| PLEURER, verbe I. − Empl. intrans. A. − [Le suj. désigne une pers., les yeux d'une pers.] Verser des larmes (sous l'effet d'une douleur physique ou morale, d'une émotion pénible ou agréable). Synon. chialer (pop.), pleurnicher, sangloter.Dans le même instant j'entendis la vieille qui pleurait tout bas; elle sanglotait, et, de temps en temps, elle se baissait pour se moucher sous son manteau sans faire de bruit (Erckm.-Chatr.,Hist. paysan, t.2, 1870, p.156).Je la regarde avidement: Oh! les pauvres yeux dorés qui ont pleuré et sont gonflés en dessous, les chers yeux qui me lancent un regard effaré et se détournent vite! (Colette,Cl. école, 1900, p.48): 1. Maman dépliait la lettre. Soudain, elle se cacha le visage dans son tablier et se prit à pleurer. Papa souriait, le sourcil dédaigneux. Joseph s'écria: −Ne pleure pas, Maman. Puisqu'on ne l'aimait pas, c'est pas la peine de pleurer.
Duhamel,Notaire Havre, 1933, p.36. SYNT. Être sur le point de pleurer; avoir envie de pleurer; se retenir, s'arrêter de pleurer; pleurer de plus belle; pleurer en silence; pleurer à seaux, à torrents; pleurer sur l'épaule, dans le giron de qqn; rire et pleurer, prier et pleurer. 1. a) Pleurer de + subst.Ressentir vivement une atteinte physique ou morale au point d'en verser des larmes. Mon pauvre Auguste est malade, je crois, de la tristesse de ce séjour. Il pleure d'ennui sur mes genoux, regrette Mathieu et Adolphe qui s'occupaient tant de lui (Staël,Lettres L. de Narbonne, 1794, p.261).Deux fois par jour, devant ce bout de jambon et ces nouilles éternelles, mon estomac se contractait... J'en aurais pleuré de désespoir (Bernstein,Secret, 1913, i, 2, p.5).Éperdu sous les acclamations qui l'accueillaient et pleurant de joie, Jouffroy lança son pistolet à l'eau: il avait gagné la partie! (P. Rousseau,Hist. techn. et invent., 1967, p.239). SYNT. Pleurer de bonheur, de désir, de plaisir; pleurer de dépit, d'indignation, de rage; pleurer de colère, de haine, de honte; pleurer d'angoisse, de terreur; pleurer de douleur, d'épuisement, de faim, de fatigue, de misère. b) Pleurer dans (qqc.).Pleurer en se cachant des autres. Pleurer dans son assiette. Les témoins, pour être convenables, se tenaient debout tout le temps; tandis que maman Coupeau, reprise par les larmes, pleurait dans le livre de messe qu'elle avait emprunté à une voisine (Zola,Assommoir, 1877, p.496).Les uns se laissaient choir à terre en tas; et ils pleuraient dans leurs manches, comme des petites filles! (Adam,Enf. Aust., 1902, p.84). c) En incise. Dire en versant des larmes. Pour moi, je me cale dans mon fauteuil et ferme les yeux pour mieux entendre. −Ce serait si gentil à vous! pleura Esmont (Miomandre,Écrit eau, 1908, p.152).Puis elle ne put s'empêcher de gémir et Pierre se réveilla. −Va chercher du secours, petit, pleura-t-elle. Va vite... Je suis trop malade (Van der Meersch, Invas. 14, 1935, p.271). 2. Loc. et expr. a) Verser des larmes très abondantes, parfois accompagnées de plaintes et de gémissements. ♦ Pleurer à chaudes larmes. V. larme. ♦ Pleurer à pleins yeux, de tous ses yeux (vieilli). Renoncez à l'absurde projet d'épouser ma cuisinière, car vous ne devez pas lier votre sort au sort d'une servante, et je ne veux pas d'enfants dans la maison! L'infortuné pleura de tous ses yeux et se répandit en actions de grâces (About,Nez notaire, 1862, p.175).Madame Lepic se courbe. Il fait le geste habituel de s'abriter derrière son coude. Mais, généreuse, elle l'embrasse devant tout le monde. Il ne comprend plus. Il pleure à pleins yeux (Renard,Poil Carotte, 1894, p.247). ♦ Pleurer comme une madeleine. V. madeleine1A. ♦ Pleurer comme un veau, une vache (pop.). Il ne pouvait s'empêcher d'admirer la bonne humeur et verve comique du Pédant, qui trouvait à rire là où d'autres eussent gémi comme veaux et pleuré comme vaches (Gautier,Fracasse, 1863, p.157).Alexis se retourna sur le