| MENACER, verbe I. − Emploi abs. A. − [La menace est le fait d'une pers. ou d'un animal] 1. Produire des menaces. Julie interrogea le museau roux, les perçants yeux bleus qui cessaient de se durcir et de menacer (Colette, Carneilhan, 1941, p. 213): 1. Et, dans le moment où je vais me moquer de ce chanteur, qui fait le penseur, j'aperçois qu'il est l'image très fidèle en cela du vrai roi, lequel ne saurait se tenir toujours, ni même longtemps, à menacer ou à défier...
Alain, Propos, 1929, p. 888. 2. [Le suj. désigne une pers.] Proférer des paroles sur un ton menaçant. Elle me court! menace Jady. Qu'elle me dise un mot! (Colette, Music-hall, 1913, p. 199). B. − 1. [La menace provient d'une perturbation d'ordre atmosphérique, social, etc.] Faire peser une menace. L'émotion a gagné le général en chef. Des rapports de police lui ont appris tout à l'heure que là-haut dans les faubourgs, l'émeute menace, et que les tambours parcourent les rues, battant la générale, de Belleville à Montmartre (Céard, Soir. Médan, Saignée, 1880, p.152): 2. Mais ces châteaux, ces forêts, les yeux de mon esprit seuls pouvaient les voir dans la main gantée de la dame en fourrures, cousine du roi. Ceux de mon corps n'y distinguaient, les jours où le temps menaçait, qu'un parapluie dont la duchesse ne craignait pas de s'armer.
Proust, Prisonn., 1922, p. 31. 2. [La menace est inhérente à un objet de par sa forme, sa position, son usage, etc.] Tenir sous la menace. Et en effet nous voyons sur toute la surface du globe une action constante de tous les gouvernemens pour arrêter ou punir les attentats du crime: le glaive de la justice n'a point de fourreau; toujours il doit menacer ou frapper (Maistre, Soirées St-Pétersb., t. 1, 1821, p.45). Rem. Dans ce sens, menacer entre volontiers, comme en témoigne l'ex. ci-dessus, dans un cont. métaphorique. II. − Emploi trans. A. − 1. Qqn menace qqn.Manifester à quelqu'un l'intention que l'on a de le contraindre par la force à faire quelque chose, d'avoir recours à la violence s'il n'obtempère pas. Antony: (...) vous êtes à moi, Adèle! (...) je vous veux, je vous aurai (...). Adèle: Calmez-vous malheureux! (...) vous me menacez! (...) vous menacez une femme (Dumas père, Antony, 1831, ii, 5, p. 189): 3. ... Ce prêtre, sans respect pour le saint tribunal,
T'aurait-il tout redit par peur ou par surprise,
Ah! de quel poids nouveau pèseraient ses aveux,
Et quel frisson plus grand courrait dans tes cheveux?
Des témoins? Il en est qu'on menace ou soudoie!
Dierx, Poèmes, 1864, p. 100. 2. [Complété de la constr. prép. par de + subst.] a) [Le compl. indir. précise le contenu de la menace] Rodenbach nous explique l'annonce ce matin du journal, annonçant la collaboration de Mendès et de Silvestre. Ils auraient réclamé 200actions aux Simond, les menaçant d'un procès correctionnel (Goncourt, Journal, 1895, p. 781): 4. Colomba improvisa, suivant l'usage du pays, une ballata devant le cadavre de son père, en présence de ses amis assemblés. Elle y exhala toute sa haine contre les Barricini et les accusa formellement de l'assassinat, les menaçant aussi de la vengeance de son frère.
Mérimée, Colomba, 1840, p. 52. b) [Le compl. indir. désigne ce par quoi s'exerce la menace] Songer à poignarder un homme qui le menaçait d'un coup de pistolet eût été folie, et sir Williams n'y songea point un instant (Ponson du Terr., Rocambole, t.1, 1859, p.655).Il se moquait, il la menaçait amicalement du doigt (Zola, Conquête Plassans, 1874, p. 1182).Zacharie menaçait du poing un cloutier wallon, trapu et flegmatique (Zola, Germinal, 1885, p. 1265). 3. [Suivi de la constr. prép. par de + inf.] Il était bien en colère après cette dame, et il m'a menacé de me renvoyer si je lui donnais votre adresse (Murger, Scènes vie jeun., 1851, p. 223).Mon maître a peur de Fatima. Elle l'a menacé de le tuer (Ponson du Terr., Rocambole, t.1, 1859, p. 241). 4. [Suivi de la subordination par que] Ils les menaçaient continuellement que, si on les voyait s'approcher de quelques religieuses pour leur donner ou recevoir d'elles quelque lettre ou quelque écrit, on les enverrait incontinent à Saint-Germain, où leur procès était tout fait, et où il n'y aurait plus qu'à les pendre (Sainte-Beuve, Port-Royal, t. 4, 1859, p. 178). B. − Qqn menace qqc.Faire courir à quelque chose le risque d'être détruit. Elle ne pouvait parler sans haine de cet homme qui menaçait sa jouissance (Zola, Travail, t. 1, 1901, p. 265): 5. dona prouhèze: Oui, Musique, je le sais, celui que ton coeur attend, je suis sûr qu'il ne peut pas te faire défaut. dona musique: Le vôtre n'attend-il plus personne? Mais qui oserait en menacer la paix quand il est sous la protection d'une telle beauté?
