| NAÎTRE, verbe intrans. Commencer à exister. Anton. mourir.I. − [Le suj. désigne un être organisé, gén. un être humain] Commencer sa vie, entrer dans le processus biologique propre aux êtres animés. Les sept sphères célestes, dont l'action combinée était censée (...) répandre les germes de vie dans tout ce qui naît ici bas (Dupuis,Orig. cultes, 1796, p.376).Naître, c'est recevoir d'autrui le capital d'une hérédité (Ricoeur,Philos. volonté, 1949, p.408): 1. Chacun de nous naît, vit un temps bref et disparaît à jamais sans laisser de trace; mais qu'importe, puisque de nouveaux hommes naissent, qui vivront, mourront et seront à leur tour remplacés par d'autres? Les individus passent, mais l'espèce dure...
Gilson,Espr. philos. médiév., 1931, p.197. A. − [Le suj. désigne une pers., plus rarement un animal] Venir au monde, sortir de l'organisme maternel. Enfant à naître, né avant terme; chaton qui vient de naître; naître et grandir; naître à telle date, dans tel endroit; n'avoir pas demandé à naître, ne s'être donné que la peine de naître. Ma pensée de ce jour va à notre passé ami et un peu à sa fille, que je revois au moment où elle venait de naître, en sa nudité embryonnaire, devant le feu de cheminée de sa mère (Goncourt,Journal, 1881, p.121).Je suis née à quatre heures du matin, le 9 janvier 1908, dans une chambre aux meubles laqués de blanc (...). Mon père avait trente ans, ma mère vingt et un, et j'étais leur premier enfant (Beauvoir,Mém. j. fille, 1958, p.9): 2. Une jument au pré va toujours faire son poulain vers l'eau, s'il y en a, rivière, ou mare. (...). Il naît enveloppé d'une peau comme d'un sac; il y meurt si l'on ne le délivre.
Renard,Journal, 1900, p.582. ♦ Être innocent* comme l'enfant*, comme l'agneau* qui vient de naître. L'acide prussique est donc réhabilité; si vous en doutez, vous n'avez qu'à en boire! Il est aussi innocent que l'agneau qui vient de naître (Reybaud,J. Paturot, 1842, p.317). ♦ Les enfants naissent dans les choux*, dans les roses. Ma cousine Jeanne (...) croyait encore que les enfants naissaient dans les choux (Beauvoir,Mém. j. fille, 1958, p.178). ♦ La légende, le récit, fait naître qqn à tel endroit. La légende, le récit, prétend qu'il est né à cet endroit. Charlemagne, que la légende fait naître chez un meunier, dans la Forêt-Noire (Hugo,Rhin, 1842, p.118). 1. [Naître employé dans différentes constr.] a) [Naître à la forme impers.] On a constaté qu'il naît chez l'homme et chez les animaux une certaine proportion de mâles et de femelles (Cl. Bernard, Princ. méd. exp., 1878, p.69).Vous savez qu'après les guerres un mystère veut qu'il naisse plus de garçons que de filles, excepté chez les Amazones (Giraudoux,Amphitr., 1929, i, 2, p.29). b) Naître + compl. d'attribution.Au moment même où je finis ce rude janvier 93, mon fils me naît, me relève aux hautes pensées (Michelet,Journal, 1850, p.111). c) Naître de + compl., naître + nom propre (indiquant l'origine).Être issu de. Alors dans Besançon, vieille ville espagnole, (...) Naquit d'un sang breton et lorrain à la fois Un enfant sans couleur, sans regard et sans voix (Hugo,Feuilles automne, 1831, p.717).Le hasard (...) a voulu que je naisse Rezeau, sur l'extrême branche d'un arbre généalogique épuisé (H. Bazin,Vipère, 1948, p.19). − En partic., au part. passé (pour indiquer le nom de jeune fille d'une femme mariée). Oriane a une cousine dont la mère, sauf erreur, est née Grandin (Proust,Guermantes 1, 1920, p.231).En 1907, deux dames (...) qui n'étaient autres que la marquise de Belbeuf, née Morny, et notre admirable Colette (Willy), se montrèrent sur la scène d'un music-hall (Fargue,Piéton Paris, 1939, p.180). d) Naître + adj., subst. ou compl. prép. − [Pour exprimer un état de nature, une caractéristique physique, une situation soc.] Naître aveugle, infirme; naître esclave, prince; naître dans la pauvreté, dans la richesse; les hommes naissent libres et égaux. Le judicieux Quintilien, après avoir distingué l'état natif et brut de l'état perfectionné, cite les animaux qui naissent sauvages et que l'éducation apprivoise (Bonald,Législ. primit., t.2, 1802, p.200).Lyautey enfant ajoutait à sa prière: «Je vous remercie de m'avoir fait naître dans la meilleure catégorie sociale, et français» (Barrès,Cahiers, t.1, 1896, p.5): 3. ... je repassai en moi-même l'histoire de la plupart des jeunes filles que le sort a fait naître dans une basse condition pour servir de jouet à quelques riches de la terre qui s'en arrangent comme d'un beau cheval et s'en défont aussi facilement.
