| SAUGRENU, -UE, adj. A. − Vieilli, fam. Qui est absurde, ridicule. Raisonnement saugrenu; question, réponse saugrenue. Dans la situation que me fait une opinion excessivement saugrenue, calomnieuse et ridicule, je dois attendre les suffrages au lieu de les briguer (Balzac,Corresp., 1843, p. 643).[Cette vieille fille] avait fourré dans la jolie petite tête de ma femme une provision d'idées fausses, arriérées, saugrenues (A. Daudet,Femmes d'artistes, 1874, p. 134). B. − Qui surprend par son étrangeté, sa bizarrerie, son caractère illogique, inattendu. Synon. extravagant, insolite.Jugement, propos, rêve saugrenu; hypothèses, interprétations, opinions, théories saugrenues. Son cerveau [de MmeCrescent] pensait tout haut avec des paroles. Tout ce qui le traversait, les idées les plus baroques, les plus saugrenues, les plus « endiablées », comme elle disait, lui venaient au même moment au bout de la langue (Goncourt,Man. Salomon, 1867, p. 272).Il allait prendre son déjeuner dans un restaurant (...) où maintenant il n'allait plus que pour une de ces raisons, à la fois mystiques et saugrenues, qu'on appelle romanesques; c'est que ce restaurant (...) portait le même nom que la rue habitée par Odette: Lapérouse (Proust,Swann, 1913, p. 296). 1. [En parlant d'un chose concr.] Objets saugrenus. Notre seul défenseur était un jeune Allemand (...) qui voulait nous sauver par les chemins les plus saugrenus (About,Roi mont., 1857, p. 156).Avec le recul du temps, cette époque pré-1900 nous apparaît comme (...) une fièvre d'émulation saisissant inventeurs, techniciens et constructeurs, qui se hâtaient de faire défiler dans les rues les machines roulantes parfois les plus saugrenues (P. Rousseau,Hist. techn. et invent., 1967, p. 344). ♦ Aussi saugrenu que... Aussi bizarre que... Partout j'ai vu les mêmes choses (...) aussi saugrenu que cela puisse paraître à moi-même et aux autres, en quelque endroit que je me sois trouvée, je me suis toujours comportée avec la même sincérité, et souvent le même enthousiasme (Tharaud,Jument err., 1933, p. 115). − Empl. subst. masc. sing. à valeur de neutre. Leur liberté désinvolte dans le traitement de ces sujets intimistes, le goût de l'imprévu, du cocasse, du saugrenu leur permettent de les pimenter d'une note d'ironie qui évoque Jules Renard (Dorival,Peintres XXes., 1957, p. 20). 2. [En parlant d'une pers.] Rare. Le résultat de tout ceci jusqu'à présent, ç'a été une passion imprévue de Claudine pour Francis Jammes, parce que ce poète saugrenu comprend la campagne, les bêtes, les jardins démodés et la gravité des petites choses stupides de la vie (Colette,Cl. Paris, 1901, p. 108).Quoi qu'il en soit, l'homme est apparu. D'une certaine lignée animale, qui ne semblait en rien promise à un tel destin, sortit un jour la bête saugrenue qui devait inventer le calcul intégral et rêver de justice (J. Rostand,La Vie et ses probl., 1939, p. 202). Prononc. et Orth.: [sogʀ
əny]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1578 sogrenu (H. Estienne, Deux dialogues du nouveau langage françois, éd. P.-M. Smith, p. 229); 1611 saugrenu (Cotgr.). Réfection d'apr. l'adj. grenu*, de l'adj. saugreneux « piquant, salé », en parlant d'un conte, att. seulement en 1583-84 (Brantôme, Des Dames, éd. L. Lalanne, t. 9, p. 230) qui semble avoir pour orig. saugrenée « fricassée de pois, de fèves » (1552, Rabelais, Le Quart Livre, éd. R. Marichal, p. 242), comp. de sau, forme dial. de sel* et de grain*, suff. -ée* (v. FEW t. 4, p. 235a). Fréq. abs. littér.: 240. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 104, b) 214; xxes.: a) 494, b) 519. DÉR. Saugrenuité, subst. fém.Caractère de ce qui est saugrenu, étrange. Il y a le mystère de leurs tout petits yeux [des Japonaises] (...) le mystère de leur expression qui semble indiquer des pensées intérieures d'une saugrenuité vague et froide (Loti,MmeChrys., 1887, p. 229).− [sogʀ
ənɥite]. − 1reattest. 1840 (A. Karr, Les Guêpes ds Littré); de saugrenu, suff. -ité*. BBG. − Quem. DDL t. 17 (s.v. saugrenuité). |