 327). ♦ [Constr. factitive avec faire] Faire tourner les tables. Se livrer à des expériences de spiritisme. On parlait de spiritisme, d'ectoplasmes; rue Le Goff, au numéro 2, face à notre immeuble, on faisait tourner les tables (Sartre, Mots, 1964, p. 123). c) Décrire des cercles, des tours. Le vent tourne autour de la maison. Avec le cercle des éperviers, l'avion tournait dans l'attente d'un trou plus grand, les yeux de tous les hommes d'équipage baissés, à l'affût de la terre (Malraux, Espoir, 1937, p. 555). ♦ [Constr. factitive avec faire] Faire tourner une pierre. Je jouais avec ma badine que je faisais tourner entre mes doigts (Cendrars, Bourlinguer, 1948, p. 219). ♦ [Sous l'effet d'une illusion visuelle] Voir tout tourner. J'étais verte, avec des sueurs froides qui me mouillaient les cheveux... C'était à hurler (...) Madame me surprit, à un moment où je pensais défaillir. Tout tournait autour de moi, la rampe, les marches et les murs (Mirbeau, Journal femme ch., 1900, p. 76). − [Le suj. désigne un animé] Décrire une courbe, un cercle; effectuer un mouvement de rotation sur soi-même. Tourner en cercle; tourner autour de la table. Les valseurs tournaient avec une rapidité folle et un air égaré (Miomandre, Écrit sur eau, 1908, p. 53).Le médecin de Mégère (...) effleura la peau d'un tampon d'ouate et tournant sur ses talons comme une danseuse, jeta dans l'âtre le flocon blanc imbibé d'éther (Bernanos, Crime, 1935, p. 841).Tourner en rond. V. rond2C 1 b. ♦ [Constr. factitive avec faire] Selon un ancien valet de cette princesse, elle venait souvent aux arènes, affublée en truand, et (...) elle faisait tourner son amant ainsi qu'un cheval de manége (Cladel, Ompdrailles, 1879, p. 239). ♦ Dans le domaine des sports.Exécuter des tours de piste. Il est indispensable que le sprinter s'astreigne à tourner (L'Auto, 15 juill. 1941ds Petiot 1982). d) S'enrouler, être enroulé, disposé en rond ou en cercle autour de quelque chose. Un escalier de pierre tournant dans une cage obscure (Fromentin, Dominique, 1863, p. 62).Un foulard jaune tourne autour de son cou gras Et rouge (Cros, Coffret santal, 1873, p. 114). ♦ [Constr. factitive avec faire] Faire tourner des capitaux, de l'argent. Obtenir rapidement des bénéfices, réinvestir. (Dict. xxes.). 2. a) [Le suj. désigne un mécanisme dont certaines pièces sont animées d'un mouvement de rotation] Fonctionner. Machine qui tourne; tourner à vide. En fortes vendanges, les pressoirs tournaient la nuit pour venir à bout de la cueillette du jour (Hamp, Champagne, 1909, p. 141).Le moteur tournait. La voiture glissait sur l'asphalte (Simenon, Vac. Maigret, 1948, p. 187). ♦ Tourner rond. Fonctionner régulièrement, sans à-coup. Les courants descendants donnent parfois aux pilotes une bizarre sensation de malaise. Le moteur tourne rond, mais l'on s'enfonce (Saint-Exup., Terres hommes, 1939, p. 161). ♦ [Constr. factitive avec faire] Faire tourner un moteur. En même temps, j'essayai d'ouvrir la porte. Sur le sol, la verrière se répétait, verte et rouge. Un simple loquet, que je fis tourner (Benoit, Atlant., 1919, p. 252). b) [Le suj. désigne une usine, une entreprise] Fonctionner, être en activité. On sait que quelques usines tournaient pour l'ennemi. Il faut juger sans idée préconçue la situation des industriels qui avaient consenti à tourner. Plus de Chambre de commerce, plus d'organisme directeur. Les Allemands avaient frappé à la tête (Van der Meersch, Invas. 