| THÉORIE1, subst. fém. I. − [Le plus souvent p. oppos. à pratique1] A. − Ensemble de notions, d'idées, de concepts abstraits appliqués à un domaine particulier. Bâtir, concevoir, élaborer une théorie; exposer une théorie sur qqc.; faire la théorie de qqc.; théories artistiques, littéraires; théorie économique; mettre une théorie en pratique; théorie d'un métier, d'un sport. Pellerin lisait tous les ouvrages d'esthétique pour découvrir la véritable théorie du beau, convaincu, quand il l'aurait trouvée, de faire des chefs-d'œuvre (Flaub., Éduc. sent., t. 1, 1869, p. 47).La grandeur de Dostoïevsky vient de ce qu'il n'a jamais réduit le monde à une théorie, de ce qu'il ne s'est jamais laissé réduire par une théorie. Balzac a toujours cherché une théorie des passions; c'est une grande chance pour lui qu'il ne l'ait jamais trouvée (Gide, Journal, Feuillets, 1918, p. 662). ♦ [En fonction de déterm.] Homme à théories. Homme de théorie, il agissait en vertu du principe généreux, mais vague, de la morale universelle (Gozlan, Notaire, 1836, p. 55).Le plus brillant discuteur demeure un homme de théorie, fort empêché le plus souvent sur le terrain des affaires (Barrès, Cahiers, t. 3, 1904, p. 218). − Péj. Ensemble de spéculations, d'idées gratuites ou irréalistes exprimées de façon sentencieuse ou pédante et présentées de manière plus ou moins scientifique. Les novateurs modernes écrivent des théories pâteuses, filandreuses et nébuleuses, ou des romans philanthropiques (Balzac, Splend. et mis., 1847, p. 528): 1. ... ça n'a rien à voir avec les convictions! Les nationalistes, les capitalistes, tous les gros, on les retrouvera après! et on leur réglera leur compte, à leur tour, tu peux t'en rapporter à moi! Mais, pour l'instant, s'agit pas de faire des théories! Le premier compte à régler, c'est avec les Pruscos! Ces salauds-là, ils ont voulu la guerre! Ils l'auront!
Martin du G., Thib., Été 14, 1936, p. 608. − En partic. Ensemble de notions, de connaissances abstraites organisées en système (avec une finalité didactique). Livre de théorie. Il n'était pas fait pour enseigner à des enfants. Il ne s'intéressait pas à leurs ânonnements; il voulait leur expliquer tout de suite la théorie musicale (Rolland, J.-Chr., Révolte, 1907, p. 514).En solfège, je ne mordais qu'à la théorie; je chantais faux et ratais lamentablement mes dictées musicales (Beauvoir, Mém. j. fille, 1958, p. 69). ♦ ART MILIT. Principes de la manœuvre; règles du service dans un corps de troupes. Enseigner la théorie; cours de théorie. La théorie avait porté sur l'étendard. On nous avait cité les noms des batailles écrites sur ses plis; raconté les épisodes des combats; on nous avait appris ce qu'il représentait (Pesquidoux, Livre raison, 1925, p. 219).La marche fut remplacée par l'étude de la théorie. À tour de rôle, chacun de nous devait sortir des rangs et exposer, avec démonstration à l'appui, le mécanisme de quelque mouvement réglementaire (Ambrière, Gdes vac., 1946, p. 264). ♦ P. méton. Livre, manuel où est exposé une théorie. Théorie du piano, de la guitare. (Dict. xixeet xxes.). B. − Connaissance(s) abstraite(s) et spéculative(s) indépendante(s) des applications. La théorie dure tant qu'elle résiste à l'expérience; elle se modifie et change le jour où elle est vaincue par les faits de l'expérience. Il en résulte donc que les théories ne sont que des idées provisoires que nous nous faisons des choses dans un état donné de nos connaissances (Cl. Bernard, Princ. méd. exp., 1878, p. 121). − Loc. [P. oppos. à en pratique, en fait, en réalité] En théorie. Conformément à la théorie, d'un point de vue abstrait, spéculatif. On soutenoit en théorie une doctrine de révolte, et dans la pratique on obéissoit (Lamennais, Religion, 1826, p. 187).C'était parfait en théorie, mais, dans la réalité ce n'était pas toujours facile (Huysmans, Oblat, t. 1, 1903, p. 150). II. A. − Dans le domaine sc.Construction intellectuelle, hypothétique et synthétique, organisée en système et vérifiée par un protocole expérimental; ensemble de lois formant un système cohérent et servant de base à une science, ou rendant compte de certains faits. Théories mathématiques, physiques; théorie de la chaleur, de l'électricité, des ensembles, des nombres, des quanta, de la relativité; théorie de l'évolution; théorie atomique, quantique; principes, lois d'une théorie. Les théories sont fausses d'une manière absolue; pour qu'elles fussent vraies, il faudrait admettre qu'elles comprennent tous les faits passés, présents et futurs: la science serait terminée (Cl. Bernard, Princ. méd. exp., 1878, p. 214): 2. Le problème de la connaissance (...) pose une difficulté apparemment insurmontable. Pas de théorie sans pratique, pas de pratique sans théorie. L'homme a besoin d'une théorie pour observer les faits; il a besoin de faits pour construire une théorie. Il ne pourra échapper à ce dilemme et ne connaîtra jamais rien tant qu'il ne se décidera pas à trancher le nœud gordien de la connaissance et à imaginer une théorie qui lui permettra de saisir les faits.
