| SPHINX1, subst. masc. A. − 1. HIST. ET ART ÉGYPTIENS . Statue colossale à tête droite, à face d'homme (androsphinx*) ou de bélier (crio(-)sphinx*), de faucon, et à corps de lion, en position couchée, les pattes allongées parallèlement, représentant un roi ou une divinité, symbolisant la fécondité, la force protectrice, la sagesse, et qui se trouve généralement placée devant les temples (isolée ou en files). Sphinx égyptien, d'Égypte; grand sphinx; sphinx de pierre. Deux obélisques (...) marquaient le commencement de cette prodigieuse allée de deux mille sphinx à corps de lion et à tête de bélier, se prolongeant du palais du nord au palais du sud; sur les piédestaux l'on voyait s'évaser les croupes énormes de la première rangée de ces monstres tournant le dos au Nil (Gautier, Rom. momie, 1858, p. 212).Me voilà devant le colossal sphinx de granit rose de l'entrée, devant cette puissante image de la royauté, soudant une tête d'homme à un corps de lion, dont les pattes reposent sur un anneau, symbole d'une longue succession de siècles (Goncourt, Journal, 1891, p. 133). Rem. ,,Le Sphinx qu'on voit en Égypte est un monstre masculin dans l'art ancien qui devient féminin sous le Nouvel Empire`` (Nér. Hist. Art 1985). L'antique sphinx s'allonge, énorme et féminin (...) Accroupi sur l'amas des siècles révolus, Immobile au soleil, dardant ses seins aigus (...) Il songe (Samain, Chariot, 1900, p. 163). − P. méton., ARCHIT., DÉCOR. [Notamment sous l'infl. de la Campagne d'Égypte, pendant le Directoire, l'Empire] Figure, élément décoratif s'inspirant de ce genre de statue. Prullière (...) regarda l'horloge et le baromètre (...) que des sphinx dorés, de style Empire, accompagnaient (Zola, Nana, 1880, p. 1196).Les griffons, les sphinx, les pattes de lion servent de supports ou de pieds (Hautecœur, Art sous Révol. et Emp., 1954, p. 118).V. affronter ex. 25, ancien ex. 21. 2. P. anal. [À propos d'un animé, d'une chose] De sphinx. Qui évoque les traits physiques, l'expression et l'attitude impassibles, énigmatiques du sphinx égyptien.
Œil, sourire de sphinx. [Les médecins] reparaissent avec leur air de sphinx, leur physionomie murée (Coppée, Henriette, 1889, p. 353).Elle excellait à ne rien dire et à garder une immobilité de sphinx quand on attendait d'elle une exclamation (Green, Malfaiteur, 1955, p. 134).V. couvrir ex. 11.En sphinx. Dans une posture qui évoque celle du sphinx égyptien. Elle allaite couchée en sphinx et le nez sur les pattes (Colette, Mais. Cl., 1922, p. 222). 3. Au fig. Ce qui fascine, étonne par sa fixité indéchiffrable. Les âges d'autrefois, en s'éloignant de nous et en retombant dans leur immobilité, deviennent des sphinx; il faut les forcer à rendre leur secret (Sainte-Beuve, Caus. lundi, t. 7, 1852, p. 212). B. − 1. MYTH. GR. Monstre fabuleux (né de Typhon et d'Échidna), à tête et buste de femme, à corps de lion et ailes d'aigle, qui proposait des énigmes aux passants près de Thèbes, et qui dévorait ceux qui ne parvenaient pas à les résoudre. Énigme, griffes du sphinx. L'énigme que le Sphinx de la haute antiquité payenne présentait à résoudre, et qu'Œdipe, dit-on, résolut (P. Leroux, Humanité, 1840, p. 833).La fable du sphinx est belle. Le sphinx attendait l'homme, et lui proposait quelque énigme; qui ne devinait pas était dévoré. L'homme est à lui-même ce monstre (Alain, Propos, 1928, p. 755).V. comment ex. 12. − P. méton., ARCHIT., DÉCOR. Figure représentant ce monstre. Le rictus des mascarons prenait une expression étrange (...); deux sphinx casqués, à mamelles de femmes et à oreilles de faunes, paraissaient chuchoter (Hugo, Rhin, 1842, p. 341). 2. P. anal. ou au fig. a) Personne entourée de mystère, qui suscite des interrogations, qui ne veut pas laisser deviner ses pensées tout en pénétrant celles des autres. Ce singulier personnage pénétrait ses passions et lisait dans son cœur, tandis que chez lui tout était si bien clos qu'il semblait avoir la profondeur immobile d'un sphinx qui sait, voit tout, et ne dit rien (Balzac, Goriot, 1835, p. 115): Pour les artistes purs, le charme suprême de l'être féminin réside précisément dans ces sinuosités incertaines et dangereuses de caractère. Ils sont ravis que le sphinx dissimule si profondément son énigme, parce que cette énigme double d'infini les prunelles de l'inaccessible créature...
