| PLONGER, verbe I. − Empl. trans. A. − Enfoncer, faire entrer dans l'eau ou dans un liquide (partiellement ou totalement). Synon. tremper.J'ai plongé ma coupe de vermeil dans la source qui bouillonnait (Quinet, Ahasvérus,1833, 2ejournée, p.161).Proposition connue sous le nom de principe d'Archimède, qu'un corps solide, plongé dans un fluide, y perd une partie de son poids égale au poids du volume de fluide déplacé (Cournot, Fond. connaiss.,1851, p.396): 1. Elle regardait au coin de la rue Galande une marchande de pommes de terre frites qui (...) plongeant l'écumoire dans la friture chantante, en tirait des croissants dorés dont elle remplissait un cornet de papier jaune...
A. France, Lys rouge,1894, p.35. SYNT. Plonger un enfant, un malade dans un bain; plonger les mains, les pieds, la tête dans l'eau; plonger le linge, la vaisselle dans un baquet; plonger une étoffe dans la teinture; plonger une cuillère dans la soupe, la viande dans le pot-au-feu. − Empl. pronom. réfl. Pénétrer entièrement dans l'eau. La chambre que j'occupe est grande, banale, tranquille. Je me suis plongé dans ma baignoire (Green, Journal,1945, p.258). ♦ Vieilli. ,,Se plonger dans le sang (de qqn). L'égorger`` (Ac. 1835, 1878). Au fig. Se plonger dans le morbide ou le cruel. Je lui expliquai que j'avais écrit de sang-froid l'histoire d'un homme triste et atrabilaire (...); que je m'étais plongé dans le sang sans avoir aucun droit à ce triste plaisir (Janin, Âne mort,1829, p.6). ♦ Proverbe. On ne se plonge jamais deux fois dans le même fleuve*. B. − Faire entrer (rapidement) quelqu'un, quelque chose dans. 1. [Le suj. désigne une pers.] a) [L'obj. désigne une pers.] Mettre dans un lieu profond ou souterrain. Plonger qqn en prison, dans les fers. Des hommes blancs vont acheter des hommes noirs et les plongent vivants dans les mines d'Amérique (Chénier, Amérique,1794, p.100).Vous n'êtes pas un homme si vous (...) souffrez qu'on enlève un fils à sa mère, qu'on le plonge sans raison dans un cachot (Scribe, Bertrand,1833, iv, 2, p.195). b) [L'obj. désigne une chose pointue] Enfoncer rapidement et profondément. Plonger un couteau, un sabre dans le corps, le sein (de qqn). Le capitaine, frémissant à l'idée du nombre des meurtres qu'il avait déjà dû accomplir pour amasser tant de trésors, lui a plongé son épée dans le coeur (Latouche, L'Héritier, Lettres amans,1821, p.129). − P. métaph. ou au fig. Plonger un couteau, un poignard dans le sein de qqn. Causer à quelqu'un une peine vive et profonde. Qu'est-ce qu'allait dire maman encore? De quelle ridicule épingle allait-elle le piquer, elle qui aurait dû lui plonger un large couteau dans le coeur (Drieu La Roch., Rêv. bourg.,1937, p.279). − Empl. pronom. réfl. indir. Hémon (...) se plonge l'épée dans le ventre et il s'étend contre Antigone, l'embrassant dans une immense flaque rouge (Anouilh, Antig.,1946, p.209). c) [L'obj. désigne une partie du corps] Enfoncer dans quelque chose de creux ou de mou. Plonger la main dans le sac, dans ses cheveux; plonger le nez dans son livre; plonger sa tête dans l'embrasure de la fenêtre; mains plongées dans les poches. Elle se laissa tomber en avant, plongea sa tête dans l'herbe épaisse, et pleura comme elle n'avait jamais pleuré (Bernanos, Joie,1929, p.605).Il plongea deux doigts dans la poche de son gilet, en tira un petit papier plié qu'il tendit à Maigret (Simenon, Vac. Maigret,1948, p.184). − Empl. pronom. réfl. Il se plongea dans un bon fauteuil à la Voltaire après avoir embrassé Lydie au front (Balzac, Splend. et mis.,1844, p.152). d) En partic. Plonger son regard, ses yeux dans les yeux de qqn, dans un lieu, sur qqn, sur qqc. Regarder intensément, avec attention. Plonger ses regards dans une pièce, dans l'abîme. Il plongea un instant son regard dans les beaux yeux, un peu trop grands, un peu trop ronds, mais d'une eau si pure: −«C'est promis», dit-il presque gravement (Martin du G., Thib.,Été 14, 1936, p.263). 