| SAGE, adj. et subst. I. − Adjectif A. − [Corresp. à sagesse I A et C] 1. Vieilli. [Souvent p. réf. à un sens relig.] Qui a la capacité de comprendre et de juger justement toutes choses. Qui sera savant, s'il n'est sage? Qui sera sage, s'il n'est éclairé? Qui sera éclairé, s'il ne connoît la raison des choses? (Saint-Martin, Homme désir, 1790, p. 109).Le plus sage ou le plus savant est donc celui qui, avec le souvenir de plus de choses, se rend le compte le plus exact de ces choses (Boucher de Perthes, Création, t. 2, 1838-41, p. 323). 2. RELIGION a) [En parlant de Dieu] Qui possède la connaissance parfaite, le discernement parfait entre le bien et le mal. Dieu est l'être infiniment sage, infiniment bon, infiniment puissant (P. Leroux, Humanité, 1840, p. 393). − Empl. subst. masc. sing. à valeur de neutre. Le juste, le beau, le bon, le sage est ce qui est conforme aux idées que Dieu a du juste, du beau, du sage et du bon (Joubert, Pensées, t. 1, 1824, p. 111). b) [En parlant de l'homme, participant par la foi à la sagesse divine] :
1. Voyez-vous ce sage vieillard, qui a passé ses jours dans la contemplation des œuvres de Dieu et de la vérité? Ses yeux étincellent du feu de l'esprit, ses discours respirent la sagesse, son intelligence est perçante, comme une épée, et sa parole opere des œuvres vives. C'est qu'en lui la vie divine s'est unie à son être, et l'a aidé à traverser sa matière...
Saint-Martin, Homme désir, 1790, p. 299. B. − [Corresp. à sagesse II] 1. Dont le jugement, la conduite sont réglés sur l'idée d'un bien fondé en raison. a) Qui juge, choisit, se conduit selon la raison, le bon sens. Synon. judicieux, raisonnable, réfléchi, sensé; anton. déraisonnable, fou, insensé.Comme il n'y a aucun raisonnement capable de résoudre un tel problème, les gens sages proposent que l'on ait recours à un arbitrage (Sorel, Réflex. violence, 1908, p. 85): 2. Sire lion, monarque sage,
Songeoit à confier son enfant bien aimé
Aux soins d'un gouverneur vertueux, estimé,
Sous qui le lionceau fît son apprentissage.
Florian, Fables, 1792, p. 89. − [En constr. impers.] Il est/c'est sage de + inf.Il est sage d'interdire dans les voies de 12 mètres de largeur et au-dessous, les saillies, les encorbellements (Viollet-Le-Duc, Archit., 1872, p. 319).Serait-il sage de poursuivre un idéal, qui peut-être n'existe pas, quand on a sous la main un à peu près (...)? (Feuillet, Journal femme, 1878, p. 56). ♦ Empl. subst. masc. sing. à valeur de neutre. Je veux: Ou la publication immédiate. Ou le renvoi de mon manuscrit. Le sage et le raisonnable et l'utile, ce serait la publication avec la deuxième édition (Hugo, Corresp., 1866, p. 518). ♦ P. méton. Conduite, loi sage; parti le plus sage. Les chimères les plus absurdes (...) paralysaient l'influence des sages raisonnements de l'abbé Pirard (Stendhal, Rouge et Noir, 1830, p. 439).Je crois beaucoup aux histoires des fées, disait madame de Rozée en souriant − et, en effet, à l'écart de sa raison sage, son cœur y croyait (Noailles, Nouv. espér., 1903, p. 197). b) Qui se conduit selon une loi morale ou selon sa conscience. Synon. vertueux.Ne sois pas trop sage, cela ennuie; ne sois pas vicieux, cela effraie (Gobineau, Pléiades, 1874, p. 80).Une cité, un État parfaitement sage vivrait, jugerait sans lois, les normes étant dans l'esprit de son aréopage. L'homme sage vit sans morale, selon sa sagesse (Gide, Journal, 1894, p. 55). − Spéc. Qui est chaste. Alors de jeunes filles ordinairement sages et honnêtes perdent toute raison, toute pudeur, et provoquent les hommes qui se trouvent auprès d'elles par les gestes les plus lascifs (Geoffroy, Méd. prat., 1800, p. 492). ♦ [En parlant d'une femme] Qui est plein de pudeur, de décence. Il fut impossible de ne pas la trouver toujours belle femme, d'un maintien sage et plein de décence (Balzac, C. Birotteau, 1837, p. 69). 