| TÂTONNER, verbe A. − 1. Empl. intrans. a) [Le suj. désigne une pers.] Tâter de manière répétée et dans différentes directions avec la main, avec une autre partie du corps, ou plus rarement avec un objet, pour se diriger, trouver quelque chose lorsque l'obscurité ou un obstacle empêche de le faire facilement. Tâtonner avec un bâton. Le revers italique des Alpes se trouva beaucoup plus roide et plus court que l'autre. Ce n'était que des rampes étroites et glissantes qu'on osait à peine descendre, en tâtonnant du pied et s'accrochant aux broussailles (Michelet, Hist. romaine, t. 2, 1831, p. 12).Il avait honte de manger devant la famille, attendait d'être seul pour voler une larme de café, un fond de soupe, tâtonnait précipitamment, se trompait de casseroles, faisait tout tomber (Van der Meersch, Invas. 14, 1935, p. 219). b) P. anal. [Le suj. désigne une chose concr., un élément naturel, etc.] Se déplacer, se développer selon un tracé incertain, avec des retours. C'est entre de hauts pâturages que tâtonnent les premières eaux de la Loire. Au prix d'hésitations qui contrastent avec la netteté rectiligne de l'Allier, la Loire est arrivée (...) à frayer sa route (Vidal de La Bl., Tabl. géogr. Fr., 1908, p. 288).Cet arbre (...) avait (...) déroulé dans la nuit sa puissante musculature et tâtonné d'un mur à l'autre (Saint-Exup., Citad., 1944, p. 544). c) HIPP. ,,Se dit du cheval qui avance trop ses antérieurs qui, par suite, doivent faire un retrait avant leur poser`` (St-Riquier-Delp. 1975). 2. Empl. trans., rare. [Le suj. désigne une pers. ou une partie du corps] Ils grimpaient lentement, le poignard dans les dents, tâtonnant du pied les échelons et avançant les mains (Flaub., Champs et grèves, 1848, p. 375).Son pied hésitant tâtonnait les marches pour descendre (Goncourt, Élisa, 1877, p. 161). B. − Au fig. 1. Empl. intrans. a) [Le suj. désigne une pers.] Procéder avec hésitation et incertitude par manque d'expérience; essayer, expérimenter, chercher dans différentes directions avant de trouver la solution. Tâtonner autour d'un projet, d'une décision à prendre; chercher sa voie en tâtonnant; chercheur qui tâtonne. Aussitôt que dans une question, après avoir tâtonné et s'être guidé d'abord par l'empirisme, on est arrivé à quelque résultat (...), il faut s'empresser de le faire [passer à l'état scientifique] (Cl. Bernard, Princ. méd. exp., 1878, p. 75).Si Dieu nous avait créés, s'il s'occupait de nous, il ne tâtonnerait point, il ne ferait pas d'expériences (Maeterl., Ombre des ailes, 1936, p. 72). − [En parlant de l'expression orale] Hésiter avant de parler, chercher ses mots. Ce n'est pas précisément un monsieur, dit Hedwige (elle tâtonnait cherchant le trait juste); c'est un jeune homme (Morand, Homme pressé, 1941, p. 85).J'ai senti qu'il avait comme moi envie de parler de Christel et qu'il tâtonnait gauchement pour aborder le sujet qui lui tenait à cœur (Gracq, Beau tén., 1945, p. 30). − [En parlant de l'expression écrite] Hésiter, s'y reprendre de nombreuses fois avant de trouver l'expression qui convient. Il est fort difficile de rendre clair par les mots ce qui est obscur encore dans votre pensée. J'ai esquissé, gâché, pataugé, tâtonné (Flaub., Corresp., 1852, p. 361).[L'écrivain sans éducation classique] tâtonne et trébuche; il s'embarrasse dans les grandes phrases vagues (Taine, Philos. art, t. 2, 1865, p. 152). − [En parlant de l'expression artist.] S'y reprendre à plusieurs fois; travailler et hésiter longuement avant de trouver ce qui plaît ou convient. Après avoir longuement tâtonné, jetant par hasard une toile comme son Paysage d'été de l'année dernière, M. Pissarro s'est subitement délivré de ses méprises, de ses entraves (Huysmans, Art mod., 1883, p. 257). b) [Le suj. désigne une abstraction] Hésiter, chercher encore à se définir. Musique d'ariette en dentelle et fumée, ariette d'antan (...) rythmes se renouant, musique qui tâtonne, le vieil air se dégage un peu (Rodenbach, Règne sil., 1891, p. 192).La vie (...) tâtonne, cherche, avance et recule, avant de trouver sa voie et de faire un nouveau pas en avant (Gds cour. pensée math., 1948, p. 232). 2. Empl. trans., rare. Essayer quelque chose avec hésitation et incertitude. Ce qui nous frappe surtout (...) c'est l'ânonnement que ces grands acteurs mettent à comprendre, à percevoir, à dire. Ils commencent à répéter, à réciter un peu comme des enfants. (...) Ils manquent le geste, ils tâtonnent l'intonation (Goncourt, Journal, 1865, p. 214). Prononc. et Orth.: [tɑtɔne], [ta-], (il) tâtonne [-tɔn]. Littré, Barbeau-Rodhe 1930, Lar. Lang. fr., Pt Rob. 1980: [tɑ-]; Warn. 1968, Martinet-Walter 1973, Rob. 1985: [tɑ-], [ta-]. V. tâter. Ac. 1694, 1718: tastonner; dep. 1740: tâtonner. Étymol. et Hist. 1. a) Ca 1150 tastonner « masser » (Charroi Nîmes, éd. D. McMillan, 65); b) 1689 « essayer quelque chose, en faire l'essai, avec hésitation » (Mmede Sévigné, Lettre du 10 janv., éd. Monmerqué, t. 8, p. 402); 2. a) ca 1460 tastonner « tâter dans l'obscurité ou en aveugle pour se diriger, pour trouver quelque chose » (Villon, Lais, éd. J. Rychner et A. Henry, 148); b) 1640 tastonner « faire différents essais dans une direction approximative pour arriver à un résultat » (Oudin Curiositez). Dér. de tâter*; suff. -onner*. Fréq. abs. littér.: 249. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 133, b) 324; xxes.: a) 452, b) 496. DÉR. Tâtonneur, -euse, subst.a) Personne qui expérimente et hésite beaucoup avant de se décider à opter pour une solution. Locke se montre presque toujours logicien inventif (...). Bon questionneur, bon tâtonneur, mais sans lumière, c'est un aveugle qui se sert bien de son bâton (Joubert, Pensées, t. 2, 1824, p. 175).b) Vx. Personne soupçonneuse. [Osy] parut étonné de ce genre de précautions. Je l'assurai que ma position l'exigeait. Cela le rendit tâtonneur (Beaumarchais, Époques, 1793, p. 376).− [tɑtɔnœ:ʀ], [ta-], fém. [-ø:z]. Littré, Lar. Lang. fr. [tɑ-]; Rob. 1985 [tɑ-], [ta-]. V. tâter. Att. ds Ac. 1762-1878; 1762 masc.; 1798-1878 masc. et fém. − 1resattest. a) [1656 « personne irrésolue » (d'apr. FEW t. 13, 1, p. 142a)] 1775 Mr le Garde des Sceaux... est très tâtonneur (Bachaumont, Mémoires secrets, t. 30, p. 310); b) 1746 badaux tatonneurs (Nouvelle Bibliothèque Germanique, I, 307), 1762 « personne qui tâtonne » (Ac.); de tâtonner, suff. -eur2*. BBG. − Quem. DDL t. 30. |