Janin,Âne mort, 1829, p.64. − [Pour indiquer qu'une aptitude intellectuelle, morale (bonne ou mauvaise), s'est affirmée très tôt] Naître/être né avare, bon, courageux, lâche, pieux; naître/être né escroc, héros; naître/être né écrivain, musicien. Les créoles naissent avec une bravoure qui les distingue par-tout (Baudry des Loz.,Voy. Louisiane, 1802, p.66).Le paysan naît méfiant, hostile à l'engagement mutuel, avant tout envieux, égoïste. Défauts de ses qualités... (Pesquidoux,Livre raison, 1928, p.226): 4. Entre les hommes, la somme des talents et des capacités est égale, et leur nature similaire: tous, tant que nous sommes, nous naissons poètes, mathématiciens, philosophes, artistes, artisans, laboureurs; mais nous ne naissons pas également tout cela, et, d'un homme à l'autre, dans la société, d'une faculté à une autre faculté dans le même homme, les proportions sont infinies.
Proudhon,Propriété, 1840, p.309. e) Être né pour + verbe ou subst.Être destiné à, avoir des dispositions particulières pour (faire) quelque chose. Être né pour agir, diriger, obéir, régner; être né pour le commandement, le trône; être né pour le bonheur, la souffrance; être né pour la peinture. Elle paraissait née pour une vie différente des autres (Martin du G.,Thib., Pénitenc., 1922, p.794).Toute cette humanité inférieure, née pour être esclave, tous ces médiocres, ces gens laids, stupides, mal habillés, pourquoi ont-ils leur part de cette gloire? (Montherl.,Exil, 1929, i, 2, p.28): 5. Beaucoup de courtisanes étaient nées pour être des honnêtes femmes, dit-on; et beaucoup de femmes dites honnêtes pour être courtisanes...
Maupass.,Contes et nouv., t.2, Samoris, 1882, p.360. f) (Être) né natif* (de). 2. [Naître employé dans des expr. fig.] ♦ Être né coiffé. V. ce mot II A 2 a. ♦ Être né sous une bonne, une mauvaise étoile*. ♦ Ne pas être né d'hier*, de la dernière pluie*. ♦ Il (elle) n'est pas encore né(e), il (elle) est encore à naître, celui (celle) qui... [Pour parler d'une action présentée comme irréalisable] − Encore celle-là! méfiez-vous, ça finira par être sérieux! Vivement, Mouret se défendit (...). − Laissez donc, une plaisanterie! La femme qui me prendra n'est pas née, mon cher! (Zola,Bonh. dames, 1883, p.616). ♦ Avoir vu naître qqn. Connaître quelqu'un depuis longtemps, depuis toujours. La duchesse le regardait avec admiration; ce n'était plus l'enfant qu'elle avait vu naître, ce n'était plus le neveu toujours prêt à lui obéir: c'était un homme grave et duquel il serait délicieux de se faire aimer (Stendhal,Chartreuse, 1839, p.173).Réponds-moi sans mentir, gamine. Je t'ai quasi vue naître, on ne trouverait pas plus délurée que toi dans Mégère (Bernanos,Crime, 1935, p.753). B. − [Le suj. désigne une plante] Sortir de terre, commencer à pousser. Synon. éclore, germer.Là naissent au hasard le muguet, la jonquille, Et des roses de mai la brillante famille (Michaud,Printemps proscrit, 1803, p.84).À certains craquements, à certains soupirs légers, il semblait qu'on entendît naître et pousser les légumes (Zola,Ventre Paris, 1873, p.802). C. − P. anal. [Le suj. désigne une pers.] Passer de l'état d'enfant à celui d'adolescent, puis d'adulte. C'était une enfant, mais une enfant qui devenait femme. Elle se trouvait à cette heure indécise et adorable où la grande fille naît dans la gamine (Zola,Fortune Rougon, 1871, p.15). II. − P. anal. ou au fig. A. − Apparaître, commencer à se manifester, à se montrer. 1. [Le suj. désigne une réalité concr., un phénomène perceptible par les sens] Le jour, le printemps naît; le vent naît; un objet naît sous les doigts d'un artisan. C'était à l'heure où les étoiles naissent une à une dans le ciel, et servent de signal aux amoureux (Murger,Nuits hiver, 1861, p.242): 6. Un sourire d'attente général et sans cause naissait sur un côté de son menton en galoche et lui montait jusqu'aux paupières, mais plus à gauche qu'à droite, ce qui lui donnait l'air narquois et vaguement strabique.
