| RUISSELER, verbe intrans. A. − 1. [Le suj. désigne un liquide; le verbe est souvent accompagné d'un compl. de lieu indiquant la situation (introd. par sur, dans, etc.), ou l'origine (introd. par de)] Couler, s'écouler de façon continue. Ruisseler le long de, à la surface de qqc.; ruisseler goutte à goutte; ruisseler en nappe, en cascade, en déluge, à gros bouillons. Le sang ruisselait de ses plaies (Ac.).La sueur l'agaçait dans le creux de ses reins, où elle ruisselait comme l'eau sur la vitre après l'orage, collait le pantalon contre la peau (Montherl.,Bestiaires,1926, p. 547).V. effusion ex. 1 et lac ex. 3: La pluie tombait, fine, froide, pénétrante, continue; elle ruisselait sur les murs, rendant plus noirs les hauts toits d'ardoise, les hautes maisons de granit; elle arrosait comme à plaisir cette foule bruyante du dimanche qui grouillait tout de même, mouillée et crottée, dans les rues étroites, sous un triste crépuscule gris.
Loti,Mon frère Yves,1883, p. 7. − Loc. fig. ♦ Le sang ruisselle. [Pour évoquer un nombre important d'actions sanglantes, le caractère meurtrier d'un combat] Cette ville où le sang ruisselait, il n'avait cessé de la voir calme et amie (Malraux,Espoir,1937, p. 527). ♦ Le vin, le champagne ruisselle. Il est versé, donné en abondance; il coule à flots. Les vins capiteux ruisselaient dans les verres (Reybaud,J. Paturot,1842, p. 331).Les bougies s'allument, le champagne ruisselle, ma tête s'égare (Labiche,Garçon Véry,1850, 3, p. 279). 2. Au fig. Se répandre en abondance (avec référence éventuelle au mouvement de l'eau, à son miroitement sous l'effet de la lumière). Vous savez que le haschisch invoque toujours des magnificences de lumière, des splendeurs glorieuses, des cascades d'or liquide; toute lumière lui est bonne, celle qui ruisselle en nappe et celle qui s'accroche comme du paillon aux pointes et aux aspérités (Baudel.,Paradis artif.,1860, p. 363).Cela brille, cela tourbillonne, on ne peut rien distinguer. (...) On est suspendu dans l'air, comme un oiseau; et quand le fleuve de sons ruisselle d'un bout à l'autre de l'église, remplissant les voûtes, rejaillissant contre les murs, on est emporté avec lui, on vole à tire-d'aile (Rolland,J.-Chr., Aube, 1904, p. 15). B. − Ruisseler de + compl. indiquant la matière 1. [Le suj. désigne un corps solide] Être couvert d'un liquide qui coule de façon continue, souvent en abondance. Synon. dégoutter de, être trempé, inondé de.Ruisseler de pluie; ruisseler de larmes, de sueur. Il est comme quelqu'un qui des pieds jusqu'à la tête ruisselle de sang, tout revêtu de cet éclatant sacrilège! (Claudel,Euménides,1920, i, p. 954). ♦ [P. ell. du compl. prép. indiquant la matière] Hérodiade, svelte en ses riches habits, Portant sur un plat d'or constellé de rubis La tête de saint-Jean-Baptiste qui ruisselle (Banville,Cariat.,1842, p. 59).L'air est si lourd, si vaporeux, que l'on ruisselle. Mon gilet, que je quitte, est trempé; ma chemise, que je quitte également, est à tordre (Gide,Voy. Congo,1927, p. 760). − P. métaph. Elle était coiffée de fleurs, de diamants et de plumes comme une jeune femme, et sa robe ruisselait de pierreries (Sand,Consuelo, t. 3, 1842-43, p. 146).Mon village acceptait (...) que le fils Gatreau (...) agitât en tous sens son chef ruisselant de boucles noires (Colette,Képi,1943, p. 157). 2. Au fig. Abonder en, être rempli de. Synon. déborder, regorger de.Heureuse enfance. Tout leur petit corps, toute leur petite personne, tous leurs petits gestes, est pleine, ruisselle, regorge d'une espérance. Resplendit, regorge d'une innocence. Qui est l'innocence même de l'espérance (Péguy,Porche Myst.,1911, p. 191).De nos jours, la poésie ruisselle de vice, de mensonge, de brutalité, de sadisme et de tout ce qui, autrefois, était réputé malpropre (Aymé,Confort,1949, p. 62). REM. 1. Ruisselis, subst. masc.,hapax. Écoulement, ruissellement. Dans ce ruisselis de gloussements, de roucoulements, la duchesse se laissait gagner et se détendait (La Varende,Saint-Simon,1955, p. 56). 2. Ruisselure, subst. fém.,hapax. Effet de ruissellement. Toute une joaillerie fondue dans les velours, et dans les peluches et dans les soies; et des ruisselures coulées dans la profondeur des fronces (J. Moréas, P. Adam, Demoiselles Goubert ds Plowert1888). Prononc. et Orth.: [ʀ
ɥisle], (il) ruisselle [-sεl]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Ca 1180 ruceler « couler en abondance » (Aiquin ou la Conqueste de la Bretaigne, éd. F. Jacques, 1951); 2. a) déb. xvies. « couler en forme de ruisseau » en parlant d'un cours d'eau (J. d'Auton, Chron., B.N. 5083, f o103 r o; IV, 287, Soc. Hist. de Fr. ds Gdf. Compl.); b) 1630 fig. (A. d'Aubigné, Odes, Le Printemps, éd. Réaume et De Caussade, III, 132: O beaux yeulx, claires fontaines Qui de plaisir ruisselez); 3. 1720 « être mouillé d'un liquide qui coule sans arrêt » (Chaulieu, A la Fare, 1 ds Littré). Dér. de ruissel, forme anc. de ruisseau*; dés. -er. Fréq. abs. littér.: 890. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 950, b) 1 332; xxes.: a) 1 646, b) 1 267. |