14, 1935, p. 130). ♦ Tourner rond. Bien fonctionner. Usine qui tourne rond. Vous direz pas que le monde tourne rond, et qu'on pourra jamais le faire tourner mieux!... Nous autres, si un jour on s'en mêle, de votre politique... (Martin du G., Vieille Fr., 1933, p. 1094). ♦ [Constr. factitive avec faire] Faire tourner une entreprise. Il ne s'agissait que de faire tourner la grande machine aux produits et aux échanges, et de faire tourner aussi les têtes frivoles (Alain, Propos, 1934, p. 1206). − P. anal. [Le suj. désigne une pers.] Maintenir son activité, ne pas être en déficit. Depuis trois ans nos récoltes ne nous suffisent qu'à peine pour tourner (Th. Bost dsLes Derniers puritains, 1977 [1865], p. 314). 3. a) Aller et venir, se déplacer dans un lieu en suivant un itinéraire donné. Il était pâle comme la mort, il avait le frisson, et tournait dans la chambre comme un homme qui ne sait pas ce qu'il veut faire (Murger, Scène vie boh., 1851, p. 251).Antinéa tournait dans la salle comme une bête en cage (Benoit, Atlant., 1919, p. 261). − COMM., SPECTACLES. Faire une tournée. Je « tourne », je fais comme bien d'autres. Je dis toujours que j'en ai assez, que c'est ma dernière tournée (Colette, Music-hall, 1913, p. 106). b) Tourner autour (de qqn/qqc.).Évoluer autour sans s'éloigner. C'est peut-être demain que je tue Alexandre; dans deux jours j'aurai fini. Ceux qui tournent autour de moi avec des yeux louches, comme autour d'une curiosité monstrueuse apportée d'Amérique, pourront satisfaire leur gosier et vider leur sac à paroles (Musset, Lorenzaccio, 1834, iii, 3, p. 194).C'est la fameuse voiture stomatologique que cherchait Blaire. Justement, Blaire est là, devant, qui la contemple. Il y a longtemps, sans doute, qu'il tourne autour, les yeux attachés sur elle (Barbusse, Feu, 1916, p. 89). − En partic. Tourner autour de qqn ♦ Ne pas aborder quelqu'un directement. Le second capitaine tourna près de dix minutes autour du commandant sans oser lui parler (Peisson, Parti Liverpool, 1932, p. 130). ♦ Chercher à attirer l'attention dans le but de séduire. [Le suj. désigne un homme, le compl. une femme] Ce vieux Cornoiller, qu'est un bon homme tout de même, tourne autour de ma jupe, rapport à mes rentes? (Balzac, E. Grandet, 1834, p. 186).Monsieur m'embête (...) il s'obstine à tourner autour de moi, avec des yeux de plus en plus ronds, une bouche de plus en plus baveuse (Mirbeau, Journal femme ch., 1900, p. 125).[Le suj. désigne une femme, le compl. un homme] On se doute bien de celui que tu reluques, ma fille!... Faudra le prendre de force. Étienne, alors, s'égaya. C'était en effet autour de lui que tournait la herscheuse (Zola, Germinal, 1885, p. 1263). − Au fig. ♦ Tourner autour du pot. V. pot1I C 2 b. ♦ Tourner autour de la question. Ne pas aborder directement une question. Diane d'Uxelles se gardait (...) de parler de d'Arthez. La marquise tournait autour de cette question comme un Bédouin autour d'une riche caravane (Balzac, Secrets Cadignan, 1839, p. 360). ♦ [Le suj. désigne des propos, un exposé, un texte] Avoir pour sujet principal, porter sur. La plupart du temps, les débats dont la religion est le thème, tournent autour de la question de savoir si elle peut ou non se concilier avec la science (Durkheim, Formes élém. vie relig., 1912, p. 595).La coutume autour de laquelle tourne l'action est une vieille coutume byzantine (Cocteau, Bacchus, 1952, p. 10). c) Au fig. Se dérouler, évoluer. Elle entrevit la possibilité d'un ordre de faits plus élevés que celui dans lequel avaient jusqu'alors tourné ses rêveries (Balzac, Curé vill., 1839, p. 151).