| PLAIE, subst. fém. A. − 1. a) PATHOL. Solution de continuité des téguments ou des muqueuses, avec ou sans perte de substance, due à un agent mécanique externe ou à une cause pathologique. Le premier but qu'il se propose d'atteindre en pratiquant la plaie artificielle qu'il substitue à la blessure est de conserver une assez grande quantité de tégumens et de parties molles pour recouvrir les surfaces osseuses (Nélaton, Pathol. chir., t.1, 1844, p.228).Un petit lavage d'intestin, sans pression, avec de l'eau bouillie salée permettra la cicatrisation des petites plaies hémorragiques intestinales (Garcin, Guide vétér., 1944, p.60).V. héliothérapie ex. de Lar. mén.: 1. Une cicatrice définitive se forme. Cette cicatrice est obtenue par la collaboration de deux tissus, le tissu conjonctif qui remplit la plaie, et les cellules épithéliales qui viennent de ses bords. Le tissu conjonctif produit la contraction de la plaie.
Carrel, L'Homme, 1935, p.242. SYNT. Plaie par diérèse, par exérèse; plaie cutanée, muqueuse; plaie contuse, opératoire; plaie artérielle, variqueuse; plaie anfractueuse, irrégulière, pénétrante, profonde, superficielle; plaie par amputation, par morsure; plaie et contusion; examiner une plaie. b) Usuel. Déchirure, généralement à vif, causée dans les chairs par une blessure, un abcès, une brûlure. Une lionne blessée qui voit saigner sa plaie et la lèche en rugissant (Sand, Lélia, 1833, p.147).Une balle ordinaire peut faire des plaies terribles (Duhamel, Cécile, 1938, p.42): 2. ... elle entendit la mère supérieure lui dire que la novice confiée à sa fraternelle influence s'était fait «par orgueil» une blessure à chaque pied pour imiter les plaies du sauveur.
Jouve, Paulina, 1925, p.177. − Loc. Plaie et bosse (vieilli); plaies et bosses. Pour rosser, il vous l'avait rossée. Elle n'était plus que plaies et bosses (Maran, Batouala, 1921, p.74). ♦ P. méton. Bagarre, dispute (violente, sanglante). Ne chercher, rêver que plaies et bosses. Nos lectrices de romans, toujours pressées d'arriver à l'événement, ne nous demandent que plaie et bosse (Sand, Consuelo, t.3, 1842-43, p.257).Turbulent, agressif, batailleur, prompt à tout briser, il ne rêvait que plaies et bosses (Fulcanelli, Demeures philosophales, t.1, 1929, p.106). − P. méton., rare. Plaie cicatrisée. La proportion des traits n'avait point changé et la merveilleuse architecture du front, des orbites et du nez subsistait, mais deux plaies profondes, larges sillons ourlés de blanc, rayaient cette face désormais lamentable (Green, Léviathan, 1952 [1929], p.162 ds Rob., s.v. face). SYNT. Plaie béante, infectée, purulente, souillée, tuméfiée, vive; plaie à vif, mal cicatrisée; baigner, bander, cautériser, débrider, désinfecter, fermer, fouiller, laver, ouvrir, panser, soigner, tamponner une plaie; une plaie s'avive, se cicatrise, se (re)ferme, guérit, s'infecte, s'ouvre, saigne, suppure, brûle; le sang, le pus (dé)coule d'une plaie; plaie affreuse, horrible; les lèvres d'une plaie; l'inflammation d'une plaie; plaies et ulcères. 2. P. anal. a) Entaille dans le tronc ou les branches d'un arbre, mettant à nu les parties internes du bois par enlèvement de l'écorce. On doit aussi panser les plaies des arbres meurtris en avivant les bords de la plaie jusqu'à l'écorce saine puis en couvrant la plaie de terre glaise (Bourde, Trav. publ., 1929, p.175).Les plaies jaunes des arbres ébranchés (Pourrat, Gaspard, 1931, p.67).V. érable ex. 2. b) Littér. Déchirure, trou dans la surface d'un objet. La plaie de la barque était pansée. Cette toile goudronnée s'interposait entre l'intérieur de la cale et les lames du dehors (Hugo, Travaill. mer, 1866, p.387).J'eus l'autorisation de réparer avec du mastic et de la peinture verte les plaies des murs (Billy, Introïbo, 1939, p.33). B. − Au fig. 1. a) Rare. Défaut, faute qui entache une personnalité. La vénalité, en effet, c'est là la plaie de Talleyrand, une plaie hideuse, un chancre rongeur et qui envahit le fond (Sainte-Beuve, Nouv. lundis, t.12, 1869, p.43). ♦ Porter le fer (rouge) dans la plaie. Dénoncer une faute même si cela doit blesser. Je te semble dure, mais c'est pour ton bien. Il faut porter le fer dans la plaie (Mauriac, Asmodée, 1938, iv, 12, p.169).V. affliger ex. 13. b) Cause, plus ou moins permanente, de souffrance morale. Synon. blessure, peine, tourment.L'archevêque, ému à la vue des plaies sanglantes de ce coeur déchiré, oublie qu'elle est coupable (Cottin, Mathilde, t.2, 1805, p.66).Notre plaie au fond, c'est l'ambition littéraire insatiable et ulcérée et toutes les amertumes de cette vanité de lettres (Goncourt, Journal, 1864, p.33): 3. Sur le plan de l'amitié, ou sur le plan de la sensualité, les choses sont saines, les plaies, s'il s'en forme, sont nettes. Arrive le coeur, et la plaie gagne, tout se prend. Combien de fois ai-je remarqué cela!
