| SONDER, verbe trans. I. A. − 1. Reconnaître (la profondeur de l'eau, la nature du fond) à l'aide d'une sonde. Après avoir sondé de distance en distance les profondeurs du Gave, (...) je m'engageai de proche en proche dans un défilé d'un aspect singulier (Dusaulx,Voy. Barège, t. 1, 1796, p. 102).Chaque matin, on sondait avec un plomb la hauteur des eaux, de peur que la Marie ne se fût trop rapprochée de l'île d'Islande (Loti,Pêch. Isl., 1886, p. 184).Lancer la sonde dans une étendue d'eau pour en connaître la profondeur. Sonder un fossé, un gué. M. Thanaron ne put que sonder très incomplètement la passe du S[ud].O[uest]., à cause de la houle, et il y trouva que le moindre fond était de cinq brasses sur les coraux (Dumont d'Urville,Voy. Pôle Sud, t. 3, 1842, p. 174). − Absol. D'un seul coup d'aviron, il entra dans la petite anse. Il sonda. Le mouillage était excellent en effet (Hugo,Travaill. mer, 1866, p. 258).En partic. [Le suj. désigne une baleine] Plonger à la verticale. [La dernière expiration] avertit les pêcheurs que l'animal va plonger, « sonder » comme ils disent (Coupin,Animaux de nos pays, 1909, p. 49). 2. Explorer verticalement l'atmosphère, effectuer des mesures météorologiques à l'aide d'un ballon-sonde ou d'une radiosonde. (Dict. xxes.). 3. P. anal. a) Chercher à déterminer la profondeur de quelque chose. De tout temps aussi, ceux qui voulaient sonder un précipice dans les montagnes, ou un gouffre souterrain, y lâchaient une pierre et estimaient la profondeur d'après le temps au bout duquel ils entendaient le bruit du choc final (Decaux,Mesure temps, 1959, p. 42). − P. métaph. Je sonde l'abîme de ma faute. Cette conscience qui se nourrit de son péché, c'est moi qui, devant Dieu, en suis comptable (Daniel-Rops,Mort, 1934, p. 371). b) Chercher à découvrir, à voir quelque chose à travers (un espace, un milieu). Sonder les ténèbres, le ciel, la brume; sonder les angles d'une pièce. Depuis quelques instants déjà, il donnait des signes d'inquiétude, sondait anxieusement le noir autour de lui (Courteline,Train 8 h 47, 1888, p. 117).Dans ce foyer, on lisait, on réfléchissait, on poursuivait des confidences. Dans cet autre, peut-être, on cherchait à sonder l'espace, on s'usait en calculs sur la nébuleuse d'Andromède (Saint-Exup.,Terre hommes, 1939, p. 139). − En partic. Sonder du regard. Scruter. [Les feuillages] regardaient le jeune prince interroger chaque touffe d'herbe, sonder du regard les longues avenues (Zola,Contes Ninon, 1864, p. 21).Gomar, lui, suivait la rive et sondait la nuit du regard. Il ne discernait rien (Van Der Meersch,Empreinte dieu, 1936, p. 63). B. − 1. Explorer un terrain en effectuant un prélève-ment pour déterminer sa nature, la profondeur d'un gisement, d'une nappe phréatique. Sonder à la barre à mine. La barre, qu'il ne peut utiliser que dans les galeries de hauteur moyenne, lui sert à sonder, au chantier le plus avancé, les poches d'eau et les sources (E. Schneider,Charbon, 1945, p. 165). − Au fig. Sonder le terrain. Tenter de savoir si un environnement social, culturel est propice au lancement d'un projet, d'une affaire; tenter de connaître si une personne est favorable à un projet. Synon. fam. tâter* le terrain.En deux mois de temps la duchesse ne lui répondit qu'une fois et ce fut pour l'engager à sonder le terrain auprès de la princesse, et à voir si, malgré l'insolence du feu d'artifice, on recevrait avec plaisir une lettre d'elle (Stendhal,Chartreuse, 1839, p. 385). 2. a) Faire pénétrer un objet effilé dans une matière et/ou en prélever un échantillon pour en déterminer l'état, la qualité. Sonder un fromage, un jambon. Tête de veau (...). Trois heures de cuisson suffisent: d'ailleurs vous la sonderez avec une lardoire. Si les morceaux étaient trop fermes, vous la feriez cuire davantage (Viard,Cuisin. impérial, 1814, p. 102).Il hume l'ombre, il renifle l'odeur persistante de grappe, et de la pointe du couteau sonde la couche de tartre et en mesure l'épaisseur (Pesquidoux,Chez nous, 1923, p. 225). b) Fouiller un lieu, un objet à l'aide de quelque chose de pointu. D'une toute autre nature sont les becs longs, minces, foibles et tendres par le bout, des oiseaux qui sondent la vase et les bords des eaux dormantes (Cuvier,Anat. comp., t. 3, 1805, p. 196).Ils regardèrent sous les meubles, dans les armoires, passèrent des piques sous le lit et sondèrent les matelas avec des baïonnettes (France,Étui nacre, Mmede Luzy, 1892, p. 275). − En partic. [Répression de la contrebande] Fouiller un colis, un ballot. On place à la porte (...) un corps de garde, une sorte d'octroi de l'idéal chargé de sonder les paquets et d'expulser toute marchandise frauduleuse qui tenterait de s'introduire dans le temple (Zola,Mes haines, 1866, p. 201). [P. méton.] Fouiller un lieu, un véhicule. Il se présenta aux portes de la ville au moment où le gardien de l'octroi était occupé à sonder une voiture de roulier (Champfl.,Bourgeois Molinch., 1855, p. 3).− P. anal. Paul Astier aperçut (...) le break (...) pendant que, sur le perron, Moser éperdu, sondant ses poches, distribuait des pourboires à deux ou trois valets de pied (A. Daudet,Immortel, 1888, p. 254). 3. Examiner une paroi, un sol pour y découvrir une cache. Je me suis dit: on trouve toujours quelque chose dans une chambre où un prisonnier est resté quinze ans, et je me suis mis à sonder les murailles (Dumas père, Monte-Cristo, t. 2, 1846, p. 716): Après qu'une équipe policière eut examiné les planchers et sondé les murs du kommando dans l'espoir fallacieux de découvrir une issue secrète (ce qui nous plongeait dans un abîme de félicités), l'oberleutnant parcourut gravement les lieux...
