| PRUDENCE, subst. fém. A.− 1. a) Qualité, attitude d'esprit de celui qui prévoit, calcule les conséquences d'une situation, d'une action qui pourraient être fâcheuses ou dangereuses moralement ou matériellement, et qui règle sa conduite de façon à les éviter. Synon. circonspection, précaution, prévoyance, sagesse; anton. imprudence, audace, hardiesse, insouciance, intrépidité, imprévoyance, témérité.Quand il en est là, un grand cœur ne prend conseil que de son désespoir; la prudence est hors de saison, l'audace seule a chance de succès (Sandeau, Sacs,1851, p. 23).Prudence n'est que l'euphémisme de peur (Renard, Journal,1895, p. 279).C'est exact qu'il est sujet aux rhumes, aux laryngites, et qu'il doit prendre soin d'éviter les différences de température. Mais cette prudence a dégénéré en une véritable obsession (Martin du G., Notes Gide,1951, p. 1408): 1. Il faut avoir toujours présent à l'esprit, dans la direction des affaires de ce monde, l'enchaînement des causes et des effets, des moyens et du but : mais cette prudence est à la vertu comme le bon sens au génie : tout ce qui est vraiment beau est inspiré, tout ce qui est désintéressé est religieux.
Staël, Allemagne,t. 4, 1810, p. 289. ♦ Expr. La prudence du serpent (vieilli). Prudence qui allie l'habileté à la ruse. J'ai agi dans cette affaire avec la prudence du serpent; et si un vote motivé ne me conserve pas cette prudence, j'offre ma démission (Murger, Scènes vie boh.,1851, p. 136). − Proverbe. Prudence est mère de sûreté. Ne t'étonne pas de l'en-tête commercial qui est sur l'enveloppe. La prudence est mère de la sûreté. Et le vieux galant de la Cayla fait lire les lettres dans son cabinet noir (Adam, Enf. Aust.,1902, p. 305). b) [Dans diverses constructions] − [Constr. avec un compl. ou un adj. spécifiant une activité ou un domaine d'activité] ♦ [Constr. avec un adj. ou un compl. introd. par de] Prudence commerciale, financière, politique; prudence de conduite. Sainte-Beuve, sans les signer, envoie à la Revue suisse ses chroniques parisiennes et, libre de prudence académique ou mondaine, formule dans toute leur verdeur ses jugements sur les hommes et les œuvres (Civilis. écr.,1939, p. 32-6).La prudence d'appréciation (...) s'impose en l'état des recherches statistiques (Gds ensembles habit.,1963, p. 23). ♦ [Constr. avec un compl. à l'inf.] Les emplois que j'avais remplis me plaçaient dans une situation particulière et délicate, qui m'imposait la prudence de ne pas me trouver où le zèle d'un président pourrait employer des expressions que je ne pouvais, ni ne devais, ni ne voulais approuver de ma pensée, ni de ma présence (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène,t. 1, 1823, p. 220).Le jeu mobilise les divers avantages que chacun peut avoir reçu du sort, son meilleur zèle (...), l'audace de risquer et la prudence de calculer (Jeux et sports,1967, p. xiv). ♦ [Constr. avec un compl. locatif] Prudence au jeu. Cette littérature (...) ignore toute discipline intellectuelle : prudence dans l'assertion, méfiance de ses préférences (Benda, Fr. byz.,1945, p. 36).La tactique combinée de l'audace dans les mots et de la prudence dans les actes (De Gaulle, Mém. guerre,1956, p. 294). − [Constr. avec une prép.] ♦ [avec avec, sans] Agir, vivre avec prudence; conduire avec prudence. Avec de la prudence on (...) [peut] examiner cette chute de très-près, et même descendre dans l'abîme (Crèvecœur, Voyage,t. 2, 1801, p. 179).L'évêque de Tours, avec sa prudence et son sang-froid habituels, objecta d'une manière calme qu'il n'était pas seul juge de la cause (Thierry, Récits mérov.,t. 2, 1840, p. 153).Après l'avoir saigné copieusement, on venait de le purger sans prudence (Zola, Joie de vivre,1884, p. 834). ♦ [avec dans] Vous pouvez ajouter à mes suppressions toutes les suppressions que dans votre prudence vous jugerez utiles (Hugo, Corresp.,1853, p. 164). ♦ [avec par] Quand les déménageurs pénétraient dans la pièce où il s'était réfugié, il se cachait par prudence sous une table ou sous une commode qui demeuraient encore (A. France, Riquet,1904, p. 80).Le même hiver, le père M. tomba malade. Par prudence, il voulut faire le partage, poussé par sa fille, mariée à la ville, qui désirait construire (Debatisse, Révol. silenc.,1963, p. 39). c) Au plur. Actes, comportements manifestant de la prudence. Synon. précautions.Prudences de langage. Les lames liées par les pointes tournaient l'une autour de l'autre, tantôt lentes, tantôt rapides, avec des malices et des prudences qui prouvaient la force des deux combattants (Gautier, Fracasse,1863, p. 341).Henriette (...) s'abandonnait à une intimité dont il restait surpris et embarrassé, car elle perdait ses prudences de femme du monde (Zola, Bonh. dames,1883, p. 678): 2. Ci-joint, les trois chroniques déjà publiées. Je pense que vous sentirez l'embarras d'un étalon de ma sorte, attelé à ce véhicule de prostitution et de bêtise. J'écris ce que je peux, aussi sincèrement, aussi noblement qu'il m'est donné, mais avec des prudences qui ne me vont guère, et dans quels horribles voisinages!
