| PROFANE, adj. et subst. I. − Adjectif A. − Qui est dépourvu de caractère religieux, sacré; qui a trait au domaine humain, temporel, terrestre. Cette division [de l'art dramatique au Moy. Âge] peut, suivant nous, se réduire à deux: le drame profane ou mondain, ou le drame religieux ou liturgique (Coussemaker, Hist. harm. Moy. Âge, 1852, p.125).En vertu de la Création, et, plus encore, de l'Incarnation, rien n'est profane, ici-bas, à qui sait voir. Tout est sacré, au contraire, pour qui distingue, en chaque créature, la parcelle d'être élu soumise à l'attraction du Christ (Teilhard de Ch., Milieu divin, 1955, p.56): 1. Mes pensées voltigeaient avec une légèreté égale à celle de l'atmosphère; les passions vulgaires, telles que la haine et l'amour profane, m'apparaissaient maintenant aussi éloignées que les nuées qui défilaient au fond des abîmes sous mes pieds; mon âme me semblait aussi vaste et aussi pure que la coupole du ciel dont j'étais enveloppé; le souvenir des choses terrestres n'arrivait à mon coeur qu'affaibli et diminué...
Baudel., Poèmes prose, 1867, p.76. SYNT. Monde, ordre, vie profane; l'Antiquité profane; fêtes, cérémonies profanes; monuments, objets profanes; activité profane; sujets profanes; art, culture, histoire, littérature, musique profane. ♦ Empl. subst. masc. sing. à valeur de neutre. Les choses profanes; ce qui est dépourvu de caractère religieux, sacré. Parmi les choses intellectuelles qui sont toutes également saintes, on distingua du sacré et du profane. Le profane, grâce aux instincts de la nature plus forts que les principes d'un ascétisme artificiel, ne fut pas entièrement banni (Renan, Avenir sc., 1890, p.9).Ainsi une rénovation sociale vitalement chrétienne sera oeuvre de sainteté ou elle ne sera pas; je dis d'une sainteté tournée vers le temporel, le séculier, le profane (Maritain, Human. intégr., 1936, p.133). − [P. méton., en parlant d'une pers. (auteur, artiste)] Dont les oeuvres traitent de sujets non religieux. Peut-être récusera-t-on l'autorité de Montesquieu; c'est un auteur profane, c'est un philosophe... eh bien! écoutons un Père de l'Église (Courier, Pamphlets pol., Procès, 1821, p.117). B. − Vieilli, littér. ou p.plaisant. Qui porte atteinte au caractère sacré de quelque chose; impie, sacrilège. Je ne lui permettrai pas de se trouver un seul instant avec l'impie qui a osé jeter un oeil profane sur elle (Cottin, Mathilde, t.1, 1805, p.180).Toutefois rien de divin ne peut réussir entrepris avec un coeur profane (Staël, Allemagne, t.3, 1810, p.344).Du moment que je n'avais pas fracturé un lieu sacré et plongé ma main profane au milieu de restes vénérables (Maupass., Contes et nouv., t.1, Relique, 1882, p.842). II. − Subst. et adj. (Celui, celle) qui n'est pas initié(e). A. − [Surtout empl. comme subst.] 1. [Dans les relig. antiques ou certaines relig. ésotériques] Personne qui n'est pas initiée aux mystères, n'est pas admise à leur célébration. Le héraut ne manquait pas, au commencement de la célébration des mysteres anciens, de prononcer la terrible défense: loin d'ici tout profane, c'est-à-dire, tous ceux qui ne sont pas initiés. On interdisait l'entrée du temple de Cérès et la participation aux mysteres à tous ceux qui ne jouissaient pas de la liberté, et dont la naissance n'était point reconnue par la loi (Dupuis, Orig. cultes, 1796, p.482).[Les Druzes] s'assemblent un jour de la semaine, chacun dans le lieu consacré au degré d'initiation auquel il est parvenu, et accomplissent leurs rites. Des gardes veillent, pendant les cérémonies, à ce qu'aucun profane ne puisse approcher des initiés (Lamart., Voy. Orient, t.2, 1835, p.112).Il ne fallait pas songer à entrer au temple par la grande porte. Les douze hermaphrodites qui gardaient l'entrée eussent sans doute laissé passer Démétrios, malgré l'interdiction qui arrêtait tout profane en l'absence des prêtres (Louys, Aphrodite, 1896, p.98).V. exclure A 2 a ex. de Michelet. 