| OURDIR, verbe trans. A. − 1. TISSAGE a) Préparer, disposer sur l'ourdissoir les fils de la chaîne réunis en nappe et tendus, avant de les monter sur le métier à tisser. Roulant La quenouille d'ivoire au gré de leur doigt blanc, Vingt femmes de Lydie aux riches bandelettes Ourdissent finement les laines violettes (Leconte de Lisle,Poèmes ant.,1852, p.179). ♦ Au passif. La chaîne encollée est ourdie sur deux rouleaux et forme deux nappes d'égale longueur et d'égale tension, disposées de part et d'autre de la base du métier (Thiébaut,Fabric. tissus,1961, p.167). ♦ Absol. Le casse-fil ou organe de contrôle des fils de la nappe à ourdir (Thiébaut,Fabric. tissus,1961p.43). ♦ Empl. pronom. passif. La toile s'ourdit d'abord et se trame ensuite (Lar. 19e). b) Entrecroiser les fils de trame avec les fils ourdis. Synon. tisser, tramer.J'aime le métier, l'art, la création, trouver, ourdir un beau tissu (Michelet,Journal,1854, p.252).Les douze premiers fils ourdis forment une figure (Araud, Ch. Thomas, Fabric. drap,1921, p.17). − P. anal., littér. L'instinct de l'araignée, qui ourdit une toile pour y capturer des mouches (J. Rostand, La Vie et ses probl.,1939, p.94). ♦ Absol. Les fils (...) ne sont pas de même nature, mais de qualité, de force différentes, selon leur destination. Il en est de secs pour ourdir, d'autres visqueux pour coller (Michelet,Insecte,1857, p.207). 2. Au fig. Préparer, agencer avec habileté les premières mesures qui permettront à quelqu'un d'arriver à ses fins, de mener à bien une entreprise. a) Ourdir qqc. contre qqn/qqc.Ourdir une conspiration, une intrigue, une machination, une vengeance contre qqn/qqc. On accusait Praetextatus de répandre des présents parmi le peuple pour l'exciter à la trahison, et d'ourdir un complot contre le pouvoir et contre la personne du Roi (Thierry,Récits mérov.,t.2, 1840, p.135).Depuis ce souper, vingt cerveaux se mirent à la torture pour ourdir une trame contre Agathe et son fils, en se conformant à ce programme (Balzac,Rabouill.,1842, p.449).On y annonçait que le général Bugeaud était «appelé au commandement en chef de l'armée de Paris, qu'on eût à se défendre contre cet acte d'oppression ourdi contre le droit de réunion» (Vigny,Mém. inéd.,1863, p.148). − [Avec effacement du compl. prép.] Tout cela ajoute encore aux alarmes des citoyens des contrées méridionales de la France, sur-tout lorsqu'ils rapprochent tous ces faits (...) des trames de toute espèce ourdies dans le même temps par les ennemis de la Révolution (Robesp.,Discours,Pétit. peuple avign., t.6, 1790, p.595). ♦ Au passif. Je suis d'une famille de militaires, je ne voulais pas croire que des officiers pussent se tromper. J'en reparlai encore à Beauserfeuil, il m'avoua que des machinations coupables avaient été ourdies, que le bordereau n'était peut-être pas de Dreyfus (Proust,Sodome,1922, p.709). b) Ourdir qqc.Si elle avait ourdi de si cruels mensonges, elle y avait été poussée par le désir de connaître le véritable amour (Balzac,Secrets Cadignan,1839, p.367).C'est de mon métier d'auteur dramatique d'ourdir, de régler et de dénouer les affaires de ce genre! (Villiers de L'I.-A.,Contes cruels,1883, p.273): 1. ... l'isolement, l'inaction où vit un neurasthénique peuvent être ourdis par lui du matin au soir sans lui paraître pour cela supportables, et tandis qu'il se dépêche d'ajouter une nouvelle maille au filet qui le retient prisonnier, il est possible qu'il ne rêve que bals, chasses et voyages.
