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NOYER1, verbe trans.
I. − Emploi trans.
A. − Qqn1noie qqn2.[Le compl. d'obj. désigne un animé]
1. Faire périr par asphyxie en plongeant dans un liquide. Les Russes qui sont (...) civilisateurs, ainsi qu'il a paru quand ils ont noyé cinq mille Chinois dans l'Amour (A. France,Pierre bl., 1905, p.211).J'ai vu un chat qu'on noyait revenir douze fois au quai (Giraudoux,Lucrèce, 1944, i, 7, p.52):
1. ... une de ces galères remplies de pauvres et de malheureux que Galérius faisoit noyer sur des côtes solitaires. Quelques-unes des victimes, dégagées de leur prison par les vagues, nagent vers la barque des soldats... Chateaubr.,Martyrs, t. 3, 1810, p.124.
Proverbe. Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage. V. chien II B 4 b.
En partic. Noyer le poisson. Fatiguer le poisson pris à l'hameçon pour le sortir plus facilement de l'eau. Quand tu as pris une belle perche, un brochet de poids et que tu le files derrière ton bateau, comment appelles-tu ça? −Noyer le poisson?... −Tout juste! (A. Daudet,Immortel, 1888, p.78).Au fig. Créer la confusion, embrouiller les choses pour éluder une question, donner le change, tromper quelqu'un. Il est naturellement incertain, et son art est de faire passer son incertitude pour politique. Il noie le poisson par hésitation et inconsistance (Montherl.,Reine morte, 1942, ii, 2etabl., 5, p.195).
Au fig. Noyer qqn sous un flot (de paroles). Étourdir quelqu'un en parlant beaucoup. Le procédé le plus universel est de fatiguer le juge, de le noyer sous un flot de raisonnements contraires (Taine,Notes Paris, 1867, p.271).
2. Au fig., vieilli. Jeter le discrédit sur, causer la perte de, ruiner, couler. Celle-ci [la Reine] noyait savamment le Prince en lui laissant toute liberté d'agir selon ses goûts et ses élans (La Varende,Anne d'Autr., 1938, p.198).
B. − Qqn/qqc.1noie qqc.2
1. [Le compl. d'obj. désigne un inanimé concr.]
a) Recouvrir d'eau. Pendant ce temps, une mer septentrionale (...) noyait le Danemark et la Hollande, tapissant son fond d'une argile bleue (Lapparent,Abr. géol., 1886, p.365).La même pluie continua de noyer les coteaux et les plaines de la Champagne (Adam,Enf. Aust., 1902, p.326).
En partic.
α) Anéantir, rendre inutilisable, faire disparaître à l'aide de grandes quantités de liquide. Un moyen radical [d'éteindre un incendie] consiste à noyer la mine, en laissant monter les eaux (Haton de La Goupillière,Exploitation mines, 1905, p.1356).V. glacier1ex.:
2. L'ardeur de Madame du Toît semblait à l'Anglaise inhumaine. Elle considérait sa voisine comme un phénomène historique, une survivance de la vieille Europe, une contemporaine de ces gueux qui ouvraient les écluses de leurs fleuves et noyaient leur pays plutôt que de subir l'invasion... Tharaud,Dingley, 1906, p.62.
Noyer la poudre. Mouiller la poudre pour la rendre inutilisable afin d'empêcher une explosion. (Dict. xixeet xxes.).
Noyer le carburateur. Empêcher le fonctionnement du carburateur par une trop grande arrivée d'essence. (Dict. xxes.).
β) Mettre une trop grande quantité d'eau. Noyer son vin. Quoiqu'il soit urgent de bien mouiller le fumier pour obtenir une fermentation égale et soutenue, il faut bien se garder de le noyer: le fumier trop mouillé pourrit sans donner de chaleur (Gressent,Potager mod., 1863, p.178).
Noyer la chaux, le plâtre. Délayer la chaux, le plâtre dans une trop grande quantité d'eau. (Dict. xxes.).
γ) Baigner. Deux grosses larmes noyaient ses yeux (Zola, OEuvre, 1886, p.163).
P. anal. Noyer une révolte dans le sang. Réprimer sauvagement et de façon très meurtrière une révolte, en faisant couler le sang. En 1794, les ouvriers de Breslau s'insurgèrent; la province fut occupée militairement et l'émeute noyée dans le sang (Lefebvre,Révol. fr., 1963, p.335).
b) P. anal. Faire disparaître au sein d'une masse compacte. Il est important, dans les ponts pour routes, de ne pas noyer les pièces principales dans des voûtes en briques ou dans du béton (Bricka, Cours ch. de fer, t. 1, 1894, p.161).C'est le chauffage par rayonnement, passant par des conduits noyés dans le béton du sol (L. Benoist,Musées, 1960, p.63).
Noyer un clou. Enfoncer un clou jusqu'à ce que sa tête disparaisse dans le bois. (Dict. xixes. et xxes.).
