| PESANTEUR, subst. fém. A. − Caractère de ce qui est lourd. 1. Caractère de ce qui pèse lourd. Synon. poids, lourdeur.La pesanteur d'un fardeau. La station sur quatre pieds fournit à l'animal une base très-considérable (...) mais, à cause de la pesanteur du cou et de la tête, le centre de gravité est plus voisin des jambes de devant que de celles de derrière (Cuvier,Anat. comp., t.1, 1805, p.481): 1. Isambard saisit le vieillard, et le ramena promptement à bord. Olivier fut au secours du jeune homme, et eut beaucoup plus de peine, parce que la pesanteur de son armure l'entraînoit...
Genlis,Chev. Cygne, t.1, 1795, p.223. − P. métaph. Pesanteur de l'âge. Son visage avait pris une expression butée, et son regard une fixité, une pesanteur, qui rappelaient l'enfant de jadis (Martin du G.,Thib., Pénitenc., 1922, p.775). − Au fig., souvent au plur. Ensemble des forces qui retardent une évolution. Pesanteurs administratives, économiques, psychologiques, sociologiques. Libérés par lui de la pesanteur sociale, tous dans son entourage se sentaient devenir écrivains, musiciens ou poètes (Giraudoux,Siegfried et Lim., 1922, p.16). 2. Vieilli. ,,Impression que fait un corps grave par sa chute ou par son choc`` (Littré). − P. méton. Éloigne-toi donc, de peur qu'en bâtissant ce canot je ne te fasse sentir, sans le vouloir, la pesanteur de mon bras (Chateaubr.,Natchez, 1826, p.148).Gringoire (...) reprit ses sens; il fut d'abord quelques minutes flottant dans une espèce de rêverie à demi somnolente qui n'était pas sans douceur, où les aériennes figures de la bohémienne et de la chèvre se mariaient à la pesanteur du poing de Quasimodo (Hugo,N.-D. Paris, 1832, p.90). B. − 1. Caractère de ce qui a un poids, de ce qui est pesant; application de la force d'attraction terrestre à un corps. Pesanteur des corps terrestres. L'air a encore des rapports avec l'eau par l'attraction de la terre, c'est-à-dire par sa pesanteur, car la terre l'attire comme tous les corps (Bern. de St-P.,Harm. nat., 1814, p.138). 2. Absol., PHYS. Résultante de la force de gravité et de la force centrifuge exercées sur les diverses parties d'un corps par l'attraction de la masse terrestre. Accélération d'un corps sous l'effet de la pesanteur; pesanteur artificielle; variations de la pesanteur. Conséquence directe de la loi de la pesanteur: il est plus facile de faire tomber une pierre que de la lancer en l'air (Rolland,J.-Chr., Révolte, 1907, p.441).Le voyageur du cosmos (...) est essentiellement soumis à deux conditions «inhumaines»: les terribles accélérations du départ et de l'arrivée, et l'absence de pesanteur (France Nouvelle, no878, 13-21 août 1962, p.15, col. 1 ds Guilb. Astronaut. 1967): 2. Newton (...) s'est immortalisé en rapportant à la pesanteur des phénomènes qu'on ne s'étoit jamais avisé de lui attribuer: mais le laquais du grand homme en savoit, sur la cause de la pesanteur, autant que son maître.
J. de Maistre,Soirées St-Pétersb., t.1, 1821, p.370. − En partic. ♦ Champ de pesanteur. V. champ1II C 1. ♦ Intensité de la pesanteur. Quotient exprimé en newton par kg, du poids d'un corps par sa masse. (Dict.xxes.). ♦ Pesanteur (spécifique) (vx). Synon. de densité (absolue).V. densité II 1. ♦ Pesanteur universelle (vx). Synon. de attraction universelle.V. attraction I A 1 a. − P. anal. Résultante des forces exercées sur un corps par un astre en son voisinage (d'apr. Astron. 1973). − Expr. fig. Échapper à la pesanteur. Se sentir libre, dégagé de toute contrainte. Le sentiment du devoir apporte une sorte de bénédiction sur chaque acte accompli; on se sent un être moral; on échappe à la pesanteur (Gide,Journal, 1946, p.304). C. − Caractère de ce qui donne une impression de lourdeur. 1. Dans le domaine physique ou matériel a) Allure lourde. Anton. agilité, légèreté, souplesse, vivacité.Évoluer avec pesanteur; pesanteur de la marche; pesanteur d'un cheval. Nos hôtes nous ont appris qu'ils nous entendaient depuis deux jours; qu'ils savaient que nous étions des chairs blanches (...). Le blanc révèle aussi sa race à la pesanteur de son pas (Chateaubr.,Mém., t.1, 1848, p.325): 3. Hippolyte était d'une maladresse et d'une pesanteur épouvantables, et M. Gogault déclarait que jamais pareil cheval de charrue ne lui avait passé par les mains. Ses changements de pieds ébranlaient toute la maison, ses battements entamaient la muraille.