ventre avec violence, d'un coup, la tête dans l'oreiller, et se mit à pleurer, à pleurer comme un veau (Triolet,Prem. acroc, 1945, p.250). b) Au fig. ♦ C'est Jean qui pleure et Jean qui rit. Passer facilement du rire aux larmes, de la joie à la tristesse. Vous avez entendu tantôt Jean qui pleure, vous allez entendre Jean qui rit (Reybaud,J. Paturot, 1842, p.205). ♦ Ne pleurer que d'un oeil. Feindre le chagrin, la tristesse. (Dict.xixeet xxes.). ♦ Ne + verbe + que ses yeux pour pleurer.Avoir tout perdu. On se dit: Comme cela sera beau! Cela ressemblera, enfin, à la vie comme je l'ai rêvée... On vit le rêve une semaine et, après, il ne vous reste plus que les yeux pour pleurer (Anouilh,Répét., 1950, iii, p.87). ♦ Adj. + à pleurer, à faire pleurer (péj.).Au point d'en verser des larmes, extrêmement. Après avoir été glorieux des succès de son fils, Melchior avait la honteuse faiblesse d'en devenir jaloux. Il cherchait à les rabaisser. C'était bête à pleurer (Rolland,J.-Chr., Matin, 1904, p.144).[L'oeuvre de Meissonier] cela est photographique à faire pleurer, exact sans grâce, sans humour, sans liberté technique (Mauclair,De Watteau à Whistler, 1905, p.162). c) Proverbe. [P. allus. à Racine dans Les Plaideurs] Tel qui rit vendredi, dimanche pleurera. Après la joie, vient la peine. P. plaisant. Je ne suis pas précisément aussi superstitieux: j'aime mieux rire le vendredi que pleurer le dimanche; faire un bon dîner à treize convives qu'un mauvais à douze (Jouy,Hermite, t.2, 1812, p.86). 3. Part. passé en empl. adj. [En parlant d'une durée] Passé à verser des larmes, à éprouver un grand chagrin. Un mot suffisait pour éterniser les heures de cette nuit pleurée, et ce mot, je ne l'ai pas dit (Ménard,Rêv. païen, 1876, p.103).Il était dit que ce serait un dimanche que je me remettrais à vous écrire. Tout prend une telle acuité de tristesse, à Saint-Léonard, un dimanche de pluie. Que de dimanches pleurés derrière ma fenêtre! (Montherl.,Lépreuses, 1939, p.1380). 4. [Le suj. désigne un jeune enfant ou un bébé] Exprimer par des larmes et des cris un besoin, une gêne physique, une angoisse. Elle portait le petit qui pleurait, il pleurait à fond, vous savez ces pleurs sans consolation où coule la détresse accumulée de toute une race (Frapié,Maternelle, 1904, p.302).MmeNecker de Saussure cite le cas d'un bambin de deux ans six mois pleurant parce que, en fermant une porte, des adultes avaient emprisonné dans leur chambre des canards et des poules cependant imaginaires (Jeux et sports, 1967, p.83). − P. anal. [Le suj. désigne un animal] Crier, se plaindre comme un enfant ou un bébé. On entendit un bêlement plaintif. C'était la petite chèvre qui pleurait (Hugo,N.-D. Paris, 1832, p.358).Je vois sa physionomie se transfigurer: un jardin desséché, dans lequel on ouvre des conduites d'eau, −ou le chien qui pleurait parce qu'on le laissait trop longtemps seul (Montherl.,Démon bien, 1937, p.1342). 5. En partic. S'attendrir, s'émouvoir à propos d'une oeuvre artistique. Une peinture [de Reynolds] qui fait pleurer les vieilles dames et soupirer les jeunes filles, impuissante, équivoque, perverse, traînant dans des ruisseaux de parfums et de caramels le manteau de Rembrandt (Faure,Hist. art, 1921, p.147).Le mélodrame où pleurait Margot déroulait sans doute des intrigues ténébreuses dans la plus haute société; mais l'essentiel est que Margot pleure, touchée par l'humble vérité parée d'un faux luxe (Arts et litt., 1935, p.88-5). 6. Verser des larmes sous l'effet d'une cause irritante. Je me mis à courir sans lever la tête, car le froid était tel que mes yeux en pleuraient derrière les grands poils du collet (Erckm.-Chatr.,Conscrit 1813, 1864, p.22).Je ne peux pas éplucher des oignons sans pleurer, est-ce ma faute? (Bernanos,Joie, 1929, p.616).Les muqueuses oculaires et nasales s'enflamment à leur tour. Les yeux pleurent et par les narines s'écoule un jetage abondant (Garcin,Guide vétér., 1944, p.234). 