[Au théâtre] on a trop fait tourner l'action autour de thèmes psychologiques dont les combinaisons essentielles ne sont pas innombrables, loin de là (Artaud, Théâtre et son double, 1938, p. 142). 4. Loc. fig. − Le cœur tourne à qqn. Avoir la nausée. La petite m'a parlé de Childe-Harold (...) j'ai eu la simplicité de me mettre à lire cela (...) Je ne sais pas s'il faut attribuer cet effet à la traduction, mais le cœur me tournait (...) je n'ai pas pu continuer (Balzac, Modeste Mignon, 1844, p. 36).Elle chancela, et il dut avancer les mains pour la soutenir (...) − C'est d'avoir trop lu. − Oui, ça m'a tourné sur le cœur, quand je me suis vue seule, en fermant le livre (Zola, Pot-Bouille, 1882, p. 75). − Avoir la tête qui tourne; la tête tourne à qqn. Être étourdi. Je tenais plus d'équilibre... J'avais la tête qui tournait trop... Je me suis écroulé à nouveau (Céline, Mort à crédit, 1936, p. 392). − Faire tourner la tête à qqn. Étourdir. Les ennuis qu'il a éprouvés pendant le cours de la dernière exposition étaient plus que suffisants pour lui faire tourner la tête (Delécluze, Journal, 1828, p. 487).− Du champagne? − Assez. − Il faut autre chose pour faire tourner la tête à un marin (Peisson, Parti Liverpool, 1932, p. 170). ♦ En partic. Inspirer un violent amour à quelqu'un. Sûrement elle est pas chenille à poil et maigre en arbalète comme moi pour tant faire tourner la tête aux hommes (Guèvremont, Survenant, 1945, p. 237). − Tourner de l'œil (pop., fam.). S'évanouir, se trouver mal. Ça m'apprendra, mon cher, à tourner de l'œil devant une ingénue berrichonne (Bernanos, Crime, 1935, p. 839).Madeleine: Michel! Michel! C'est moi. Comment te sens-tu? Michel, il se soulève: J'ai tourné de l'œil. C'est ridicule (Cocteau, Parents, 1938, iii, 6, p. 289). ♦ Tourner de l'œil (en dedans) (pop.). Mourir. En ce moment, le mandarin le plus utile à la Chine tourne l'œil en dedans et met l'empire en deuil (Balzac, Modeste Mignon, 1844, p. 152).Pendant huit jours, Coupeau fut très bas. La famille, les voisins, tout le monde, s'attendaient à le voir tourner de l'œil d'un instant à l'autre (Zola, Assommoir, 1877, p. 484). − Ne pas tourner rond. Mal aller. On le devinait. Cela ne tournait pas rond. Elle devait être à bout. Elle était impatiente. Elle était inquiète. Elle évitait de me regarder (Cendrars, Bourlinguer, 1948, p. 82). B. − Changer de direction, d'état. 1. a) Changer de direction, aller dans un autre sens, en sens inverse. Tourner à droite, à gauche; tourner dans une rue, par le boulevard. Le vent peut tourner du jour au lendemain (Erckm.-Chatr., Ami Fritz, 1864, p. 197).L'automobile tournait au coin de l'avenue, et se lançait à toute vitesse sur la route de Laché (R. Bazin, Blé, 1907, p. 362). ♦ Tourner court. V. court1II C 1. − Au fig. ♦ [Le suj. désigne un inanimé] Le vent tourne. La situation a changé. Ce cœur de Marat eut pour ciboire une pyxide précieuse du garde-meuble (...) Puis le vent tourna: l'immondice, versée de l'urne d'agate dans un autre vase, fut vidée à l'égout (Chateaubr., Mém., t. 1, 1848, p. 377).Le vent tourna, M. Picquart eut beau remuer ciel et terre dans les audiences suivantes, il fit bel et bien fiasco (Proust, Guermantes 1, 1920, p. 240).La chance, la fortune tourne. La chance, la fortune change, devient défavorable. Si la chance tournait contre eux, Roguin irait vivre à l'étranger au lieu de se tuer (Balzac, C. Birotteau, 1837, p. 81).Quand les Allemands semblaient vainqueurs, votre père s'est rangé de leur côté. Aujourd'hui que la chance tourne, il cherche à s'accommoder des Russes (Sartre, Mains sales, 1948, 4etabl., 4, p. 154). ♦ [Le suj. désigne un animé] Tourner à tout vent. Être versatile. (Dict. xxes.). b) [Le suj. désigne une voie de circulation] Faire un coude, obliquer. Je sais qu'elles habitent une petite rue qui tourne aux environs de Notre-Dame (Alain-Fournier, Meaulnes, 1913, p. 335). 