2. [Le compl. d'obj. désigne un inanimé concr. visible ou plus gén. un inanimé abstr.]
a) Recouvrir d'une matière autre que liquide, dissimuler au regard en estompant les contours. Le boulevard était plongé dans un brouillard léger, transparent, qui noyait les formes et mettait un halo jaune autour de chaque lumière (Daniel-Rops,Mort, 1934, p.343).
PEINT. Fondre les contours, les couleurs d'une figure. Cette technique souple et vaporeuse qui noie les contours dans un clair-obscur savamment ménagé, nous la trouvons chez Prud'hon (Réau,Art romant., 1930, p.23).
P. anal. et littér. Recouvrir un bruit par un autre. Le vent faisait gémir les branchages autour d'eux, et noyait le bruit de leur marche (Van der Meersch,Invas. 14, 1935, p.55).
P. métaph. Des avalanches de fleurs rouges, violettes et bleues s'écroulaient au long des troncs d'arbres et noyaient les murs (Beauvoir,Mandarins, 1954, p.431).
b) Rendre confus par un manque de rigueur, rendre indiscernable par des digressions. Noyer ses arguments, sa pensée dans des phrases interminables. Un faiseur de sermons, un prétendu observateur qui noie les quelques vérités qu'il trouve, dans un gâchis stupéfiant de divagations philosophiques (Zola,Doc. littér., Dumas fils, 1881, p.199).Il fallait voir Lannes pesant ses réponses, levant ses yeux blancs au plafond, crispant ses mains et essayant de noyer ses nouveaux mensonges dans un bredouillement indistinct! (L. Daudet,Police pol., 1934, p.216).
c) Faire disparaître, faire que s'oublie ou se perde (quelque chose). Il promettait de travailler, il oubliait sa promesse et noyait ce souci passager dans ses débauches (Balzac,Illus. perdues, 1839, p.467).Grand délice que celui de noyer son regard dans l'immensité du ciel et de la mer! (Baudel.,Poèmes prose, 1867, p.16).L'habitude sublime de noyer toutes les trivialités de la vie dans l'intime joie des spéculations transcendantes et des attendrissements supérieurs (Bloy,Femme pauvre, 1897, p.99).
Noyer son chagrin dans l'alcool, dans le vin. V. chagrin3A.
II. − Emploi pronom.
A. − Qqn se noie (dans qqc.).[Le suj. désigne un humain ou un animal; le compl. prép. un liquide] Mourir par immersion, soit volontairement, soit par accident. Éliane se pend. Philippe, plus tard, tentera de se noyer, et n'en aura pas le courage (Green,Journal, 1931, p.77):
3. La chasse royale (...) amena en ces années quelques incidents, les seuls qui rompaient la monotonie du désert, −un cerf aux abois qui se jetait et se noyait dans l'étang −un paysan qui se noyait pour le repêcher. Sainte-Beuve,Port-Royal, t. 5, 1859, p.124.
Au fig. Se noyer dans un crachat (fam.); se noyer dans un verre d'eau, une goutte d'eau. Être incapable de surmonter une difficulté même mineure. Il était surchargé de travail, quoiqu'il n'eût plaidé que cinq fois depuis le commencement de l'année. −Vous vous noyez dans un verre d'eau! lui disait Vagnièze (Chardonne,Épithal., 1921, p.160).
B. − Qqn ou qqc.1se noie dans qqc.2
1. [Le compl. prép. désigne un objet visible ou un inanimé abstr.] Disparaître en s'effaçant dans un ensemble plus vaste. Les Alpes se noyaient dans un firmament sans nombre et sans fond (Lamart.,Raphaël, 1849, p.137).Ah! Qu'il eût été bon de se perdre, de se noyer au plus profond d'une ville populeuse! (Mauriac,Th. Desqueyroux, 1927, p.259).Les rues qui partent du quai se noient très vite dans les terrains vagues (Vercel,Cap. Conan, 1934, p.53).
2. [Le suj. désigne une pers.; le compl. prép. un inanimé abstr.] S'adonner à (une occupation, un plaisir), se laisser submerger par (un état d'esprit), jusqu'à l'anéantissement, la ruine. Se noyer dans la débauche:
4. Je me demande si elle ne souhaite pas, quelquefois, d'être délivrée de cette douleur monotone, de ces marmonnements qui reprennent dès qu'elle ne chante plus, si elle ne souhaite pas de souffrir un bon coup, de se noyer dans le désespoir. Sartre,Nausée, 1938, p.27.
[Sans compl.] Courir à sa perte. Je suis fou, je me noie, je dois suivre les conseils d'un ami et ne pas m'en croire moi-même (Stendhal,Rouge et Noir, 1830, p.395).Tu ne sais pas ce que c'est que d'avoir mal et de s'enfoncer. Tu ne sais pas ce que c'est que se noyer, se salir, se vautrer (Anouilh,Sauv., 1938, ii, p.207).