2. [Le suj. désigne un élément naturel, un édifice] L'arbre plonge ses racines dans la terre. La chaîne arabique, qui plonge sa haute falaise de pierre dans le Nil (Fromentin, Voy. Égypte,1869, p.112).Massives tours d'angle qui plongent leurs fondations dans un fossé plein de gravats (T'Serstevens, Itinér. esp.,1933, p.262). C. − Mettre brusquement ou totalement (quelqu'un, quelque chose) dans un état, une situation. 1. [Le compl. introd. par dans désigne un environnement] Plonger une pièce dans l'obscurité. Wagner aimait à plonger ses auditeurs dans les ténèbres. Il paraît que son oeuvre gagne à être entendue par des gens qui ne se voient pas les uns les autres (Bloy, Femme pauvre,1897, p.167). − Au passif. Être plongé dans la nuit. La chambre était plongée dans une demi-obscurité et il m'était absolument impossible d'allumer une lampe (G. Leroux, Roul. tsar,1912, p.26). 2. Au fig. [Le compl. introd. par dans désigne un état, une activité ou disposition d'esprit] Plonger (qqn) dans l'étonnement, la perplexité; nouvelle, spectacle qui plonge les gens dans la stupeur. Le deuil affreux où le plongeait cette perte irréparable (Balzac, L. Lambert,1832, p.193).À prendre aux riches, vous ne retireriez pas grand profit, car ils ne sont guère nombreux; et vous vous priveriez au contraire, de toutes ressources, en plongeant le pays dans la misère (A. France, Île ping.,1908, p.83): 2. Je redoutais ses questions, sa façon à la fois très innocente et très maligne de vous plonger soudain dans l'embarras, en mettant le doigt sur votre pensée la plus secrète.
Alain-Fournier, Meaulnes,1913, p.307. − Au passif. Être plongé dans le chagrin, dans la contemplation, dans la lecture, dans ses réflexions. Pendant une bonne demi-heure, les deux amis furent plongés dans des calculs qui causaient évidemment par leur résultat une satisfaction vive à Paul Petrowitch (Gobineau, Nouv. asiat.,1876, p.30). − Au part. passé. Nous restâmes dix minutes environ plongés dans un profond silence (Balzac, Peau chagr.,1831, p.165).Au bout de quelques minutes ils [les rats] eurent beau revenir et faire rage, les trois mômes, plongés dans le sommeil, n'entendaient plus rien (Hugo, Misér.,t.2, 1862, p.170). − Empl. pronom. réfl. S'absorber dans (une occupation), s'adonner entièrement à. Se plonger dans la débauche, les plaisirs, le vice; se plonger dans l'étude, dans un journal, dans un livre; se plonger dans une oeuvre, un auteur. Je suis en ce moment plongé dans mes travaux comme quand je m'y plonge, c'est-à-dire travaillant depuis trois heures du matin jusqu'à quatre heures après midi (Balzac, Corresp.,1844, p.666). ♦ Se plonger jusqu'au cou dans qqc. (fam.). Je me suis plongé jusqu'au cou dans tous ces souvenirs; je les ai comparés vaguement à la fumée de ma pipe qui s'envolait, laissant après elle l'air tout embaumé (Flaub., Corresp.,1840, p.67). II. − Empl. intrans. A. − S'enfoncer entièrement dans l'eau. Plonger sous les vagues; les canards plongent; la voiture accidentée a plongé dans le canal. [Les baleines] nageaient en un troupeau, plongeant devant les banquises; on les voyait reparaître plus loin (Gide, Voy. Urien,1893, p.53).Brusquement le flotteur plonge, glisse sous l'eau, prend du fond. Un coup de poignet bref, sec, on les a [les poissons] (Pesquidoux, Chez nous,1923, p.237). − En partic. [Le suj. désigne une pers.] Pénétrer dans l'eau, descendre au fond de l'eau pour y travailler, visiter les fonds marins, pratiquer la pêche sous-marine. Les corailleurs, qui plongent souvent à des profondeurs de 80 à 100 m, abandonnent la ceinture de plomb et prennent une pierre à la main pour descendre aisément et sans fatigue (Clouzot, L'Exploration sous-marine,1969, p.13). − Spécialement 1. MARINE a) [Le suj. désigne un bateau] ,,Tanguer fortement en enfonçant son nez dans le creux des vagues`` (Le Clère 1960). Plonger dans les lames. La Durande plongeait de l'avant (Hugo, Travaill. mer,1866, p.206). b) [Le suj. désigne un sous-marin] S'enfoncer sous l'eau pour naviguer en plongée; ,,remplir ses ballasts pour prendre son immersion`` (Gruss 1978). Engins qui volent ou qui plongent, avions et sous-marins (Cendrars, Bourlinguer,1948, p.292). 