| TENDRESSE, subst. fém. Qualité de ce/celui/celle qui est tendre. A. − 1. Rare. [À propos d'une matière] Qualité de ce qui est dépourvu de dureté, de ce qui se laisse facilement travailler. Synon. malléabilité, mollesse, souplesse; anton. rigidité.La chambre des dames [dans une forteresse], reconnaissable à un peu de tendresse dans le fer forgé (Giono, Voy. Ital., 1953, p. 223). 2. a) [À propos d'une couleur] Qualité de ce qui a un ton clair, peu marqué, produisant un effet agréable sur la vue. Synon. pâleur, suavité; anton. ardeur, crudité, éclat, vivacité.Un tapis d'Orient (...) montrant (...) des caractères persans du seizième siècle, tissés dans le clair et la tendresse de ces trois uniques tons: de l'argent, de l'or vert, du bleu lapis-lazuli (E. de Goncourt, Zemganno, 1879, p. 188).Au centre [des halles], les légumes (...) oignons en chapelets à tons de nacre rose (...) et à côté de ces tendresses de teinte, les cèpes mettent leur note très sombre (Estaunié, Simple, 1891, p. 91). − P. méton. [À propos d'une chose colorée] Qualité d'une chose présentant des coloris fins, qui charment la vue. Mon amour a la tendresse d'un arc-en-ciel après une pluie d'avril où chante le soleil (Jammes, De l'angélus, 1898, p. 31).Vers le crépuscule (...), soudain je voyais le soleil (...) flamboyer au versant d'un ciel délicat, par-dessus une mer élégante et de tendresse vaporeuse (Barrès, Amori, 1902, p. 89). − PEINT. [À propos d'un coloris] Qualité de ce qui présente des nuances fondues, sans dureté. De la douceur des blancs il tire des tendresses et des satinages de ton (Goncourt, Art XVIIIes., 1882, p. 275).[Ricard l'emporte sur Whistler] par toute la tendresse symphonique des demi-jours flottant sur un dessin d'une solidité égale (Mauclair, De Watteau à Whistler, 1905, p. 153). − PEINT., SCULPT. [À propos d'un artiste, d'une œuvre] Qualité d'une exécution procédant par touches légères, sans heurt. Ce peintre passe d'une couleur à une autre avec une douceur et une tendresse admirables (H. Lemonnier, Art fr. Louis XIV, 1911, p. 170).[L'Indien] a modelé des bronzes étonnants de tendresse, de fermeté et d'élégance (Faure, Hist. art, 1912, p. 168). b) [À propos d'un phénomène lumineux, atmosphérique] Qualité de ce qui produit une impression douce sur la sensibilité visuelle ou épidermique et ne risque pas de blesser. Tendresse de l'air. Parmi cette tendresse du soir, sur les gazons onctueux, dans le silence pénétrant et la fraîcheur féconde, la même allégresse (...) rythmait leurs pensées (Barrès, Barbares, 1888, p. 99).Le brouillard au-dessus des bruyères descend avec tendresse et n'ose s'y poser (Jammes, Clairières, 1906, p. 183). c) Rare. [À propos d'un phénomène olfactif, gustatif] Qualité de ce qui flatte l'odorat, le goût. Violettes, (...) roses (...) rien n'était plus doux ni plus printanier que les tendresses de ce parfum rencontrées sur un trottoir, au sortir des souffles âpres de la marée (Zola, Ventre Paris, 1873, p. 622).La pâte chaude embrassait brutalement sa bouche mais avec cette bonne tendresse de l'odeur (Giono, Batailles ds mont., 1937, p. 341). 3. a) [À propos d'un animé, d'une partie du corps] Qualité de ce qui présente une complexion, une apparence délicate ou de ce qui est très doux au toucher. Synon. fragilité.Une faiblesse de vue et comme une tendresse d'organes qui se lassait aisément (Sainte-Beuve, Nouv. lundis, t. 4, 1865, p. 457).Ses cuisses, ses bras [d'Antonio], c'était du plein. À partir de ses flancs, c'était du creux, une tendresse dans laquelle était Antonio, le vrai (Giono, Chant monde, 1934, p. 26). b) Rare. [À propos d'un végétal, de la nature] Qualité de ce qui présente une fraîcheur toute neuve. Dans ce jour du commencement de la journée (...) dans la tendresse verte de mai (...) il s'élève en lui (...) comme un peu de la félicité du premier homme en face de la Nature vierge (Goncourt, Man. Salomon, 1867, p. 443).La tendresse des arbres