Proust,Guermantes 1,1920, p.188. − Empl. pronom. La tragédie racinienne ne peut jamais prendre que les trente-six dernières heures d'une action; donc jamais de développements des passions. Quelle conjuration a le temps de s'ourdir, quel mouvement populaire peut se développer en trente-six heures? (Stendhal,Racine et Shakspeare,t.1, 1823, p.48).À une époque où la question rhénane est vivement débattue et où les intrigues de tout genre s'ourdissent pour ébranler dans leur fidélité et leur attachement à la France les habitants des deux départements d'Alsace, il est plus important que jamais de souder par tous les moyens à la mère-patrie la frontière de l'Est (Albitreccia,Gds moyens transp.,1931, p.63): 2. Là s'ourdissaient ces tromperies fleuretées de légalité qui consistent à commanditer sans engagement des entreprises douteuses, afin d'en attendre le succès et de les tuer pour s'en emparer en redemandant les capitaux dans un moment critique: horrible manoeuvre par laquelle furent enveloppés tant d'actionnaires.
Balzac,C. Birotteau,1837, p.271. B. − P. anal., TECHNOL. Étendre, élonger des fils de caret, des cordons de paille, etc. pour composer un cordage, une natte. On ourdit, c'est-à-dire on étend davantage les fils qui sont destinés à former un cordage quelconque commis au tiers (Will.1831).Il s'agit d'obtenir une aussière de 120 brasses (...) des torons sont ourdis à 160 brasses; les fils sont alors parallèles (Bouasse,Cordes et membranes,1926, p.44). Prononc. et Orth.: [uʀdi:ʀ], (il) ourdit [uʀdi]. Homon. hourdir (var. de hourder), hourdis. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) Mil. xiies. empl. métaph. (Psautier d'Oxford, éd. Fr. Michel, 233, 5: dementres uncore que je ordisseie, suztrençad mei [dum adhuc ordirer, succidit me]); b) 1180-90 «tisser» (Alexandre de Paris, Alexandre, III, 5551 in Elliott Monographs, 37, p.267); 2. 1180 «entreprendre (quelque chose)» (Partonopeu de Blois, éd. J. Gildea, 8747). Du lat. pop. ordire, class. ordiri «faire une trame; ourdir sa toile (de l'araignée)» d'où au fig. «commencer, entreprendre (quelque chose)». Fréq. abs. littér.: 151. DÉR. Ourdisseur, -euse, subst.a) Tiss. Personne qui effectue l'ourdissage. C'était encore le tic tac des métiers à dentelles, le va-et-vient des navettes tissant l'or des chasubles (...) les cantiques des ourdisseuses (A. Daudet, Lettres moulin,1869, p.60).La garniture est la quantité de matière nécessaire à la réalisation d'un nombre déterminé de rouleaux ou de sections. Le plus souvent, on remet à l'ourdisseuse une quantité de matières (lot) légèrement supérieure à la garniture (Thiébaut,Fabric. tissus,1961, p.47).b) P. anal. Personne qui ourdit un complot, une intrigue. Ce marquis, bel ourdisseur de trames, qui leur vole à plaisir leurs filles et leurs femmes, est un charmant vaurien dont un regard séduit magiquement (Banville,Cariat.,1842, p.28).− [uʀdisoe:ʀ], fém. [-ø:z]. Att.ds Ac. dep. 1835. −1resattest.a) 1410 «ouvrier qui ourdit une chaîne» (Stat. de la drap. de Chauny ds Gdf.), b) 1558 au fig. (J. Du Bellay, La Courtisanne repentie ds OEuvres, éd. H. Chamard, t.5, p.136: Retirez vous, amoureuses pensees [...] ourdisseurs de finesse, propos flatteurs...); de ourdir, suff. -eur2*. |