| NAVRER, verbe trans. A. − Vx. Blesser, transpercer. Madame, je ne vous compromettrai point par des flammes indiscrètes. Ce brutal de mari me navrerait sans pitié et plongerait le fer en votre blanche poitrine (Gautier, Fracasse, 1863, p.270). − Emploi pronom. réfl. indir. Ni blaireau, ni renard n'auroit passé sans se meurtrir ou se navrer la fine pointe de son museau (Nodier, Trésor fèves, 1833, p.53). B. − Au fig. 1. Remplir d'une profonde tristesse. C'est son coeur que j'ai navré. Ce n'est pas sa voix que j'ai suivie, mais c'est son sein que j'ai meurtri (Quinet, Ahasvérus, 1833, 4ejournée, p.335).André, que ce départ navrait, debout sur la marche du wagon qui tressaillait déjà, lui cria, les yeux brillants de chagrin et d'espoir (Martin du G., Devenir, 1909, p.94). − Emploi pronom. Omer se navra fort (Adam, Enf. Aust., 1902, p.330). 2. P.exagér. Contrarier, décevoir quelqu'un: . Votre étonnement était pire qu'une exigence formelle. Monsieur Tintouin, cette conduite me navre. C'est me faire payer bien cher quelques annonces parues dans votre gazette...
Miomandre, Écrit sur eau, 1908, p.110. REM. 1. Navrance, subst. fém.,rare. Affliction, profonde tristesse. Je passe pour doux, je suis violent, −mais distrait! je passe pour léger d'âme; joyeux −je suis l'ennui et la navrance en personne! (Gide, Corresp.[avec Valéry], 1891, p.125). 2. Navrure, subst. fém.,rare. a) Blessure, contusion. Il devint expert aux fièvres et aux contusions, aux navrures et aux apostumes (Hugo, N.-D. Paris, 1832, p.172).b) Au fig. Tristesse profonde. Ses joues étaient mouillées (...) de vraies larmes. Sa navrure paraissait profonde, poignante, sincère (Richepin, Glu, 1881, p.319). Prononc. et Orth.: [nɑvʀe], [na-], (il) navre [nɑ:vʀ], [na:-]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Ca 1130 «blesser en transperçant ou en coupant» (Gormont et Isembart, éd. A. Bayot, 300); 2. fig. a) 1176 «atteindre quelqu'un (en parlant de l'amour)» (Chrétien de Troyes, Cligès, éd. A. Micha, 684); b) 1538 «causer (à quelqu'un) une grande peine» (Est., s.v. perstringere); 3. part. passé a) 1562 «qui éprouve une grande affliction» (Poppe, p.260: (il) en estoyt fort navré); b) 1773 «désolé, contrarié» (D'Alembert, Lettre à Voltaire, 13 mai ds Littré). Altération de l'anc. verbe nafrer, d'orig. incertaine, signifiant «blesser en transperçant ou en coupant» (ca 1100, Roland, éd. J. Bédier, 2093), att. d'abord dans les anc. textes norm. et agn. (encore «blesser; meurtrir» en norm. et dans les parlers de l'Ouest; v. FEW t.16, p.593b-594a), entré ensuite, comme terme de chevalerie, en prov. et fr.-prov. où l'on trouve nafrar à partir de la fin du xiies. (v. FEW t.16, p.593b). Nafrer est peut-être empr. par le norm. à l'a. nord. *nafra «percer (avec une tarière)», que l'on suppose d'apr. le subst. a. nord. nafarr «tarière» (v. FEW t.16, p.595a-b), avec un glissement de sens dû prob. à une mauvaise compréhension du verbe en gallo-rom. en raison de l'absence du subst. corresp. La forme navrer, avec sonorisation de -fr- en -vr-, peut être expliquée par le passage du mot norm. au parler de Paris, où le groupe consonantique -vr- est très fréq. Le point faible de cette hyp. est que le subst. a. nord. n'a pas de représentant en gallo-rom. et, qu'au contraire, le verbe qu'exige le gallo-rom. n'existe pas en a. nord. Selon EWFS et H. Meier, cf. infra, nafrer est issu du lat. naufragare, proprement «faire naufrage» (v. naufrager), qui a pris les sens de «gâcher, abîmer, perdre, ruiner» (viie-viiies. ds Nierm. et Nov. Gloss.), d'où celui de «subir un dommage corporel» (fin du ixes. ds Nov. Gloss.); cf. aussi l'a. esp. nafregar(e), navargar «désoler, détruire» (mil. du xes. ds Cor.-Pasc., s.v. nafrar), «produire une blessure au cheval» (1129, ibid.), «maltraiter» (xiies., ibid.) et l'a. port. ana(u)fragar (1223 ds Mach.3). L'évolution phonét. de naufragare à nafrer s'expliquerait par une réduction de naufragus (analogue à celle de rêver*), ou par une formation régr. de nafregare (issu de naufragare par substitution de suff.; cf. aussi l'esp. doblar/doblegar, desdentar, desdentegar... v. Cor.-Pasc., loc. cit.) ou encore par l'infl. des formes verbales accentuées sur la syll. initiale (naufraga, naufragat...). V. FEW t.16, pp.593b-596b et H. Meier, Lateinisch-romanische Etymologien, 1981, pp.114-151. Fréq. abs. littér.: 151. Bbg. Alessio (G.). Saggio di etimologie francesi. R. Ling. rom. 1950, t.17, pp.190-191. _Gohin 1903, p.317. _Paris (G.). Navrer. Romania. 1872, t.1, pp.216-218. |