| TAIRE, verbe I. − Empl. pronom. A. − Qqn/qqc. se tait 1. Qqn se tait a)
α) S'arrêter de parler; p. anal., s'arrêter de pleurer, de crier. Se taire aussitôt, brusquement, soudainement; refuser de se taire. Tout à coup l'enfant se tut de lui-même (...). Son silence était plus alarmant encore que sa colère (Martin du G., Thib., Cah. gr., 1922, p. 667).Elles causaient de porte à porte, mais elles se taisaient à mon approche (Vercel, Cap. Conan, 1934, p. 251). ♦ À l'impér. Taisez-vous, je vous défends de discuter (Dorgelès, Croix de bois, 1919, p. 47).HIST. [Dans une circulaire ministérielle du 28 oct. 1915 destinée à mettre en garde la population contre les agents de renseignements de l'ennemi et repris sous forme de slogan] Taisez-vous, méfiez-vous, les oreilles ennemies vous écoutent. V. méfier (se) ex. de Beauvoir. − P. anal. [Le suj. désigne un animal, en partic. un oiseau] Cesser de faire entendre son cri. Fauvettes et pinsons se taisent un moment (Coppée, Bonne souffr., 1898, p. 50).C'était l'heure (...) où les chouettes se taisaient (Druon, Loi mâles, 1957, p. 35).
β) Garder le silence, rester sans parler. Se taire longuement. Mais qu'a donc notre député? se dit-il. D'où vient qu'il se tait obstinément? (Reybaud, J. Paturot, 1842, p. 353).Il se taisait toujours; il a vu qu'il n'allait pas pouvoir se taire plus longtemps (Ramuz, Gde peur mont., 1926, p. 31). − Fam. Perdre/manquer/rater une (belle/bonne) occasion de se taire. V. occasion I A 2 a ex. de Camus. − En partic. Ne pas parler de façon indiscrète, être discret. Je ne m'occupe jamais de la politique intérieure des pays que je visite. Et quoique j'en pense, je sais me taire (Salacrou, Terre ronde, 1938, ii, 3, p. 203). ♦ Se taire de (vieilli)/sur qqc., qqn.Ne pas révéler quelque chose, garder le silence sur quelqu'un; rester discret sur quelque chose, sur quelqu'un. Le pécheur (...) Doit et peut (...) Bien faire obscurément son devoir et se taire. Se taire pour le monde (...) Se taire sur autrui (Verlaine,
Œuvres compl., t. 1, Sagesse, 1881, p. 234).On n'a pas le mérite de sa naissance, on a celui de ses actions. Mais il faut savoir se taire sur elles pour que le mérite soit entier (Camus, Actuelles I, 1948, p. 200).Ne pouvoir, ne savoir se taire sur/d'une chose. Ne pouvoir éviter, s'empêcher de parler d'une chose. Il ne peut se taire sur le service, du service que vous lui avez rendu. Je ne puis m'en taire (Ac. 1935). b)
α) S'abstenir d'exprimer une opinion, de traiter une question oralement ou par écrit; ne pas prendre position. La faillite des intellectuels n'a pas été moindre. A. France, c'est le silence. Bourget se tait après quelques mois de réflexion. Ils n'ont pas cherché à dégager les directives (Barrès, Cahiers, t. 11, 1918, p. 365): ... se taire ce n'est pas être muet, c'est refuser de parler, donc parler encore. Si donc un écrivain a choisi de se taire sur un aspect quelconque du monde, ou selon une locution qui dit bien ce qu'elle veut dire, de le passer sous silence, on est en droit de lui poser une troisième question: pourquoi as-tu parlé de ceci plutôt que de cela (...)?
Sartre, Litt., 1948, p. 32. − Proverbe. Qui se tait, consent. Synon. rare et vieilli de qui ne dit mot, consent (v. consentir II B 3). (Dict. xixes.).