Montherl., J. filles, 1936, p.968. − [Constr. avec un compl. prép. de, ou un adj. marquant la spécification] Les blagueurs cachant sous un mot drôle la plaie saignante de leur défaite (Zola, L'OEuvre, 1886, p.310).Porter avec soi la plaie infâme de savoir que l'on ne guérira pas et que rien n'y fait (Claudel, Annonce, 1912, prol., p.22). ♦ En partic., vieilli. Plaie d'argent, plaie financière, p.ell., plaie. Difficulté financière causant un grand souci. Il s'établit (...) dès l'origine de sa gestion, une sorte de malentendu qui (...) ne me permit pas d'entrevoir toute la profondeur de mes plaies commerciales et financières (Reybaud, J. Paturot, 1842, p.390).Il s'était mis à brasser des affaires, à voyager et à boire à cause de ses grandes inventions et de ses plaies d'argent qui lui turlupinaient l'esprit (Cendrars, Bourlinguer, 1948, p.80).Proverbe. Plaie d'argent n'est pas mortelle. Les problèmes financiers, matériels ne sont pas les plus graves. Si plaie d'argent n'est pas mortelle, elle ne se ferme jamais (Renard, Journal, 1904, p.900). − Faire plaie. Causer une souffrance morale. Toutes ses supériorités firent plaie dans son âme au moment où le froid de la province le saisit (Balzac, Illus. perdues, 1837, p.48).Parfois des intonations retrouvées, des mots familiers (...) toute une manière de dire et de penser, cette ressemblance d'âme et d'allure (...) secouaient Lormerin de la tête aux pieds. Tout cela entrait en lui, faisait plaie dans sa passion rouverte (Maupass., Contes et nouv., t.1, Fini, 1885, p.1021). − Locutions ♦ Jeter, mettre du baume sur une plaie. Apaiser une souffrance morale. Ces arrangements et ce bonheur jetèrent quelque baume sur les plaies de l'émigré (Balzac, Lys, 1836, p.98). ♦ Remuer, (re)tourner le fer (le couteau, le poignard) dans la plaie. V. fer B 2 b αet couteau A 2 d. ♦ Raviver, rouvrir une plaie. Rappeler, faire revivre une douleur passée et à demi oubliée. La vue des lieux où l'on a souffert ravive la plaie (Flaub., Corresp., 1878, p.111).[Le reniement] ravive la plaie ouverte d'une complicité intimement ressentie (Gracq, Syrtes, 1951, p.218). ♦ Toucher (à) une plaie. Découvrir une cause de souffrance morale. Jean sentit bien qu'il avait touché la plaie de cette âme (Maupass., Pierre et Jean, 1888, p.400).L'assourdissement de sa voix, la contraction de son vieux visage, si gai le moment d'avant, le froncement de ses épais sourcils, tout avertissait Marthe qu'elle touchait à une plaie (Bourget, Conflits int., 1925, p.43). SYNT. Plaie ardente, cuisante, dévorante, incurable, inguérissable, mortelle, ouverte, profonde, saignante, sanglante; plaie intérieure, secrète, sentimentale; plaie de la vie, de l'amour-propre, de l'orgueil; faire une plaie au coeur, au flanc de qqn; avoir une plaie au coeur, au flanc. 2. a) État de chose, fait, personne, qui est une cause, plus ou moins permanente, de déchéance morale, de malheurs ou de problèmes graves. Synon. fléau.Sonder les plaies de la société. Il dévoile (...) les plaies et les lèpres de cette société russe, de cette civilisation plaquée (Sainte-Beuve, Corresp., 1843, p.163).Les professeurs, cette plaie et cette peste du règne de Louis-Philippe (Goncourt, Journal, 1857, p.390).Cette plaie douloureuse de notre société, qui est l'hostilité entre les classes (Clemenceau, 1874ds Fondateurs 3eRépubl., p.281): 4. ... l'entente savante du plaisir, le scepticisme délicat, l'énervement des sensations, l'inconstance du dilettantisme, ont été les plaies sociales de l'empire romain, et seront en tout autre cas des plaies sociales destinées à ruiner le corps tout entier.
