| NUANCE, subst. fém. I. − [Le référent désigne quelque chose d'ordre perceptible] A. − Domaine de la perception visuelle 1. Intensité, degré plus ou moins fort que peut prendre une même couleur. Synon. ton.Nuance sombre, claire, foncée, lumineuse, tendre. Les nuances par lesquelles se dégradent l'ombre et la lumière sont insensibles (Ac.).Frédéric (...) portait un joli pantalon d'une nuance douce, quoique sombre (Balzac, Cous. Pons, 1847, p.83).Le rose des bonbons se dégradait en nuances exquises (Beauvoir, Mém. j. fille, 1958, p.11): 1. Les prairies absorbèrent la rosée qui les blanchissait et se firent voir si fraîches et si vertes que toute autre verdure sembla effacée. Il y eut partout des nuances au lieu de teintes...
Sand, Lélia, 1839, p.499. 2. Teinte qu'on peut distinguer d'autres, à l'intérieur d'une même couleur, par le mélange légèrement différent des composantes qui y entrent ou par la subtile différence d'intensité que présentent ces composantes. a) [Sans compl.] Qui pourrait saisir les nuances infinies produites par le soleil penchant vers son déclin (Dusaulx, Voy. Barège, t. 1, 1796, p.341).C'est par de semblables considérations qu'on peut expliquer (...) les feux de diverses nuances que lancent les fils métalliques très-fins exposés à la lumière du soleil ou à celle d'une bougie (Fresnelds Ann. chim. et phys., t.1, 1816, p.227): 2. ... j'ai mis des années, oui, des années, à combiner un fond aux matières et aux nuances assemblées dans une harmonie artiste.
Goncourt, Journal, 1884, p.354. b) Nuance de + subst. indiquant ce qui présente la nuance.Tu marchais au fond de nos bois appuyée sur mon bras, attentive au vol des oiseaux, à la nuance des fleurs, au changeant aspect des nuées (Sand, op.cit., 1833, p.154).Je restais de longues heures immobile au pied d'un arbre: alors la moindre vibration de l'air, chaque nuance de l'automne me touchait (Beauvoir, Mém. j. fille, 1958, p.128).V. apéritif ex. 7: 3. Ce jaune doré, relevé d'un peu de vermillon, forme la couleur de l'aurore proprement dite, et s'élève ensuite, par différentes teintes de rouge, jusqu'au carmin au zénith: de là, descendant par les nuances du pourpre et du violet, il arrive au bleu vers le couchant...
Bern. de St-P., Harm. nat., 1814, p.159. c) [Avec un compl. indiquant le type de teinte dans lequel se situe la nuance]
α) Nuance de + subst. indiquant une couleur.Les nuances d'azur, de vert, de blanc et d'or reprennent leur éclat sur sa peau frémissante (Chateaubr., Génie, t. 1, 1803, p.115).Ils voient autour du navire voler une sinistre petite figure, un funèbre oiseau noir. Noir n'est pas le mot propre, le noir serait plus gai; la vraie nuance est celle d'un brun fumeux qu'on ne définit pas (Michelet, Oiseau, 1856, p.47).L'eupatoire, la statice, la scabieuse apportent trois nuances de mauve (Colette, Naiss. jour, 1928, p.26). − [P. méton.] Puis il sortit. L'après-midi finissait déjà. Juste une petite nuance de soir dans le grand ciel d'or blanc (Malègue, Augustin, t. 1, 1933, p.188).
β) Nuance + subst. apposé indiquant une couleur.Nuance (bleu) layette, pourpre, poussière. On restaurerait à volonté la nuance rubis au moyen d'une addition de quelques gouttes d'une solution de sel de tartre (Nosban, Manuel menuisier, t. 2, 1857, p.139).À cette lueur, les tons roses de la brique prenaient une nuance lilas d'une extrême douceur, les assises de pierre, des teintes gris-de-perle (Gautier, Fracasse, 1863, p.124).La mer prenait là-dessous une certaine nuance bleu paon avec des reflets de métal chaud (Loti, Mon frère Yves, 1883, p.72).
