| NOURRIR, verbe trans. A. − Fournir les aliments nécessaires. 1. Qqn nourrit qqn (un enfant, un nourrisson) (de qqc.) a) Alimenter de son propre lait un nouveau-né. [Cette femme] a dans sa mamelle une goutte de lait pour nourrir son fils, et dans ses haillons un coin de manteau pour l'envelopper (Chateaubr.,Génie, t.1, 1803, p.261).Il lui conseillait de nourrir l'enfant qu'elle attendait, célébrait les douceurs de la famille (Guéhenno,Jean-Jacques, 1952, p.266). ♦ Nourrir (un nouveau-né) de. Perdre un enfant qu'on a nourri de son lait et porté tout un an attaché à son sein (Sand,Lélia, 1839, p.400). ♦ Absol. À l'époque, les mères nourrissaient elles-mêmes et longtemps (Sartre,Mots, 1964, p.9). ♦ Emploi pronom. réfl. Un nouveau-né se nourrit de qqn. Clotilde gardait son inconscient sourire, à le voir, si vigoureux, se nourrir d'elle (Zola,Dr Pascal, 1893, p.341). − P. anal. [En parlant d'animaux] Les génisses pleines, qui doivent nourrir leurs enfants, étaient plus lentes dans le grand rythme (Montherl.,Pasiphaé, 1936, p.112). b) Alimenter quelqu'un (un enfant, un malade). Nourrir qqn à la cuillère. Elle donnait à boire à son enfant, elle le nourrissait au biberon, car elle avait été forcée de renvoyer la nourrice par économie (Balzac,Illus. perdues, 1843, p.613). − P. anal. Qqn nourrit un animal.Il avait demandé un chien à un camarade d'atelier et il avait eu celui-là très jeune. Il avait fallu le nourrir au biberon (Camus,Étranger, 1942, p.1156). 2. Qqn/qqc. nourrit qqn/un animal.Donner à manger à une personne, un animal. − Qqn nourrit qqn.Nous étions mal habillés et mal nourris, souvent nos souliers étaient percés, nos pantalons déchirés et rapiécés et notre linge sale (Karr,Sous tilleuls, 1832, p.270).Le curé ne s'était nullement refusé à recevoir et à nourrir les soldats prussiens (Maupass.,Contes et nouv., t.2, MlleFifi, 1881, p.159): 1. Parce qu'on a dans sa maison une femme et trois petits, il faut bien se remettre au travail. (...) il faut bien rapporter au nid de quoi nourrir toute la couvée.
Genevoix,Raboliot, 1925, p.168. ♦ Nourrir qqn de, nourrir un animal de.Certains peuples, par leur position, sont réduits à vivre presque uniquement de poisson; ils en nourrissent pareillement leurs animaux de travail (Brillat-Sav.,Physiol. goût, 1825, p.92).Emploi pronom. réfl. Se nourrir de.Prendre pour aliment. Se nourrir de légumes, de riz. Les Quérolle, c'est des gens sérieux et regardants: ça se nourrit de rien, d'une soupe et d'un bout de fromage (Martin du G.,Vieille Fr., 1933, p.1035).Il me montra (...) les docks où il se nourrissait de bananes volées (Beauvoir,Mandarins, 1954, p.423).Au fig. Se nourrir de rêves, d'illusions. Synon. se repaître de.Emploi abs. (Il faut) se nourrir. (Il faut) manger, se sustenter. ♦ P. plaisant. Nourrir les poux, les puces. Emploi pronom. réfl. Les puces se nourrissent de. Tous les quinze ans, les générations de poux, qui se nourrissent de l'homme, diminuent d'une manière notable (Lautréam.,Chants Maldoror, 1869, p.189). − P. anal. [En parlant d'animaux] Dans le temps où les oiseaux nourrissent leurs petits, on a occasion d'observer un signe étonnant. Le nourrisson, dès qu'il aperçoit le nourricier, soulève un peu ses ailes, et leur imprime un tremblement de pauvre (Alain,Propos, 1925, p.660): 2. La cigale est ta proie, hirondelle inhumaine;
Et nourrit tes petits qui, débiles encor,
Nus, tremblants, dans les airs n'osent prendre l'essor.