2. Qui juge, se conduit selon la prudence, avec prudence. Un homme sage en même temps qu'honnête se doit à lui-même de joindre à la pureté, qui satisfait sa conscience, la prudence, qui devine et prévient la calomnie (Chamfort, Max. et pens., 1794, p. 34).Peu flattés de construire une voiture difficile à placer si elle leur restait, ces sages négociants ne l'entreprirent qu'après un versement de deux mille francs opéré par Pierrotin (Balzac, Début vie, 1842, p. 312). − [En constr. impers.] Le conseil du roi de France n'avait pas voulu qu'il fût de sa personne à cette bataille; tout eût été perdu avec lui, et il était sage d'en agir ainsi. Toutefois cette prudence faisait dire que ce prince n'aimait pas tant la guerre que les rois ses pères (Barante, Hist. ducs Bourg., t. 4, 1821-24, p. 431). − [P. allus. à la parabole des vierges folles et des vierges sages ds Matth. XXV, 1-13] Prévoyant. L'une était une vierge sage et l'autre était une vierge folle. J'ai vu l'une mesurer l'huile de sa lampe, au déclin du jour, pour éclairer sa tâche austère. J'ai vu l'autre, en proie au fou rire, laisser sa torche s'éteindre, et elle ne la remplaçait pas dans la nuit (Jammes, Mém., 1922, p. 225). − [P. méton.] Intentionnel, calculé. Sage et lente circonspection; crainte sage; sage précaution, prévoyance, prudence. En descendant les marches avec une sage lenteur, Cécile (...) fut étonnée de l'admiration de son prétendu pour les brimborions de son cousin Pons (Balzac, Cous. Pons, 1847, p. 84). 3. Dont la conduite ou le comportement est plein de modération; qui est éloigné de tout excès, exempt de passion. Son caractère avait la modération du possible; il aurait été le ministre très-sage d'une restauration patiente, prudente et mesurée (Lamart., Nouv. Confid., 1851, p. 292). − P. méton. Sage médiocrité; sage patience; réserve convenable et sage. Tous les collaborateurs du Réveil s'y entretenaient de l'influence du journal semi-hebdomadaire de Léon Giraud, influence d'autant plus pernicieuse que le langage en était prudent, sage et modéré (Balzac, Illus. perdues, 1839, p. 510).C'est ici le cas d'imiter la sage réserve des moralistes et des jurisconsultes qui nous avertissent de ne porter rien à l'extrême (Proudhon, Propriété, 1840, p. 177). ♦ Synon. de rangé.Vie, existence sage. La jeunesse (...) que continue un âge mûr plein de confort et sûr de lui-même et que couronnera une vieillesse sage, abondante en petits enfants (Miomandre, Écrit sur eau, 1908, p. 3). ♦ [En parlant de ce qui révèle un trait de caractère ou un comportement] L'année que Gisèle eut quinze ans; − si tranquille, avec des yeux dormants, deux tresses sages (Mauriac, Fleuve de feu, 1923, p. 133).Celui-ci avait le dos voûté, la barbe brève, le vêtement sage et sérieux, la rosette (Valéry, Variété II, 1929, p. 160). C. − [En parlant le plus souvent d'un enfant] 1. Docile, discipliné. En quelle composition as-tu été le premier? Tu as donc été bien sage que ton professeur t'a donné la croix? (Du Camp, Mém. suic., 1853, p. 280): 3. Quel beau petit homme, quel enfant sage! Ce sont les enfants sages, madame, qui font les révolutionnaires les plus terribles. Ils ne disent rien, ils ne se cachent pas sous la table, ils ne mangent qu'un bonbon à la fois, mais plus tard ils le font payer cher à la société. Méfiez-vous des enfants sages!
