| PROLONGER, verbe A. − Empl. trans. Faire aller au-delà d'une limite normale ou antérieurement fixée. 1. [Dans le temps] a) Vx. Différer, retarder. J'avais beau travailler (...) prolonger fort tard le moment de mon coucher, à peine au lit (...) je comptais un jour de moins de mon exil (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène,t.2, 1823, p.510). b) Qqn/qqc.1prolonge qqc.2(de, par qqc.3).Accroître la durée de, faire durer plus longtemps. Synon. allonger, rallonger; anton. abréger, diminuer, raccourcir.Le grand défaut des acteurs actuels est, ce me semble, de (...) prolonger les syllabes pour faire peur aux petits enfants: «Le père et les deux fiiils lâââchement égorgééés» (Stendhal, Journal,1804, p.205).Ainsi le temps prolonge et nourrit ma souffrance (Desb.-Valm., Élégies,1833, p.100).Que ce bras fort se lève Pour prolonger d'un jour ton règne qui s'achève (Lamart., Chute,1838, p.1017). SYNT. Prolonger une affaire, une attente, un bonheur, une conversation, un débat, un entretien, une épreuve, une guerre, un procès, une promenade, un séjour, une situation, un supplice, une trêve; prolonger ses adieux, ses études; prolonger les maux, les souffrances de qqn. − Empl. pronom. passif. Synon. se continuer, s'étendre, se poursuivre.Leçon, liaison, repas, séance, séjour, soirée qui se prolonge. Cet entretien (...) se prolongea encore un quart d'heure (Genlis, Chev. Cygne,t.3, 1795, p.92).Au lieu de se prolonger indéfiniment et de s'enchaîner sans solution de continuité, les sons et les accords deviennent brefs, précis (Gevaert, Orchestr.,1885, p.80).Surpris par cette station silencieuse de Michel, qui se prolongeait anormalement, le père leva la tête (Aymé, Uranus,1948, p.267). c) En partic. Faire durer plus longtemps (la vie d'un animé). Prolonger les jours de qqn. Y avait-il quelque soin à donner à ce mourant? Pouvait-on, sinon le sauver, du moins prolonger sa vie pendant quelques jours? (Verne, Île myst.,1874, p.574).Si l'homme prolonge ou adoucit son existence, il agit (Valéry, Variété III,1936, p.208). − Fam. [P. méton. de l'obj.] Maintenir en vie. Il faut bien tâcher de prolonger un homme, mais à quoi bon laisser souffrir une bête condamnée! (Zola, Joie de vivre,1884, p.1010).Sorti de scène, je l'enveloppais (le caniche) dans une couverte et je le frictionnais à l'alcool. Je l'ai bien prolongé, mais ça ne peut pas durer éternellement, un caniche savant! (Colette, Music-hall,1913, p.177).Ces malades qu'on prolonge de douze heures en douze heures, jusqu'à ce que le bon Dieu ait décidé de leur sort (Bernanos, Joie,1929, p.695). d) Au fig.
α) Qqn1/qqc.1prolonge qqn2.Synon. de perpétuer.Qu'est-ce que c'est, un enfant? Un morceau de vous-même qui porte votre orgueil et prolonge votre nom, un petit peu d'immortalité que vous caressez sur vos genoux... (Goncourt, Ch. Demailly,1860, p.201). − Empl. pronom. réfl. Se prolonger dans ses enfants, dans son oeuvre. C'est par des formes insolites que les peintres morts tendent de survivre, qu'ils se prolongent et qu'ils nous crient: «Je suis là!» (Cocteau, Fin Potomak,1940, p.103): . La première conscience qu'ils [les hommes] eurent ce fut celle de leur beauté. C'est ce qui permit la propagation de l'espèce. L'homme se prolongea dans sa postérité. La beauté des premiers se redit, égale, indifférente, et sans histoire. (...) je voulus plus ou mieux. Cette propagation, cette prolongation morcelée me parut indiquer chez eux une attente...