mouillés (G. Bataille, Exp. int., 1943, p. 174). c) P. méton. Tendresse de l'âge. Qualité de ce qui commence, de ce qui se trouve encore au début de la vie. Jeunes êtres consacrés à Dieu dans la force et dans la tendresse de leur âge (Mauriac, Journal 2, 1937, p. 189). B. − Au fig. [À propos d'une pers., de sa nature, de ses sentiments] 1. Vieilli, rare. Qualité d'une personne qui se laisse facilement toucher, émouvoir, qui cède volontiers à ses impressions. Synon. émotivité, impressionnabilité, sensibilité; anton. froideur, insensibilité.Il garda jusqu'à la fin toute sa tendresse d'impression, sa sincérité et sa candeur (Sainte-Beuve, Nouv. lundis, t. 12, 1868, p. 335).Le canon, tous les bruits de notre pauvre vie de bêtes, cela ne pouvait pas endurcir notre âme et flétrir sa tendresse infinie. Elle renaît, jardin d'août sous l'ondée (Dorgelès, Croix de bois, 1919, p. 128). 2. a) Sentiment d'affection, d'amitié, de générosité qui porte à considérer autrui avec bienveillance, à le traiter avec beaucoup de sollicitude. Synon. aménité, charité, compassion, fraternité, gentillesse, humanité, mansuétude, sympathie; anton. antipathie, cruauté, dureté, férocité, haine, hostilité, inhumanité, méchanceté, rigueur, sécheresse, sévérité.Tendresse filiale, humaine, paternelle; tendresse inquiète; avoir une grande tendresse, beaucoup de tendresse pour. La tendresse de Paul Valéry; elle est enfantine et charmante. Nul ne comprend si joliment l'amitié, ni n'a tant de délicatesse. J'ai pour lui l'affection la plus vive (Gide, Journal, 1902, p. 124).V. amitié ex. 60, amour ex. 49, cœur ex. 51, 52: 1. ... elle avait été la cheville ouvrière de la maison, sans que nul songeât à lui savoir gré de sa ponctualité, de ses prévenances. Toute une existence impersonnelle, de dévouement, d'abnégation, de don de soi, de modestie, de tendresse bornée et discrète qui ne lui avait guère été rendue.
Martin du G., Thib., Épil., 1940, p. 767. − [Gén. avec une nuance iron.] ♦ (Avoir, etc.) une/de la/des tendresse(s) pour+ subst. ou nom propre.Avoir une préférence marquée, témoigner de la complaisance pour. Synon. avoir un faible pour.Vous ne m'accusez pas, j'espère, d'une aveugle tendresse pour François Arouet : je le supposerai aussi léger, (...) aussi mauvais Français que vous le voudrez (J. de Maistre, Soirées St-Pétersb., t. 1, 1821, p. 521). ♦ N'avoir pas de tendresse pour + subst.Manquer d'indulgence pour. [Les Anglais] n'ont pas de tendresse pour les tristes et méprisent les sentimentaux (Maurois, Sil. Bramble, 1918, p. 79). b) Forme d'amour à prédominance sentimentale, complétant la sensualité et la sexualité (plutôt que s'y opposant), caractérisée par la recherche d'une harmonie dans la douceur et la durée, et manifestant le souci constant d'être agréable à la personne aimée. Tendresse passionnée; sentiment de tendresse; (être) l'objet de sa tendresse; être plein de tendresse. Je jurai de nouveau à Sara, d'après les sentiments de mon cœur, un éternel attachement. Oui, je sentis pour cette fille une tendresse inexprimable; je sentis qu'elle était ma femme (...), je me regardai comme ne faisant plus qu'un avec elle (Restif de La Bret., M. Nicolas, 1796, p. 60).V. amant ex. 4, amour ex. 186, imbibition ex. 2: 2. ... Racine n'a point baigné de tendresse ce désir à l'état brut qu'exhale et chante Phèdre. Minos et Pasiphaé, ses auteurs, (...) ignoraient ce don si doux, cette naissance en nous d'une suavité profuse qui détend trop délicieusement toutes les forces de l'âme quand elle s'abandonne sans défense à la faiblesse de chérir.
Valéry, Variété V, 1944, p. 188. − PSYCHANAL. ,,Attitude affective élémentaire, engagée dans la première relation avec l'objet d'amour et où la composante érotique est indissociable de la recherche d'une sécurité d'autoconservation (en référence aux soins corporels et à l'alimentation)`` (Fedida 1974). c) En partic. [La tendresse dans ses divers moyens d'expr.]