β) Ne pas exprimer son mécontentement, son chagrin; s'abstenir de se plaindre. Hélas! habitants de la terre, Il faut savoir souffrir, mendier et nous taire (Barbier, Iambes, 1840, p. 153). 2. Qqc. se tait a)
α) [Le suj. désigne un son, un bruit, p. méton., ce qui produit ce son, ce bruit] Cesser de se faire entendre. Le canon, le grelot se tait. Les vents se taisent, tout est calme (Senancour, Obermann, t. 2, 1840, p. 133).La voix de Vanessa se tut, et il se fit un silence (Gracq, Syrtes, 1951, p. 113). − En partic. [Le suj. désigne un instrument de mus.] S'arrêter de jouer. Le piano se tut (Martin du G., Thib., Épil., 1940, p. 850).Jusqu'à ce que le soleil se couche et que la lune se lève, et que les guitares se taisent (Cendrars, Bourlinguer, 1948, p. 96).
β) [Le suj. désigne un lieu] Devenir silencieux. Autour d'eux, la forêt se taisait, et dans ce silence un rouge-gorge modulait sa petite chanson caressante et voilée (Theuriet, Mariage Gérard, 1875, p. 151).L'immense plaine se taisait, comme si la respiration du monde eût été suspendue (Psichari, Voy. centur., 1914, p. 145). b) Au fig., vieilli. [Le suj. désigne une chose abstr.] Cesser d'avoir de l'influence, s'effacer. Les lois se taisent dans les troubles; c'est alors que les décrets parlent (Joubert, Pensées, t. 1, 1824, p. 361).Le cœur se taisait devant les affaires (Zola, Nana, 1880, p. 1467). B. − [Avec ell. du pron. pers.] Faire taire qqn/qqc. 1. Faire taire qqn a) Interrompre quelqu'un; imposer silence à une personne qui pleure ou qui crie. Faire taire brutalement; faire taire d'une gifle. Des personnes placées au balcon et aux galeries firent taire le négociant par des chuts répétés (Balzac, Illus. perdues, 1839, p. 513).Il désigna la porte par où les jérémiades prenaient cette scansion de la douleur qui est la même à Sérianne ou au Kamtchatka: « Fais d'abord taire ta femme, s'il te plaît » (Aragon, Beau quart., 1936, p. 298). b) Empêcher quelqu'un de s'exprimer, le réduire au silence. Synon. museler.Faire taire des adversaires, ses détracteurs, ses ennemis. Elle m'embrassa sur le cou et me souffla à l'oreille: « Écris, mon fils, tu auras du talent, et tu feras taire les envieux. » (A. France, Vie fleur, 1922, p. 545).J'aurais trouvé un prétexte plausible, de quoi faire taire les mauvaises langues (Bernanos, Crime, 1935, p. 807). 2. Vieilli ou littér. Faire taire qqc. a) Empêcher quelque chose d'être entendu; couvrir un bruit, un son. Une prodigieuse rumeur (...) se fit entendre dans le lointain et couvrit les mille susurrements de la foule: ainsi le rugissement d'un lion fait taire les miaulements d'une troupe de chacals (Gautier, Rom. momie, 1858, p. 215). − P. anal. Mais une douleur profonde faisait taire toutes les autres douleurs (Balzac, E. Grandet, 1834, p. 205). b) Faire cesser un bruit. Faire taire les pleurs. Pour finir, cria Volpatte, qui fit taire tous les bourdonnements, avec son autorité de voyageur revenant de là-bas (Barbusse, Feu, 1916, p. 132).Faire cesser (une rumeur, un propos). Faire taire les calomnies, les quolibets. Cela fit taire les médisances (Louÿs, Aphrodite, 1896, p. 14). c)
α) Empêcher quelque chose de faire du bruit. Apaise le vent, fais taire la lame (Gautier, Poés., 1872, p. 293).Il fallait faire taire le grelot? − Il le voulut! Pour y parvenir il décida de réaliser à travers le dédale inextricable des branches une marche lente et souple durant laquelle sa tête et son cou devraient conserver la plus stricte immobilité (Pergaud, De Goupil, 1910, p. 54). − En partic. ♦ Cesser de jouer d'un instrument de musique. Elle ferait taire son piano pour faire quelques pas dehors (Cendrars, Bourlinguer, 1948, p. 115). ♦ Mettre une arme hors d'état de fonctionner. Faire taire le canon. [L'artillerie française] ne peut sans doute pas faire taire l'artillerie des Boches (Romains, Hommes bonne vol., 1938, p. 39).