2. SPORTS (natation). Se jeter à l'eau tête et bras en avant; exécuter un plongeon. Plonger du bord de la piscine, du tremplin, d'un pont, d'un rocher. Tu sais ramer, tu sais nager, tu plonges. Je t'ai vu plonger une minute entière (Giraudoux, Siegfried,1928, iv, 5, p.183).Ils se déshabillèrent. Rieux plongea le premier. Froides d'abord, les eaux lui parurent tièdes quand il remonta (Camus, Peste,1947, p.1426).P. métaph. Qu'on ait, une fois dans la vie, le courage d'être soi-même! Le courage de plonger tout au fond de soi, pour y découvrir ce qui jusqu'alors a été le plus méconnu (Martin du G., Thib.,Été 14, 1936, p.212). ♦ Part. passé adj. Départ plongé. Départ d'une épreuve de natation commençant par un plongeon du bord de la piscine. Le brevet de nageur scolaire est attribué à tout écolier ou écolière, âgé de moins de 16 ans, accomplissant un parcours de 25 mètres nage libre, départ plongé, sans limite de temps (L'OEuvre,12 févr. 1941). B. − P. anal. 1. Faire un mouvement brusque et rapide de haut en bas. a) [Le suj. désigne une pers., un animal] Se jeter à plat ventre, se courber, s'enfoncer dans ou sur quelque chose. Lièvre qui plonge dans le taillis. La douceur des duvets où plongent les corps pour le repos (Maupass., Contes et nouv.,t.1, Bonheur, 1884, p.691).Honoré recula son tabouret pour plonger sous la table (Aymé, Jument,1933, p.76). − En partic., fam. Faire une révérence, un profond salut. La leçon de danse de M. Raimu est un chef-d'oeuvre (...) il se glisse, il plonge, il déplonge, il écarte ses bras et lance ses jambes roses avec la gravité des phoques (Cocteau, Foyer artistes,1947, p.182). − Argot ♦ Disparaître. William ayant disparu deux ou trois jours, ayant «plongé», comme il disait (Mauriac, Ce qui était perdu,1930, p.248). ♦ Être condamné à une peine de prison. Il affirme être innocent et n'avoir «plongé» que pour un vol de 800 F. commis par un autre (Minute,11 nov. 1981ds R. Trad. 1983 no22, p.44). − SPORTS (footb., rugby). [Le suj. désigne le gardien de but] Exécuter un plongeon. Le gardien de but plonge et doit mettre en corner, vu la charge de l'extrême droit (Montherl., Olymp.,1924, p.252). b) [Le suj. désigne un oiseau, un avion ou son pilote] Descendre brusquement à la verticale. Le rapace plonge sur sa proie; l'avion plonge vers le sol. Cependant je poursuis mon vol avec un sérieux imperturbable. Je plonge vers l'armée allemande à huit cents kilomètres-heure (Saint-Exup., Pilote guerre,1942, p.333). − P. anal. La machine [une motocyclette] plongeait au bas de la descente avec un puissant râle, remontait si vite qu'on eût pu croire qu'elle s'était élevée d'un bond (Bernanos, Journal curé camp.,1936, p.1210). 2. Avoir une direction de haut en bas. a) [Le suj. désigne le regard, la lumière] Le jour plonge au plus noir du gouffre (Hugo, Contempl.,t.3, 1856, p.290).Promontoire d'où la vue plonge soudain dans un immense cirque surmonté de falaises dressées jusqu'au ciel (Abellio, Pacifiques,1946, p.218). − Fam. Voir aisément en se tenant d'un endroit élevé. Fenêtre d'où l'on plonge chez le voisin. Dans le coin de la cuisine, on plongeait par le vasistas, on voyait alors tout le plumard (Céline, Mort à crédit,1936, p.201). − En partic. Porter son regard de manière insistante, pénétrante. Les yeux d'Hélène devenus sérieux, plongèrent lentement dans les yeux bleus de Gérard (Theuriet, Mariage Gérard,1875, p.135). b) [Le suj. désigne une arme] Ce coup de canon, ce coup de fusil plonge (Ac.1835, 1878). c) [Le suj. désigne un élément de la nature, un édifice, un objet] Pénétrer, s'enfoncer dans quelque chose. Racine qui plonge dans l'humus. Cône parfait [le Stromboli], sombre, d'arêtes rigides, plongeant dans la mer, avec l'inclinaison d'une pyramide aiguë (Fromentin, Voy. Égypte,1869, p.156).Vévé fixait une torsade de cheveux blonds qui plongeait dans l'écharpe de fourrure jetée