2. P. ext. Personne qui n'a pas de religion ou est étrangère à la religion considérée. Anton. adepte, fidèle, croyant.Les profanes n'entendent que la voix des sens et le témoignage de l'entendement, mais les fils du Christ méprisent leurs sens et s'en rapportent à la parole du Verbe, car le Verbe est immortel (Flaub., Tentation, 1849, p.334).Puis ce qui détourne l'attention, c'est la réputation qu'a ce livre-ci [la Bible], de se vouloir édifiant; et l'ennui qu'on en attend en conséquence. On l'abandonne aux prêtres, aux pasteurs; bon pour les convertis! un profane n'a que faire de se laisser catéchiser (Gide, Journal, 1941, p.97). − P. méton., en empl. adj. D'une personne non initiée à une religion. J'entrai dans une cour éclairée où une vingtaine d'hommes réunis en cercle se dandinaient en imitant les mouvements d'un chef qui donnait le ton, et hurlaient le nom d'Allah avec ces intonations gutturales, forcenées et sauvages dont les derviches de Scutari t'ont donné l'exemple. Nul ne s'inquiéta de ma présence profane, et je pus rester jusqu'à la fin de cette cérémonie (Du Camp, Nil, 1854, p.29). 3. P. anal. ou dans des empl. métaph. a) (Personne) qui ne fait pas partie d'une association ésotérique. Les francs-maçons n'ouvrent jamais leurs loges aux profanes (Lar. 19e-Lar. encyclop.).Pour ce seul fait d'avoir laissé jeter à une personne profane un coup d'oeil sur les mystères maçonniques, l'intriguant Cagliostro eût mérité d'en être à jamais exclu (Sand, Ctessede Rudolstadt, t.2, 1844, p.171). b) Personne qui ne fait pas partie d'un groupe, d'une association (considérée comme une société fermée). Un Otto, un Andréossi entreront-ils dans les salons de Vienne? Aussitôt les épanchements de l'opinion se tairont, les habitudes de moeurs cesseront; ce sont des intrus, des profanes (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène, t.1, 1823, p.497).À plusieurs reprises déjà j'avais voulu me retirer, et, plus que pour toute autre raison, à cause de l'insignifiance que ma présence imposait à cette réunion, l'une pourtant de celles que j'avais longtemps imaginées si belles, et qui sans doute l'eût été si elle n'avait pas eu de témoin gênant. Du moins mon départ allait permettre aux invités, une fois que le profane ne serait plus là, de se constituer enfin en comité secret (Proust, Guermantes 2, 1921, p.543). B. − Subst. et adj. 1. [Désignant ou qualifiant une pers.] (Celui, celle) qui n'est pas initié(e) à quelque chose (un art, une science, une technique, certains usages). Synon. ignorant, incompétent, béotien; anton. connaisseur, spécialiste.Les profanes de la science; parler en profane; aux yeux du profane; être profane en la matière; le vulgaire profane. À ces expressions le lecteur profane avait aussitôt reconnu et salué le diplomate de carrière (Proust, J. filles en fleurs, 1918, p.462).La discussion marque assez fidèlement la différence de l'initié et du profane; si l'on préfère, du lecteur qui connaît le secret de la critique et de celui qui l'ignore (Paulhan, Fleurs Tarbes, 1941, p.201): 2. Que tout le monde se rassure. Je ne dirai pas que tout notre enseignement exige une réforme des plus profondes. Ce serait l'opinion d'un profane, d'un amateur, et il faut se garder de ces gens-là. Il ne faut écouter jamais que les hommes compétents, qui sont les hommes qui se trompent dans toutes les règles.
Valéry, Variété IV, 1938, p.202. 2. P. méton., en empl. adj. D'une personne non initiée. L'entraîneur, John Kent, regardait sans confiance cet homme étrange et pâle qui traversait les écuries avec des précautions maladroites et parlait des chevaux dans un langage profane (Maurois, Disraëli, 1927, p.180). REM. Profanité, subst. fém.,hapax. Caractère profane. Je ne puis supporter votre profanité (Claudel, Échange, 1954, III, p.792). Prononc. et Orth.: [pʀ
ɔfan]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. A. Adj. 1228 «qui n'est pas sacré» (Reg. de S. Denis, p.560, Tanon, Hist. des just. des églises de Paris ds Gdf. Compl.: Et fut enterré [...] en terre prophane); 1486 «qui se comporte en impie» (Jean Michel, Mystère de la Passion, éd. O. Jodogne, t.1, p.45, vers 3543); subst. 1553 «celui qui manque de respect pour les choses de la religion» (La Bible... de l'impr. Jean Gérard, 1 Mach 7). B. P. ext. subst. 1690 «celui qui n'est pas initié (à un art, une science...)» (Fur.); 1694 «celui qu'on ne veut pas admettre dans une société» (Ac.). Empr. au lat. profanus (de pro «devant» et fanum «lieu consacré») «qui n'est pas consacré» ou «qui n'est plus sacré» et p.ext. «impie», «non initié, ignorant». Fréq. abs. littér.: 743. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 1106, b) 706; xxes.: a) 1095, b) 1178. |