| SOUSTRAIRE, verbe trans. I. − Empl. trans. A. − Soustraire qqc. à qqn.S'emparer de quelque chose, généralement par des procédés irréguliers (tels que la fraude, la ruse) pour en ôter la possession à celui auquel elle appartient. Synon. dérober, subtiliser, voler2.Son propriétaire [d'une bonbonne d'uranium] avait été convaincu qu'il faisait oeuvre de patriote en soustrayant le précieux produit à de prétendus espions (Goldschmidt, Avent. atom., 1962, p. 80). − [Sans obj. second] Elle profite du droit qu'elle avait d'entrer dans le temple, et sans être aperçue des prêtres elle soustrait adroitement quelques buchettes (Baudry des Loz., Voy. Louisiane, 1802, p. 51). − Empl. impers. Affirmer qu'ils n'ont point soustrait et n'ont point connaissance qu'il ait été soustrait aucun des livres et manuscrits qui étaient dans les dites bibliothèques et archives (Décret sur les biens ecclésiastiques, 1789ds Rec. textes hist., p. 26). − P. ext. S'approprier. Soustraire un nom et se mettre dessous, c'est déshonnête. Des lettres de l'alphabet, cela s'escroque comme une bourse ou comme une montre (Hugo, Misér., t. 2, 1862, p. 666). B. − Soustraire qqc.1à/de qqc2. 1. Empl. abs., vx, LOG. Conclure du général au particulier, c'est-à-dire d'une proposition générale tirer une proposition particulière, ce qu'ils nomment soustraire (Destutt de Tr., Idéol. 3, 1805, p. 368).V. additionner ex. 6. 2. a) [En tant qu'opération arithmétique] Retrancher les uns des autres soit des nombres (ou des quantités) soit des éléments nombrables (ou quantifiables) de même espèce, le résultat de l'opération pouvant aboutir à une différence appelée reste. Synon. déduire, défalquer, enlever, ôter; anton. additionner, ajouter.Soustraire dix de vingt. Si je ne pouvais les soustraire de suite [cinquante francs] à la somme qui me reviendrait, je te les enverrais vingt francs par vingt francs de Londres (Mallarmé, Corresp., 1863, p. 86).Le total de 19 milliards de dollars a été retenu [comme capital annuel nécessaire aux pays sous-développés]. De quoi il faut soustraire le montant de l'épargne annuelle formée dans l'ensemble des pays intéressés (Perroux, Écon. XXes., 1964, p. 363). − [Le compl. d'obj. désigne un élém. nombrable] Les calculs du Bureau des longitudes sur la population nous autorisent à soustraire aussi environ deux millions de petites filles (Balzac, Physiol. mariage,1826, p. 73). − Empl. abs. Moi, je ne sais pas additionner quatre cents millions de Chinois et quinze millions de forçats. D'ailleurs, c'est peut-être soustraire qu'il faudrait (Beauvoir, Mandarins,1954, p. 336). b) Retirer une somme des disponibilités que l'on a en sa possession. Ce jeune homme a soustrait dix francs de son pécule pour offrir le cinéma à sa petite amie (Lar. Lang. fr.).Soustraire mille francs de son compte en banque (Rob.1985). 3. P. ext. [En tant qu'activité intellectuelle ou manuelle] La musique révèle le sens du sens [du poème], qui est charme, en le soustrayant (Jankél., Je-ne-sais-quoi, 1957, p. 44). ♦ Empl. abs. Sur une feuille [de mon agenda] j'écris ce que je ferai, et sur la feuille d'en face, chaque soir, j'écris ce que j'ai fait. Ensuite je compare; je soustrais, et ce que je n'ai pas fait, le déficit, devient ce que j'aurais dû faire (Gide, Paludes,1895, p. 96). − ARTS. Du bleu soustrait au vert le fait paraître plus jaune (Chevreul, Contrast simult. coul., 1839, p. 78). − P. anal. [En parlant d'une action matérielle] S'il était froid [le plat], la porcelaine soustrairait tout le calorique de l'omelette (Brillat-Sav., Physiol. goût, 1825, p. 317).Il est préférable [le gril électrique] au gril ordinaire, car il soustrait la flamme et permet de recueillir tout le jus sans aucune perte (Lar. mén.1926, p. 471). C. − Soustraire qqn1/qqc.1à/de qqc.2, à qqn2. Faire en sorte que quelqu'un/quelque chose ne soit pas exposé ou soumis à (quelque chose, quelqu'un). Synon. préserver, protéger.Soustraire à l'action, à l'autorité, à l'emprise, à la volonté de qqn; soustraire à un châtiment, à une/des influence(s). C'est là qu'on rassemblait ses richesses les plus précieuses, pour les soustraire aux brigands (Condorcet, Esq. tabl. hist., 1794, p. 31).J'avais fait prendre les dispositions voulues pour soustraire le maréchal aux injures qui risquaient de l'assaillir (De Gaulle, Mém. guerre, 1959, p. 250). − En partic. Enlever d'un endroit donné. Jamais je n'oublierai comment, ni vu ni connu, par une petite porte, on la fit disparaître. Comme, par une même petite porte, ces chevaux de picadores, blessés, qu'on soustrait de l'arène, pour qu'ils crèvent à l'écart sans gêner (Montherl., Olymp., 1924, p. 352). − [Le procès porte sur une réalité bénéfique] Je sais, dans la même