Gide, Prométhée,1899, p.324.
β) Qqc.1prolonge qqc.2Faire durer. La jalousie, qui prolonge l'amour (Proust, Guermantes 2,1921, p.348).
γ) Qqn1/qqc.1prolonge qqn2/qqc.2Continuer, être la suite de. La philosophie chrétienne prolonge la philosophie grecque en la dépassant (Gilson, Espr. philos. médiév.,1931, p.199).L'art, je le répète, n'existe pas en tant qu'art, en tant que détaché, libre, débarrassé du créateur, mais (...) il n'existe que s'il prolonge un cri, un rire ou une plainte (Cocteau, Diff. d'être,1947, p.250).V. amateur ex. 8. − Empl. pronom. Le romantisme se prolonge démesurément en eux [les poëtes actuels]; ils en restent la queue attardée (Zola, Doc. littér.,Poëtes contemp., 1881, p.129). 2. [Dans l'espace] a) Qqn/qqc.1prolonge qqc.2(par qqc.3).Faire aller plus loin, dans le sens de la longueur. Prolonger une ligne de métro, une route. De la poudre d'antimoine et une petite spatule pour colorer le bord des paupières et en prolonger l'angle externe, suivant l'antique usage égyptien (Gautier, Rom. momie,1858, p.183).L'instinct assez surprenant qui les fait [les abeilles] parfois amincir et démolir l'extrémité de leurs rayons quand elles veulent prolonger ou élargir ceux-ci (Maeterl., Vie abeilles,1901, p.148). − Empl. pronom. passif. Le vestibule se prolongeait par un couloir carrelé (Martin du G., Thib.,Épil., 1940, p.773). b) Être le prolongement de.
α) Qqc.1prolonge qqc.2Son profil, un peu court, était très noble, le nez prolongeant la ligne du front avec une rectitude absolue, comme dans les visages grecs (Loti, Pêch. Isl.,1886, p.24).
β) Qqc.3prolonge qqc.2Quelques villas que prolongeait un terrain de tennis (Proust, J. filles en fleurs,1918, p.662).Une grande pièce qui prolonge la salle de spectacle les jours de représentation, mais qui est fermée le reste du temps... (Gyp, Souv. pte fille,1928, p.225). c) MAR. Naviguer parallèlement à, et à peu de distance de. Synon. longer.Prolonger un vaisseau (Ac.).Le Bonadventure passa devant cette côte, qu'il prolongea à la distance d'un demi-mille (Verne, Île myst.,1874, p.403). B. − Empl. spécifiquement pronom. 1. [Dans le temps] Durer plus longtemps qu'il n'était prévu ou prévisible. Un froid qui se prolonge. L'enfance se prolonge chez les gosses opprimés (Sartre, Mort âme,1949, p.123). 2. [Dans l'espace] S'étendre en longueur, aller plus loin que ce qui est prévu ou prévisible. Chemin, route, océan qui se prolonge; se prolonger à perte de vue. La petite vallée où s'élève le hameau de Sainte-Hélène se prolonge dans l'île longtemps encore en serpentant au milieu de deux chaînes de montagnes arides qui la bordent et la resserrent (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène,t.1, 1823, p.154). − En partic. [Le suj. désigne un son] De tous côtés, se prolongeant aux montagnes, mille bruits fugaces, un infini chuchotement (D'Esparbès, Lég. aigle,1893, p.207). Prononc. et Orth.: [pʀ
ɔlɔ
̃
ʒe], (il) prolonge [-lɔ