Sartre, Mains sales, 1948, 3etabl., 1, p. 70. − P. méton. Synon. de appliqué.De gros cahiers d'écolier emplis jusqu'à la dernière ligne d'une sage et fine écriture (Gide, Si le grain, 1924, p. 366). − Sage comme.C'est franc comme l'osier et sage comme un Enfant-Jésus (Balzac, C. Birotteau, 1837, p. 41).Des millions de démobilisés (...) rendirent leurs armes et rentrèrent chez eux, sages comme des petits moutons (J.-R. Bloch, Dest. du S., 1931, p. 296). ♦ [P. allus. à la muette immobilité des enfants des images qui ont pendant longtemps représenté l'idéal du comportement enfantin (d'apr. Rey-Chantr. Expr. 1979)] Sage comme une image. Elle peut venir maintenant, ta Zéléda, tu vas voir! Je serai sage comme une image (Bernanos, Soleil Satan, 1926, p. 113).Chacun, pénétré de son rôle, s'y tient et s'y maintient, sage comme une image d'Épinal (Gide, Journal, 1943, p. 242). − [En parlant d'un animal domestique] Qui est docile, obéissant. Le cheval est sage, il est doux, il n'a pas trop d'ardeur. Le chien est sage, il est obéissant, il ne s'emporte point à la chasse (Ac.1798-1878). 2. Calme, tranquille. Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille (Baudel., Fl. du Mal, 1861, p. 134).Elle tomba tout d'un coup sur un petit jeune homme (...). Il était assis en haut d'une malle, bien tranquille, l'air très sage (Zola, Nana, 1880, p. 1141). ♦ Sage comme une fille. Posé, réservé. Le Toulousain (...) regardait Alexis non avec animosité, il en était bien incapable ce grand garçon joli et sage comme une fille (Triolet, Prem. accroc, 1945, p. 105). D. − P. anal. [En parlant d'un objet considéré d'un point de vue esthét.; corresp. à sagesse II C 4] 1. Régulier, classique. Elle était tendre, instruite, d'une beauté sage (Noailles, Nouv. esp., 1903, p. 252). 2. Souvent péj. Qui est sans audace, sans originalité, sans génie. Il y a peu à dire à la gloire de Rossini. Cette romance est bien écrite, elle est d'un style sage, et voilà tout (Stendhal, Rossini, t. 1, 1823, p. 301).De Castro (...) est un tout jeune homme. Sa peinture est sage et il est encore sensible aux compliments (Alain-Fournier, Corresp.[avec Rivière], 1907, p. 172). II. − Subst. masc. A. − 1. [Vieilli ou p. réf. à l'Antiq.] Celui qui possède la connaissance, cherche le vrai et le bien; celui qui conforme sa vie à une doctrine morale. Synon. savant, philosophe.Le sultan, voyant son pays menacé de la famine par le manque d'eau pour les irrigations, consulta les sages de son empire (Lamart., Voy. Orient, t. 2, 1835, p. 240): 4. On comprend pourquoi Béatrix, revêtue de l'autorité de la foi, descend dans la nuit infernale, afin d'en faire sortir Virgile, qui représente la raison. On comprend les fonctions du sage païen (...); soit que les secrets du monde matériel et de la vie morale lui semblent familiers; soit qu'il reconnaisse et pose les problèmes d'un ordre supérieur, qu'il en décline ordinairement la solution, ou qu'il ne puisse s'empêcher de la laisser entrevoir quelquefois.
Ozanam, Philos. Dante, 1838, p. 96. − Les Sept Sages (de la Grèce). Les sept philosophes et hommes d'État qui, au vies. av. J.-C., se sont illustrés par leur sagesse dans le domaine de la morale et de la politique. Si les sept sages, dans leur banquet, avaient été assujettis à cette condition [la présence de femmes dans leur auditoire], je doute qu'ils eussent si hautement disserté (Renan, Avenir sc., 1890, p. 526). 2. RELIG. [Corresp. à sagesse I C] Celui qui tient de Dieu sa science et son pouvoir de guide et de prophète. [Moïse s'adressant à Dieu:] Hélas! vous m'avez fait sage parmi les sages! Mon doigt du peuple errant a guidé les passages. J'ai fait pleuvoir le feu sur la tête des rois; L'avenir à genoux adorera mes lois (Vigny, Poèmes ant. et mod., 1837, p. 15). − Le Sage. Salomon, le Sage entre les sages à qui fut attribué le livre de la Sagesse. Le prince Hayëm (...), l'énigmatique rejeton que la reine du Sud, dès son retour en Lybie, avait envoyé au beau Sage, seigneur des Hébreux (Villiers de L'I.-A., Contes cruels, 1883, p. 380). 3. ALCHIM. Mercure* des sages. Pierre des sages. Pierre philosophale. Cette pierre des sages que Prélati a vue, flexible, cassante, rouge, sentant le sel marin calciné, ils la cherchent, à eux deux furieusement, en invoquant l'Enfer (Huysmans, Là-bas, t. 1, 1891, p. 132). B. − 1. Celui dont le jugement et la conduite sont inspirés par la raison et le bon sens. Synon. philosophe.Vivre en sage, comme un sage. Vous êtes un sage, Monsieur Sorel (...). Ces folies vous étonnent sans vous séduire (Stendhal, Rouge et Noir, 1830, p. 284): 5. Point de discordes, point de partis, point de plaintes ouvertes, point de murmures, si ce n'est celui de quelque grand fleuve qui porte silencieusement à la mer le produit de l'industrie de cette nation de philosophes. Ce voyageur rentrerait chez lui, infailliblement persuadé qu'il vient de découvrir un peuple de sages, lequel a échappé par miracle aux tourmentes de l'esprit moderne.