Ambrière,Gdes vac., 1946, p. 235. II. − MÉD. Explorer un canal, une cavité naturelle ou accidentelle à l'aide d'une sonde. Le docteur sonde la plaie et nous donne tous les détails techniques que nous pouvions désirer (G. Leroux,Parfum, 1908, p. 140).Absol. Le major avait fait demander des chirurgiens, sans qu'on lui envoyât autre chose qu'un jeune médecin de la ville. Il ne pouvait suffire, il sondait, taillait, sciait, recousait (Zola,Débâcle, 1892, p. 352). − P. méton. Sonder qqn. Faire uriner quelqu'un à l'aide d'une sonde. Les suppurations des voies urinaires apparaissant chez les calculeux (...) qui n'ont pas encore été sondés (Widal, Lemierre dsNouv. Traité Méd.fasc. 31927, p. 259).Il souffrait. Il fallait le sonder plusieurs fois par jour (Guéhenno,Jean-Jacques, 1948, p. 310). III. − Dans le domaine des affects, des idées A. − 1. Chercher à découvrir la raison profonde, le mystère de quelque chose. La rigueur de cette analogie n'a point échappé à Kant, c'est-à-dire au philosophe qui a sondé avec le plus de profondeur la question de la légitimité de nos jugements (Cournot,Fond. connaiss., 1851, p. 6).La technique du sceau à travers les âges a justifié de longs traités où d'éminents diplomatistes ont sondé tous les aspects qu'elle peut prendre et les données qui précèdent ne peuvent en donner qu'une faible idée (L'Hist. et ses méth., 1961, p. 408). 2. Chercher à pénétrer les sentiments, les pensées de quelqu'un, à évaluer ses qualités. Sonder le cœur de qqn ; sonder les consciences, les fautes; sonder la franchise, le zèle de qqn. Chacun avait eu le temps de faire ses réflexions, de mesurer l'étendue de ses obligations et de sonder son courage (Balzac,C. Birotteau, 1837, p. 355).Il racontait comme on se confesse, fouillant, sondant sa mémoire, et se sentant blêmir lorsqu'il tombait sur un point où ses souvenirs s'étaient embrouillés (Van der Meersch,Invas. 14, 1935, p. 434). ♦ Sonder les cœurs et les reins. V. cœur II B 2 a. 3. Empl. pronom. réfl. (dir. et indir.). Chercher à se connaître soi-même. Si je me sondais bien, peut-être ne découvrirais-je à cela pas autre chose que de l'habitude (Flaub.,Corresp., 1847, p. 51).Une fois de plus, il se sondait l'âme et essayait de mettre un peu d'ordre dans ses pensées (Huysmans,Cathédr., 1898, p. 220). − Empl. pronom. réciproque. Leurs yeux se rencontrèrent, avec un de ces longs regards dont ils se sondaient prudemment, avant de se risquer (Zola,Nana, 1880, p. 1249). B. − Chercher à connaître les intentions, l'état d'esprit de quelqu'un. Les moines répandirent [ce distique] il y a quelques années dans les Pays-Bas, pour sonder les dispositions du peuple (Le Moniteur, t. 2, 1789, p. 339).La nécessité d'expliquer aux chalands ce qu'ils veulent, de sonder leurs désirs, de leur donner envie de ce qu'ils ne veulent pas, délie la langue du détaillant (Balzac,Pierrette, 1840, p. 22). − P. méton. Sonder qqn. Connaissez-vous quelqu'un qui connaisse M. Henry Descamps? Auriez-vous moyen de le faire sonder pour savoir le vrai? (Hugo,Corresp., 1856, p. 252).La princesse de Parme se rappela qu'elle voulait inviter à l'Opéra Mmed'Heudicourt, et désirant savoir si cela ne serait pas désagréable à Mmede Guermantes, elle chercha à la sonder (Proust,Guermantes 1, 1920, p. 483). − En partic. Sonder l'opinion. Chercher à connaître les positions, les intentions d'une personne; enquêter empiriquement sur les positions et les intentions d'un groupe social ou politique. Il paraît que les ministres ont renoncé à ce projet, après avoir sondé l'opinion des électeurs, qui ne leur est rien moins que favorable (Lamennais,Lettres Cottu, 1827, p. 190).Cette disposition a été interprétée afin de donner plus de pertinence aux discussions ayant un caractère urgent et pour permettre de sonder dans l'intervalle l'opinion des ministres (Pt manuel Cons. Europe, 1951, p. 27). C. − STAT. Effectuer un sondage d'opinion, mener une enquête par sondage. Sonder un groupe; sonder la clientèle d'un magasin (GDEL). REM. Sondé, -ée, adj. et subst.