Lacroix, Marxisme, existent., personn., 1949, p. 53. ♦ [Constr. avec un adj. ou un compl. prép. de indiquant le nom de l'inventeur de la théorie]Théorie pastorienne, freudienne, newtonienne. Il serait intéressant (...) de comparer la théorie aristotélicienne de la chute des corps à l'explication fournie par Galilée (Bergson, Évol. créatr., 1907, p. 229).Fechner et la psycho-physique étaient à l'ordre du jour et, sur le terrain d'un examen de la théorie de Fechner, j'avais chance d'être compris et d'être suivi (Du Bos, Journal, 1922, p. 64). − PHILOS. Théorie de la connaissance. ,,Étude du rapport qu'ont entre eux le sujet et l'objet dans l'acte de connaître`` (Lal. 1968). Le problème capital de la théorie de la connaissance est en effet de savoir comment la science est possible, c'est-à-dire, en somme, pourquoi il y a de l'ordre, et non pas du désordre, dans les choses (Bergson, Évol. créatr., 1907, p. 232).La théorie de la connaissance (...) se propose essentiellement à la fois de définir et de fonder l'objectivité (G. Marcel, Journal, 1923, p. 294). − PSYCHOL. Théorie de la forme. V. ce mot II A 1 b. B. − P. ext. Ensemble d'opinions systématisées. Sa théorie était qu'on ne provoquait pas les événements à la bourse, qu'on pouvait au plus les prévoir et en profiter, quand ils s'étaient produits (Zola, Argent, 1891, p. 214): 3. le vicomte: Avoir un bon fusil (...) un bon cigare (...) une bonne valseuse (...) un bon cheval (...) voilà ce que j'appelle la vie... Tout ce qui n'est pas ça... crevant! (...) le baron: (...) vous me permettrez, mon cher vicomte, de protester contre votre théorie de la vie...
Feuillet, Voy., 1884p. 245. REM. Théoriste, subst.,vx, rare. Synon. de théoricien.Il s'est formé une petite secte de théoristes de Terreur, qui n'a d'autre but que la justification des excès révolutionnaires (Chateaubr., Ét. ou Disc. hist., t. 1, 1831, p. XCI).L'artillerie est composée de jeunes hommes de lettres, avocats, médecins, théoristes sans propriété et quelques-uns sans industrie, initiés aux secrets de la Société des Amis du Peuple (Vigny, Journal poète, 1830, p. 928). Prononc. et Orth.: [teɔ
ʀi]. Ac. 1694, 1718: theorie, dep. 1740: thé-. Étymol. et Hist. 1. a) 1380 « science qui traite de la contemplation » (Roques t. 2, no12386); b) 1584 « contemplation » la théorie et contemplation des choses divines (J. de Barraud, tr. Guevara, Ep. dorees, IV, 16 ds Hug.); d'où 2. a) 1587 « ensemble d'idées, de concepts abstraits plus ou moins organisés, appliqués à un domaine particulier » (Cholières, Apres dinees, VIII, p. 307, Tricotel ds Gdf. Compl.); b) 1636 milit. « principe de manœuvre » (Monet); 1812 id. « cours de théorie » (Mozin-Biber); c) 1656 « connaissance purement abstraite, indépendante des spéculations » dans la théorie ... dans la pratique (Pascal, Provinciales, Sixième lettre, éd. L. Lafuma, p. 397); d) 1825 au plur. péj. (Stendhal, Racine et Shakspeare, t. 1, p. 123: tous applaudissaient aux bonnes théories du « Globe »); 3. a) 1610 « construction intellectuelle, méthodique et organisée qui sert de base à une science et donne l'explication d'un grand nombre de faits » (P. Coton, Institution catholique, I, 745 ds R. Philol. fr. t. 43, p. 133); 1690 la théorie des Planetes (Fur.); b) 1765 « ensemble d'opinions systématisées que l'on soutient dans tel ou tel domaine particulier » la théorie du mouvement du cœur (Encyclop. t. 16); c) 1872 « ouvrage contenant la théorie » (Littré). Empr. au b. lat.theoria (et theorice) « la spéculation, la recherche spéculative », empr. au gr. θ
ε
ω
ρ
ι
́
α, de θ
ε
ω
ρ
ε
ι
̃
ν « observer, contempler »; comme terme de philos., a remplacé théorique*. Bbg. Greimas-Courtés 1979, pp. 394-396. − Quem. DDL t. 30 (s.v. théorie de la valeur). − Terminol. praxématique... Cah. de praxématique. 1984, no3, pp. 92-93. |