β) Au fig. [Le compl. désigne une chose abstr.] Empêcher quelque chose de se manifester. Synon. étouffer (v. ce mot I B 3 a), juguler (v. ce mot B 2), museler (v. ce mot B 2).Faire taire la liberté de presse, les lois; faire taire la raison, le bon sens; faire taire sa conscience, sa douleur, sa mélancolie, son ressentiment, ses remords, ses scrupules. La bourgeoisie fit ce qu'elle a toujours fait depuis, elle manqua de principes et fit taire ses croyances ou ses sympathies en présence de ses intérêts (Sand, Hist. vie, t. 2, 1855, p. 2).Si on fait le silence en soi, si on fait taire tous les désirs, toutes les opinions (S. Weil, Pesanteur, 1943, p. 54). II. − Empl. trans. A. − Qqn tait qqc. 1. Synon. de cacher (v. ce mot I B 2), celer (littér.), dissimuler (v. ce mot A 1 b). a) Ne pas révéler, garder secret quelque chose. Taire son nom; taire une aventure. Ce n'est pas à vous que je tairai des faiblesses, tôt ou tard il faudra que vous les sachiez toutes (Fromentin, Dominique, 1863, p. 31).Le chef d'entreprise le plus décidé à faire de sa maison une « maison de verre » ne peut pas ne pas taire certains faits et certains chiffres (Salleron, Comment informer, 1965, p. 40). b) P. anal. Ne pas laisser paraître (un sentiment). Taire sa colère, son émotion, son inquiétude, sa joie. Lorsqu'Odoard apprend par la maîtresse du prince que l'honneur de sa fille est menacé, il veut taire à cette femme, qu'il n'estime pas, l'indignation et la douleur qu'elle excite dans son âme (Staël, Allemagne, t. 3, 1810, p. 221). 2. Littér. ou vieilli a) Interrompre les propos que l'on tient. Pourquoi ne voulez-vous pas qu'il se racornisse un peu, cet homme? Taisez donc vos menteries (Balzac, E. Grandet, 1834, p. 207).Peu à peu, le voile se desserre, s'enfle, vole et retombe, me révélant aux yeux de ceux qui sont là, qui ont tu, pour me regarder, leur enragé bavardage (Colette, Vagab., 1910, p. 58). b) Arrêter de jouer d'un instrument de musique. Les pâtres, dans les champs, turent leurs chalumeaux (Ponchon, Muse cabaret, 1920, p. 229). 3. Pop. Taire sa gueule (vulg.), sa langue, son bec (vieilli). Se taire. Synon. fermer son bec* (pop., fam.), fermer sa (grande) bouche* (fam.), fermer/boucler sa gueule* (vulg.), la boucler (pop., v. boucler1B 3).Eh bien, alors... tais ton bec, méchant gratte-papier (Labiche, M. qui prend la mouche, 1852, i, 3, p. 139).S'il veut bien m'écouter, il taira sa langue, il reprendra sa truelle, sans s'occuper ni des juifs, ni des curés (Zola, Vérité, 1902, p. 67).V. bouchon II A 2 b ex. de France. B. − Littér. [Le suj. désigne un élément naturel; le compl. désigne le bruit qu'il produit] Qqc. tait qqc.Cesser de faire entendre quelque chose. L'ombre venait, les fleurs s'ouvraient, rêvait mon Âme! Et le vent endormi taisait son hurlement (Valéry, Lettres à qq.-uns, 1945, p. 10). Prononc. et Orth.: [tε:ʀ], (il) tait [tε]. Homon. terre et formes de (se) terrer. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Fin xes. réfl. « ne pas parler, garder le silence » (Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 215: Judeu l'acusent [Jesu], el se tais); déb. xiies. intrans. (Benedeit, St Brendan, éd. E. G. R. Waters, 700); ca 1165 id. taire [: afaire] (Benoît de Ste-Maure, Troie, 21322 ds T.-L.); xiies. id. teisir [: suffrir] (Everart de Kirkham, Distiques de Caton, strophe 134 d, éd. E. Stengel, p. 135); 2. a) ca 1100 « cesser de parler » intrans.; réfl. (Roland, éd. J. Bédier, 1026: Tais, Oliver; 259: Ambdui vos en taisez!); ca 1225 trans. taire sa boche (Hist. Guillaume Le Maréchal, 13 ds T.-L.); 1744 taire sa gueule (Vadé,
