| MOULIN, subst. masc. A.− 1. Machine ou appareil destinés à moudre le grain; p. méton., bâtiment où sont installés ces appareils. Moulin à farine; moulin électrique, hydraulique, à bras, à vapeur. Les garçons du moulin où nous allons gagnent douze sous par jour (Stendhal, Chartreuse,1839, p. 189): 1. Le froment et le blé noir (...) se sont parfaitement bien conservés : des moulins que nous avons fait exécuter, et que deux hommes font mouvoir lorsque le vent est faible, nous procurent chacun vingt livres de mouture par heure; nous y avons adapté les meules dont M. de Suffren a fait usage pendant sa dernière campagne...
Voy. La Pérouse,t. 4, 1797, p. 162. 2. En partic. a) HIST. Moulin banal*. b) Moulin (à eau). Moulin dont les meules sont actionnées par les ailes d'une sorte de turbine entraînées par l'eau courante (d'apr. Noël 1968). Le bruit du petit moulin à eau qui fait tourner une meule à blé (Barrès, Cahiers,t. 11, 1914, p. 56). − Loc. verb. fig., fam. Amener, apporter de l'eau au moulin de qqn. Apporter un appui matériel, fournir des arguments à la thèse, à l'opinion de quelqu'un. Lui, depuis des années n'avait qu'un rêve, être l'ingénieur conseil d'une grande maison de crédit : comme il le disait, il se chargeait d'amener l'eau au moulin (Zola, Argent,1891, p. 117).Les chutes bruyantes des pays de dictature, au cours des dernières années, et la double victoire des pays libres, ont apporté, au moulin de mon philosophe, des torrents d'eau (Maurois, Dialog. commandement,1924, p. ii). c) Moulin (à vent). Bâtiment en forme de tour supportant dans sa partie supérieure un axe horizontal sur lequel sont assemblées quatre ailes, mises en mouvement par l'air et commandant les meules (d'apr. Noël 1968). La seconde [voiture] conduite par Tron, était chargée de sacs de blé, qu'il portait à un moulin, dont on voyait la haute carcasse de bois, à cinq cents mètres (Zola, Terre,1887, p. 291). − P. métaph. Sur sa butte que le vent gifle, Il tourne et fauche et ronfle et siffle Le vieux moulin des péchés vieux Et des forfaits astucieux (Verhaeren, Camp. halluc.,1893, p. 53). − Loc. verb. fig. ♦ [P. allus. à un épisode célèbre de Don Quichotte de Cervantès] Attaquer, se battre contre des moulins; partir en guerre contre des moulins à vent. Se battre contre des fantômes, des ennemis imaginaires, se forger des chimères. Quoiqu'il ne lui arrivât jamais d'attaquer les véritables moulins à vent du siècle, il s'appelait lui-même dans ses gaîtés Don Quichotte. Je l'appelais Don Quichoque (Hugo, Rhin,1842, p. 236).Au cours de ces vingt dernières années, ce Don Quichotte [M. de Charlus] s'était battu contre tant de moulins à vent (souvent des parents qu'il prétendait s'être mal conduits à son égard) (Proust, Sodome,1922, p. 653). ♦ Jeter son bonnet* par dessus les moulins (fam.). P. anal. Jeter quelque chose par dessus les moulins. Se débarrasser de quelque chose sans souci des convenances. Elle n'avait point tardé à jeter son contrat de mariage par-dessus les moulins, et (...) elle était depuis trois mois revenue faire de la bohème galante sous le soleil de Paris (Murger, Scènes vie jeun.,1851, p. 238).Passer par dessus les moulins (rare). Disparaître. Le costume surtout s'est considérablement modifié. La mantille et le peigne ont passé par-dessus les moulins (T'Serstevens, Itinér. esp.,1933, p. 153). d) Loc. verb. fig., fam. ♦ Renvoyer qqn à son moulin (vx). Renvoyer quelqu'un à ses affaires, à ce qui le regarde. Synon. fam. rembarrer. (Dict. xixes.). ♦ Entrer quelque part comme dans un moulin. Entrer comme on veut, très facilement. Personne nulle part! Qu'est-ce que ça veut dire? On entre ici comme dans un moulin (Musset, Caprice,1840, 6, p. 194).Pour être socialiste ou communiste, ou membre d'un de nos partis libéraux, il faut un minimum de garanties; mais on entre à la C.N.T. comme dans un moulin (Malraux, Espoir,1937, p. 535). ♦ Sortir d'un moulin. Être moulu, fourbu. J'ai le genou et la tête brisés; la poignée de mon sabre m'est entrée dans les côtes. Pouah! c'est à croire que je sors d'un moulin (Musset, Chandelier,1840, i, 1, p. 18). e) Proverbe. On ne peut être à la fois au four* et au moulin. Rem. Auj. moulin au sing. désigne habituellement une installation modeste p. oppos. à moulins ou à minoterie, installations plus importantes. B.