| SUBLIME, adj. et subst. I. − Adjectif A. − Vx. Qui est placé très haut, qui est au premier rang. Point sublime. Un rideau (...) sépare les régions inférieures du Ciel de ces régions sublimes (Chateaubr., Natchez, 1826, p. 177).Ce terme de sublime est très heureusement donné, car étymologiquement, il veut dire sous le seuil, ce qui implique une idée de limite extrême (Griveau, Élém. beau, 1892, p. 91). − HIST. La Sublime Porte. ,,Le gouvernement des sultans ottomans, qui avait son siège à Constantinople`` (Lar. Lang. fr.). B. − 1. ANAT. [En parlant de certains muscles] Qui sont plus près de la peau que les autres appelés profonds. En anatomie, on donne le nom de Sublimes à certains muscles plus superficiellement situés que les autres (Littré-Robin1858). 2. MÉD. Respiration sublime. Respiration ,,qui est grande, accompagnée de mouvements des ailes du nez et d'élévation du thorax pendant l'inspiration`` (Littré-Robin 1865). 3. Au fig. a) [En parlant de pers.] Dont les actes ou les sentiments suscitent l'admiration pour leur élévation. Artiste, enfant, femme, génie, peintre sublime. Je vous comprends, vous êtes sublime! (Zola, Fortune Rougon, 1871, p. 228): 1. Vous êtes un homme sublime, mon enfant, et si je comprends parfaitement l'intérêt prodigieux que peuvent avoir pour vous le spectacle et les bruits des parcs d'hiver que traverse le vent du nord, je m'inquiète au contraire de tout l'appareil mesquin qui peut, à force de petites blessures, anémier votre âme où bouillonne un sang chevaleresque.
Giono, Angelo, 1958, p. 202. b) [En parlant de choses] Qui, très haut dans la hiérarchie des valeurs esthétiques, morales ou spirituelles, suscite l'admiration ou provoque une émotion. Caractère, don, élan, expression, idée, jeu, moment, paysage, perfection, rêve, sentiment, spectacle, style sublime. Il tire de son intelligence des trésors de savoir et d'harmonie; il les jette à profusion sur le monde; puis, le contemplant revêtu de cette beauté sublime qu'il lui a faite, il croit que c'est le monde qui l'a éclairé (Lacord., Conf. N.-D., 1848, p. 146).Il faut relire ces pages sublimes des Misérables (Alain, Propos, 1925, p. 653). Rem. Antéposé, sublime a une valeur d'intensif : Pendant douze ans, un ange a dérobé au monde, à la famille, aux devoirs, à toutes les entraves de la vie parisienne, deux heures pour les passer près de moi, sans que personne en sût rien; douze ans! Entendez-vous? Puis-je vouloir que ce sublime dévouement, qui m'a sauvé, se recommence? (Balzac, Corresp., 1836, p. 26). − P. exagér., fam. Excellent, délectable. Sublime, ce fromage de tête (A. Schifres, Les Parisiens, Paris, J.-Cl. Lattès, 1990, p. 210). − P. plaisant. [En parlant d'une sottise] Qui est vraiment remarquable. Il faut être si prodigieusement imbécile pour ne pas comprendre ce que le grattage veut dire, que les poursuites ne sont explicables que par un Zurlinden, sublime de bêtise! (Clemenceau, Vers réparation, 1899, p. 484). − P. ext., fam. Sublime! [Exprime une haute admiration ou, isolé dans le dialogue, marque l'assentiment enthousiaste] Pierre: Je la respecte car elle vaut mieux que nous tous. Stéphan: Sublime! Et comment dire... Oui, encore une fois, chevaleresque (Camus, Possédés, 1959, 1repart., 4etabl., p. 983). II. − Substantif A. − [À propos d'une pers.] Celui, celle dont les actes ou les sentiments suscitent l'admiration. C'est le poète des poètes, l'imagination des imaginations, le sublime des sublimes (Chênedollé, Journal, 1833, p. 172).La résolution met le feu au regard; feu admirable qui se compose de la combustion des pensées timides. Les opiniâtres sont les sublimes (Hugo, Travaill. mer, 1866, p. 298). − Pop., vx. Ouvrier ivrogne. [Riant de cet ouvrier ivre qui s'était qualifié de sublime ouvrier] nous répétâmes: Voilà bien le sublime ouvrier... Quand un ivrogne venait nous demander des travaux nous nous disions: Bon, voici encore un sublime. Nous en prîmes tellement l'habitude que le mot fut admis (Poulot, Sublime, 1872, p. 12). B. − [À propos d'une chose] Ce qu'il y a de plus élevé dans l'ordre moral, esthétique, intellectuel. L'idée du sublime; atteindre, toucher au sublime. Si nous partagions l'opinion presque générale, suivant laquelle le sublime n'est que le suprême degré du beau, il n'y aurait pas lieu évidemment de lui consacrer ici un chapitre spécial (Brencq, Beau, 1911, p. 69): 2. Les lois de la perspective se renversent avec la mémoire qui grandit ce qui de nous s'éloigne, nous faisant nous souvenir comme d'un lac d'un bassin de notre enfance, et pareillement transcende les événements historiques jusqu'à l'apothéose − et, si elle leur ajoute du sublime, leur enlève le contact humain et la faculté de nous émouvoir.