7. P. anal. a) [Le suj. désigne une chose] Répandre, verser (goutte à goutte) un liquide. Près de la sente se trouve une source cachée qui, d'une roche moussue, pleurait autrefois goutte à goutte dans une vasque d'argile (Moselly,Terres lorr., 1907, p.89).Sulphart cherchait à atteindre sa chaussure, pour abattre la bougie qui pleurait sur le bas flanc (Dorgelès,Croix de bois, 1919, p.20). − P. métaph. Le vent faisait rage (...) Le ciel pleurait, les arbres luttaient contre la tourmente (Nerval,Nouv. et fantais., 1855, p.160). − En partic. [Le suj. désigne un végétal qui exsude sa sève] À peine dans le Bois nous commençâmes de respirer les bourgeons qui pleurent, et je ne sais quelle langueur dans l'air (Toulet,Nane, 1905, p.72).Dans cette vallée étroite, bien exposée au soleil, le printemps était plus avancé. La vigne commençait à pleurer (Giono,Bonheur fou, 1957, p.134). b) Émettre un son, un bruit semblable à une plainte ou un gémissement. La bise pleurait sous les porches déserts de la cathédrale (Sand,Lélia, 1833, p.77).Comme l'accordéon pleurait entre les mains de Hans le mélancolique, Joseph poussa le joyeux éclat de rire des montagnes, à quoi tout la salle répondit (Jouve,Scène capit., 1935, p.12): 2. J'entends encore, dans mon coeur, pleurer la cloche de la chapelle aujourd'hui abandonnée qui m'était apparue, il y avait dix ans, toute feutrée de neige.
Jammes,Mém., t.3, 1923, p.28. c) S'incliner, pencher vers le sol. Le grand Pré-aux-Clercs (...) encadré de ses saules gris ébouriffés et de ses saules verts pleurant dans l'eau (Nerval,Nouv. et fantais., 1855, p.192).Nous trouvons la princesse dans son salon, l'air abattu, désolé, sa robe pleurant autour d'elle (Goncourt,Journal, 1864, p.99). 8. Empl. impers. Il pleure dans mon coeur Comme il pleut sur la ville (...) Il pleure sans raison Dans ce coeur qui s'écoeure (Verlaine,Romances sans par., 1874, p.14). B. − P. méton. 1. Être affligé, avoir une très grande peine, manifester du chagrin avec ou sans larmes ou plaintes. Pleure homme, pleure; verse des larmes de douleur, et apprends combien ton empire a changé! Il est livré à une guerre civile universelle (Saint-Martin,Homme désir, 1790, p.128).Ah! laissez pleurer mon coeur, me dit-elle; il fait froid, ce soir, et mon coeur est nu (Malègue,Augustin, t.1, 1933, p.325): 3. Tous les rôles sont changés. Au moment où les poètes anglais et français pleurent et se lamentent, les jeunes poètes allemands commencent à se divertir et à banqueter.
Quinet,All. et Ital., 1836, p.112. − P. métaph. Son coeur n'a jamais battu d'un sentiment profond de tristesse à la vue d'un malheureux comme lui. Son oeil sans larmes s'est fermé au sommeil à côté de la misère qui veille et qui pleure (Nodier,J. Sbogar, 1818, p.166).La société alors se soulève d'indignation; le travail pleure de se voir bientôt libre; la démocratie frémit de l'abaissement du pouvoir (Proudhon,Syst. contrad. écon., t.1, 1846, p.262).Ah! la douleur, quand on n'a pas le don de la pouvoir habiller superbement, de la transformer en pages littéraires ou musicales qui pleurent magnifiquement, le mieux serait de n'en pas parler (Huysmans,Là-bas, t.1, 1891, p.145). − Pleurer sur...S'affliger à propos de quelqu'un, s'apitoyer sur quelqu'un ou quelque chose. Ce deuil de l'âme humaine pleurant, non sur la tombe d'un être aimé, mais sur l'innocence évanouie, la justice perdue (Monod,Sermons, 1911, p.259).Il avait envie de pleurer sur tant de douleurs inutiles, car même son amour sacrifié ne servirait pas à bâtir du bonheur (Estaunié,Ascension M. Baslèvre, 1919, p.189): 4. ... cette princesse, éprise d'un rajah que la rigueur paternelle lui refusait comme époux, fut bannie sur un îlot où elle passa le reste de ses jours à pleurer sur son triste sort; chaque larme, en tombant dans les flots, se métamorphosa en perle fine.