Chénier,Bucoliques, 1794, p.241. − [P. méton.] Qqc. nourrit qqc.Pourvoir en produits alimentaires. Les plus généreux se font peu à peu agressifs à cause de l'absurde de cette invasion (...). Une seule province ne peut ni loger ni nourrir la France! (Saint-Exup.,Pilote guerre, 1942, p.316). 3. Qqc. nourrit qqn/un animal.Être un aliment pour l'organisme. Les réservoirs des montagnes hydrauliques, c'est-à-dire les lacs, nourrissent une infinité de plantes, de poissons et d'oiseaux, qu'on ne trouve point ailleurs (Bern. de St-Pierre,Harm. nat., 1814, p.227).L'herbe nourrit les animaux divers qui la broutent (Claudel,Art poét., 1907, p.158). − P. anal. Nourrir le bois, le cuir. Enduire le bois, le cuir avec de l'huile de lin, de la cire, du cirage, afin qu'il garde ses qualités mécaniques. Cette émulsion (...) est employée (...) pour nourrir le cuir (Wurtz,Dict. chim., 2esuppl., t.7, 1908, p.661). 4. Qqn/qqc. nourrit qqn.Pourvoir aux moyens d'existence de; subvenir aux besoins matériels de. Synon. entretenir.Nourrir sa famille; nourrir qqn à ne rien faire; nourrir une bouche inutile. − En partic. Apporter une aide aux indigents. Se retirer dans le désert au pied d'une croix, pour panser les malades, pour nourrir les pauvres (Claudel,Otage, 1911, ii, 2, p.268). − P. ext. Qqc. (un travail) nourrit qqn.Faire vivre; assurer un revenu, des ressources pour vivre. Il n'y a que la mauvaise littérature qui puisse nourrir son homme. La bonne ne le peut pas faire (Vigny,Journal poète, 1832, p.946). B. − Au fig. Qqn/qqc. nourrit qqn/qqc. 1. Qqn/qqc. nourrit qqc.Développer quelque chose en lui fournissant les ressources nécessaires. Nourrir la fièvre, la guerre. Cet événement artistique considérable [la venue à Paris du «Schillertheater» de Berlin] contribuera largement à nourrir les relations de culture entre la France et l'Allemagne (L'OEuvre, 12févr. 1941).La tradition inaugurée par Plotin, dont l'action sur saint Augustin fut si profonde, n'est pas éteinte! C'est elle qui avant de peser sur les siècles romans, nourrit l'art byzantin (Huyghe,Dialog. avec visible, 1955, p.132). − Spécialement ♦ [En parlant d'une banque] Nourrir un crédit. Financer un crédit ,,à partir des dépôts qu'elle reçoit de ses clients`` (Gestion fin. 1979). ♦ BEAUX-ARTS DESSIN, GRAV. Nourrir son trait. Le faire large. Le rôle principal [de l'encre] est de nourrir les traits dessinés sur la pierre [lithographique] (Chelet,Lithogr., 1933, p.43).PEINT. Nourrir sa couleur. Empâter la couleur. (Dict. xixeet xxes.). ♦ LING., STYL. Nourrir son style. L'étoffer, lui donner de la force et de la vigueur, de la richesse (Dict. xixeet xxes.). 2. Qqn/qqc. nourrit qqn/qqc. a) Apporter à quelqu'un et, p. méton., à quelque chose (coeur, âme, esprit) ce qui peut l'enrichir (sur le plan intellectuel ou moral). Nourrir l'âme, l'esprit, l'intelligence. C'est une chose bien certaine que les Paroles du Saint Livre nourrissent l'âme et même l'intelligence, à la manière de l'Eucharistie, sans qu'il soit nécessaire de les comprendre (Bloy,Journal, 1900, p.37). b) Qqc./qqn nourrit qqn (à, dans) qqc.
α) Vx, littér. [P. allus. à Racine] Élever, éduquer. Elle se tourna tout de suite, en pensée, vers ses camarades, parce qu'ils avaient été nourris dans le sérail [théâtre], parce qu'ils en connaissaient les familiers et les moeurs (Duhamel,Suzanne, 1941, p.80). − Nourrir qqn à.Instruire dans l'étude de, former à. Il a été nourri aux lettres latines (Ac.1935).La nièce des Bignon (...) avait été nourrie aux observances du palais et dans la religion de la justice (Sainte-Beuve,Port-Royal, t.4, 1859, p.111). − Nourrir qqn dans.Former, éduquer selon certains principes, dans le respect de certaines valeurs. Il dit que l'enfance et la jeunesse devraient être nourries dans le culte de la plus haute beauté (Barrès,Cahiers, t.3, 1903, p.159).Le tout est d'être nourri dans les principes. Il faut bien penser avant que de penser (A. France,Île ping., 1908, p.200). ♦ Loc. verb. fig. Nourrir un serpent dans son sein. Élever, assister quelqu'un qui se retourne ensuite contre soi. Bernadotte a été le serpent nourri dans notre sein; à peine il nous avait quittés, qu'il était dans le système de nos ennemis (Las Cases,Mémor. Ste-Hélène, t.1, 1823, p.977).
β) Vx, littér. Porter dans son sein; produire. (Dict. xixeet xxes.). 3. Littér. Qqn/qqc. nourrit qqc. (pour, envers, contre qqn). a)
α) Entretenir un sentiment, une pensée dans l'esprit. Nourrir l'espérance, l'espoir, l'orgueil, la haine, l'imagination, la passion, la rêverie. Parmi les trente-neuf millions de Français qui ne passent jamais le seuil d'une librairie, quelques centaines de mille au hasard d'un voyage (...) pour nourrir quelques rêveries et susciter quelques images, ont une fois commis cet acte étrange (...): ils ont acheté un livre (Mauriac,Journal occup., 1941, p.317).