sur une épaule (Malègue, Augustin,t.1, 1933, p.273). ♦ P. métaph. Cette vieille coutume était comme toutes les vieilles coutumes. Cela plonge si profond qu'on n'en voit pas les racines (Renan, Drames philos.,Prêtre Nemi, 1885, i, 4, p.540). − GÉOL. [Le suj. désigne une couche géologique] Avoir une direction inclinée. La craie plonge en profondeur, et les couches qui viennent affleurer à la surface, au lieu d'être plus anciennes, sont plus récentes (Vidal de La Bl., Tabl. géogr. Fr.,1908, p.100). C. − Au fig. 1. S'enfoncer au sein de quelque chose, dans un état, dans une activité; s'y absorber (v. supra I C 2 empl. pronom.). Plonger dans un livre, dans le sommeil. Je voudrais (...) qu'(...)il me soit possible de plonger dans le travail et peut-être davantage encore dans la réflexion (Du Bos, Journal,1927, p.290). 2. Pop. Subir un échec. Une fois de plus, mon volume a plongé (...) Pauvre volume! (...). Ces malheureuses nouvelles ont le don d'enthousiasmer au premier abord, puis tout s'écroule (Renard, Corresp.,1886, p.53). REM. Plongeonner, verbe trans.,hapax. Faire des plongeons. Voici le troupeau des canards Qui plongeonne et s'ébat sur l'étang couleur d'huile (Rollinat, Névroses,1883, p.172). Prononc. et Orth.: [plɔ
̃
ʒe], (il) plonge [plɔ
̃:ʒ]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist.1. a) 1121-34 verbe pronom. «se précipiter dans l'eau» (Philippe de Thaon, Bestiaire, 1927 ds T.-L.); 1160-74 «se jeter à l'eau» (Wace, Rou, éd. A. J. Holden, III, 5236); b) 1135 «enfoncer» (dans un liquide) (Id., Vie Ste Marguerite, éd. E. A. Francis, 542); 2. ca 1160 (en parlant d'un navire) «s'enfoncer en descendant» (Eneas, éd. J. J. Salverda de Grave, 584); 3. 1188 «enfoncer une arme dans le corps» (Aimon de Varennes, Florimont, éd. A. Hilka, 784); 4. ca 1200 fig. (en parlant d'une personne) «s'enfoncer au sein de quelque chose» (Poème moral, 80a ds T.-L.); 5. a) 1376 (en parlant d'un oiseau) «descendre brusquement» (Modus et Ratio, éd. G. Tilander, 116, 80); 1926 (en parlant d'un avion) (St Exupéry, L'Aviateur in Un Sens à la vie, 20 ds Quem. DDL t.16); b) 1790 (en parlant du regard) «se diriger de haut en bas» (J. J. Rousseau, Confessions, VIII ds Littré); 1830 «porter son regard de façon insistante» (Balzac, Double fam., p.80); 6. 1577 «mettre quelqu'un dans un certain état, une certaine situation» (R. Belleau, La Reconnue, éd. Marty-Laveaux, II, 399); 7. 1559 «s'adonner entièrement à une occupation» (Amyot, Demet., 74 ds Littré); 1863 se plonger dans un livre (Fromentin, Dominique, p.64); 8. 1689 part. passé «faire un profond salut» (Mmede Sévigné, Lettres, éd. M. Monmerqué, 8, 519); 1913 «s'élancer brusquement pour arrêter un ballon» (Vie au grand air ds Petiot 1982). D'un lat. pop. *plumbicare, dér. de plumbum (v. plomb). Fréq. abs. littér.: 3732. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 5925, b) 5349; xxes.: a) 4346, b) 5334. DÉR. Plongement, subst. masc.a) Rare. Action de plonger quelque chose dans un liquide. La fuite et le plongement et la disparition du bouchon dans les profondeurs sous-marines (Goncourt, Journal,1891, p.142).b) Géol. Angle que fait une couche de terrain avec le plan horizontal. L'inclinaison est déterminée par l'angle que fait cette ligne de plus grande pente (du gisement) avec l'horizon (...) on remplace également cette expression par celle de plongement, plongée ou pendage (Haton de La Goupillière, Exploitation mines,1905, p.6).− [plɔ
̃
ʒmɑ
̃]. − 1resattest. 1388 plingement «action de plonger» (Roques t.1, IV, V, 227), 1869 géol. (Littré); de plonger, suff. -ment1*. BBG. −Bogacki (K.). Les Prédicats locatifs statiques en fr. Warszawa, 1977, p.66. _Ludi (G.). Bemerkungen zum Verhältnis von Verbalsemantik und Kasustheorie. Romanistentag. 1981. Regensburg. Zur Semantik des Französischen. Wiesbaden, 1983, pp.54-70. _Schuchardt (H.). Romanische Etymologien. 2. Sitzungsberichte der philosophisch-historischen Klasse der kaiserlichen Akademie der Wissenschaften. 1899, t.141, p.163. |