Metta,Pierres préc., 1960, p.117. − Pleurer de ce que...Manifester du chagrin à propos de quelque chose. Le sacristain pleure de ce que l'inscription est cachée (Michelet,Journal, 1831, p.93). − Pleurer de qqn, de qqc. (vieilli).Compatir, s'intéresser. Oh! chère, j'eusse pleuré de vos embarras, pleuré de vos ennuis, et je me serais résigné à deux ans de travail (Balzac,Lettres Étr., t.2, 1842, p.13). − Pleurer de + inf. (vieilli et/ou littér.).Se lamenter. Jeannie, ma belle Jeannie, écoute un moment l'amant qui t'aime et qui pleure de t'aimer, parce que tu ne réponds pas à sa tendresse (Nodier,Trilby, 1822, p.118).En tête, la tribu bariolée des imbéciles! Ils mènent tout, portent les clés, ouvrent les portes, inventent les phrases, pleurent de s'être trompés, assurent qu'ils n'auraient jamais cru... (Gobineau,Pléiades, 1874, p.22). 2. Présenter une doléance, se plaindre en cherchant à apitoyer, à forcer la compassion d'une personne, d'une instance. Synon. implorer.Mais je méprise et je hais, mais j'en veux à ces misérables Français qui pour avoir la paix ont vendu deux provinces et ensuite sont allés pleurer à l'assemblée de Bordeaux (Péguy,Argent, 1913, p.1237). − Pleurer après qqc. (pop.).Quémander avec une insistance un peu geignarde. Seulement, comme madame pleurait sans cesse après l'argent (...) [Rachel] pinçait de plus en plus les lèvres (Zola,Pot-Bouille, 1882, p.259). − Pleurer dans le gilet de qqn (fam.). Se plaindre de quelque chose auprès de quelqu'un. À côté de Vance se tenait, autre magicien, le chanteur Barrams, dont un de nos amis fut si amoureux qu'il en pleurait dans le gilet de ses voisins (Fargue,Piéton Paris, 1939, p.53). 3. Pop. Pleure pas tu la reverras ta mère, ton étable. Cesse de te plaindre, tu retourneras chez toi. Lâche tes trente bourgues et ne pleure pas: tu la reverras ton étable (Dorgelès,Croix de bois, 1919, p.113).Le quolibet a cours avant mars 1915, étant dans le texte «On va tous être tués ici. Pourquoi qu'on reste ici? Gaspard lança, méprisant: −Pleure pas, va, t' la r'verras ta mère!» (Esnault,Notes compl. Poilu, [1919], 1957). II. − Empl. trans. [Le suj. désigne une pers.] A. − [Avec un compl. d'obj. dir.] 1. Pleurer qqn, qqc.Éprouver un grand chagrin à propos de la disparition de quelqu'un, de la perte de quelque chose. a) Pleurer qqn, la mort de qqn.Mes larmes ayant trouvé un passage, je pleurai ma soeur et mon unique compagne, avec tant de violence, que j'épuisai l'humeur qui m'étouffait et me serrait le coeur (Restif de La Bret.,M. Nicolas, 1796, p.117).Toute la nuit les Barbares pleurèrent leurs morts avec des hurlemens sauvages (Michelet,Hist. romaine, t.2, 1831, p.158): 5. Le cabinet était le cabinet du Ministre des Affaires étrangères; ces trois hommes étaient Walewski, le prince Napoléon et lui, et ce qu'ils pleuraient tous trois, c'était la même maîtresse, dont ils pleuraient la mort qu'ils venaient d'apprendre: Rachel.