̃:ʒ]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist.A. Dans le temps 1. 1213 trans. «augmenter la durée de» (Faits des Romains, éd. L. F. Flutre et K. Sneyders de Vogel, p.734, 26: Il [César] les departoit [les baillies] et bailloit a son voloir [...] et les prolonjoit d'an en an a cui que il voloit); 2. 1219 prolongier «retarder, différer» (Cartulaire de Cysoing, p.101 ds Gdf. Compl.); 3. a) ca 1265 prolonger la vie de qqn (Brunet Latin, Trésor, éd. F. J. Carmody, p.268: cil est enemis de soi meismes ki prolongue la vie a son anemi); 1564 prolonger les jours de qqn (Indice et recueil universel de tous les mots principaux des livres de la Bible, fo276 vo: je prolongerai tes jours [I Rois 3, 14]); b) 1884 prolonger qqn «faire durer plus longtemps la vie d'une personne malade ou blessée» (Zola, loc. cit.); 4. 1810 enfance prolongée (Staël, Allemagne, t.4, p.209: les Allemands de la nouvelle école considèrent l'ignorance et la frivolité comme les maladies d'une enfance prolongée); 1891 (Gyp, Tante joujou, p.114: son air «bébé» prolongé tardivement); 1939 vierge prolongée (Montherl., Lépreuses, p.1375); 1962 jeune fille prolongée (Rob.); 5. 1899 pronom. se prolonger dans/en «se perpétuer, se continuer dans» (Gide, loc. cit.). B. Dans l'espace 1. 1538 trans. «augmenter la longueur de» (Est. d'apr. FEW t.5, p.418a); 1541 prolonguer (Suétone Tranquile, Faictz et Gestes des douze Caesars, trad. par G. Michel, VI, 195 vods Hug.: prolonguer [...] les murs de Romme jusques en Hostie); 1768 pronom. (Ch. Bonnet, Considérations sur les corps organisés, t.1, p.227); 1962 rue prolongée (Rob.); 2. 1761 «constituer le prolongement de» (J. B. R. Robinet, De la Nature, p.256: de nouvelles particules accumulées prolongeront les premières ramifications). C. 1678 mar. prolonger un navire «naviguer parallèlement à lui» (Guillet). Empr. au lat. chrét. prolongare «faire durer, allonger, prolonger» (dans la Vulgate, Deut. 6, 2: ut prolongentur dies tui «afin que tes jours soient prolongés»), «différer» (Éz. 12, 28); dér. de longus (long*); préf. pro- «devant, avant» (pro-*). Fréq. abs. littér.: 2974. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 4852, b) 3421; xxes.: a) 3427, b) 4610. DÉR. 1. Prolongateur, adj. et subst. masc.(Ce) qui prolonge une chose (dans l'espace). Petits prolongateurs [pour ongles] en plastique (Les Lettres fr.,23 mars 1967, p.27, col. 4).Électr. ,,Câble souple raccordé d'une part à une fiche mâle, de l'autre à une fiche femelle`` (Siz. 1968). Synon. rallonge.Cordon, fil, prolongateur. − [pʀ
ɔlɔ
̃gatoe:ʀ]. − 1resattest. 1931 subst. électr. (Catal. de la Manufacture fr. d'armes et cycles de Saint-Étienne, rééd. Paris1981, p.572, art. 32-3417: Prolongateur, matière moulée noire, pour courant 5 amp.), 1970 adj. (Rob. Suppl.); de prolonger, suff. -(at)eur2*. 2. Prolongeable, adj.Que l'on peut prolonger. a) [Dans l'espace] Ces questionnaires devront être en principe prolongeables jusqu'à l'examen complet de la distribution (Traité sociol.,1967, p.116).b) [Dans le temps] Situation prolongeable. Le soldat est persuadé qu'un délai indéfiniment prolongeable lui sera accordé avant qu'il soit tué, le voleur, avant qu'il soit pris, les hommes en général, avant qu'ils aient à mourir (Proust, J. filles en fleurs,1918, p.608).Phonét. ,,Dont l'émission est susceptible de comporter une durée notable`` (Mar. Lex. 1951). En partic. Consonne prolongeable. Synon. de consonne continue*.− [pʀ
ɔlɔ
̃
ʒabl̥]. − 1reattest. 1788 (Fér. Crit., s.v. prolonger, citant Le Gendre [Traité de l'opinion] s.réf.: le temps ... prolongeable à l'infini); de prolonger, suff. -able*. |