α) [Dans l'aspect extérieur, le comportement] Besoin, élan, expression, geste, larmes, marques, témoignages, transport de tendresse; regarder avec tendresse. Ils se regardaient en s'exprimant une mutuelle intelligence (...). La parenté n'autorisait-elle pas une certaine douceur dans l'accent, une tendresse dans les regards: aussi Eugénie se plut-elle à endormir les souffrances de son cousin dans les joies enfantines d'un naissant amour (Balzac, E. Grandet, 1834, p. 168).Il aperçut (...) Hélène qui le regardait en souriant. Par un mouvement de brusque tendresse, il l'attira sur son cœur, et l'y tint longtemps embrassée, en couvrant ses blonds cheveux de caresses (Sandeau, Mllede La Seiglière, 1848, p. 262).V. amitié ex. 47. − P. méton. ♦ Gén. au plur. Marques d'affection, d'amour. Synon. attentions (v. attention), cajoleries (v. cajolerie), égards (v. égard), prévenances (v. prévenance).Je fus reçue dans mon couvent avec des tendresses infinies (...), on m'y entoura de soins maternels (...). Toute cette bonté suave, toutes ces délicates sollicitudes me rappelaient un bonheur (Sand, Hist. vie, t. 3, 1855, p. 449).Ma façon de faire la cour à une femme, de lui prodiguer les tendresses fugitives, les menus soins, les petits cadeaux, les galanteries, les bagatelles nécessaires, et de lui parler une langue inconnue d'elle (Renard, Comédies, Pain mén., 1899, p. 78).Avoir des tendresses pour + subst.Avoir des rapports intimes avec. Synon. avoir des bontés (v. bonté), des faiblesses (v. faiblesse) pour.Le fils de la maison, Edgard, a eu des tendresses pour Florestine, la femme de chambre de sa mère (Zola, Nos aut. dram., 1881, p. 203). ♦ Personne qui témoigne ou à qui l'on témoigne de l'affection, de l'amour. M. de Talleyrand était une vraie tendresse, il se penchait sur mon épaule; certainement il me croyait dans ce moment un très grand homme (Chateaubr., Mém., t. 2, 1848, p. 620).En appellatif. À Madame Maurice Schlésinger (...). Ma vieille amie, ma vieille tendresse, je ne peux pas voir votre écriture sans être remué (Flaub., Corresp., 1872, p. 427).Mon petit enfant doux... Au revoir, ma tendresse. Au revoir, ma petite. (...) Je vous envoie mon cœur gonflé de vous (Géraldy, Toi et Moi, 1913, p. 105). ♦ Arg., vx. Synon. de courtisane, lorette.Les nuances des mots nouveaux multipliés par le journalisme sont souvent confondues (...) un journal du 7 décembre 88 donne la même valeur aux horizontales, aux tendresses (Larch.Nouv. Suppl.1889, p. xii).
β) [Dans un mode d'expr. verbale ou une intonation] Noms de tendresse. MmeBerthaud (...) parlait du docteur avec l'accent d'une tendresse fondante et respectueuse, qu'ont ordinairement les femmes, lorsqu'elles évoquent une figure de médecin (Aymé, Bœuf cland., 1939, p. 78).Ruth: Ô Jean chéri (...)! Ô mon cœur... Jean: Tous les mots de tendresse par lesquels une femme cherche à retenir un amant, tu vas me les dire (Giraudoux, Sodome, 1943, ii, 2, p. 98). − P. méton. Dire des tendresses. Dire des choses tendres, douces à entendre. Un besoin le poussait à lui dire des tendresses. Elle y répondait par de gentilles paroles (...), des douceurs dont la surprise le charmait (Flaub., Éduc. sent., t. 2, 1869, p. 160). ♦ [Dans une formule épistolaire] Mille tendresses. À toutes, mes tendres tendresses et (...) mes hommages à Saliès (E. de Guérin, Lettres, 1839, p. 321).À bientôt, mon Victor. Je t'envoie toutes les tendresses de toutes et les cordialités de tous (Hugo, Corresp., 1866, p. 544).
γ) [Dans une œuvre artist.] [Une] phrase pleine de tendresse et de passion (...) s'expose (...) dans cette IIeVariation au rythme inquiet et haletant [Études symphoniques de Schumann] (D'Indy, Compos. mus., t. 2, 1, 1897-1900, p. 444).De pâles adolescents (...) rimaient de petites pièces de vers débordantes de tendresse goguenarde, de sentiment et d'ironie (Carco, Voix basse, 1938, p. 130). − [À propos d'un aut. considéré dans sa manière de s'exprimer] Qualité d'un auteur qui s'exprime de manière touchante, attendrissante. Des considérations lourdes sur des sujets délicats, sur la tendresse de Racine comparée à celle de Virgile (Stendhal, L. Leuwen, t. 3, 1835, p. 9).Celui-ci [Poussin] a (...) dans l'exécution une énergie plus virile; mais Lesueur a plus de tendresse et plus de charme (R. Ménard, Hist. Beaux-Arts, 1882, p. 327). − [À propos d'un instrument] Qualité d'un instrument apte à exprimer les plus doux sentiments. La douceur somptueuse des trombones associée à la tendresse des violes (Pirro, J.-S. Bach, 1919, p. 35). − P. méton., au plur., rare.