(Personne) interrogée lors d'un sondage (v. ce mot C 2). Un autre critère permettant aux organismes de sondage d'asseoir leur crédit tient à la bonne qualité des questionnaires soumis aux personnes sondées (Le Monde aujourd'hui, 16-17 févr. 1986, p. V, col. 3).Ce dernier type d'enquête a tendance à « déresponsabiliser » les sondés, qui peuvent répondre n'importe quoi (Le Monde aujourd'hui, 16-17 févr. 1986, p. V, col. 3). Prononc. et Orth.: [sɔ
̃de], (il) sonde [sɔ
̃:d]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. 1. 1382 « mesurer la profondeur de l'eau au moyen d'une sonde`` (Le Compte du Clos des galées de Rouen, éd. Ch. Bréard, p. 51), attest. isolée; av. août 1477 (Jean Molinet, Le Naufrage de la Pucelle ds Faictz et dictz, éd. N. Dupire, t. 1, p. 87); 2. 1556 « chercher à connaître la nature de quelque chose, notamment en frappant dessus » (Saliat, Herod., IV, f o117 r o, éd. 1556 ds Gdf. Compl.); 3. 1690 « enfoncer une sonde dans quelque chose (un terrain, des aliments...) pour en examiner la nature ou la qualité » (Fur.); 4. 1690 « enfoncer une sonde dans quelque chose pour vérifier s'il n'y a rien de caché » (ibid.). B. 1. 1549 « examiner par l'esprit afin de connaître » (Du Bellay, Deffence et Illustration de la lang. fr., éd. H. Chamard, p. 107); 2. 1552 « examiner (ici, le cœur, l'âme) pour connaître les secrets de, les sentiments » (Ronsard,
Œuvres, éd. P. Laumonier, t. 4, p. 24, vers 1); 1669 sonder les cœurs et les reins (Bible Amsterdam, Elzévier, Ps. VII, vol. I, f o285 v o, verset 10); 1557 « pénétrer l'esprit de (une personne), examiner les pensées, les opinions de » (O. de Magny, Souspirs, éd. Courbet, 98 ds IGLF); 3. 1553 sonder le gué au fig. (Id., Les Amours, 80, ibid.); 1704 sonder le terrain au fig. (Regnard, Folies amoureuses, I, 5); 4. 1556 « éprouver, mesurer » (Ronsard, op. cit., t. 8, p. 294, vers 11). C. 1552 « s'enfoncer dans, plonger dans » (Id., ibid., t. 3, p. 206, vers 406); 1909 absol. « plonger à la verticale » (en parlant d'une baleine) (Coupin, loc. cit.). D. 1563 méd. « explorer ou désobstruer une cavité du corps au moyen d'une sonde » (Ronsard, op. cit., t. 11, p. 127, vers 196). E. 1708 « fouiller pour prendre quelque chose » (Regnard, Légataire universel, 347 ds IGLF). F. 1958 fraction sondée « fraction (de population) interrogée pour un sondage d'opinion » (Romeuf t. 2, p. 1044). Soit dér. de sonde*, soit issu d'un lat. subundare « plonger » att. vers le ixes. dans les gl. tironiennes (Diez, 299; REW3, 8406; EWFS2; v. FEW t. 17, p. 271b), mais cette hyp. a été contestée à cause de l'absence d'attest. d'une forme d'a. fr. soönder attendue (L. Spitzer ds Z. rom. Philol. t. 43, p. 596) et du peu de probabilité qu'un terme de mar. qui s'est répandu dans l'aire méditerranéenne à partir du fr. (à l'orig. de l'esp., cat. et port. sonda) soit d'orig. lat. et non nord. (FEW loc. cit., Cor.-Pasc.). Fréq. abs. littér.: 848. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 1 872, b) 1 571; xxes.: a) 825, b) 667. Bbg. Quem. DDL t. 27. |