2. Au fig. a) Évoluer. Tourner autrement; savoir comment les choses vont tourner. Maheu, d'abord, parla d'aller gifler l'homme et de ramener sa fille à coups de pied dans le derrière. Puis, il eut un geste résigné: à quoi bon? ça tournait toujours comme ça, on n'empêchait pas les filles de se coller, quand elles en avaient l'envie (Zola, Germinal, 1885, p. 1301).L'illusion que certains nourrissaient encore de voir les choses tourner d'une façon favorable ne devait plus être de longue durée (Joffre, Mém., t. 1, 1931, p. 214). ♦ Tourner bien/mal/mieux. Évoluer de façon favorable/défavorable, prendre un tour favorable/défavorable. Ça finit par mal tourner; affaire qui tourne mal. Il se promit de dédommager amplement son hôtesse, dans l'avenir, si les événements tournaient mieux pour lui (Boylesve, Leçon d'amour, 1902, p. 193).Alban avait devant lui l'église qui dominait l'arène. Il lui fit quelques signaux de détresse. Cela commençait à tourner vraiment mal (Montherl., Bestiaires, 1926, p. 541). − [Le suj. désigne une pers.] Se conduire de telle ou telle façon. Elle aime ce manant, et elle nous menace de tourner comme sa sœur! (Sand, Meunier d'Angib., 1845, p. 301). ♦ Tourner bien/mal. Avoir une bonne/mauvaise conduite, se conduire d'une façon non conforme à ce qui est attendu. L'oncle Gradelle s'emporta (...); il ajouta même que Florent devait mal tourner, que cela était écrit sur sa figure (Zola, Ventre Paris, 1873, p. 645).C'était une famille nombreuse, quatre garçons, huit filles, et s'il avait fallu maudire séparément chaque fille qui tournait mal (Triolet, Prem. accroc, 1945, p. 101). b) Tourner à/en.Changer d'état, de forme, d'aspect pour aboutir à; se transformer en. − [Le suj. désigne une chose] Le temps tourne à la pluie, au froid. Il me semble parfois brusquement que tout mon amour pour lui tourne en haine (Gide, Faux-monn., 1925, p. 1188).L'angoisse qui tourne au délice est encore l'angoisse: ce n'est pas le délice, pas l'espoir, c'est l'angoisse, qui fait mal et peut-être décompose (G. Bataille, Exp. int., 1943, p. 59). ♦ Expr. fig., pop., fam. Tourner en eau de boudin*. Tourner au vilain. S'envenimer. Comme la discussion tournait au vilain, Coupeau dut intervenir (Zola, Assommoir, 1877, p. 455). − [Le suj. désigne une pers.] Le bonhomme tournait à l'intolérance, au fanatisme, disait Homais (Flaub., MmeBovary, t. 2, 1857, p. 204).Fontanet tournait au singe savant. Il devenait homme du monde, méprisait les Danquin et n'estimait plus que la richesse et la naissance (A. France, Vie fleur, 1922, p. 510). ♦ Loc. Faire tourner qqn en bourrique*. 3. [Le suj. désigne un liquide, une préparation culinaire] Se corrompre, s'altérer. Le lait tourne. Il a été convenu qu'on ne parlerait pas d'amour, ça fait tourner les sauces (Murger, Scène vie boh., 1851, p. 238). ♦ Tourner à l'aigre, au vinaigre. Devenir aigre. La bière tournait au vinaigre (Erckm.-Chatr., Ami Fritz, 1864, p. 110).Au fig. S'envenimer. − Ça va, c'est bon, intervint la mère, sentant que la dispute tournait à l'aigre, fais tes devoirs, Georges, et toi, prends tes fers, Annie. On en a jusqu'à minuit à repasser (Van der Meersch, Invas. 