| SOLIPSISME, subst. masc. A. − PHILOSOPHIE 1. Attitude du sujet pensant pour qui sa conscience propre est l'unique réalité, les autres consciences, le monde extérieur n'étant que des représentations. Synon. vx égoïsme métaphysique (v. égoïsme C 1).Que le solipsisme soit ou non une chose mauvaise et insoutenable, que d'autres idéalismes puissent ou non y échapper, on ne doit pas être surpris de trouver qu'en ce qui concerne l'idéalisme absolu, il implique en tout cas des propositions qui le forcent à choisir entre le solipsisme et le suicide (F.-C.-S. Schiller, Ét. sur l'humanisme, trad. par S. Jankélévitch, 1909, p. 333).Le solipsisme ne serait rigoureusement vrai que de quelqu'un qui réussirait à constater tacitement son existence sans être rien et sans rien faire, ce qui est bien impossible, puisque exister c'est être au monde (Merleau-Ponty, Phénoménol. perception, 1945, p. 414).V. monade A 2 b ex. de M. Chastaing et monadisme dér. 2 s.v. monade ex. de G. Marcel. 2. P. anal. Démarche du philosophe qui pose la subjectivité comme fait primitif et qui pratique le scepticisme radical face à tout jugement sur la réalité objective. Le solipsisme cartésien annonce une philosophie autonome, que Leibniz appellera sectaire et partielle, que Hegel saluera comme libre enfin de tout despotisme (M. Serres, Hermès, t. 1, La Commun., 1984 [1969], p. 139). B. − P. ext. Attitude d'une personne qui, dans son expression, sa création, sa vision du monde, privilégie la solitude de sa subjectivité. On en est arrivé chez les psychologues et chez les romanciers, à une sorte de solipsisme de l'affectivité (Sartre, Imaginaire, 1940, p. 93).Je veux dire que toute vérité [développée dans un roman], dans tout le détail, est mise à l'épreuve d'une espèce d'appréciation collective, imaginaire sans doute, mais néanmoins autrement responsable qu'un solipsisme artistique (Les Lettres fr., 27 mars 1968, p. 6, col. 2). Prononc.: [sɔlipsism̭]. Étymol. et Hist. 1878 (Lar. 19eSuppl.). Soit comp. sav. du lat. solus « seul » et ipse « même, en personne », et suff. -isme*; soit dér., à l'aide du suff. -isme* de l'anc. subst. solipse, formé du lat. solus « seul » et de ipse « même, en personne », terme qu'on a appliqué aux Jésuites en raison de l'égoïsme qu'on leur supposait (1721, La Monarchie des Solipses, trad. de l'orig. lat. de Melchior Inchofer). Kant s'est servi du mot solipsismus pour désigner l'amour de soi (1788, Kritik der praktischen Vernunft, 3esection, § 3 ds Lal.). Solipsism est att. en angl. en 1881 (NED). Fréq. abs. littér.: 16. DÉR. Solipsiste, subst. masc. et adj.a) Subst. masc.
α) Sujet pensant en tant qu'il se refuse à admettre l'existence des autres consciences et des objets extérieurs hors de son moi. Le solipsiste, en se prenant pour l'être unique, pêche par excès; il se croit capable de remplir à lui seul tous les espaces. Sa personnalité se trouve débordée par cette dispersion dans la totalité du monde (M.-A. Lahbabi, De l'être à la personne, 1954, p. 222).
β) P. anal. Philosophe qui met le sujet pensant à la base de sa démarche. Renouvier se croit autorisé à présenter le kantisme comme une métaphysique panthéiste et en même temps solipsiste. Kant, en effet, n'est-il pas panthéiste quand il enseigne que l'Inconditionné est la seule réalité (...)? N'est-il pas aussi solipsiste quand il enseigne que les phénomènes sont « mes représentations »? (R. Verneaux, Renouvier disciple et critique de Kant, 1945, p. 61).b) Adj.
α) Propre au solipsisme. Le mérite de Wittgenstein est justement de montrer que nous ne savons pas exactement de quoi nous parlons lorsque nous parlons d'un langage privé et solipsiste (J. Bouveresse, Le Mythe de l'intériorité, 1976, p. 444).
β) Fondé sur le solipsisme ou inspiré par lui. Discours, hypothèse, interprétation, philosophie, psychologie solipsiste. J'ai affirmé [autrefois] que l'amour crée son objet. Ceci ne doit pas être entendu en un sens superficiellement subjectiviste ou solipsiste. La réalité de l'être aimé est essentielle dans l'amour (G. Marcel, Journal, 1914, p. 63).− [sɔlipsist]. − 1resattest. 1913 subst. (Un Solipsiste au 18es. ds Année Philos., t. 24, p. 15), 1913 point de vue solipsiste (ibid.); de solipsisme, suff. -iste*. Solipsist est att. en angl. en 1891 (NED). BBG. − Dub. Dér. 1962, p. 36. |