Œuvre qui exprime avec délicatesse un thème sentimental. Gilbert dit des vers, précieuses tendresses de Samain que les autres écoutent (..), les yeux criblés d'étoiles (Dorgelès, Croix de bois, 1919, p. 189). d) P. anal. Qualité de ce qui évoque les sentiments et les comportements affectueux, amicaux ou amoureux entre humains. − [À propos de rapports entre une pers. et un animal ou d'animaux entre eux] Je veux peindre (...) des meres le modele, Le sarigue (...) dont les soins touchants et doux, Dont la tendresse maternelle, Seront de quelque prix pour vous (Florian, Fables, 1792, p. 67).Alors qu'ils [les chats] se frottent à notre chair, ronronnent et se roulent sur nous (...), on sent bien l'insécurité de leur tendresse, l'égoïsme perfide de leur plaisir (Maupass., Contes et nouv., t. 2, Chats, 1886, p. 1061).V. bonté ex. 17. − [À propos de la nature ou de rapports entre une pers. et (un aspect de) la nature, un lieu] Tout était volupté, frémissements, tourments d'amour (...). La forêt vivait et soupirait, les ruisseaux s'enflaient de tendresse (Bourges, Crépusc. dieux, 1884, p. 146).Le paysan garde sa prédilection et sa tendresse pour ce sol un peu maigre, mais facile à travailler (Vidal de La Bl., Tabl. géogr. Fr., 1908, p. 316). ♦ Avoir une tendresse pour + subst.Avoir un goût privilégié pour. Si j'ai une tendresse particulière pour cet endroit de Paris, c'est que j'y suis presque né (Fargue, Piéton Paris, 1939, p. 19). − [À propos de rapports entre une pers. et une chose concr.] J'étais (...) capable d'aimer, puisque j'avais déjà une si vive tendresse pour certaines poupées (Sand, Hist. vie, t. 2, 1855, p. 206).L'amour des choses, la tendresse pour les objets peut recouvrir des dispositions (...) complexes. (...) des enfants privés d'affection comblent leur solitude en essayant de faire vivre les choses autour d'eux (Mounier, Traité caract., 1946, p. 129).V. convoiteux ex. de Cladel. − [À propos de rapports entre une pers. et une chose abstr., une œuvre ou, p. méton., son aut.] Il y a dans les livres des poètes, pour chaque fidèle, un coin qu'il préfère aux autres, qu'il chérit d'une tendresse particulière (Lemaitre, Contemp., 1885, p. 95).N'est-ce pas agréable d'être respecté plus d'un siècle après sa mort? (...) Si tu savais avec quelle tendresse nous admirons Virgile, Annibal, Alexandre (Salacrou, Terre ronde, 1938, i, 4, p. 164). Prononc. et Orth.: [tɑ
̃dʀ
εs]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Ca 1240 « tendreté » (Jean de Thuin, Jules César, 92, 12 ds T.-L.); 2. 1319 « jeune âge, enfance » (Assiette de 200 liv. de rente, Morice, Hist. de Bret., I, 1286 ds Gdf.); 3. 1551 « faiblesse, fragilité du jeune âge » (Leroy, trad. Isocrate, Au Roy ds Hug.); 4. av. 1648 « sentiment, attachement qui se manifeste par des paroles douces, des gestes affectueux... » (Voiture, Lett., 46 ds Littré); 5. 1666 subst. fém. plur. « caresses, témoignages d'affection, d'amitié, d'amour » (Molière, Misanthrope, I, 1); 1668 « tendance, facilité à, inclination » (Id., Avare, IV, 1); 6. 1679 « attendrissement, émotion vague » (Mmede Sévigné, Corresp., 8 déc., éd. R. Duchêne, t. 2, p. 766); 7. 1882 « fille galante » (Gil Blas ds Delvau Suppl. 1883). Dér. de tendre2*; suff. -esse1*. Fréq. abs. littér.: 6 140. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 8 242, b) 11 074; xxes.: a) 10 015, b) 7 121. Bbg. Dauzat Ling. fr. 1946, p. 21. |