Malègue,Augustin, t.1, 1933, p.260. 2. [Le suj. désigne une réalité abstr., notamment une manifestation de l'esprit] Amitié, amour qui naît; puissance qui naît; roman, oeuvre d'art qui naît. Soudain un projet naquit en lui, hardi, si hardi qu'il douta d'abord s'il l'exécuterait (Maupass.,Contes et nouv., t.1, Épreuve, 1889, p.1123).J'ai vu naître un mot; c'est voir naître une fleur. Ce mot ne sortira peut-être jamais d'un cercle étroit, mais il existe; c'est lirlie (Gourmont,Esthét. lang. fr., 1899, p.92): 7. On sait bien (...) qu'une éducation toute livresque ne fera jamais que des primaires, des demi-barbares. De là naissent les fanatismes littéraires, politiques, religieux: par là souvent commencent les sectes.
Bremond,Hist. sent. relig., t.4, 1920, p.254. 3. [Le suj. désigne une pers. exerçant une activité gén. artistique, intellectuelle] Auteur, peintre qui naît. Rien de ce qui est spontané ne demeure étranger à ce romancier qui va naître (Mauriac,Journal 2, 1937, p.151). B. − Naître à.[Le suj. désigne une pers., le compl. désigne une faculté, une sensation, un sentiment] Connaître, éprouver pour la première fois. Synon. s'éveiller à.Naître à l'amour. La pauvre fille naissait au bien-être, à la confortable vie qu'elle n'osait même plus rêver depuis bien longtemps (Bloy,Femme pauvre, 1897, p.104): 8. Pour la première fois depuis son retour, il était aussi sans manteau et sans chapeau: débarrassé de ces symboles de la respectabilité, on naît à une vie nouvelle, comme une femme qui vient de se faire tailler les cheveux courts...
Montherl.,Lépreuses, 1939, p.1507. C. − Naître de + compl.Tirer son origine de, prendre sa source dans. Synon. provenir de, résulter de. 1. [Le suj. désigne une réalité concr.] De son mouvement de rotation naquirent les jours et les nuits; du balancement alternatif de ses pôles, les étés et les hivers (Bern. de St-P.,Harm. nat., 1814, p.256).À cet endroit où [la rivière] naît du coeur d'une quintuple vallée, j'entreprends de trouver la tête d'un des rus qui l'alimentent (Claudel,Connaiss. Est, 1907, p.97): 9. ... si les fleurs nées du pinceau n'étaient pas fameuses, du moins les peindre vous faisait vivre dans la société des fleurs naturelles, de la beauté desquelles, surtout quand on était obligé de les regarder de plus près pour les imiter, on ne se lassait pas.
Proust,J. filles en fleurs, 1918, p.709. 2. [Le suj. désigne une réalité abstr.] Il y a un certain plaisir dans l'émotion qui naît de la connaissance d'un danger ou d'une peine que l'on surmonte (Maine de Biran,Journal, 1816, p.175).Partout je vois la vie naître de la mort, l'énergie naître de la douleur, la science naître de l'erreur, l'harmonie naître du désordre (Martin du G.,J. Barois, 1913, p.551): 10. Les innovations apportées par la barbarie dans la langue latine dégénérée s'appliquèrent naturellement aux divers jargons qui en naquirent; la langue française s'y trouva sujette à mesure qu'elle se forma...
Sainte-Beuve, Tabl. poés. fr., 1828, p.80. D. − Faire naître.[Le suj. de «faire» désigne une pers. ou une chose, le suj. de «naître» désigne une chose] Provoquer, susciter. Faire naître un conflit, des difficultés, une occasion. L'intérêt que j'ai eu le bonheur de vous inspirer (...) m'a fait naître l'idée de mettre par écrit les événemens extraordinaires de ma vie (Sénac de Meilhan,Émigré, 1797, p.1762).Agir, c'est détruire pour faire naître la réalité spirituelle de la conscience (Camus,Homme rév., 1951, p.174): 11. La musique (...) nous charme, nous électrise, nous passionne, nous enivre et nous entraîne en nous initiant à tout ce qui est beau, noble, grand, sans que nous puissions nous rendre un compte exact et précis des émotions qu'elle fait naître en notre âme.