β) Entretenir un sentiment, une pensée pour, envers, contre quelqu'un. Je les hais, et de toute la haine que peut nourrir une âme basse de paria pour les castes supérieures (Larbaud,Barnabooth, 1913, p.118).Un petit monde de commerçants (...) qui, tout en nourrissant une haine muette pour les fonctionnaires en général, ne parvenait pas à dépouiller, en présence de l'ennemi, le respect ancestral (Estaunié,Ascension M. Baslèvre, 1919, p.7). b) Former des projets. Nourrir le dessein, le projet de. L'espoir de vaincre la mer l'enfiévrait. Il avait conservé contre elle une rancune, depuis qu'il l'accusait sourdement de sa ruine (...). S'il n'osait l'injurier tout haut, il nourrissait l'idée de se venger un jour (Zola,Joie de vivre, 1884, p.903). Prononc. et Orth.: [nuʀi:ʀ], (il) nourrit [nuʀi]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. I. 1. 2emoitié xes. «élever un enfant» (Saint-Léger, éd. J. Linskill, 27); ca 1500 nourrir à «élever à» (Philippe de Commynes, Mémoires, éd. J. Calmette, I, p.69); 1636 nourrir dans «former dans» (Corneille, Le Cid, vers 589: son bras nourri dans les alarmes); 1690 nourrir un serpent dans son sein «élever un ingrat» (Fur.); 2. 1636 «produire» (Corneille, op. cit., vers 1560 : Et tout ce que l'Espagne a nourri de vaillants). II. 1. Mil. xies. «alimenter un enfant nouveau-né» (Alexis, éd. Chr. Storey, 32); ca 1180 «alimenter un animal» (Marie de France, Fables, 32-5 ds T.-L.); 2. ca 1100 «pourvoir à l'entretien complet de quelqu'un» (Roland, éd. J. Bédier, 2380); 3. ca 1225 «fournir des aliments nécessaires à un être vivant» (Gautier de Coinci, Mir. de la Vierge, II, Mir. 22, éd. V. F. Koenig, IV, p.191); 4. ca 1500 «constituer un aliment pour un organisme» (Jardin de santé, I, 374 ds Gdf. Compl.); 5. 1524-27 «faire vivre» (P.Gringore, Vie Ms. S. Loys, II, 29 ds IGLF: Nostre moulin certainement nous nourrist); 6. 1580 «former dans son esprit, méditer» (Montaigne, Essais I, XXVI, éd. P. Villey, I, 174); 7. 1582 p. ext. «en parlant d'un pays, approvisionner en produits alimentaires» (R. Garnier, Bradamante, 139, IV, p.11 ds IGLF: et mille autres et mille que l'Espagne et l'Afrique ont nourris). III. Verbe pronom. 1. ca 1269-78 «prendre des forces» (Jean de Meun, Roman de la Rose, éd. F. Lecoy, 18943); 2. 1485 «prendre de la nourriture de» (Mist. du Viel Testament, XXXVII, 34658, IV, 330 ds IGLF: Courges, pompons se nourrissent dessoubz); 3. id. fig. (ibid., V, 3038, I, 116, ibid.: Or fault il que je me nourrisse Desormais de peine et tormens). Du lat. nutrire «nourrir, alimenter, entretenir». Fréq. abs. littér.: 3798. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 6438, b) 4683; xxes.: a) 5209, b) 5015. DÉR. 1. Nourrissage, subst. masc.a) Agric. ,,Activité agricole qui s'applique à l'élevage et à l'engraissement des animaux domestiques`` (Fén. 1970). b) Peauss. Action de graisser et de nourrir le cuir. Les produits extraits du pétrole brut possèdent encore de nombreux usages; sulfonées, certaines huiles conviennent au nourrissage des cuirs de chamoiserie (Chartrou,Pétroles natur. et artif., 1931, p.148).− [nuʀisa:ʒ]. Att. ds Ac. dep. 1798. − 1reattest. 1482 «action d'élever du bétail» norrisaige (Franch. de Franquemont, Arch. mun. Montbéliard ds Gdf.); de nourrir, suff. -age*. 2. Nourrissement, subst. masc.Action de nourrir. Apic. ,,Fourniture artificielle de nourriture à une colonie d'abeilles soit pour compléter ses provisions, soit pour stimuler la ponte`` (Agric. 1977). − [nuʀismɑ
̃]. − 1resattest. a) fin xiies. «nourriture, aliment» nurissement (Gregoire Le Pape, Homelies, p.59, Hofmann ds Gdf.), b) 1907 «action de fournir de la nourriture à une ruche pendant la mauvaise saison» (Nouv. Lar. ill. Suppl.); de nourrir, suff. -ment1*. |