Claudel, Soulier, 1944, 1repart., 1rejournée, 9, p. 976. C. − Qqc. menace qqn.Donner à quelqu'un des motifs de craindre. Elle tournait de côté et d'autre sa tête sur le coussin blanc, agitée, la bouche entr'ouverte, comme une femme que le plaisir menace (Colette, Ces plais., 1932, p. 36): 6. Il soulevoit le poids de la justice qui, s'étant rassemblée toute entiere sur le tribunal redoutable du Très-haut, menaçoit l'homme coupable.
Saint-Martin, Homme désir, 1790, p. 53. D. − Qqc. menace qqc.Mettre en danger. Peut-être, de même qu'il est autorisé à condamner la construction d'un édifice privé qui menace la sûreté publique (Say, Écon. pol., 1832, p.312).Je hais la politique. Elle est cause que ce que j'aime est en danger, elle menace la liberté individuelle, elle menace le bonheur, elle dérange dans mon travail (Green, Journal, 1932, p. 87): 7. Le grand sujet de conversation entre mes parents, c'étaient les catastrophes qui menaçaient le monde: le péril rouge, le péril jaune, la barbarie, la décadence, la révolution, le bolchevisme...
Beauvoir, Mandarins, 1954, p. 103. − Menacer le ciel. Atteindre une hauteur telle que le point culminant semble toucher le ciel. Tordues, cuites, recuites et menaçant le ciel, les poutrelles de l'Alpinic Railway prétendaient seules à quelque tragique (Queneau, Pierrot, 1942, p. 152). − Menacer ruine. Présenter les signes extérieurs d'un écroulement prochain. Une maison, un mur menace ruine. ♦ Au fig. Présenter, par sa fragilité, les signes d'une fin proche. Quand le droit n'a pour lui que d'être le droit, quand toute l'administration de justice menace ruine en la succession de ses différents organes, quand la conscience individuelle voit se dresser devant elle l'appareil formidable de l'État soutenu par l'inconscience des foules, alors tout s'agrandit, tout prend des proportions démesurées, et le combat se hausse jusqu'à la légendaire épopée où toute l'humanité comparaît (Clemenceau, Iniquité, 1899, p.1). III. − Emploi intrans. A. − Qqn, qqc. menace de + subst.Présenter la menace, le risque de. Le coup de pointe à la cuisse menaçait d'un dépôt considérable (Stendhal, Chartreuse, 1839, p. 69).On finit par céder parce qu'il [M. de Chateaubriand] menaça de sa démission si on nommait Digeon qui était le choix de Villèle (Mmede Chateaubr., Mém. et lettres, 1847, p. 115). B. − 1. Qqn menace de + inf.Faire craindre que l'on puisse accomplir une action préjudiciable. Dans la loi ancienne, Dieu menaçoit de redemander le sang de l'homme aux bêtes même qui l'auroient dévoré (Saint-Martin, Homme désir, 1790, p.173).Et les Lorilleux menaçaient de déménager si leur chiffon de nièce amenait encore des hommes à son derrière, car ça devenait dégoûtant (Zola, Assommoir, 1877, p.725). 2. Qqc. menace de + inf.Faire courir, courir le risque de. Le village menaçait d'être définitivement aplati contre la falaise (Zola, Joie de vivre, 1884, p. 896): 8. Être pris d'un amour stupide pour des arbustes, passer des heures à nettoyer avec un sécateur de vieux lierres de leurs brindilles mortes, à sarcler des plants de violettes, à leur composer des mélanges de terreau et de fumier, − cela au moment où les canons Krupp menacent de faire une ruine de ma maison et de mon jardin: c'est trop bête!
Goncourt, Journal, 1870, p. 696. Prononc. et Orth.: [mənase], (il) menace [mənas]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. a) 1remoitié xiies. trans. «proférer des menaces à l'égard de quelqu'un» manachad eals [minavit eos] (Psautier Cambridge, 77, 52 ds T.-L.); manecier intrans. (ibid., 7, 11, ibid.); ca 1160 menacier (Enéas, 5986, ibid.); 1380 menacer (Roques t.2, 7534); b) ca 1135 menacier qqn de + inf. (Couronnement Louis, éd. Y. G. Lepage, rédaction AB, 1845: menacié... de la teste tranchier); 2. ca 1200 «(d'une chose) constituer une menace pour quelqu'un, lui faire courir un danger imminent» manecier trebuchement «menacer de tomber» (Dialogue Grégoire 9, 12 ds T.-L.); 1762 temps menaçant (J.-J. Rouss., Lett. à Mmede Luxembourg ds Littré). D'un lat. pop. *mināciāre, (lui-même dér. de minācia, v. menace) qui a supplanté le lat. class. minari au sens de menacer; minaciare se rencontre sous la forme manatiat pour minatur ds les Gloses de Reichenau, éd. Klein-Labhardt, no220, p. 76; il se continue en part. dans le roum. ameninta, l'ital. minacciare, le cat. menassar, l'a. esp. et l'esp. amenazar et port. ameaçar et en gallo-rom. (v. FEW t. 6, 2, p. 100). Fréq. abs. littér.: 4219. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 5750, b) 5048; xxes.: a) 5838, b)6819. |