Barrès,Cahiers, t.5, 1907, p.132. − Emploi abs. L'homme honnête et sensible aime, quand il le peut, à créer, à faire naître, et il se plaît ensuite à contempler l'ouvrage de ses mains (Crèvecoeur,Voyage, t.1, 1801, p.197). Prononc. et Orth.: [nε(:)tʀ], (il) naît [nε]. Ac. 1694, 1718: naistre; dep. 1740 naître. Étymol. et Hist. I. Venir au monde A. en parlant d'un homme 1. a) 2emoitié xes. part. passé nez de + attribut indiquant les conditions de la naissance (St Léger, éd. J. Linskill, 137: Ciel ne fud nez de medre vius Qui...) [cf. fin xes. Passion, éd. D'Arco Silvio Avalle, 448: nulom de madre naz]; ca 1170 (Marie de France, Lais, éd. J. Rychner, Bisclavret, 313: Plusurs des femmes del lignage C'est veritez, senz nes sunt neies); ca 1200 (Châtelain de Coucy, Chans., éd. A. Lerond, II, 27, p.64: Quant pour ma mort nasquites sanz merci!); 1580 aveugle nay (Montaigne, Essais, II, XII, éd. P. Villey et V.-L. Saulnier, p.589); b) 1667 p. anal. (Boileau, Satire IX ds
Œuvres, éd. F. Escal, p.53: Dès que l'impression fait éclore un poète, Il est esclave-né de quiconque l'achète); 2. ca 1050 «tirer son origine» (St Alexis, éd. Chr. Storey, 41: Fud la pulcela nethe de halt parentét); début xiies. (Benedeit, St Brendan, éd. E. G.R. Waters, 19: Icist seinz Deu fud ned de reis); fin xiies. nés de France (Floovant, 1377 ds T.-L.); 3. fin xiiies. [fame] bien nee «de noble origine» (Bernier, Housse partie, 95 ds A. de Montaiglon et G. Raynaud, Recueil gén. des fabliaux, t.1, p.85). B. en parlant d'un animal ca 1160 (Eneas, 3942 ds T.-L.). C. en parlant d'un végétal 1180-1200 [texte ms. D, xiiies.] (Chevalerie Vivien, éd. A.L. Terracher, 89); ca 1200 [ms. xiiies.] ([Châtelain de Coucy?] Chans., éd. A. Lerond, XXII, 31, p.164). II. Apparaître, se manifester A. 1. 1174-87 «surgir, être en vue» (Chrétien de Troyes, Perceval, éd. F. Lecoy, 1322: Torna li vaslez a senestre Et vit les torz del chastel nestre); 2. ca 1180 en parlant de l'aube, du jour «pointer» (Guillaume de Berneville, St Gilles, 1820 ds T.-L.); début xiiies. [ms.] (Chrétien de Troyes, Cligès, éd. W. Foerster, 296, leçon du ms. S: l'aube naist); 3. xives. en parlant des manifestations d'une maladie (Moamin et Ghatrif, II, 43 ds T.-L.). B. 1. 1176-81 d'un sentiment (Chrétien de Troyes, Chevalier au lion, éd. M. Roques, 5342: Cest duel que ne sai don vos nest Vos ost del cuer et tort a joie); 2. 1erquart xiiies. (Renclus de Molliens, Miserere, 73, 12 ds T.-L.: Car cascune uevre est meritable Selon le cuer dont elle naist); 3. ca 1265 géogr. (Brunet Latin, Trésor, éd. J. Carmody, I, CXXII, 7, 111: ces fleuves naissent soz le mont Liban). Naître, né sont issus du lat. nascere (Caton ds Forc. t.3, p.332a; Vään., § 294) «naître»; fig. «prendre son origine, provenir», part. passé natus «né (au propre et au fig.)» subst. «fils» puis «être humain, personne» à basse époque (Forc. t.3, p.333a); cf. avec le type a. fr. nul né, nul home né, nul home de mère né, le lat. homo natus, nemo natus dès Plaute, Mostellaria, II, 2, 21, v. E. Bourciez ds B. hisp. t.3, 1901, p.323. Fréq. abs. littér.: 7381. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 14676, b) 6422; xxes.: a) 8319, b) 10423. DÉR. Naisseur, subst. masc. et adj. masc.,élev. a) Subst. masc. Éleveur s'occupant particulièrement du choix des reproducteurs pour un animal déterminé (cheval de course par exemple). La montagne pyrénéenne tend à jouer le rôle de «pays naisseur» [pour les moutons] (Wolkowitsch,Élev., 1966, p.124).− [nεsoe:ʀ]. − 1reattest. 1936 (Morand, loc. cit.); de naître, naissant, suff. -eur2*. BBG. _ Lanly (A.). Morphol. hist. des verbes fr. Paris, 1977, pp.246-248. _ Mihailescu-Urechia (V.), Urechia (A.). Phénomènes inconnus de la lang. Orbis. 1971, t.20, p.10. |