γ) Nuance + adj.En même temps Thénardier voyait du côté de la Bastille une nuance blafarde blanchir lugubrement le bas du ciel (Hugo, Misér., t. 2, 1862, p.179).Vers cinq heures, le jour commença à poindre. Des nuances bleuâtres marbraient les hautes bandes de nuages (Verne, Enf. cap. Grant, t. 3, 1868, p.151).Elle avait l'air fatiguée; ses pommettes avaient pris une nuance violacée, et le menton s'empâtait (Beauvoir, Mandarins, 1954, p.340). B. − P. anal., MUS. ,,Modification de l'intensité d'un son ou des phrases de l'exécution musicale`` (Mus. 1976). Ne négligez pas de mettre avec soin [lorsque vous écrivez pour orchestre] (...) tous les signes indiquant les nuances, les coups d'archet, les accents, les liaisons, les détachés, etc. (E. Guiraud, Busser,Instrument.,1933,préf.). C. − MÉTALL. ,,Caractéristique d'un acier de construction exprimée par la limite d'élasticité garantie ou par la résistance à la rupture garantie, dans des conditions d'allongement % minimal imposé et parfois de pliage à 180o`` (Forest. Métall. 1977). II. − [Le référent désigne qqc. de cognitif] A. − (Variété ou variante fondée sur une) différence de détail, souvent subtile et difficilement discernable, entre deux ou plusieurs choses ou états par ailleurs semblables, ou entre les divers états d'une même chose. Synon. tonalité, tendance. 1. [Sans compl.] Telle était la nuance des opinions de famille (Lamart., Confid., 1849, p.36).Comme tout état social, la Bohême comporte des nuances différentes, des genres divers qui se subdivisent eux-mêmes (Murger, Scènes vie boh., 1851, p.6).Mon père était un homme sensible et qui parlait peu (...). Mais il avait le goût du mot juste et de la nuance précise (Chardonne, Romanesques, 1937, p.126): 4. ... l'on prête souvent à un écrivain ce qu'il n'a jamais soutenu qu'avec beaucoup de correctifs et de nuances.
Mauriac, Journal occup., 1942, p.325. − Nuance dans qqc.Il nous manque une toute petite chose, le discernement des nuances dans la caresse (Maupass., Contes et nouv., t.1, Baiser, 1882, p.607).Une autre expression dans son regard, une autre nuance dans son accent (Bourget, Actes suivent, 1926, p.107).Jusque dans le dernier tiers du XVIIesiècle, la croyance à la génération spontanée est vraiment unanime. Sans doute relève-t-on quelques nuances dans les esprits (J. Rostand, Genèse vie, 1943, p.19). − Nuance entre qqc. (et qqc.)Monsieur Gide, je voudrais que vous me le disiez: est-ce que vous croyez que l'on arrive à rien par le travail et en ciselant?... Ici, un peu sottement, je tente d'établir une nuance entre ces mots et j'insinue que «qui dit travail ne dit pas forcément ciselure» (Gide, Journal, 1911, p.332). − Nuance + adj. exprimant une qualité.Nuance comique, libertine, protectrice, péjorative. Tu souffres! s'écria Baccarat avec un subit élan de tendresse qui sembla revêtir une nuance maternelle (Ponson du Terr., Rocambole, t. 2, 1859, p.294).Mais chez Baudelaire, la nuance satanique n'est que le revers de cette aspiration spirituelle qui commande à tous les efforts de sa vie de poète et d'homme (Béguin, Âme romant., 1939, p.378). − Sans nuances. Synon. de absolu, catégorique, massif.Nous vivons dans le monde de l'abstraction, celui des bureaux et des machines, des idées absolues et du messianisme sans nuances (Camus, Actuelles I, 1948, p.144): 5. Ce regard sans nuances, uniquement lucide, et toujours tendu, semblait-il, à la limite de l'attention, n'était pas tout à fait celui d'un homme...
Martin du G., Thib., Été 14, 1936, p.23. 2. [Avec un compl. désignant l'objet ou l'état pour lequel on distingue la nuance] a) [Le compl. est introduit par de] Les nuances d'un caractère, d'une pensée, de l'argot; les nuances de l'opinion. Qu'est-ce que je trouve ici? De la vanité sèche et hautaine, toutes les nuances de l'amour-propre et rien de plus (Stendhal, Rouge et Noir, 1830, p.300).Pensez-vous que je serais à même de donner ici la nuance exacte de ce sentiment, si je ne l'avais d'abord éprouvé moi-même? (Gide, Journal, 1928, p.890): 6. ... si des femmes entraient, il exprimait un jugement sur leurs robes, sur la nuance particulière de leur élégance...
Maurois, Climats, 1928, p.168. b) [La détermination est donnée par un adj.] Les femmes saisissent souvent des nuances sociales très fines (Barb. d'Aurev., Memor. 1, 1836, p.96).Cet amateur nommé Noilly (...) avait trouvé le moyen d'enfermer la prose et la poésie d'Hugo dans les trois couleurs, avec des différences dans les teintes indiquant la nuance politique de l'auteur dans le moment? (Goncourt, Journal, 1886, p.542).C'est ici qu'interviennent des mouvements et des attitudes musculaires qui dessinent et esquissent l'absent et des sentiments qui en visent la nuance affective (Ricoeur, Philos. volonté, 1949, p.242). 3. [Dans un cont. établissant une différence, en position de commentaire souvent anaphorique] a) [Accompagné d'un élément référentiel]
α) [Cet élément est là, ici] Une fois une parole dite, mess Lethierry s'en souvenait; une fois une parole dite, Déruchette l'oubliait. Là était la nuance entre l'oncle et la nièce (Hugo, Travaill. mer, 1866, p.122).Seulement ici est la nuance stendhalienne, fort rare; il ne voit point le ministre (Alain, Propos, 1929, p.842): 7. T. est sans espoir, mais ce sont ceux qui, au contraire de Murry et de moi, ne savent pas voir ce qu'il y a de proprement tonique dans ce sans espoir, qui le disent désespéré. Toute la nuance est là: un désespéré est un être positif...