Cocteau, Poés. crit. II, 1960, p. 234. − Spécialement ♦ PHILOS. (esthét.). ,,Sentiment de plaisir éprouvé au contact d'un objet informe ou de tout objet impliquant une idée de totalité`` (GDEL). Kant est le premier philosophe qui ait décrit avec exactitude et profondeur les points de l'intelligence qui accompagnent la perception du sublime comme celle du beau (Franck1875). ♦ RHÉT. Style, ton propre aux sujets et aux genres élevés. Le sublime est une catégorie du style qui touche à la sensibilité et donne l'intuition de la grandeur (Nér.Hist. Art1985).P. ell. On distingue communément trois genres de style oratoire, le simple, le sublime, et celui qu'on appelle moyen entre ces deux, ou bien le style tempéré (Barthes, Théorie Beau, 1895, p. 195). Prononc. et Orth.: [syblim]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. Adj. 1. a) Ca 1470 « (d'une chose) qui est très haut dans la hiérarchie des valeurs, admirable, parfait » (Georges Chastellain, Exposition sur Vérité mal prise ds
Œuvres, éd. Kervyn de Lettenhove, t. 6, p. 264); b) 1549 (?) « (d'une personne) qui est remarquable, qui suscite l'admiration » (Cl. Marot [?], Complainte d'un pastoureau chrestien ds
Œuvres lyriques, éd. C. A. Mayer, p. 392: o Pan grand et sublime); 2. a) 1540 fig. « (d'une personne) haut placé » (La Grise, tr. Guevara, I, 17 ds Hug.); b) 1552 « de haute taille, grand et fort » grand chat soubelin (Rabelais, Quart Livre, LXVII, éd. R. Marichal, p. 266, 4); c) 1572 « (d'une chose) qui vient d'en haut, qui est situé en haut » (Amyot, Opin. des philos., III, 2 ds Littré: nuage haut eslevé [...] esclairé par une sublime lumiere); 3. 1546 « empreint de finesse » qualité soubeline (Rabelais, Tiers Livre, XVI, éd. M. A. Screech, p. 127, 96); 4. a) 1669 littér. (La Fontaine, Amours de Psyché et de Cupidon, I ds
Œuvres, éd. H. Régnier, t. 8, p. 120: La tragédie a encore cela au dessus de la comédie, que le style dont elle se sert est sublime; et les beautés du sublime, si nous en croyons Longin et la vérité, sont bien plus grandes); 1671 le style sublime (Bouhours, Entretiens d'Ariste et d'Eugène, p. 70 ds Th. A. Litman, Le Sublime en France..., Paris, 1971, p. 20); b) 1674 à propos d'un ouvrage de l'esprit (Boileau, Art poétique, II ds
Œuvres, éd. Fr. Escal, 1966, p. 166: Ses ouvrages [de Juvénal] tout pleins d'affreuses veritez, Etincellent pourtant de sublimes beautez). B. Subst. 1. 1659 lang. des Précieuses « le cerveau » (Molière, Précieuses ridicules, IX); 2. 1669 littér. (La Fontaine, loc. cit.); cf. 1674 (Boileau, Traité du Sublime ou du Merveilleux dans le discours, préf., p. 338: Il faut sçavoir que par Sublime, Longin n'entend pas ce que les orateursappellent le stile sublime: mais cet extraordinaire et ce merveilleux qui frape dans le discours et qui fait qu'un ouvrage enlève, ravit, transporte; cf. Th. A. Litman, op. cit., pp. 63-103); 3. 1690 « ce qui élève » (Fur.); 1718 (Ac.: il y a du sublime dans ces sentiments-là). Empr. au lat.sublimis (peut-être de sub + limis, anc. limus, propr. « qui monte en ligne oblique, qui s'élève en pente », Ern.-Meillet) « suspendu en l'air, qui est en l'air; haut élevé, placé en haut; (fig.) élevé, grand; sublime (terme de rhét. en parlant du style, Quintilien) »; à basse époque, subst. masc. plur. sublimes « les haut placés », Blaise Lat. chrét. Fréq. abs. littér.: 4 275. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 10 031, b) 6 350; xxes.: a) 4 855, b) 3 297. DÉR. Sublimement, adv.D'une manière sublime. Si, comme l'a défini sublimement Platon, la lumière du soleil n'est que l'ombre de Dieu, la vérité est son corps (Bern. de St-P., Harm. nat., 1814, p. 308).Tout ce qui est sublimement écrit, − et je prendrai un exemple dans le moderne − tout ce que j'admire comme écriture dans Michelet est tout ce qu'il y a de plus facilement blaguable par le bon goût critique d'un reporter (Goncourt, Journal, 1882, p. 160).− [syblimmɑ
̃]. Att. ds Ac 1762-1878. − 1resattest. 1564 (J. Thierry, Dict. fr.-lat. d'apr. FEW t. 12, p. 343a), 1606 (Nicot); de sublime, suff. -ment2*. BBG. − Duch. Beauté. 1960, pp. 134-135 (et s.v. sublimement). − Elkner (B.A.). The Dancer from the dance... Australian journal of French studies. 1973, t. 10, no3, p. 274. − Quem. DDL t. 2. − Sainéan (L.). Rabelæsiana. R. des Ét. rabelaisiennes. 1912, t. 10, pp. 478-479. |