Œuvres, Sur la prise de Menin, IV ds Quem DDL t. 19); b) 1225-30 réfl. « (en parlant d'oiseaux) cesser de pépier » (Guillaume de Lorris, Rose, éd. F. Lecoy, 67); 1387-89 intrans. fere crier et tayre [le limier] (Gaston Phébus, Chasse, éd. G. Tilander, 44, 32, p. 191); 3. 1remoit. xiies. trans. « ne pas dire, ne pas exprimer; passer sous silence; cacher » (Psautier d'Oxford, 108, 1 ds T.-L.: la meie löenge ne tasiras [ne silueris]); ca 1165 (Benoît de Ste-Maure, Troie, 19, ibid.: scïence que est teüe Est tost oblïee e perdüe); ca 1175 taire [: faire] (Id., Chron. ducs de Normandie, éd. C. Fahlin, 10402); 1240-80 spéc. « cacher, ne pas laisser paraître (un sentiment, un état d'âme) » (Baudouin de Condé, Dits et contes, 316, 1385 ds T.-L.: Mais encore vous ai tëu Celui [torment de l'amour]); cf. 1683, 1ersept. (Bossuet, Oraison funèbre M.-Th. d'Autriche ds
Œuvres, éd. B. Velat et Y. Champailler, p. 123: [les âmes vertueuses] non seulement elles savent taire, mais encore sacrifier leurs peines secrètes); 4. fig. le suj. désigne un inanimé; réfl. a) 1174-87 « cesser de s'exprimer » (Chrétien de Troyes, Perceval, éd. F. Lecoy, 6006: De mon seignor Gauvain se test Li contes ici a estal); b) ca 1230 « cesser de se manifester, s'effacer » (Chevalier aux deux épées, 5426 ds T.-L.: toutes les biautés ki soient Envers la siue se taisoient); c) fin xiiies. « (en parlant des éléments déchaînés) cesser de se manifester, se calmer » (Psautier [Bibl. Mazarine 258], fol. 133 ds Littré: si se turent li flot); 1667 « (en parlant d'un sentiment) ne pas se manifester » (Racine, Andromaque, III, 3: la douleur qui se tait). L'a. fr. taisir, régulièrement issu du lat. tacere (intrans. « garder le silence, se taire »; trans. « ne pas dire, ne pas parler de »), a, dep. le xiies. (supra), été concurrencé par la forme taire (d'apr. les inf. du type fais: faire [< facere] qui peu à peu l'évinça, Fouché Morphol., § 119, 3o; Pope, § 884 et 886). La forme a. fr. taisier réfl. « garder le silence » (ca 1210 Herbert de Dammartin, Fouque de Candie, 2921 ds T.-L.), p. chang. de conjug., prob. sous l'infl. des représentants du lat. vulg. *quietare « calmer, apaiser » (d'où l'a. fr. coisier au sens de « se taire » fin xiies. réfl. Sermons de St Bernard, 6, 19, ibid.). Fréq. abs. littér.: 9 233. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 8 331, b) 11 677; xxes.: a) 17 831, b) 15 170. Bbg. Bolbjerg (A.). Six verbes fr.: la catégorie -aire. R. rom. 1979, t 14, no1, pp. 114-116. − Lanly (A.). Morphol. hist. des verbes fr. Paris, 1977, pp. 270-272. − Lienhard (D.R.). Die Bezeichnungen für den Begriff « schweigen » in Frankreich... Diss., Zürich, 1943, pp. 57-61. − Morin (Y.-Ch.). Maintien du e final dans l'évol. hist.des mots du type faire et maire en fr. Cah. J. Ling. 1979, t. 24, pp. 95-117. − Quem. DDL t. 19. |