Quinet, All. et Ital., 1836, p. 87. − En partic. Personne désignée pour sa compétence et sa réputation d'objectivité comme conseiller ou arbitre, dans un conflit politique, économique ou social. Comité des sages. En Italie, l'« ensablement » de questions délicates par des « sages » ou des commissions d'enquête est chose courante (Libération, 13 sept. 1985, p. 9, col. 4).La commission des Sages, chargée de l'évaluation des entreprises à privatiser (...) devrait être installée la semaine prochaine (L'Est Républicain, 28 mai 1986, p. 424). − Rarement au fém. N'accuse pas d'être avare Une sage qui prépare Tant d'or et d'autorité: Par la sève solennelle Une espérance éternelle Monte à la maturité! (Valéry, Charmes, 1922, p. 155). 2. Celui qui se conduit avec modération. J'y bois à petits coups, en clignotant des yeux, Un mazagran avec un doigt de cognac vieux; Puis je lis − (et quel sage à ces excès résiste?) − Le Journal des Débats, étant orléaniste (Verlaine,
Œuvres poét. compl., Poèmes div., Paris, Gallimard, 1938 [1896], p. 775). REM. Sagissime, adj.,plais. Extrêmement sage. J'espère sortir bientôt dans de normales conditions et quelles intentions sagissimes, c'est effrayant tout simplement (Verlaine, Corresp., t. 3, 1891, p. 181). Prononc. et Orth.: [sa:ʒ]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. Adj. 1. a) ca 1050 savie « instruit, savant » (Alexis, éd. Chr. Storey, 375); b) 1100 sage « judicieux, intelligent » (Roland, éd. J. Bédier, 648); c) id. saive « expérimenté » (ibid., 112); d) déb. xiies. « prudent » (Chanson de Guillaume, éd. Wathelet-Willem, 56); e) ca 1140 « juste » (Geffrei Gaimar, Histoire des Anglais, éd. A. Bell, 2094); f) ca 1170 « réservée (d'une jeune fille) » (Chrétien de Troyes, Erec et Enide, éd. M. Roques, 1271); g) ca 1590 « modéré, maître de ses passions » (Montaigne, Essais, II, 12, éd. P. Villey et V.-L. Saulnier, 487); h) 1671 « qui n'est pas turbulent (d'un enfant) » (Pomey); i) 1694 « qui n'est pas capricieux (d'un animal) » (Ac.); 2. ca 1135 « mesuré » reson sage (Couronnement de Louis, éd. Y.-G. Lepage, 493); b) 1765 « sans excès » tableau sage (Encyclop. t. 14). B. Subst. 1. a) 1100 « celui qui a sa raison, son bon sens » [oppos. à fol] (Roland, 229); b) 1181-90 « celui qui a une connaissance juste des choses; qui est le représentant de la sagesse » (Chrétien de Troyes, Conte du Graal, éd. F. Lecoy, 1651); 2. ca 1165 « nom de ceux qui se sont distingués (chez les Anciens Grecs) par leur connaissance de la philosophie et de la science » (Benoît de Ste-Maure, Troie, éd. L. Constans, 10476); 1376 (Oresme, Ethiques, éd. A. D. Menut, I, 15, p. 131: Solon fu un des .VII. Sages qui firent les loys a ceuls d'Athenes); 3. 1580 « celui qui, par un art de vivre, se met à l'abri de ce qui tourmente les autres hommes » (Montaigne, op. cit., I, 23, p. 118). Du lat. pop. *sabius, issu de *sabidus par changement de suff., altér. du lat. impérial sapidus « qui a du goût, de la saveur », au ives. (Ausone) « sage ». Le passage du lat. sapidus à la forme *sabidus est peut-être dû à ses liens étroits avec le verbe sapere « savoir » d'où sont issues les formes rom. du type saber (FEW t. 11, p. 204b, Cor. t. 4, p. 106). Ch. Brucker ds Sage et son réseau lex. en a. fr., 1979, t. 1, pp. 111-114 fait une distinction entre les formes saive/savie issues d'une forme pop. *sapidu/savidu et la forme sage issue de *sabidu. Fréq. abs. littér.: 6 903. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 11 511, b) 8 089; xxes.: a) 8 071, b) 6 092. Bbg. Dub. Pol. 1962, p. 414. − Kogelschatz (B.). Theorie und Praxis des sprachlichen Feldes. München, 1981, pp. 98-101, 172-174. − Långfors (A.). Notes lexicogr. Neuphilol. Mitt. 1942, pp. 192-195. − Quem. DDL t. 14. − Subrenat (J.). E oliver est proz. In: [Mél. Horrent (J.)]. Liège, 1980, pp. 461-467. − Venck. 1975, pp. 452-521. |