| TAPISSERIE, subst. fém. A. − 1. Panneau d'étoffe ouvragé que l'on pose le long des murs. Cette demeure n'était pas celle d'un cénobite qui a renoncé aux pompes mondaines. Elle comportait huit grandes pièces fastueuses, tendues de tapisseries, bourrées de meubles précieux (T'Serstevens, Itinér. esp., 1963, p. 242): Le plafond étoit marqueté de vieilles armoiries peintes, et les murs couverts de tapisseries à grands personnages, qui sembloient suivre des yeux le chevalier, et qui servoient à cacher des portes secrètes. Vers minuit, on entendoit un bruit léger, les tapisseries s'agitoient, la lampe du paladin s'éteignoit, un cercueil s'élevoit auprès de sa couche.
Chateaubr., Génie, t. 2, 1803, p. 491. − P. métaph. Le blanc cottage était assis au fond d'une petite vallée fermée de montagnes suffisamment hautes; il était comme emmailloté d'arbustes qui répandaient une tapisserie de fleurs sur les murs (Baudel., Paradis artif., 1860, p. 420). 2. Au fig. a) Loc. subst., vieilli. L'envers de la tapisserie. L'aspect caché de quelque chose. [Eugène Sue] a vu l'envers de la tapisserie brillante de ce brillant règne [de Louis XIV] (Balzac,
Œuvres div., t. 3, 1840, p. 290). b) Loc. verb. ♦ Vieilli. Être derrière la tapisserie; voir la tapisserie par l'envers. Savoir ce qui se passe derrière ce qui apparaît; connaître les secrets, les rouages des affaires. Nous avons vu de nos jours de ces hommes d'esprit, témoins de tout, consultés sur tout (...) ces hommes-là ont trop vu, trop regardé la tapisserie par l'envers; ils ne prennent les choses ni les personnages bien au sérieux (Sainte-Beuve, Caus. lundi, t. 11, 1854, p. 223). ♦ Faire tapisserie. Vieilli. Assister à une réunion sans y prendre part; ne pas participer à une activité, à une discussion collective. L'air parfaitement désintéressé de personnes qui sont là pour faire tapisserie (Gobineau, Nouv. asiat., 1876, p. 47).Elle s'appuyait tous les inconnus de passage. Drôle de fille. Détraquée. Souvent (...) elle faisait tapisserie avec les autres, en bas, dans le salon, au lieu de se mêler au cercle qui écoutait Rij déconner (Cendrars, Bourlinguer, 1948, p. 87).En partic., usuel. [Dans un bal, une réunion dansante; le suj. désigne une femme] Ne pas danser, ne pas être invité à danser. Il y avait plusieurs femmes dont la présence ici était purement incompréhensible: des grosses mères, qui auraient pu tenir un magasin de confections ou un pensionnat, une vieille fille en crème qu'on aurait imaginé faisant tapisserie dans un bal de sous-préfecture (Aragon, Beaux quart., 1936, p. 397).P. anal. Mon vieux, vous verrez que même les femmes nous lâcheront! Le capitaine de hussards fera tapisserie au bal de la sous-préfecture! (Vercel, Cap. Conan, 1934, p. 182). B. − 1. Ouvrage d'art destiné à la décoration murale, composé de panneaux tissés à la main sur métier avec de la laine, de la soie, de l'or, qui se distingue de la broderie en ce que les tableaux et sujets représentés sont intégrés dans la trame même du tissu; un de ces panneaux. Tapisserie tissée sur un métier de haute, de basse lisse; tapisserie historiée, à ramages, à verdure(s); tapisserie gothique; tapisserie de Bayeux, de Beauvais, de Flandre, d'Aubusson, des Gobelins; carton* de tapisserie; suite de tapisseries. Les tapisseries de haute-lice, dont on travaille les peintures à l'envers, jusqu'à ce que mises en place on en puisse juger l'effet (Staël, Allemagne, t. 5, 1810, p. 94).Jamais les Gobelins n'ont produit tapisseries plus laides que les deux pièces représentant l'empereur et l'impératrice, d'après un carton de Winterhalter (Kunstler, Art XIXes. Fr., 1954, p. 33). − P. méton. Art de tisser à la main sur métier, pour faire une tapisserie; tissu qui résulte de cet art. Des portraits de peintres, exécutés aux Gobelins en tapisserie, décorent les murailles [de la galerie d'Apollon] encastrés dans de riches ornements (Gautier, Guide Louvre, 1872, p. 24).Il est bon de comprendre les sévères jugements théoriques d'où partit la réforme actuelle de la tapisserie et, par là, son extraordinaire renaissance (Cassou, Arts plast. contemp., 1960, p. 677). − P. métaph. Je ne me rappelais pas qu'à travers tous les songes de toutes les religions le fil d'or catholique courût si visiblement dans la trame de la tapisserie nervalienne (Mauriac, Mém. intér., 1959, p. 37). 