minute, qu'une mésentente foncière me soustrait au bénéfice de cette intercession [de la Vierge] (Massis, Jugements, 1923, p. 226). − [Avec effacement du compl. d'obj. ou de l'obj. second] Madame Dolmar. Ce pauvre valet de Pinto !... S'il allait payer pour tous... Mais comment le soustraire?... Les portes sont gardées... (Lemercier, Pinto, 1800, V, 8, p. 152).Ils cherchent tous à être riches. (...) surtout parce que la richesse soustrait au jugement immédiat (Camus, Chute, 1956, p. 1515). − Soustraire qqn/qqc. aux yeux, à la vue (de qqn). Anton. livrer, offrir.La préfecture a d'abord fait main basse sur les papiers du mort, avant l'arrivée du commissaire, et (...) elle les soustrait aux regards de tous (Clemenceau, Iniquité, 1899, p. 242). − Soustraire (qqn) à l'obéissance. (Le) détourner de l'obéissance. Synon. dispenser (de).Soustraire des sujets à l'obéissance des lois (Lar. 19e). II. − Empl. pronom. A. − réfl. [Le suj. désigne un animé] Se soustraire à qqc./de qqc.Se mettre à l'abri de (quelque chose), échapper à (quelqu'un), en employant la fraude ou la ruse. Synon. se dérober à, refuser; anton. accepter, se conformer, se soumettre à.Se soustraire au danger, à une domination, à des exigences, à une influence, à un joug, à une loi, à une obligation. Quoi qu'elle eût pu faire pour se soustraire à la reconnaissante affection d'Hermine, elle avait été contrainte de se présenter quelquefois à l'hôtel de la rue d'Isly (Ponson du Terr., Rocambole, t. 3, 1859, p. 379).C'est ce qui fait à Byron cette grandeur au moins, d'avoir cheminé solitaire, par tout le monde entier, portant partout le gigantesque ennui de sa solitude. Quelle folie me prenait de vouloir m'en soustraire? (Gide, Corresp.[avec Valéry], 1891, p. 64). ♦ [Sans obj. second] Tu le penserais, Jérôme, s'il ne te plaisait pas de te soustraire et de mentir (Arnoux, Seigneur, 1955, p. 144). − Se soustraire à la vue, aux yeux (de qqn). Disparaître pour ne pas être vu de lui. Le jeune officier la contemplait avec curiosité. Elle n'avait daigné ni l'encourager, ni se soustraire à ses regards (Sand, Elle et lui, 1859, p. 207). B. − Être soustrait. 1. Empl. impers. [Corresp. à supra I A] On ne peut calculer ce qu'il s'est soustrait de papiers importants dans cette bagarre (Lar. 19e). 2. [Le suj. désigne un inanimé concr. ou un inanimé abstr. se rapportant à une pers.; corresp. à supra I B 2] Tandis que les premiers [les états de conscience contraires] se soustraient, les seconds [les états identiques] s'additionnent (Durkheim, Divis. trav., 1893, p. 67).S'il n'y a pas concordance de phases, les amplitudes ne s'ajoutent que partiellement, elles peuvent se soustraire et même s'annuler quand il y a déphasage d'une demi-longueur d'onde (Caillère, Hénin, Minér. argiles, 1963, p. 89). REM. Soustracteur, subst. masc.a) Celui qui enlève (quelque chose) par ruse ou par fraude. Hommes et centaures reconnaissent pour auteurs de leur sang des soustracteurs du privilège des immortels (M. de Guérin, Poèmes, 1839, p. 10).b) Technol.
α) Dispositif dans lequel les points d'images de deux radiographies sont soustraits électroniquement les uns des autres et les valeurs de luminosité identiques ainsi éliminées (d'apr. Méd. Flamm. 1975).
β) Dispositif informatique servant à effectuer des soustractions (d'apr. Ging.-Lauret 1982). Prononc. et Orth.: [sustrε:ʀ], (il) soustrait [-tʀ
ε]. La prononc. ,,régulière`` selon Littré serait [sutʀ
ε:ʀ]. Obs. corresp. s.v. soustraction. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1119 sustraire « retrancher » (Philippe de Thaon, Comput, éd. E. Mall, 2351); 1484 soustraire (Nicolas Chuquet, Triparty en la science des nombres, éd. A. Marre, p. 41); 2. a) 1121-34 « éloigner, priver (quelqu'un de quelque chose) » (Philippe de Thaon, Bestiaire, éd. E. Walberg, 1485: Adam fut sustrait De sun saint paraïs); b) ca 1165 soztraire (qqn de qqc.) « enlever quelque chose à quelqu'un (par ruse) » (Benoît de Ste-Maure, Troie, éd. L. Constans, 17449); 3. ca 1208 pronom. « s'affranchir de » (Villehardouin, Conquête de Constantinople, éd. E. Faral, t. 2, p. 24: il s'estoient sotrait a l'obedience de Rome). Empr. au lat.subtrahere (de sub « sous » et trahere « tirer ») littéral. « tirer par-dessous, enlever par-dessous » d'où « enlever, retirer, dérober » et pronom. « renoncer à quelque chose; se dérober à quelque chose »; l'init. a été refaite d'apr. des mots comme souscrire* (Nicot 1606 et Cotgr. 1611 ont la vedette soubtraire ; soustraire dep. Pomey 1671). Fréq. abs. littér.: 1 149. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 2 027, b) 2 507; xxes.: a) 1 384, b) 1 513. Bbg. Bolbjerg (A.). Six verbes fr.: la catégorie -aire. R. rom. 1979, t. 14, p. 114-116. |