Bloy, Journal,1892, p. 60. SYNT. a) Avoir de la prudence, une grande prudence, la prudence de faire qqc.; montrer, faire montre, preuve de prudence (dans qqc.); mettre de la prudence, une grande prudence à faire qqc.; il y a de la prudence à faire qqc.; c'est (de la) prudence de faire qqc.; être plein de prudence; s'écarter des règles de la prudence; manquer de prudence; oublier, perdre toute prudence; sortir de sa prudence habituelle; redoubler de prudence. b) La prudence, la simple, la plus élémentaire prudence commande, conseille, demande, exige, veut qqc. c) Engager, inviter, rappeler qqn à la prudence, à plus de prudence; recommander à qqn la (plus grande) prudence; être tenu à la prudence; faire qqc. pour plus de prudence, par mesure de prudence. d) Acte, conseil, parole de prudence; excès de prudence. e) Adresse, astuce, bon sens, calcul, circonspection, clairvoyance, habileté, jugement, méfiance, mesure, modération, patience, perspicacité, prévoyance, raison, réserve, retenue, sagesse, sang-froid, sens commun, tempérance et prudence; lâcheté, lenteur, ménagement, scrupule, timidité et prudence. 2. Caractère circonspect de quelqu'un, de ses actes. Adhel sent toute la prudence du conseil de son ami; et résolu de ne plus se livrer au plaisir d'entendre Mathilde jusqu'au moment où il la verra en sûreté (...), il la remet aux soins de Kaled (Cottin, Mathilde,t. 2, 1805, p. 279).La prudence des actions proposées par Jean Monnet et l'empirisme des méthodes avait heureusement surpris des entrepreneurs méfiants de toute doctrine (Reynaud, Syndic. en Fr.,1963, p. 238). − (Être) d'une prudence + adj.Être d'une prudence consommée, excessive, extrême, rare; être d'une grande prudence. L'idée seule que, dans un duel, on est exposé à voir une pointe d'épée en face de son œil droit, a toujours suffi pour me rendre d'une prudence grande (Toepffer, Nouv. génev.,1839, p. 365).Cette série de mesures limitatives (...) a rendu la presse d'une prudence sans précédent : un accident d'aviation n'est publié que dans les termes du communiqué, les faits divers ne sont signalés qu'avec parcimonie (Civilis. écr.,1939, p. 40-1). B.− Spécialement 1. HIST. DE LA PHILOS. Première vertu cardinale, celle qui allie force d'esprit, faculté de discernement, connaissance de la vérité dans la conduite de la vie. Synon. sagesse.Quelle est cette infidélité qui fonda des empires par la prudence, les défendit par le courage, les affermit par la justice (Volney, Ruines,1791, p. 21).Nous connaissons aussi le sacrement, c'est-à-dire l'expression, le signe de la prudence vraie et céleste de Dieu (Théol. cath.t. 14, 11939, p. 493). − MOR. CATH. ♦ Prudence humaine, mondaine, de la chair, du siècle. Habileté dans les affaires du monde. Combien de circonstances imprévues peuvent (...) faire avorter ou réussir les plus grands projets en dépit de tous les calculs de la prudence humaine (J. de Maistre, Soirées St-Pétersb.,t. 2, 1821, p. 42). ♦ Prudence chrétienne. Vertu de celui qui sait discerner et choisir ce qui conduit au salut de son âme. Maître Conrad trouva que sa charité l'entraînait au delà des bornes de la prudence chrétienne, et il lui interdit de toucher et de baiser les ulcères des lépreux (Montalembert, Ste Élisabeth,1836, p. 213). 2. DR., vieilli. Laisser qqc. à la prudence de qqn, s'en remettre à la prudence de qqn. ,,Abandonner une décision à une autorité sans rien lui demander expressément`` (Littré). Lorsque les pièces seront représentées par les dépositaires, il est laissé à la prudence du juge-commissaire d'ordonner qu'ils resteront présens à la vérification (Code procéd. civile,1806, p. 363). REM. Prudentiel, -ielle, adj.,rare, théol. cath. [Corresp. à supra B] Relatif à la prudence. La disposition prudentielle de l'action (Maritain, Human. intégr.,1936, p. 226). Prononc. et Orth. : [pʀydɑ
̃:s]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. Ca 1200 « sagesse » (Moralités sur Job, 355, 14 ds T.-L.). Empr. au lat. prudentia « prévoyance, prévision, compétence, sagesse ». Fréq. abs. littér. : 2 209. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 3 926, b) 2 961; xxes. : a) 2 240, b) 3 109. Bbg. Brucker (Ch.). Prudentia/prudence aux 12eet 13es. Rom. Forsch. 1971, t. 83, pp. 464-479. |