14, 1935, p. 215). ♦ Tourner à la graisse, au gras, à l'huile. Prendre une consistance huileuse. Si l'on vendange mûr, le vin tourne au gras sitôt le printemps (Hugo, Misér., t. 1, 1862, p. 454). III. − Empl. pronom. A. − 1. Se mettre dans un autre sens, en sens inverse, dans une direction donnée. Se tourner vers qqn/qqc., de côté, d'un autre côté; se tourner le dos. Delmar ne ratait pas les occasions d'empoigner la parole; et, quand il ne trouvait plus rien à dire, sa ressource était de se camper le poing sur la hanche, l'autre bras dans le gilet, en se tournant de profil, brusquement, de manière à bien montrer sa tête (Flaub., Éduc. sent., t. 2, 1869, p. 128).Il se jeta sur son lit, se tourna du côté du mur (Gide, Faux-monn., 1925, p. 1248). − En partic. Changer de position en effectuant une rotation. Il éteignit sa lumière et se tourna dans son lit pour dormir (Alain-Fournier, Meaulnes, 1913, p. 36).Elles dormaient la fenêtre fermée. Julie, qui étouffait contre le mur, se tournait et se retournait sous les couvertures (Dabit, Hôtel Nord, 1929, p. 163). 2. [Le suj. désigne les yeux, le regard] Se diriger par un mouvement courbe vers quelqu'un/quelque chose. Tous les regards se tournent vers Mathilde, afin de découvrir sur son visage les traces de ses sentimens secrets (Cottin, Mathilde, t. 2, 1805, p. 172).Ses yeux se tournèrent de nouveau vers le moribond (Martin du G., Thib., Mort père, 1929, p. 1290). 3. Au fig. Se diriger, s'acheminer vers quelque chose. L'Idéalisme, réalisé anthropomorphiquement par des Juifs, produisit le Christianisme. Alors tout l'Occident se tourna avec tant d'empressement vers l'idéal (...) que l'on crut pouvoir immédiatement, et sans l'intermédiaire de cette vie, se réunir à la Beauté divine (P. Leroux, Humanité, 1840, p. 92).Toutes les imaginations humaines, fraîches ou flétries, tristes ou joyeuses, se tournent vers le passé, curieuses d'y pénétrer (A. France, Vie fleur, 1922, p. 322). − Se tourner contre qqn. Changer d'attitude à l'égard de quelqu'un en prenant parti contre lui. On se tournait désormais contre moi, l'ennemi numéro un, contre qui toutes les armes allaient devenir bonnes (H. Bazin, Vipère, 1948, p. 177). ♦ [P. méton.; le suj. désigne un sentiment] La fureur du maître, déçue de ce côté, se tourna contre Giulia qui, depuis cinq ou six matinées, ne rendait plus même au Duc le respect de l'aller visiter à son réveil (Bourges, Crépusc. dieux, 1884, p. 200). − Ne plus savoir de quel côté se tourner, où se tourner. Ne pas savoir quelle décision prendre; être surchargé de travail, d'occupations. (Dict. xxes.). 4. Locutions ♦ Se tourner les pouces. V. pouce I B 2. ♦ Se tourner les sangs (pop., vieilli). Être bouleversé, ému, se soucier de façon intense. On l'entendait, dans la cuisine, se battre avec le fourneau et la cafetière. Gervaise se tournait les sangs; ce n'était pas l'occupation d'un homme, de faire du café (Zola, Assommoir, 1877, p. 470).C'est parce que vous y pensez trop, madame Céleste. À quoi bon se tourner les sangs. Laisser donc faire la justice (Bernanos, Crime, 1935, p. 815). B. − Se tourner en 1. Se changer, se transformer en; passer d'un état à un autre. Chez les individus qui ont l'estomac actif, (...) ce qui n'est pas nécessaire pour la réparation du corps se fixe et se tourne en graisse (Brillat-Sav., Physiol. goût, 1825, p. 224).Qui ne sait pas être charmant n'est pas grand, et vous le prouvez, car vous êtes charmante. Votre grandeur, quand bon lui semble, se tourne en grâce à volonté, et c'est ainsi qu'elle se démontre (Hugo, Corresp., 1862, p. 391). 