Sand,Hist. vie, t.2, 1855, p.384. b) Impression désagréable de lourdeur (ressentie dans une partie du corps). Pesanteur de tête; pesanteur des jambes, dans les jambes. Ils s'affaissèrent sur eux-mêmes, en se sentant un froid de glace dans les reins, et aux paupières une pesanteur accablante (Flaub.,Salammbô, t.2, 1863, p.122).Elle sentait nettement la fatigue de ses genoux et de ses reins, la pesanteur de sa nuque (Bernanos,Joie, 1929, p.682): 4. Elle quitta brusquement Hellouin. Elle n'était pas à son aise. Elle avait les joues brûlantes et, en même temps, elle sentait, dans la poitrine, une pénible, une très pénible sensation de pesanteur et de froid.
Duhamel,Suzanne, 1941, p.276. ♦ En partic. Pesanteur (d'estomac): 5. −Pas de somnolence? Pas de pesanteurs? −Non. −Qu'avez-vous mangé aujourd'hui? −Je n'ai rien mangé ; j'ai bu seulement un verre de la limonade de monsieur, voilà tout.
Dumas père, Monte-Cristo, t.2, 1846, p.304. − Caractère de ce qui est indigeste. Un de ces gâteaux à la confiture qui sont l'orgueil des pâtissiers espagnols, les premiers du genre pour la pesanteur et l'insipidité de leurs produits (T'Serstevens,Itinér. esp., 1963, p.278). c) Caractère de ce qui donne une sensation d'oppression, d'étouffement. Le temps était supportable: il a demandé la calèche, et nous avons fait le tour du bois. La chaleur, la pesanteur de l'atmosphère, bien que le soleil fût couvert, l'a forcé de rentrer (Las Cases,Mémor. Ste-Hélène, t.2, 1823, p.152).Est-ce qu'il s'est seulement aperçu de l'insupportable chaleur qu'il continuait à faire et de la pesanteur de l'air, ce matin-là? (Ramuz,Gde peur mont., 1926, p.239). − Au fig. Pesanteur d'une dictature. La pesanteur du sentiment que produit l'attente ne s'accroît-elle point par une addition constante en souffrances passées, à la douleur du moment? (Balzac,Lambert, 1832, p.98). d) Caractère de ce qui est d'aspect massif, lourd. Pesanteur d'un boeuf, d'un édifice. Une croix massive et surbaissée, dont les dimensions et la pesanteur semblaient dépasser les forces de l'homme (Lamart.,Tailleur pierre, 1851, p.416).Justin (...) avait, dans les derniers temps, beaucoup grossi. Les traits de son visage avaient pris de la pesanteur et de l'autorité (Duhamel,Désert Bièvres, 1937, p.24). 2. Dans le domaine intellectuel a) Manque de vivacité, de légèreté, de pénétration et p.méton., comportement d'une personne dépourvue de ces qualités. Synon. lenteur, lourdeur.Pesanteur d'esprit, d'imagination. Les Allemands, éminemment capables des études abstraites, traitent les affaires (...) avec tant de méthode et de pesanteur, qu'ils n'en tirent presque jamais aucune idée générale (Staël,Allemagne, t.1, 1810, p.198).La crasse grossièreté de nos organes, aggravée par la pesanteur et l'hébétude d'un incurable esprit de géométrie, prépare mal l'entendement obtus à saisir les impondérables (Jankél.,Je-ne-sais-quoi, 1957, p.39): 6. ... les Baillehache de père en fils s'étaient succédé à Cloyes, d'antique sang beauceron, prenant de leur clientèle paysanne la pesanteur réfléchie, la circonspection sournoise qui noient de longs silences et de paroles inutiles le moindre débat.
Zola,Terre, 1887, p.26. b) Manque d'aisance, de légèreté dans l'expression. Synon. lourdeur; anton. rapidité, vivacité.Pesanteur du style; discuter avec pesanteur. Le gros livre d'où tout cela venait, avec sa pesanteur et ses allures médiocrement littéraires, ne lui eût inspiré que de l'horreur (Renan,Avenir sc., 1890, p.iv).Il ouvrit le livre: −C'est la fin. La puissance de Macbeth file entre ses doigts (...). Et il lut lentement, avec une pesanteur pathétique (Vercors,Sil. mer, 1942, p.56): 7. Quand il raconte, avec sa pesanteur et son air d'importance, quelque anecdote que je sais aussi bien que lui, je lui pardonne parce qu'il me rappelle l'instant où vous me l'avez contée avec votre naturel et votre grâce accoutumée.
J.-J. Ampère,Corresp., 1826, p.412. Prononc. et Orth.: [pəzɑ
̃toe:ʀ]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist.1. ca 1175 pesantor «caractère de ce qui a du poids, qui pèse» (Chron. des ducs de Normandie, éd. C. Fahlin, 26081); spéc. 1538 pesanteur de teste (Est., s.v. gravitas); 2. 1680 phys. (Rich.: Pesanteur. C'est une qualité ou vertu par laquelle une chose pesante est portée en bas). Dér. de pesant, part. prés. de peser*; suff. -eur1*. Cf. l'a. fr. pesance «peine, chagrin» ca 1100 (Roland, éd. J. Bédier, 832) −fin xives., Eustache Deschamps, OEuvres, I, 181, 9 ds T.-L. et pesantesce «pesanteur» 1316-28 (Ovide moralisé, éd. C. de Boer, XV, 4643). Fréq. abs. littér.: 612. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 956, b) 785; xxes.: a) 459, b) 1089. Bbg. Gohin 1903, p.359. |