Goncourt,Journal, 1864, p.105. b) Pleurer qqc., la perte de qqc.MmeRastoil, à demi vêtue d'un peignoir, pleurait le meuble de son salon, qu'elle venait justement de faire recouvrir (Zola,Conquête Plassans, 1874, p.1205).Un jeunot pleurait ses trente francs qui étaient partis en apéritifs (Giono,Baumugnes, 1929, p.120). c) P. méton. − Éprouver du remords (pour). Synon. déplorer.[Sa mère] avait pleuré sa faute, et, peu à peu, l'avait presque oubliée (Maupass.,Pierre et Jean, 1888, p.358).Vous, en détestant, en pleurant vos péchés, vous avez allégé, vous avez délesté, si l'on peut dire, cette croix du fardeau de vos fautes (Huysmans,En route, t.2, 1895, p.67). − S'émouvoir (d'un grand malheur); regretter (une chose perdue). Quelques vieillards intraitables ou de vieilles femmes pleurant leur influence passée (Las Cases,Mémor. Ste-Hélène, t.1, 1823, p.205).C'étaient des malheurs plus grands que les siens qu'elles supportaient, ces femmes d'ailleurs. Elles pleuraient leur foyer dévasté (Roy,Bonheur occas., 1945, p.283). 2. Pleurer qqc. a) Quémander, mendier quelque chose. Mon Dieu (...). Donne au malade la santé, Au mendiant le pain qu'il pleure, À l'orphelin une demeure, Au prisonnier la liberté (Larmart.,Harm., 1830, p.316). b) [Dans des expr. négatives] Dépenser, ne pas épargner. Ne pas pleurer sa peine, son argent. (Dict.xixeet xxes.). c) Pleurer misère. Se plaindre sans cesse de manquer d'argent, feindre d'être dans la gêne. C'était une sourde rancune contre la Levaque, qui avait pleuré misère, la veille, pour ne rien lui prêter; et elle la savait justement à son aise, en ce moment-là (Zola,Germinal, 1885, p.1216).Ses parents ne lui envoyaient plus un sou, pleurant misère, pour qu'il les soutînt à son tour; il avait renoncé au prix de Rome, certain d'être battu, pressé de gagner sa vie (Zola,L'OEuvre, 1886, p.170). d) Pleurer famine. Être dans la plus grande pauvreté. Le riche vit dans l'abondance, pendant que l'ouvrier pleure famine. J'établirai des impôts sur le pain, le vin, la viande, le sel et le miel, sur les objets de nécessité et sur les choses de prix, et ce sera une aumône pour mes pauvres (Proudhon,Syst. contrad. écon., t.1, 1846, p.258). 3. Fam. Pleurer qqc. à qqn.Donner avec réticence une chose qu'on réclame, à laquelle on a droit. Synon. lésiner, mesurer.Aux petits des oiseaux Dieu donne la pâture mais sa bonté s'arrête à la littérature; ou, pour être plus juste, c'est notre république qui traite en marâtre le professorat et lui pleure les vivres (Amiel,Journal, 1866, p.77). 4. En partic. Dire quelque chose sur le ton de la plainte, en ayant l'air de pleurer. Une voix de femme pleure sur un ton nasillard quelque romance (Vallès,Réfract., 1865, p.189). B. − [Avec un compl. d'obj. interne] 1. Laisser couler de ses yeux, verser, répandre. J'ai passé par là, moi aussi. J'ai pleuré les larmes des longs départs (Flaub.,Corresp., 1861, p.414). ♦ Pleurer toutes les larmes de son corps. V. larme. ♦ Pleurer des larmes de sang. V. larme. ♦ P. métaph. La tombe était refermée, la trouée blanche se trouvait à jamais bouchée par ces quelques planches noires d'humidité, vertes de mousse, sur lesquelles les escargots avaient pleuré des larmes d'argent (Zola,Fortune Rougon, 1871, p.190). 2. P. anal. Laisser couler, déverser (un liquide). La lampe pleurait lentement ses gouttes d'huile (Estaunié,Empreinte, 1896, p.41).[Arthur] se réfugia dans une baignoire mal rincée, dont les robinets dénickelés pleuraient tous deux la même eau tiédasse (H. Bazin, Tête contre murs, 1949, p.85).Un pressoir après l'autre gémissait, pleurait le cidre, pleurait l'huile (Colette,Pays connu, 1949, p.67). − En partic. Répandre (de la sève, une exsudation). Ouvriers de tout âge, mêlant rires clairs et rires graves, au pied des ceps à déchausser, des ceps qui pleuraient leur sève (Pesquidoux,Livre raison, 1925, p.153). C. − Empl. pronom., rare. Pleurer sur soi-même, s'attendrir sur son propre sort. Elles sont lasses de la souffrance avant qu'on ait encore souffert; cela se lit sur leurs visages: à livre ouvert, si elles savaient! Je les surprends à pleurer: elles se pleurent elles-mêmes (Montherl.,Port-Royal, 1954, p.998): 6. Pépin, grand garçon pâle assez pareil d'aspect au masque enfariné que se faisait le Pierrot Debureau, tenait sa longue tête dans ses longues mains et se pleurait très sincèrement comme s'il en eût valu la peine.
