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RANCŒUR, subst. fém.
État affectif durable fait d'une profonde amertume, de ressentiment, de haine, lié au souvenir d'une injustice ou d'une désillusion. Éprouver de la rancœur, un sentiment de rancœur. On lisait chez lui comme chez les autres, cette rancœur, cet air mauvais et dur de ceux qu'un excès de misère a accablés (Van der Meersch, Invas. 14, 1935, p. 361):
1. Sa gratitude pour tout ce que le comte avait fait pour lui, tournait à la rancœur. Il le reniait éperdument. Ce qu'il vit acheva de le lui faire prendre en haine: Passavant, penché vers Sarah, avait passé son bras autour de sa taille et se montrait de plus en plus pressant. Gide, Faux-monn., 1925, p. 1172.
[Constr. avec un compl. désignant ce qui cause la rancœur; introd. par contre, plus rarement à l'égard de, envers, pour] C'était une femme précocement fanée et pleine de rancœur contre le destin (Arland, Ordre, 1929, p. 420).Peu après « ces années folles » de l'énergie atomique, les bénéfices se sont transformés le plus souvent en pertes qui ont laissé chez leurs victimes une certaine rancœur envers l'énergie nucléaire (Goldschmidt, Avent. atom., 1962, p. 109).
Loc. adj., rare. De rancœur. Synon. rancunier.Elle (...) n'acceptait pas la moindre chose qu'elle ne murmurât d'un air de rancœur: « beaucoup trop aimable », ou « beaucoup trop beau pour moi... » (Green, Journal, 1934, p. 285).
Au plur. Moments de rancœur liés à des souvenirs différents; sentiments de rancœur éprouvés par plusieurs personnes. Toute la sale marée de ses rancœurs refluait en lui avec ce matin sombre (Mauriac, Génitrix, 1923, p. 396).Dans la fonction publique (...) les rancœurs étaient particulièrement vives, car Vichy avait rayé des cadres plus de 50 000 personnes (De Gaulle, Mém. guerre, 1959, p. 108).
[Dans diverses combinaisons]
[Avec les prép. avec, dans, de, sans] Essener se sentait âgé dans cette compagnie joyeuse, et il voyait avec rancœur le contentement de ces potentats de village (Chardonne, Épithal., 1921, p. 407).Papa, saoul de rancœur, ne répondit pas un mot (Duhamel, Notaire Havre, 1933, p. 195).Rien n'a plus de sens, il vous reste à mourir dans la haine et la rancœur (Sartre, Mort ds âme, 1949, p. 239).
[Avec avoir, garder, tenir] Je ne pus m'empêcher de lui dire la rancœur que je lui gardais qu'il ait eu si peu de confiance en moi (G. Leroux, Parfum, 1908, p. 166).Je tenais une affreuse rancœur à Max de n'être pas celui par qui, en ce moment, aurait vacillé le destin (Daniel-Rops, Mort, 1934, p. 289):
2. S'il est un Français qui garde une rancœur contre l'Allemand, je l'envie. Je n'ai plus de rancœur disponible. Elle s'est usée toute contre moi-même, et mes pareils. Chardonne, Attach., 1943, p. 205.
Prononc. et Orth.: [ʀ ɑ ̃kœ:ʀ]. Att. ds Ac. 1935. Littré: -cœur ou -cueur. Étymol. et Hist. Fin xiies. rancor (Sermons St Bernard, 114, 10 ds T.-L.); 1317 rancuer (Arch. JJ 53, f o79 r ods Gdf.); 1421 ranckeur (Cartul. de Bouvignes, I, 94, Borgnet, ibid.); ca 1470 rancœur (G. Chastellain, Chron., éd. Kervyn de Lettenhove, t. 3, p. 135, 13). Du b. lat. rancor, -oris « rancidité » qui prit en lat. chrét. le sens fig. de « rancœur, rancune » (v. Blaise Lat. chrét.). Fréq. abs. littér.: 122. Bbg. Gohin 1903, p. 309.