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SAVOURER, verbe trans.
A. − Manger, boire lentement et avec attention pour mieux apprécier le goût de quelque chose. Synon. déguster.Savourer un déjeuner, un dessert, un grand cru. Lorsqu'il eut largement bu, il fit claquer sa langue comme un gourmet qui vient de savourer un verre de ce fameux vin de Porto retrouvé sous les décombres du tremblement de terre de Lisbonne (Du Camp,Mém. suic., 1853, p. 4).Tout en buvant un des Yquems que recelaient les caves des Guermantes, je savourais des ortolans accommodés selon les différentes recettes que le duc élaborait et modifiait prudemment (Proust,Guermantes 2, 1921, p. 513).
Empl. abs. Aux premiers moments de l'existence du genre humain (...) on a vu sans précision, ouï confusément, flairé sans choix, mangé sans savourer, et joui avec brutalité (Brillat-Sav.,Physiol. goût, 1825, p. 30).Enfin, un jour, il le goûte [le raisin], lentement, dévotement, il prend un grain et le mange. Puis deux, puis trois. Il savoure, il sourit. Son visage s'illumine. C'est l'arôme et la chair d'un bon cru (Pesquidoux,Chez nous, 1921, p. 113).
B. − Au fig.
1. Jouir lentement de quelque chose, de manière à prolonger le plaisir, à le rendre plus intense; apprécier. Synon. se délecter à, de.
a) [Le compl. d'obj. dir. désigne une chose concr.] Savourer un parfum; savourer un paysage, un spectacle, un tableau. Il passait des heures, le soir, le long des quais, ou dans les jardins de l'ancienne France, à savourer les harmonies du jour sur les grands arbres baignés de brume violette (Rolland,J.-Chr., Foire, 1908, p. 818).Ses études, ses luttes, ses chagrins mêmes, tout n'avait servi qu'à lui faire savourer ce vent frais sur sa joue, et le balancement délicat de ces peupliers d'Italie (Arland,Ordre, 1929, p. 101).
b) [Le compl. d'obj. dir. désigne une chose abstr.] Savourer son bonheur, le repos; savourer une vengeance. Restée seule, Laure savoura d'abord avec délices l'émotion enivrante de cette première étreinte amoureuse (Sandeau,Sacs, 1851, p. 63).Je savourais cette heure comme si c'était la première heure du monde (Giraudoux,Suzanne, 1921, p. 139).
2. [Le compl. d'obj. dir. désigne une chose qui séduit l'esprit, qui stimule l'attention, l'intérêt] Apprécier, se délecter de. Savourer les beautés d'un ouvrage; savourer la finesse d'une plaisanterie. La nouvelle mariée dans un peignoir blanc (...) savoure un article de son mari, paru le soir (Goncourt,Journal, 1872, p. 900):
Il était étendu sur son divan, (...) un volume devant lui: Montaigne (...). Dès les premières pages, il fut conquis. Peu familiarisé avec le vieux langage, il saisissait le sens, mais savourait comme des trouvailles de style les plus usuels emplois de mots. Il se délectait... Martin du G.,Devenir, 1909, p. 88.
3. P. antiphr. [Le compl. d'obj. dir. désigne une chose que l'on subit, une chose pénible] Ressentir de façon prolongée, se complaire à. Ne faut-il pas être à son aise pour voir un supplice!... Les fenêtres avoient même deux ou trois rangées de têtes!... On loua des croisées, tant il fut difficile de savourer la dernière douleur d'un homme (Balzac,Annette, t. 4, 1824, p. 185).La passivité à laquelle mon sexe me vouait, je la convertissais en défi. Souvent, cependant, je commençais par longuement m'y complaire: je savourais les délices du malheur, de l'humiliation (Beauvoir,Mém. j. fille, 1958, p. 59).
REM. 1.
Savoureur, subst. masc.,hapax. Celui qui est capable de savourer (supra B). Le savant avait retrouvé (...) ses trente ans, qui sonnent le plein de la compréhension, de la sensation et du goût, chez les compréhensifs, les sensitifs et les savoureurs (L. Daudet,Am. songe, 1920, p. 188).
2.
Savouration, subst. fém.,hapax. Action de savourer (supra B 1). Longue savouration de cette nature calme (Flaub.,Champs et grèves, 1848, p. 360).
Prononc. et Orth.: [savuʀe], (il) savoure [-vu:ʀ]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Déb. xiies. « avoir de la saveur (en parlant d'une chose) » part. passé adj. (Benedeit, St Brendan, 702 ds T.-L.: pain Bien savouret et forment sain); 2. « apprécier par le sens du goût » a) ca 1200 fig. (Li Dialoge Gregoire lo Pape, 233, 3, ibid.: hom saine chose savoranz); b) 1284 [ms.] au propre inf. subst. « le sens du goût » (Brunet Latin, Trésor, éd. Fr. J. Carmody, III, 56, 33, leçon ms. F); 3. fin xiiies. « manger, boire quelque chose avec plaisir, en jouir lentement » ici, empl. par image (Jean de Meun, Testament, 1468 ds Rose, éd. Méon, t. 4, p. 75: Car viande est perdue qui bien ne la saveure); 4. ca 1260 fig. « jouir de quelque chose, y trouver du plaisir » (Jean Frumel ds Trouvères belges, éd. A. Scheler, 1879, p. 130, 25: savorer Des biens d'amors). Dér. de saveur*; dés. -er. Fréq. abs. littér.: 863. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 1 100, b) 1 531; xxes.: a) 1 250, b) 1 156.