2. Au fig. Se muer. L'imagination, quand elle change de nature et se tourne en sensibilité, ne dispose pas pour cela d'un nombre plus grand d'images simultanées (Proust, Sodome, 1922, p. 1120).L'amour tend à aller toujours plus loin. Mais il a une limite. Quand la limite est dépassée, l'amour se tourne en haine (S. Weil, Pesanteur, 1943, p. 69). REM. Tourne-, élém. de compos. entrant dans la constr. de nombreux mots de la lang. cour. ou de termes de métiers.V. tourne-à-gauche, tournebride, tournebroche, tourne-disque, tournedos, tourne-feuille, tournemain, tourne-pierre, tournesol, tournevire, tournevirer, tournevis. Prononc. et Orth.: [tuʀne], (il) tourne [tuʀn]. Att. ds Ac. dep. 1694. Comp. avec tourne-: [tuʀn]. V. le détail des mots et prop. ds Catach-Golf Orth. Lexicogr. Mots comp. 1981, pp. 256-257. Étymol. et Hist. A. Exprime une notion de mouvement approprié pour mettre, présenter, diriger... d'une certaine façon 1. a) 2emoit. xes. pronom. « se diriger vers » (St Léger, éd. J. Linskill, 206: Cil Landeberz, qual horaˑl vid Torne s'als altres, si lor dist); b) xes. trans. (Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 293: Envers Jesúm sos olz torned); c) ca 1050 (Alexis, éd. Chr. Storey, 344: Tut sul s'en est Eufemien turnét, vint a sun filz); d) ca 1100 spéc. (Roland, éd. J. Bédier, 2445: De cels d'Espaigne unt lur les dos turnez); e) ca 1165 (Benoît de Ste-Maure, Troie, éd. L. Constans, 12249: l'espee li torna el poing); f) 1160-74 (Wace, Rou, éd. A. J. Holden, 2758: li venz turna); g) 1176-81 (Chrétien de Troyes, Chevalier Lyon, éd. M. Roques, 178: et tornai mon chemin a destre; 4912: car me dites voire novele se vos savez ou il torna Et s'il en nul leu sejorna); h) ca 1200 (Escoufle, 292 ds T.-L.: cil roncin henissent, Dont ces rües erent si plaines C'on n'i pöoit torner a paines); i) ca 1200 (1reContinuation de Perceval, éd. W. Roach, t. 1, p. 388: [le cygne] qui cria et braist et feri Tant fors ses eles en la mer Si que il en a fait torner Le chalant); j) déb. xiiies. (Raoul de Houdenc, Vengeance Raguidel, 93 ds T.-L.: Oncques la nuit ne reposa, Sor coste se torne et a dens); k) 1530 (Palsgr., p. 764: il a tourné toute la maison cen dessus dessoulz); 2. domaine mental « diriger ses pensées, son esprit, sa volonté (vers quelque chose, à faire quelque chose) » a) ca 1050 (Alexis, 156: turnent el consirrer [cf. éd.: elles se résignent]); b) ca 1100 (Roland, 307: Sur mei avez turnet fals jugement); c) ca 1145 (Wace, Conception N. D., éd. W. R. Ashford, 93: Tot erent al neier torné [cf. Keller, p. 70: s'attendre à qqc.]); d) ca 1165 (Benoît de Ste-Maure, op. cit., 15030: A ço tornent tuit si penser); e) fin xiie-déb. xiiies. (Dialogus anime conquerentis ds Romania t. 5, p. 277: ou que je me torne, li fais de mé mas me porsevent); f) av. 1250 (Guillaume le Clerc, Tobie, 96 ds T.-L.: Qui chuida sor son seignor torner tot le blasme de son trespas); g) 1340 (Guillaume de Machaut, Dit dou Vergier, éd. E. Hœpffner, 1255: Et j'aussi sui a ce tournez Que nulle riens ne me destourne; 1261: qui fait mon cuer mettre et tourner a li servir); h) ca 1590 (Montaigne, Essais, II, 6, éd. P. Villey et V.-L. Saulnier, p. 380: Si quelcun s'enyvre de sa science [...] qu'il tourne les yeux au dessus vers les siecles passez); 3. notion de mouvement de rotation autour d'un axe a) ca 1155 (Wace, Brut, éd. I. Arnold, 3883: Fortune ad sa roe tornee E Rome rest esviguree); b) α) 1216 intrans. (Guillaume le Clerc, Fergus, 89, 37 ds T.-L.: Capon tornoient a un feu);
