| NATURALISME, subst. masc. A. − PHILOSOPHIE 1. Doctrine, système qui considère la nature comme principe fondamental. Le dieu effréné du naturalisme antique, l'aveugle Eleuthère, le furieux libérateur, le rédempteur sanguinaire de l'ancien monde, son Christ impur, avait mené son dernier choeur, consommé sa dernière orgie (Michelet,Hist. romaine,t.2, 1831, p.328).À vrai dire, ces cultes [les polythéismes mythologiques] méritent à peine le nom de religions; l'idée de révélation en est profondément absente; c'est le naturalisme pur, exprimé par un poétique symbolisme (Renan,Avenir sc.,1890, p.282).Ainsi comprises, ces doctrines du libre arbitre se rattachent directement au naturalisme chrétien dont les exigences se font sentir dans les philosophies médiévales. Lorsque la confiance dans l'indestructibilité de la nature et dans l'efficace de causes secondes issues d'une fécondité créatrice disparut, le monde était mûr pour la Réforme (Gilson,Espr. philos. médiév., 1932, p.118). 2. Rare, vieilli. Doctrine philosophique qui considère la nature comme principe unique, à l'exclusion de toute intervention divine ou idéale. Synon. matérialisme; anton. spiritualisme, idéalisme.Car, vivant parmi cette civilisation historique et scientifique qu'on leur oppose, en cet âge de critique et de naturalisme, plusieurs au moins [parmi ceux qui croient à l'ordre surnaturel] savent ce qu'il en est (Blondel,Action,1893, p.390). Rem. Nysten 1824 donne le sens ,,théorie médicale qui considère la nature comme la principale et unique cause curative des maladies``. Le mot vivant, en ce sens, est naturisme. 3. Doctrine, système qui est fondé sur la nature humaine. Comme il est vrai que le naturalisme humanitaire et le naturalisme racique sont tous deux ennemis de la patrie et de la chrétienté à la fois (Maritain,Primauté spirit.,1927, p.138): 1. La nature humaine n'est pas une modalité au sens où la condition humaine est une modalité. Et c'est pourquoi il vaut mieux parler, à mon sens, de naturalisme que d'humanisme. Il y a dans le naturalisme une implication de réalités plus générales que dans l'humanisme...
Sartre,Existent.,1946, p.114. B. − HIST. DES IDÉES ESTHÉT. 1. Représentation exacte de la nature, du réel. Synon. réalisme, naturisme (rare).[Léonard] arrive sans erreurs, sans défaillances, sans exagérations et comme d'un seul bond, à ce naturalisme judicieux et savant, également éloigné de l'imitation servile et d'un idéal vide et chimérique (Delacroix,Journal,1860, p.285): 2. Le paysage classique est mort, tué par la vie et la vérité. Personne n'oserait dire aujourd'hui que la nature a besoin d'être idéalisée, que les cieux et les eaux sont vulgaires, et qu'il est nécessaire de rendre les horizons harmonieux et corrects, si l'on veut faire de belles oeuvres. Nous avons accepté le naturalisme sans grande lutte, parce que près d'un demi-siècle de littérature et de goût personnel nous avait préparés à l'accepter.
Zola,Les Paysagistesds Mon Salon, Manet, Paris, Garnier-Flammarion, 1970 [1868], p.157. − Imitation servile du réel. Mais qu'arrive l'art romain, que se perde ce sens aigu de la qualité pour ne plus subsister que le principe de l'imitation, aboutissant au naturalisme, ou celui de la correction formelle, menant à l'académisme, et l'art occidental connaîtra sa première défaillance (Huyghe,Dialog. avec visible,1955, p.242). 2. Doctrine dont le principal porte-parole a été Zola, caractérisée par la volonté de peindre la réalité sociale dans tous ses aspects (notamment les milieux prolétaires), le recours aux méthodes de la science, le rejet du style, de l'intrigue, des personnages. J'ai lu, comme vous, quelques fragments de l'Assommoir. Ils m'ont déplu. Zola devient une précieuse, à l'inverse. Il croit qu'il y a des mots énergiques, comme Cathos et Madelon croyaient qu'il en existait de nobles. Le système l'égare. Il a des principes qui lui rétrécissent la cervelle. Lisez ses feuilletons du lundi, vous verrez comme il croit avoir découvert «le naturalisme»! (Flaub.,Corresp.,1876, p.369): 3. −Je ne reproche au naturalisme ni ses termes de pontons, ni son vocabulaire de latrines et d'hospices, car ce serait injuste et ce serait absurde; d'abord, certains sujets les hèlent, puis avec des gravats d'expressions et du brai de mots, l'on peut exhausser d'énormes et de puissantes oeuvres, l'Assommoir, de Zola, le prouve; non, la question est autre; ce que je reproche au naturalisme, ce n'est pas le lourd badigeon de son gros style! C'est l'immondice de ses idées. Ce que je lui reproche, c'est d'avoir incarné le matérialisme dans la littérature, d'avoir glorifié la démocratie de l'art!
Huysmans,Là-bas,t.1, 1891, p.5. 3. P.ext. Caractère crû d'un personnage, d'une expression. On pense [à propos de Claudel] à Shakespeare. Il en a la brutalité, le «naturalisme» voulu, les immenses laïus sans raison apparente, les images très précises, brutales toujours (Alain-Fournier,Corresp.[avec Rivière], 1906, p.250). Prononc. et Orth.: [natyʀalism̭]. Att. ds Ac. dep. 1762. Étymol. et Hist. 1. 1719 «interprétation mythologique des faits de la nature» (Lamotte, Fabl., II, 14 ds Littré); 2. 1746 «système dans lequel on attribue tout à la nature comme premier principe» (Diderot, Pensées Philosophiques, p.45); 3. 1858, 28 févr. «école littéraire qui se propose de donner une représentation réaliste de la nature» (Taine, Essai sur Balzac ds Le Journal des Débats). Dér. sav. du lat. naturalis (v. naturel); suff. -isme*. Fréq. abs. littér.: 204. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 44, b) 55; xxes.: a) 565, b) 459. Bbg. Gohin 1903, p.268. _Hemmings (F. W.). The Origin of the terms naturalisme, naturaliste. Fr. St. 1954, t.8, pp.109-121. _ Krauss (W.). Zur Bedeutungsgeschichte von Materialismus. In: [Mél. Schalk (F.)]. Frankfurt, 1963, pp.330-332. _Quem. DDL t.9. |