Vigny,Mém. inéd., 1863, p.128. REM. 1. Pleurailler, verbe trans.,péj., hapax. Dire en pleurant, exprimer avec des sanglots, des trémolos dans la voix. Le curé de Sainte-Clotilde, église où s'est donnée la bénédiction nuptiale, a eu l'audace et le cynisme effarants de pleurailler un discours attendri sur ces crapules (Bloy,Journal, 1904, p.244). 2. Pleurarder, verbe intrans.,péj., hapax. Parler, dire en pleurnichant, d'un ton pleurard. J'ai demandé congé pour suivre le convoi d'un illustre [Murger] (...) je veux entendre (...) ce que l'on dira sur sa tombe. On a pleurardé, voilà tout (Vallès,J. Vingtras, Insurgé, 1885, p.21). 3. Pleurer, subst. masc.[En oppos. au rire] Le fait de pleurer, de verser des larmes. Diverses manifestations paroxystiques peuvent également s'observer chez ces malades: notamment, des accès de rire et de pleurer spasmodiques (Mayds Nouv. Traité Méd.fasc. 41925, p.61).Et j'entends près de moi le vieux qui dit, dans son rire pareil à du pleurer: −Non, compagnon, non, avec moi, il n'y a rien à faire (Giono,Baumugnes, 1929, p.114).L'affaiblissement intellectuel est de règle, avec souvent du rire et pleurer spasmodique, ces derniers troubles réalisant un aspect fruste de paralysie pseudo-bulbaire (Ce que la Fr. a apporté à la méd., 1946, p.250). 4. Pleuré, subst. masc.,hapax. Chagrin. Julia sent toute l'écorce de cette tête qui tremble et craque, trop pleine de ce grand pleuré de tant de jours (Giono,Gd troupeau, 1931, p.219). 5. Pleuré, -ée, subst.Celui, celle que l'on pleure. Vous me dites que votre vie n'aura plus de côté riant, que je n'en puis tirer que tristesses. Je le sais bien, monsieur, mais cela m'éloignerait-il, moi qui aimais Marie, votre pleurée? (E. de Guérin,Lettres, 1835, p.90). 6. Plorer, verbe,vx. Pleurer. Mais un beau jour, en entendant interroger un jeune page, Eudémon, qui n'avait que deux ans d'études, et qu'on avait voulu confronter avec lui, Gargantua fut si confus de le voir grandement éloquent, qu'il se prit à plorer comme une vache, et à se cacher le visage de son bonnet (Sainte-Beuve,Tabl. poés. fr., 1828, p.270). Prononc. et Orth.: [ploe:ʀe], [plø-], (il) pleure [ploe:ʀ]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) 938-950 plorer «répandre des larmes» (Jonas, éd. G. de Poerck, 167); 1180-1200 pleurer à chaudes charmes, v. larme; b) fin xes. pleurer qqn (Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 258); 2. 1240-80 ne plorer pas les despens «ne pas regretter les dépenses» (Baudouin de Condé, Dits et Contes, éd. A. Scheler, t.1, p.240), a survécu dans les dial., v. FEW t.9, p.76; 3. 1454 en partic. [d'arbres] «exsuder» (Pierre Chastellain, Temps recouvré, 1546 cité ds R. Ling. rom. t.46, p.507). Du lat. plorare «se plaindre, se lamenter, pousser des cris de douleur», empl. dans la lang. pop. comme synon. expr. de lacrimare «verser des larmes», sens avec lequel il est passé dans les lang. romanes. Fréq. abs. littér.: 11356. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 15726, b) 19258; xxes.: a) 21012, b) 11915. Bbg. Lanly (A.). Morphol. hist. des verbes fr. Paris, 1977, pp.133-134. |