β) ca 1245 trans. (Philippe Mousket, Chron., 19921, ibid.: Si prist a torner les capons); c) 1377 (Oresme, Ciel et Monde, éd. A. D. Menut et A. J. Denomy, p. 450: Et pour ce il samble que le soleil tourne); d) 1585 (N. Du Fail, Contes d'Eutrapel, éd. J. Assézat, t. 2, p. 319: Dieu, le seul moteur, et qui fait tourner et subsister ceste machine ronde); 4. loc. 1606 la teste me tourne (Nicot), cf. ca 1100, Roland, 2011: Oliver sent que la mort mult l'angoisset. Ansdous les oilz en la teste li turnent; 5. a) 1907 cin. « tourner la manivelle (en parlant de l'opérateur) » (Méliès, V. Cin., A.G.I.P., p. 365 ds Giraud, p. 285: il est nécessaire de « tourner » plus vite, pour éviter les traînées et le flou), cf. Giraud: ,,Quand la manivelle fit place à un dispositif automatique le verbe garda une valeur de symbole``; b) 1909 « jouer devant l'appareil (en parlant des acteurs) » (Y. Arnold, Ciné-J., 18 févr.-4 mars, 7/2, ibid.); c) 1917 (Colette, Le Film, 6 oct., 15/2, ibid., p. 286: l'auteur du scénario qu'on est en train de « tourner »). B. Notion de changement, d'évolution 1. domaine mental « changer, se transformer (en...) » a) ca 1050 (Alexis, 145: sa grant honur a grant dol ad turnede); b) ca 1145 torner a enui (à qqn) + sub. complét. « faire à quelqu'un mal au cœur que... » (Wace, Conception N. D., 448 [v. Keller pour les nombreux empl. en constr. impers. chez Wace]); c) 1200-20 en partic. « se convertir » (Pseudo-Turpin, I, 2, 30 ds T.-L.: Li Sarrazin, qui se voldrent torner a la loi crestïene fist baptizier); d) ca 1220 (Gautier de Coinci, Mir., éd. V.-F. Koenig, II Dout 34, 1392: tornons luxure les talons); e) ca 1220 (Id., ibid., I Mir 42, 612: [luxure] l'ame tourne et enaigrist); f) 1229 (Gerbert de Montreuil, Roman de la Violette, éd. D. L. Buffum, 1454: car autrement tornast li vers [« la situation », cf. gloss.] Se vous ne m'eüssiez aidié); g) 1369 (Guillaume de Machaut, Prise d'Alexandrie, éd. Mas Latrie, p. 229: chose qui tournast contre mon honur); h) α) fin xives. « influencer quelqu'un » (Froissart, Chron., éd. A. Mirot, t. 14, p. 40: il tournoit le roy là où il vouloit, et luy faisoit entendre et encliner là où il luy plaisoit);
β) 1656 (Pascal, Provinciales, V, éd. Lafuma, p. 390: un seul docteur peut tourner les consciences et les bouleverser à son gré);
γ) 1662 (Molière, École des femmes, III, 3: Ainsi que je voudrais je tournerai cette âme); i) 1548 tourner sa robe (N. Du Fail, Baliverneries, éd. G. Milin, p. 5); j) 1588 (Montaigne, Essais, III, 1, p. 795: le dos tourné à l'ambition); k) 1588 tourner le feuillet « oublier » (Id., ibid., I, 38, p. 234); l) 1665 (Molière, Dom Juan, I, 2: vous tournez les choses d'une manière Qu'il semble que vous avez raison); m) 1675 (Mmede Sévigné, Corresp., éd. R. Duchêne, t. 1, p. 734: de quelle hauteur (var.: de quelle manière) se tournera cette amitié); n) 1675 (Id., ibid., t. 2, p. 92: on craint tout de bon que son esprit ne se tourne); 2. indique un changement d'état, d'aspect a) ca 1165 torner a porreture (en parlant d'un cadavre) (Benoît de Ste-Maure, op. cit., 22397); b) ca 1393 (Ménagier de Paris, éd. G. E. Brereton et J. M. Ferrier, p. 191: lait garder de tourner); c) ca 1580 (B. Palissy, Discours admirable, éd. A. France, p. 351: il y a quelque espece de matiere rouge qui fait tourner l'azur en couleur purpurée); d) 1600 (Ol. de Serres, p. 222 ds Gdf. Compl.: les excessives chaleurs et les grands bruits font souvent tourner les vins); 3. en partic. 1165 « traduire » (Benoît de Ste-Maure, op. cit., p. 121: De greu le [livre] torna en latin); 4. notion d'apprêter, arranger a) α) ca 1220 (Gautier de Coinci, op. cit., I Mir 31, 135: La lettre [du livre] estoit si fremians, Si bien tornee et si rians Qu'il sambloit que Diex l'eüst faite);