Bourget, Essais psychol., 1883, p.16. − [Constr. avec un compl. prép. de marquant la spécification] La plaie de l'esclavage, de la misère, de la prostitution. La grande plaie, la plaie horrible et toujours béante de la propriété (Proudhon, Propriété, 1840, p.279).C'est la plaie des aventuriers qui commence, aventuriers de plume, d'agio, d'affaires, de langue (Goncourt, Journal, 1859, p.626). − Plaies d'Égypte, plaies bibliques. Les dix fléaux dont Dieu frappa l'Égypte pour amener le pharaon à libérer les Israélites, selon la Bible. Les plaies d'Égypte sont en même temps des représailles de sa vengeance [de Yahvé] sur les oppresseurs d'Israël et des marques de sa souveraineté (Théol. cath.t.4, 11920, p.963). ♦ P. anal. Les troupes allemandes avaient amené avec elles toutes les plaies d'Égypte (Ambrière, Gdes vac., 1946, p.108). b) P. exagér. Situation, personne, qui est une cause de désagrément, d'ennuis. Les pourboires sont la plaie des États-Unis, et particulièrement de New-York (Morand, New-York, 1930, p.142).Une autre plaie de l'hôtel est le journaliste, autant le dire tout de suite et sans précautions (Fargue, Piéton Paris, 1939, p.197). ♦ Quelle plaie! (fam.) [Exprime l'agacement devant une situation fâcheuse ou une personne insupportable] Alors, elle leva les épaules (...) et elle murmura un: «Quelle plaie!» qui m'eût pleinement édifié sur la nature de ses sentiments, si j'eusse encore conservé quelque illusion à cet égard (Courteline, Boubouroche, Madelon, 1890, iv, p.223). 3. Loc. Mettre le doigt sur la plaie. Indiquer, découvrir la cause précise d'une souffrance morale ou d'un état de fait pénible. Tu as mis le doigt sur la plaie de la France, la fiscalité qui a plus ôté de conquêtes à notre pays que les vexations de la guerre (Balzac, Mais. Nucingen, 1838, p.636).Tu mets le doigt sur la plaie à la fin de ton article. En vérité, on me dévore tout vif (Valéry, Corresp.[avec Gide], 1927, p.530). Prononc. et Orth.: [plε]. Homon. plaid1et formes de plaire. Ac. 1694 et 1718: playe; dep. 1740: plaie. Étymol. et Hist.1. Ca 1100 «blessure» (Roland, éd. J. Bédier, 2173); 1563 «lésion sur l'écorce d'un arbre» (B. Palissy, Recepte, 37 ds IGLF); 1653 plaies et bosses (Scarron, Virgile, VIII ds Littré); 1835 mettre le doigt sur la plaie (Ac.); 2. 1176-81 «cicatrice» (Chrétien de Troyes, Chevalier lion, éd. M. Roques, 2904); 3. 1176-81 fig. «blessure de l'amour» (Id., ibid., 1377); 1672 fig. rouvrir les plaies «renouveler une douleur» (Flechier, Oraison fun. Duc. de Montausier, éd. abbé Migne, t.23, 1051); 4. ca 1155 fig. «ce qui porte préjudice» (Wace, Brut, éd. I. Arnold, 540); 1274 les plaies d'Égypte (Grandes chroniques de France, éd. J. Viard, IV, 269); 1798 plaie d'argent peut guérir (Ac.); 1812 plaie d'argent n'est pas mortelle (Mozin-Biber); 5. 1888 une plaie «personne ou chose insupportable» (Courteline, Train 8 h 47, I, 2, p.20). Du lat. plaga «coup, blessure». Fréq. abs. littér.: 1767. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 2486, b) 2437; xxes.: a) 2982, b) 2293. Bbg. Thomas (A.). Nouv. Essais, 1904, p.231. |