Bourget, Nouv. Essais psychol., 1885, p. 53. − En compos. Nous avons aussi, pour les imaginations exaltées, (...) la femme-sphinx, la femme-démon, la femme troublante et fatale (Lemaitre, Contemp., 1885, p. 346). − Par personnification. Gadagne (...) s'indigna (...) au point d'effrayer son chat, angora gris, sphinx ironique, détenteur probable des solutions que cherchait son maître (Péladan, Vice supr., 1884, p. 146). b) Ce qui pose des questions cruciales, des problèmes difficiles à résoudre. Des difficultés sans nombre nous arrêtent (...). Les sphinx sont semés tout au long de notre route et nous posent des problèmes de vie ou de mort (Barrès, Cahiers, t. 13, 1921, p. 127).J'eusse aimé mettre un point final au mystère de la poésie et trouver la réponse décisive propre à tuer le sphinx. Mais c'était vantardise, et je crains que la chienne qui chante, comme l'appelaient les Grecs, ne continue à dévorer toute une jeunesse, éprise d'énigmes, et joyeuse de mourir pour elles (Cocteau, Poés. crit. II, 1960, p. 217).V. devin ex. de Amiel. REM. 1. Sphinge, sphynge, subst. fém.a) [Notamment dans la myth. gr.] Sphinx à buste de femme. Créature mythique (...) chimère ou sphynge (Blanche, Modèles, 1928, p. 169).b) P. méton., décor. Statue, figure représentant cette créature fabuleuse. Le sphinx, mâle, est mis à la mode après la campagne d'Égypte; il se substitue à la sphinge grecque à buste de femme, utilisée à l'époque Louis XVI. Par une curieuse hybridation, la sphinge grecque se coiffe parfois du (...) bonnet royal égyptien (Viaux, Meuble Fr., 1962, p. 123).c) P. anal. Femme qui évoque cette créature fabuleuse par son caractère mystérieux, cruel. Le sourire ensorceleur, etc., etc., de la Sphynge éternelle (...) ils se gargarisèrent (...): − Alors, vous non plus, dit Costals, vous ne croyez pas au mystère insondable de la femme? (Montherl., Démon bien, 1937, p. 1274).Christel est méprisante, c'est une princesse, lointaine, une sphinge (Gracq, Beau tén., 1945, p. 27).En partic., rare. Dévoreuse d'hommes, prostituée. Les anciennes courtisanes de Mégare, qu'on appelait des sphinges (Barrès, Voy. Sparte, 1906, p. 42). 2. Sphingerie, subst. fém.,néol. Le troupeau de sphinx regagne la sphingerie à petits pas (...) J'aimerais mieux nuit et jour dans les sphingeries Vouloir savoir pour qu'enfin on m'y dévorât (Apoll., Alcools, 1913, p. 110). 3. Sphinxial, -ale, -aux, adj.Qui rappelle l'attitude, l'expression du sphinx égyptien. Il semblait figé dans une attitude apathique et sphinxiale (Pergaud, De Goupil, 1910, p. 12). Prononc. et Orth.: [sfε
̃:ks]. Att. ds Ac. dep. 1694. Coppée, Bonne souffr., 1898, p. 106: sphynx. Étymol. et Hist. A. 1. 1546 sphinge (J. Martin, trad. F. Colonna, Discours du songe de Poliphile, fo44 vods Quem. DDL t. 12: y avoit un monstre Égyptien, faict d'or en forme de Sphinge, gisant dessus ses quatre pieds); 1553 sphinx (P. Belon, Observations, II, 46, [1588], p. 260 ds R. Philol. fr. t. 43, p. 203); 1794 deviner l'énigme du sphinx (Beaumarchais, Mère coupable, II, 18 ds Littré); 2. 1817 fig. (Staël, Consid. Révol. fr., t. 2, p. 55). B. 1. 1736 zool. « chenille du papillon » (Réaumur, Mém. pour servir à l'hist. des insectes, t. 2, p. 253); 2. 1762 id. « papillon » (E.-L. Geoffroy, Hist. abr. des insectes des environs de Paris, t. 2, pp. 76-77). Mot lat. sphinx (empr. au gr. Σ
φ
ι
́
γ
ξ) désignant un monstre ayant un corps de lion et une tête d'homme (sphinx d'Égypte), ou un monstre ayant un corps de lion et une tête de femme et des ailes (sphinx de Thèbes). Avec B., cf. Cuvier, Règne animal, 1817, III, 556: Des Sphinx de Linnaeus: L'attitude de plusieurs de leurs chenilles, semblable à celle du sphinx de la Fable, leur a valu la première dénomination. Bbg. Fröhlicher (P.). Des Centaures aux sphinx... B. Gr. Rech. sémio. ling. 1981, no20, pp. 16-26. |