− P. anal. 1. Machine à broyer, à piler, à pulvériser diverses substances, et à extraire certains produits. Moulin à huile, à pommes, à poudre. Les moulins d'huile, avec leur horizon champêtre de blés en meules (A. Daudet, Nabab,1877, p. 203).Le moulin ordinaire à broyer les couleurs se compose d'une paire de meules, dont celle inférieure ou meule gisante est fixe, tandis que celle supérieure ou tournante n'a qu'un simple mouvement de rotation sur son axe (Manuel du fabricant de couleurs,1884, p. 297). − ARTS MÉN. Petit appareil à manivelle ou mû par un moteur électrique servant à broyer, à moudre diverses substances alimentaires. Moulin à épices, à fromage, à légumes, à poivre, à sel. Les orages produisent des ondes radioélectriques, qui gênent la réception en déterminant dans les écouteurs un bruit semblable à celui d'un moulin à café (Coustet, T.S.F. prat.,1924, p. 228). − SUCRERIE. Moulin (à canne) à sucre. Moulin formé de gros rouleaux servant à recueillir le vesou des cannes évasées entre les tambours. Il suffisait de son bras pour mettre en mouvement les cylindres d'un moulin à sucre (Hugo, Jug-Jargal,1826, p. 60). − TEXT. Moulin à foulon*. 2. Machine fonctionnant selon le principe du moulin à vent ou à eau et destinée à divers usages. Moulin à actionner les pompes. La force du vent (...) est employée sous forme de moulins à vent (...) sur les chefs de quelques excavations à ciel ouvert, pour épuiser les eaux du fond (Haton de La Goupillière, Exploitation mines,1905, p. 490). − TEXT. Moulin à soie. Machine au moyen de laquelle on donne aux fils de soie grège (et p. ext., de coton, de laine) la torsion voulue (d'apr. Luppi 1872). 3. Région. (Canada) ♦ Moulin à bois. Scierie. Ou ben donc, quand y s'mettent à jaser des moulins à bois, pis... (J. Barbeau, Goglu,p. 57 ds Richesses Québec 1982, p. 1604). ♦ Moulin à coudre. Machine à coudre. D'archaïques « laveuses », d'anciens moulins à coudre (P. Perrault, Toutes isles,p. 74, ds Richesses Québec 1982, p. 1604). ♦ Moulin à laver. Machine à laver, lessiveuse. Dans la cuisine, il y a (...) un moulin à laver, une table et des chaises (M. Letellier, On n'est pas...,p. 55, ds Richesses Québec 1982, p. 1604). ♦ Moulin à viande. Hache-viande. Les vieux procédés rudimentaires, comme le moulin à viande (...) ont l'avantage d'être plus propres (J.-M. Poupart, Chère Touffe,p. 196, ds Richesses Québec 1982, p. 1606). 4. Arg. techn. a) MÉCAN., fam. Moteur (d'automobile, d'avion, de motocyclette). Le moteur partit au quart de tour. − Et maintenant, − dit-il − le moulin va pouvoir en jeter terriblement (Morand, Bouddha,1927, p. 23).[L'Italien, dans sa voiture,] fit chauffer son moulin et démarra (Le Breton, Rififi,1953, p. 160). b) Moulin à café − Arg. du cinéma. Appareil de prise de vue, caméra. Et ces photographes qui ramassent des 200 dollars hebdomadaires à simplement tourner le « moulin à café » (Ferri Pisani, Au pays du film,22/1/1923 cité ds Giraud1956, p. 207). − Arg. milit. Mitrailleuse. Entends-tu, ces pieds-là, avec leurs sales moulins à café! En effet, des mitrailleuses cachées on ne savait où envoyaient une telle grêle de balles que l'air en semblait épaissi (Benjamin, Gaspard,1915, p. 64). − Pop. Orgue de Barbarie. [L'hercule :] un petit tour de moulin à café! (...) [Le vieux joua] sur son orgue de Barbarie (Méténier, Lutte pour amour,1891, p. 248). 5. RELIG. BOUDDHIQUE. Moulin à prières. Cylindre creux renfermant des bandes de papier sur lesquelles sont inscrites des prières et qu'on fait habituellement tourner à la main, chaque tour équivalant pour celui qui s'en sert, à la lecture des prières qu'il renferme : 2. ... ces peuples [les Mongols] ont inventé de petits moulins à prières, qui, agitant l'air d'une certaine façon, entretiennent perpétuellement le mouvement désiré; et pendant que ces moulins tournent, chacun, persuadé que les dieux sont satisfaits, vaque sans inquiétudes à ses affaires ou à ses plaisirs. La religion chez plus d'une nation européenne, m'a rappelé souvent les petits moulins des peuples mongols.
