| PHÉNOMÉNOLOGIE, subst. fém. A. − PHILOS., lang. des sc. Observation et description des phénomènes et de leurs modes d'apparition, considéré indépendamment de tout jugement de valeur. Le résultat de cet examen [du problème de la guerre] a été (...), d'accord avec les espérances qu'avait fait naître en nous cette phénoménologie grandiose de la guerre, qu'autant il est certain que la justice est une faculté réelle et une idée positive de l'homme, autant il est vrai qu'il existe un droit réel et positif de la force (Proudhon, Guerre et paix, 1861, p.195).On conçoit aisément que biologistes et médecins, s'ils sont quelque peu doctrinaires, ne désespèrent pas de plier à la rigueur des sciences exactes toute cette phénoménologie capricieuse, «ondoyante et diverse» dont la matière vivante est l'insaisissable et déconcertant substrat (G. Duhamel, Biogr. de mes fantômes, 1944, p.209): 1. La vie n'est que le rêve d'une ombre: (...) je ne m'aperçois moi-même que comme une apparence fugitive (...). Tout me paraît (...) chimère, vapeur, fantôme et néant, y compris mon propre individu. Je me retrouve en pleine phénoménologie. Bizarre, bizarre!
Amiel, Journal, 1866, p.89. B. − HIST. DE LA PHILOS. 1. [Chez Hegel] Phénoménologie (de l'Esprit). Description de l'histoire de la conscience qui, par le mouvement dialectique, s'élève de la connaissance sensible à la pleine conscience d'elle-même, à la Raison et accède au savoir absolu. La phénoménologie de Hegel est un effort pour identifier la pensée au réel dans un élément unique, l'idée, qui devient la seule vraie réalité (Hist. sc., 1957, p.1565): 2. ... le projet de Hegel dans la Phénoménologie de l'esprit: mettre en évidence le mouvement d'auto-éducation de la conscience, déployer le champ historique où cette même conscience accède à elle-même dans la variété de ses contenus et l'unité des moments qui, seule, peut lui permettre d'être reconnue comme la racine de l'expérience et l'apprentissage de la Raison.
J.-T. Desanti, Introd. à la phénoménol., 1976, p.30. 2. [Chez Husserl] a) Méthode qui propose un retour aux choses mêmes, à leur signification, en s'en tenant non aux mots, mais aux actes où se dévoile leur présence. La phénoménologie est une philosophie de l'intention créatrice. La vision intellectuelle crée réellement son objet, non pas le simulacre, la copie, l'image de l'objet, mais l'objet lui-même. C'est l'évidence, cette forme achevée de l'intentionnalité, qui est constituante (G. Berger, Le Cogito dans la Philos. de Husserl, 1941, p.100): 3. Penser, ce n'est pas unifier, rendre familière l'apparence sous le visage d'un grand principe. Penser, c'est réapprendre à voir, diriger sa conscience, faire de chaque image un lieu privilégié. Autrement dit, la phénoménologie se refuse à expliquer le monde, elle veut être seulement une description du vécu.
Camus, Sisyphe, 1942, p.63. b) Phénoménologie pure ou transcendantale. Doctrine selon laquelle, au terme de réductions successives (éidétique, phénoménologique), l'esprit se trouve en face de la conscience pure, du moi transcendantal et détermine, constitue les conditions ultimes d'intelligibilité de tout ce qui peut être connu. Loin d'être l'invention d'une simple technique de la réflexion, la réduction apparaîtra de plus en plus comme le seul chemin vers la phénoménologie transcendantale, ouvrant l'accès à une dimension toute nouvelle de l'expérience, à un champ et un domaine de connaissances absolues (A.-L. Kelkel, R. Schérer, Husserl, 1971 [1964], p.45).V. ego ex. de Ricoeur. C. − P. ext. 1. Toute démarche philosophique influencée par Husserl et qui décrit des faits vécus de pensée et de connaissance. Si les philosophies existentialistes, si les phénoménologies connaissent aujourd'hui une si prodigieuse recrudescence et une telle fortune, n'est-ce pas qu'elles rejettent la compréhension intellectualiste du monde au profit d'une prise plus immédiate? (Huyghe, Dialog. avec visible, 1955, p.52).V. imagination ex. 5: 4. La phénoménologie, c'est l'étude des essences (...) c'est aussi une philosophie qui replace les essences dans l'existence et ne pense pas qu'on puisse comprendre l'homme et le monde autrement qu'à partir de leur «facticité».