β) ca 1240 (Mort Aymeri de Narbonne, 160 ds T.-L.: Longues [ot] les jambes, et les piez bien tornez);
γ) fin xives. (Froissart, op. cit., éd. G. Raynaud, t. 10, p. 115: et [il] estoit de membres li mieux tournés); b) av. 1563 tourner des vers (La Boétie,
Œuvres compl., éd. L. Feugère, p. 481); c) 1767 cuis. « apprêter un fruit » (Dict. portatif de cuis., d'office et de distillation, p. XV); 5. en partic. techn. a) ca 1260 torner a tour « façonner au tour » (Étienne Boileau, Livre des métiers, éd. G. B. Depping, p. 82); b) 1395-96 (Compt., exp. comm. dom., A. Hôpital général Orléans ds Gdf. Compl.: vaisselle d'étain torné). C. Loc. 1. a) ca 1170 a mal li tort « qu'il lui arrive malheur (pour cela) » (Chrétien de Troyes, Erec, éd. M. Roques, 1226); b) 1498-1515 (Gringore,
Œuvres, éd. Ch. d'Héricault et A. de Montaiglon, t. 2, p. 7: Que je face chose qui tourne à préjudice A aultruy); c) 1579 tourner au profit de qqn (Larivey, Laquais, I, 3 ds
Œuvres, éd. Viollet-le-Duc, t. 5, p. 22); 2. a) 1160-74 (Wace, Rou, 15: Tornez fust en oubliance se ne fust); b) 1606 tourner tout en jeu (Bertaut, Recueil, p. 141); c) 1607 tourner en risée (D'Urfé, L'Astrée, t. 1, p. 382); d) 1627 tourner (qqc.) en bien (Ch. Sorel, Berger extravagant, p. 306); e) 1694 (en parlant des affaires) tourner bien, tourner mal (Ac.); f) 1694 tourner tout en bien, en mal (ibid.); 3. 1676 tourner autour du pot (I. de Benserade, Métamorphoses d'Ovide, p. 51). Du lat. tornare « façonner au tour » (dér. de tornus « trépan, tour »), empl. au fig. par Horace: male tornatos incudi reddere versus « remettre sur l'enclume les vers mal tournés » (v. OLD); l'ext. des sens s'est réalisée en rom. au détriment de torquere « tordre, tourner » (v. tordre) et vertere « tourner, faire tourner » (v. vers1, vers2, verser), v. Ern.-Meillet. Fréq. abs. littér.: 13 946. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 11 646, b) 21 823; xxes.: a) 22 589, b) 24 088. DÉR. 1. Tournement, subst. masc.,rare. Action de tourner. Pourquoi, ce malheureux, se laisse-t-il embêter par un tas d'idioties comme le tournement de la terre, la vie des planètes (...)? (Alain-Fournier, Corresp.[avec Rivière], 1905, p. 128).Madame Arnaud-Miqueu, sur un trottoir de Vichy, eut un de ces vertiges qu'elle appelait tournement de tête (Mauriac, Myst. Frontenac, 1933, p. 88).− [tuʀnəmɑ
̃]. Att. ds Ac. 1878. − 1resattest. a) ca 1185 turneement « tournoi, combat » (Hue de Rotelande, Protheselaus, éd. F. Kluckow, 226), seulement deux fois en a. fr. (v. Gdf., s.v. tornement), b) α) xives. [ms.] « mouvement de ce qui tourne » (Sydrac, Ars. 2320,161, ibid.), ca 1330 (Guillaume de Digulleville, Pelerinage de l'Ame, éd. J.-J. Stürzinger, 2139: tournement de rœ),
β) 1538 spéc. tournement de tête « étourdissement » (Est., s.v. vertigo); de tourner, suff. -ment1*. 2. Tournerie, subst. fém.Industrie ou commerce des objets en bois tourné. Objets divers en bois (articles ménagers, agricoles, de tournerie) (Industr. fr. bois, 1955, p. 4).− [tuʀnə
ʀi]. − 1resattest. a) 1562 « art du tourneur » (Chartes et privil. des 32 mét. de la cité de Liège, p. 82, éd. 1730 ds Gdf.), b) 1813 « atelier du tourneur » (Établissements du Creusot. Description sommaire, p. 10 ds Quem. DDL t. 3, v. Wexler, p. 146); de tourner, suff. -erie*; le mot a signifié en a. fr. « tournoi », « action de tourner en rond » et « manière de se tourner » (v. Gdf. et FEW t. 13, 2, p. 57). BBG. − Quem. DDL t. 1, 2, 10, 13, 36. − Walter (H.). Le Fr. dans tous les sens. Paris, 1988, 384 p. |