Constant, Princ. pol.,1815, p. 140. − P. métaph. Souvent, lorsque, nerveuse, elle voyait venir à l'horizon une dangereuse nuée, elle recourait au moulin à prières : le travail (Rolland, Âme ench.,t. 2, 1925, p. 14). 6. JEUX. Synon. de morpion (v. ce mot C). 7. P. anal., fam. Moulin (à paroles). Personne très bavarde, qui parle souvent à tort et à travers. On se demande s'il était autre chose, dans son siècle, qu'un infatigable moulin à conversation (Sainte-Beuve, Nouv. lundis,t. 11, 1868, p. 314).Une espèce de petit moulin à paroles, jacassant au vent qui filait sur l'eau. Elle bavardait sans fin avec le léger bruit continu de ces mécaniques ailées qui tournent dans la brise (Maupass., Contes et nouv.,t. 1, Mouche, 1890, p. 1341). − Loc. verb., fam. Fermer son moulin. Se taire. Synon. fermer* sa boîte (pop.), sa gueule (vulg.).Assez! (...) ferme ton moulin. Traître! (...) Menteur... Graine d'officier... Farceur... Faux frère... Gentilhomme... (Aymé, Vogue,1944, p. 131). REM. Moulineau, subst. masc.,rare. Petit moulin. Maintenant, par attachement à la meunerie, le vieil homme s'occupait du moulineau après avoir régi la plus belle minoterie de la contrée (La Varende, Tourmente,1948, p. 26). Prononc. et Orth. : [mulε
̃]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) Ca 1140 « machine à moudre le grain et bâtiment où est la machine » (Pèlerinage Charlemagne, éd. G. Favati, 372); ca 1195 molin a vent (Ambroise, Guerre sainte, 2328, ibid.); 1285 moulin d'awe (Arch. Nord, 33H 58, no1024); 1538 moulin à eau (Est.); b) 1611 on ne peut être ensemble au four et au moulin (Cotgr.); 1874 on ne peut être à la fois au four et au moulin (Lar. 19e); 1787 se battre contre des moulins... (Fér. Crit. t. 2, s.v. moulinage); 1840 on entre ici comme dans un moulin (Musset, loc. cit.); 1891 amener l'eau au moulin (Zola, loc. cit.); 2. 1381-82 molin a papier (Compt. des annivers. de S. Pierre, fo132 vo, A. Aube, G. 1656 ds Gdf. Compl.); 1641 mollin a torgoir d'oille « machine à écraser les noix, les olives pour en extraire l'huile » (Escript pour Jehan Panequin, dit Belin chirogr., S.-Brice, A. Tournai, ibid.); 1678 « machine à mouliner la soie » (Nouv. machine... présentée à l'Académie Royale par M. de Gennes in Journ. des Savants, 8 août ds Quem. DDL t. 1); 3. a) 1690 moulin à café (Fur.); 1869 « mitrailleuse » (ds Esn.); b) 1936 moulin à légumes (Catal. jouets [B. H. V.]); 4. 1815 moulin à prières (Constant, loc. cit.); 5. 1909 « moteur d'une voiture » (ds Esn.); 6. 1672 « la langue » (Mmede Sévigné, Lettres, éd. M. Monmerqué, t. 2, p. 458); 1680 moulin à paroles « la langue » (Id., ibid., t. 6, p. 223); 1778 moulin à paroles « personne très bavarde » (Beaumarchais, Mémoires, éd. L. Collin, II, 276). Du b. lat. molinum « moulin ». Fréq. abs. littér. : 1 378. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 1 953, b) 2 040; xxes. : a) 2 134, b) 1 816. Bbg. Archit. 1972, pp. 161-162. − Bautier (A.-M.). Les Plus anc. mentions de moulins hydrauliques industr. et de moulins à vent. B. philol. et hist. du Comité des travaux hist. et sc. 1960, p. 567-626. − Quem. DDL t. 10, 17. |