2. P. anal. Ouvrage exécuté à l'aiguille dans lequel on recouvre entièrement de fils (de laine, de coton, de soie,...) un canevas; tissu qui résulte de cet ouvrage. Tapisserie au gros, au petit point; faire une tapisserie. Ces tapisseries au canevas que ma mère brodait avec patience et régularité durant nos veillées (Lacretelle, Silbermann, 1922, p. 174).C'était, avec son cabas de tapisserie et son châle jaune d'or, une de ses manières de faire la grosse (Pourrat, Gaspard, 1922, p. 185). ♦ Métier* à tapisserie. ♦ Loc. adj. De/en tapisserie. Qui est recouvert en tapisserie. Bergère, fauteuil, prie-dieu, tabouret de/en tapisserie; coussin, sac de/en tapisserie. Au sortir de la messe, on le voyait sur sa porte avec de belles pantoufles en tapisserie (Flaub., MmeBovary, t. 1, 1857, p. 47).Sur le banc, était posée une valise de tapisserie à ramages, passée et déchirée (Aragon, Beaux quart., 1936, p. 251). − P. méton. ♦ Art d'exécuter à l'aiguille une tapisserie. − Vous ne savez rien faire comme travail manuel?... − Si... de la tapisserie, du filet, du crochet... je brode aussi (Gyp, Souv. pte fille, 1928, p. 121). ♦ Canevas sur lequel les petites filles apprennent à faire de la tapisserie. Nous rentrons pour l'assommante leçon de travail à l'aiguille. Je prends ma tapisserie avec dégoût (Colette, Cl. école, 1900, p. 87). 3. P. ext. a) Tenture murale imprimés ou incrustés sur toile ou composée de panneaux, exécutée sur des métiers mécaniques. Les habitants, catholiques, protestants ou juifs, étaient forcés de tendre leurs maisons de tapisseries, de fleurs et de feuilles (Erckm.-Chatr., Hist. paysan, t. 1, 1870, p. 469).Les tapisseries de son ancienne chambre furent tendues dans la salle à manger (Maupass., Une Vie, 1883, p. 238). b) Papier peint utilisé pour tapisser les murs des habitations. Le portrait de mon père en grand uniforme et celui de ma mère en robe de cachemire pendent au mur sur une tapisserie de papier à ramages verts (A. France, Bonnard, 1881, p. 463).Je connais les dahlias imprimés de la tapisserie de la chambre d'hôtel, au Havre, où je descends quand on repeint le Mirmidon (Audiberti, Quoat, 1946, 1ertabl., p. 40). Prononc. et Orth.: [tapisʀi]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. [1347 d'apr. Bl.-W.1-5sans indication de sens] 1. a) 1379 « grand ouvrage fait au métier avec de la laine, de la soie... et servant à revêtir les murailles d'une salle » (Invent. du mobilier de Charles V, éd. J. Labarte, no3703, p. 379); cf. 1393 (Ménagier, éd. G. E. Brereton et J. M. Ferrier, p. 188, ligne 24); d'où
α) 1671 fig. être derrière la tapisserie (Mmede Sévigné, Corresp., éd. R. Duchêne, t. 1, p. 244);
β) 1806 faire tapisserie « (d'une femme) ne pas être invitée à danser » (Picard, Manie de briller, II, 14 ds Littré); 1837 id. plus gén. « assister à une réunion sans y prendre part » (Balzac, C. Birotteau, p. 192); b) 1549 « toute pièce de tissu ou d'autre matière que l'on tendait sur les murs » tapisserie de marriquin d'Espagne (Invent. Château d'Annecy, 64 ds IGLF); cf. 1596 tapisserie de cuyr doré (xviiieCompte de Christophe Godin, conseiller et receveur général de Philippe II ds Havard); 2. 1462 « art de tapisser » (27 juill., Reg. aux public., 1457-1465, Des sargeurs, A. Tournai ds Gdf. Compl.); 3. 1690 « ouvrage fait à l'aiguille avec de la laine, de la soie... » tapisserie ... au petit point (Fur.); 4. 1820 tapisserie de papier (Lav.); cf. 1836 changer le papier de la tapisserie (Gozlan, Notaire, 1836, p. 217). Dér. de tapis*; suff. -erie*. Fréq. abs. littér.: 912. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 981, b) 2 167; xxes.: a) 1 505, b) 974. |