Merleau-Ponty, Phénoménol. perception, 1945, p.1. 2. [Dans le domaine des sc. hum., notamment en psychanal., psychiatrie, psychol., en sociol., en hist.] Étude des faits de l'expérience vécue, indépendamment des principes ou des théories (étude des rapports du sujet humain avec le monde, de la signification de la réalité sociale...). Trois niveaux que la phénoménologie sociale avait découverts, la sympathie, les formes de conscience, les personnes collectives (J. Vuillemin, Être et trav., 1949, p.131).Les notions que nous avons acquises à la suite de l'étude des névroses de transfert permettent également de s'orienter dans les névroses narcissiques, beaucoup plus difficiles au point de vue pratique. Les traits communs sont très nombreux, et il s'agit au fond d'une seule et même phénoménologie (Freud, Introd. psychanal., trad. par S. Jankélévitch, 1959 [1922], p.451): 5. Il aurait fallu élargir les cadres de notre logique pour y inclure des opérations mentales, en apparence différentes des nôtres, mais qui sont intellectuelles au même titre. Au lieu de cela, on a essayé de les réduire à des sentiments informes et ineffables. Cette méthode, connue sous le nom de phénoménologie religieuse, s'est trop souvent montrée stérile et fastidieuse.
Lévi-Strauss, Anthropol. struct., 1958, p.228. − [Avec compl. prép. de indiquant la nature d'un phénomène psychique, social] Phénoménologie de l'image, de la parole, de la perception, de la rêverie, de la volonté; phénoménologie de l'action, de la connaissance; phénoménologie de l'art; phénoménologie du conflit, du sacrifice. Ce dont nous avons besoin, c'est de parler de l'école sans faire constamment référence à l'éducation, et c'est dans cette perspective que je me suis efforcé de travailler, en allant vers ce que l'on pourrait appeler une phénoménologie de l'école (I. Illich, Une Société sans école, 1971, p.52): 6. Il ne s'agit pas de soumettre cet objet [l'objet musical] aux mesures des physiciens, pas plus qu'il ne s'agit d'attendre de la théorie classique de la musique une phénoménologie de cet objet, et de ses relations avec les deux sujets qu'il relie [le compositeur et l'auditeur].
Schaeffer, Rech. mus. concr., 1952, p.143. 3. Lang. littér. Dès qu'on apporte une lueur de conscience au geste machinal, dès qu'on fait de la phénoménologie en frottant un vieux meuble, on sent naître, au-dessous de la douce habitude domestique, des impressions nouvelles. La conscience rajeunit tout. Elle donne aux actes les plus familiers une valeur de commencement (Bachelard, Poét. espace, 1957, p.73). Prononc.: [fenɔmenɔlɔ
ʒi]. Étymol. et Hist.1. 1819 «description des phénomènes» (Servois, in Biographie univ. anc. et mod. t.23, p.272 ds Quem. DDL t.26); 2. philos. a) 1840 «description de l'histoire psycho-spirituelle de la conscience humaine dans le mouvement qui l'élève du désir sensible au savoir véritable» (Hamilton, Philos. contemp. [trad. de l'angl.] ds R. des Deux Mondes, t.24, 4esérie, p.420); b) 1911 «méthode philosophique qui vise à saisir, par un retour aux données immédiates de la conscience, les structures transcendantes de celle-ci et les essences des êtres» (U. Delbos ds R. de métaphys. et de mor., sept., p.697). Dér. de phénomène*; suff. -logie*. Comme terme de philos., phénoménologie est empr. à l'all. Phänomenologie, att. d'abord en 1764 chez Lambert (Phänomenologie oder Lehre des Scheins [titre] ds la 4epart. du Neues Organon), puis chez Hegel en 1807 (Phänomenologie des Geistes [titre]), d'où 2 a et chez Husserl prob. déjà en 1900-1901 (Logische Untersuchungen, éd. 1913 [2eéd.], t.II, 1, § 1, p.2), d'où 2 b. On note déjà le dér. phénoménologiste «partisan d'une phénoménologie pure et simple» en 1802 (J. A. de Luc, Précis de la philos. de Bacon, t.1, p.289). Fréq. abs. littér.: 225. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) néant, b) 15; xxes.: a) néant, b) 948. |