Du Bos, Journal, 1922, p.146.
β) [Cet élément est ce] Ni Clotilde, ni la duchesse d'Uxelles, ni Madame de Maufrigneuse (...) ne purent obtenir du vieux duc cette faveur, tant le gentilhomme conservait de défiance sur celui qu'il appelait le sire de Rubempré. Cette nuance, aperçue par toute la société de ce salon, causait de vives blessures à l'amour-propre de Lucien (Balzac, Splend. et mis., 1844, p.109). b) [Sans élément référentiel] Au lieu de surpris ou d'étonné, on dit: «stupéfié». Sentez-vous la nuance? Stupéfié! non pas stupéfait, prenez-y garde (Musset, Lettres Dupuis Cotonet, 1836, p.665).[Taine] se contente de préférer les moeurs et la vie antique. Il n'en veut pas chercher à produire un renouveau. Cela serait incompatible avec son déterminisme historique. Tu comprends la nuance (Rivière, Corresp.[avec Alain-Fournier], 1907, p.285). − Fam. Mon nom, c'est Léonie Vincent, mais le commissaire de police, lui, il dit la fille Vincent. Nuance (Aymé, Cléramb., 1950, p.46). B. − [Avec un compl. indiquant ce qui constitue la nuance] Quantité très faible et presque indiscernable de quelque chose (à l'intérieur de quelque chose). Synon. pointe, soupçon.Une nuance d'agacement, d'émotion, de cordialité, d'égarement, de dépit, de regret, de joie. Je vous aime trop passionnément pour ne point passer par-dessus les bienséances vulgaires... J'ajouterai, continua-t-il avec une légère nuance d'ironie (Theuriet, Mais. deux barbeaux, 1879, p.116).Ah! fit Christophe. Vous êtes bien heureux! Leonhard sentit une nuance d'envie dans la voix de Christophe, et il en fut agréablement flatté (Rolland, J.-Chr., Adolesc., 1905, p.245): 8. Elle est toujours la même, accueillante avec cette nuance de dédain qui fait son charme.
Green, Journal, 1933, p.172. Prononc. et Orth.: [nɥ
ɑ
̃:s], [ny-]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1380 «chacun des degrés par lesquels peut passer une même couleur» (Inventaire du mobilier de Charles V, éd. J. Labarte, p.40); 2. a) 1668 «état intermédiaire par lequel peut passer une chose» (Méré, Conversations, V, I, 74 ds Z. rom. Philol. t. 70, 1954, p.238); b) 1740 «différence sensible entre des choses de même nature» (Ac.); c) 1751 [éd.] nuance de «ce qui s'ajoute à l'essentiel pour le modifier légèrement» (Duclos, Considérations sur les moeurs de ce siècle, p.192); 3. a) 1668 nuances (dans le langage) (Méré, op. cit. ds Z. rom. Philol., loc. cit.: une Bourgeoisie, qui [...] a des nuances d'orgueil); b) 1849 mus. (Fétis, Harm., p. XI). Dér. de nuer*; suff. -ance*. Fréq. abs. littér.: 2355. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 3139, b) 2580; xxes.: a) 4057, b) 3514. DÉR. Nuancier, subst. masc.a) Catalogue des différentes couleurs que les fabricants d'encre mettent à la disposition des imprimeurs ou carte des échantillons de couleurs d'un produit présenté à la vente (peinture, vernis, rouge à lèvres, fard, etc.) (d'apr. Bég. Estampe 1977, Comte-Pern. 1974, Gilb. 1980). b) Impr. ,,Palette que l'imprimeur prépare pour bien différencier les couleurs (...) qu'il peut être amené à utiliser`` (Bég. Estampe 1977). − [nɥ
ɑ
̃sje] et [ny-]. − 1reattest. 1953 «présentoir de tissus» (Combat, 2 oct., p.7, col. 2); de nuance, suff. -ier*. BBG. Bulatkin (E.W.). The Fr. word nuance. P.M.L.A. 1955, t.70, pp.244-273. _Wandruszka (M.). La Nuance. Z. rom. Philol. 1954, t.70, pp.233-248. |