3. [Le compl. prép. désigne un inanimé abstr.] Sombrer, se perdre. Il ne manquait jamais de se noyer (...) dans la multiplicité des conseils qu'il sollicitait (Las Cases,Mémor. Ste-Hélène, t. 2, 1823, p.197).Le peuple est las d'un gouvernement qui le ruine et ne fait rien pour lui. Chaque jour éclatent de nouveaux scandales. La République se noie dans la honte. Elle est perdue (A. France,Île ping., 1908, p.201).
Se noyer dans les détails. Perdre de vue l'essentiel au profit des détails. Breughel a ici son célèbre paradis. Vous connaissez la façon de ce maître, il se noie dans les détails et se perd dans les infiniment petits (Du Camp,Hollande, 1859, p.32).
REM. 1.
Noyable, adj.Qui peut se noyer, qui perd vite pied, qui est rapidement abattu. Je l'aurais cru moins noyable sous un revers (Goncourt,Journal, 1893, p.382).
2.
Noiement, subst. masc.,hapax. Viennent alors les vents qui hochent l'arbre, et le noiement des pluies! (Claudel,Échange, 1894, p.700).
Prononc. et Orth.: [nwaje], (il) noie [nwa]. Homon. noyer2. Att. ds Ac. dep.1694. Conjug. v. aboyer. Étymol. et Hist. 1. a) Ca 1100 trans. neier «faire périr dans l'eau» (Roland, éd. J. Bédier, 2798: Ne seit ocis o en Sebre neiet); 1176-84 noiier (Gautier d'Arras, Eracle, éd. G. Raynaud de Lage, 4847); b) ca 1165 réfl. «se donner la mort par immersion» (Troie, 7328 ds T.-L.); c) 1174-76 id. «couler, périr accidentellement par immersion» (Wace, Rou, éd. A. J. Holden, III, 378: si se neia); 2. 1174-78 intrans. «disparaître sous les eaux» (Étienne de Fougères, Manières, éd. R. A. Lodge, 18: terre neent, eives sorondent); 1500 trans. «faire disparaître sous les eaux» (Coutume du pays et duché de Bourbonnais, titre VIII, VI ds Nouv. Coutumier gén., éd. A. Bourdot de Richebourg, t. III, 1198); 3. «recouvrir d'une quantité d'eau, de liquide assez grande pour éteindre, étouffer, faire disparaître» a) ca 1220 el sanc noiés (Gui de Cambrai, Barlaam et Josaphat, 10289 ds T.-L.); 1673 noyer dans le sang (ici une ville) (Racine, Mithridate, III, I); b) 1240-80 noier dans le vin ici pronom. (Baudouin de Condé, Li contes des Hiraus, 139-40 ds Dits et Contes, éd. A. Scheler, p.157: tous se noient De vin); 4. 1605 [éd.] trans. «envelopper complètement dans une maçonnerie un objet de bois ou de fer» (O. de Serres, [Théâtre d'agric.], 766 ds Littré); 5. 1607 [éd.] id. «mouiller abondamment» [se] noyer de pleurs le visage (Malherbe, Consolation a Caritée sur la mort de son mari, 3 ds OEuvres compl., éd. L. Lalanne, t.1, p.32 [fin xiiies. noyer en plours (Dits âme, A. 29 i ds T.-L.)]); 1694 noyer son vin d'eau (Ac.); 6. av. 1628 pronom. «se laisser submerger par quelque chose, perdre pied» (Malherbe, Lettres, Paris, 1645, livre I, lettre 30, p.195: on se noye en amour aussi bien qu'en une rivière); 1831 se noyer dans les détails (Balzac, OEuvres div., t. 2, p.365); 7. a) 1676 peint. trans. noyer les couleurs les unes avec les autres (Félibien); b) 1680 «fondre les contours» (Rich.); c) 1803 fig. «recouvrir entièrement, envelopper jusqu'à rendre indiscernable» (Chateaubr., Génie, t.2, p.145); 1823 pronom. (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène, t. 1, p.470); 8.1680 id. «ruiner le crédit, la position de quelqu'un» (Sévigné, Lettres, éd. M. Monmerqué, VI, 400); 9. 1733 «rendre sa pensée confuse, insaisissable par un langage prolixe] (Voltaire, Le Temple du goût, p.70); 1867 noyer [un juge] sous un flot de raisonnements (Taine, loc. cit.). Du lat. class. necare «faire périr, tuer (avec ou sans effusion de sang)», en partic. «sans se servir d'une arme», qui a pris en lat. pop. le sens de «noyer», att. en lat. médiév.: 590 (Gregor. Turon., Glor. mart., c. 104, SRM., I, p.559 ds Nierm.); la disparition du subst. nex, necis «mort violente» a favorisé la perte du sens propre qui a été exprimé par d'autres mots, v. occire, tuer; la forme du rad. aux formes inaccentuées a été étendue à tout le verbe, ce qui a permis de le distinguer de nier*. Fréq. abs. littér.: 1549. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 1853, b) 2770; xxes.: a) 3137, b) 1633. Bbg. Lanly (A.). Morphol. hist. des verbes fr. Paris, 1977, pp.106-107. _ Quem. DDL t.21 (s.v. noyable).