| MALGRÉ, prép. I. A.− Malgré + subst. ou pron. (désignant une pers.) 1. Malgré + subst.Contre la volonté, le gré de quelqu'un. Synon. n'en déplaise à.Elle exigea même que l'on partit, malgré Alexis qui ne voulait pas bouger de là où il était (Triolet, Prem. accroc,1945, p. 209): 1. J'ai passé une partie de mon enfance, malgré ma pauvre maman, à pêcher des épingles rouillées et des boutons de bottines dans les ruisseaux de la rue Tournefort.
Duhamel, Confess. min.,1920, p. 86. 2. Malgré + pron. (représentant un compl. du verbe).Sans qu'il y consente. L'équité naturelle, qui ne permet pas que l'on dépouille quelqu'un de son bien malgré lui et à son insu (Proudhon, Propriété,1840, p. 201). 3. Malgré + pron. (représentant le suj.).Involontairement. Plus loin encore elle grondait en déferlant sur la côte sablonneuse, et malgré moi, j'écoutais avec une involontaire anxiété (A. Conti, L'Océan,p. 259 ds M.-A. Morel infra bbg., p. 758). − Bien (presque, tout à fait) malgré + pron.Synon. à contre-cœur, à son corps défendant.Teresa avait cédé bien malgré elle (Dumas père, Monte-Cristo,t. 1, 1846, p. 451).Si je m'emporte, c'est bien malgré moi (Becque, Corbeaux,1882, III, 3, p. 166).L'élan de curiosité qui l'avait poussé presque malgré lui vers le jeune prêtre inconnu (Bernanos, M. Ouine,1943, p. 1470). − HIST., emploi subst. plur. Les malgré nous. Nom donné aux incorporés de force alsaciens et lorrains dans les camps de travail de l'armée allemande pendant la Deuxième Guerre mondiale. Les enrôlés de force (les « malgré nous ») furent environ cent trente mille. La moitié d'entre eux sont toujours vivants (Le Monde,3 avr. 1981, p. 38, col. 6). B.− Malgré + subst. ou pron. (désignant une chose, un fait, un événement; marque la concession).Synon. de en dépit de, nonobstant (vieilli).Savez-vous pourquoi on l'aime, mademoiselle? C'est que, malgré une indépendance d'allures, (...) elle est réservée, sérieuse, instruite (Pailleron, Monde où l'on s'ennuie,1869, II, 7, p. 119).Qui louera ce soleil (...) qui luit, nuit et jour, en dépit de la pluie, malgré le vent? (Maran, Batouala,1921, p. 169): 2. ... je ne la reverrai pas, quelque tentation que j'en puisse avoir; je ne la reverrai pas, malgré la régularité et la noblesse de son visage, malgré la souplesse de sa taille, malgré ses beaux cheveux : je ne la reverrai pas, malgré le feu de ses regards, malgré son amour.
Karr, Sous tilleuls,1832, p. 227. − Malgré + subst. (non précédé d'un art.).Malgré goût et logique, Coulez, vers longs, moyens et courts (Béranger, Chans.,t. 3, 1829, p. 136).Malgré vents et marées. V. marée ex. de Cladel. − Malgré (cela/ça). En dépit de (cela/ça). [Cela reprend la prop. précédente et malgré lui confère une valeur concessive]. J'aime à sentir que je suis antipathique à tous les professeurs, et que, malgré cela, ils sont bien obligés de me donner les meilleures notes (Larbaud, F. Marquez,1911, p. 159). ♦ Malgré quoi. En dépit de quoi. Ils étaient de naturel ouvert, franc, un peu taquin (...) malgré quoi je n'éprouvais qu'un médiocre plaisir à me trouver avec eux (Gide, Si le grain,1924, p. 421).Le lendemain il me retrouvait aussi intraitable, et toute sa politique était à recommencer. Malgré quoi notre position devenait chaque jour plus délicate (Ambrière.Gdes vac.,1946, p. 341). − Malgré tout. Quoi qu'il en soit, de toutes façons. Malgré tout et en dépit de ses efforts mêmes, il était triste, et je ne pouvais vaincre d'étranges pensées qui me saisissaient (Musset, Confess. enf. s.,1836, p. 305).« Je lui mets des compresses très chaudes... des sinapismes... » (...) « Ça le soulage un peu, malgré tout » (Martin du G., Thib.,Mort père, 1929, p. 1271).Il fallait espérer, espérer quand même et malgré tout, avoir confiance (Van der Meersch, Invas. 14,1935, p. 215). Rem. Le sens concessif de malgré n'est pas incompatible avec un pron. désignant des pers. Les pers. dont il s'agit sont alors considérées comme les « forces » qui auraient pu entraver la réalisation du fait évoqué. Elle [la ville de Paris] a su garder malgré eux [les urbanistes], à travers les siècles, la digne sérénité qui inspire les peintres et les poètes (O. Perrin, Paris/Seine, p. 76 ds M.-A. Morel, infra bbg., p. 759). II.− Malgré que, loc. A.− Vx et littér. Malgré que + pron. pers. suj. + avoir (au subj.).Contre (mon/ton. etc.) gré; à contre-cœur. Une verve et une causticité qui faisaient rire ma grand'mère elle-même, malgré qu'elle en eût (Sand, Hist. vie,t. 2, 1855, p. 254).Laudon devinait, malgré qu'il en eût, une nature efficace s'agitant dans ce personnage si différent de lui (Gobineau, Pléiades,1874, p. 126): 3. Il faut bien que je vous aime, malgré que j'en aie, car, depuis que vous m'avez quittée, je ne sais ce que j'ai.
Mérimée, Carmen,1847, p. 48. B.− Malgré que, loc. conj. [Marque la concession; loc. considérée comme incertaine par les puristes, même suivie du subj.; se rencontre except. avec l'ind. dans l'usage oral] Synon. de bien que, encore que, quoique. 1. [Avec le subj.] Tu m'as fait sentir que, malgré que l'homme n'ait pas conservé dans son cœur la pureté et le courage, les anges eux-mêmes recherchent encore son alliance (Saint-Martin, Homme désir,1790, p. 114).Et je pense à la ville (...) Malgré que la bêtise et l'intrigue hâtive N'y souffrent pas non plus qu'on rêve et qu'on Écrive (Cros, Coffret santal,1873, p. 73): 4. Il a fait beau et clair, même il faisait déjà presque chaud, malgré qu'à ces hauteurs les matinées ordinairement soient assez fraîches.
Ramuz, Gde peur,1926, p. 49. 2. [Avec l'ind.] Parler des jeunes gens qui t'ont suivi en 1830 et porté en triomphe, malgré que tu répondais à leurs cris de « Vive la Charte » par ceux de « Vive le Roi » (Mmede Chateaubr., Mém. et lettres,1847, p. 186).Quand j'les ai vus attigés, je me suis levé − malgré qu'on m'gueulait : « Couche-toi! » (Barbusse, Feu,1916, p. 38): 5. ... quand elle était partie, malgré que je lui promettais toujours d'être raisonnable, je tombais dans un si morne désespoir que, chaque fois, on craignait pour ma santé.
G. Leroux, Parfum,1908, p. 16. Rem. 1. Ac. 1835-1935, Littré et les grammairiens puristes n'acceptent malgré que que dans l'emploi II A, qui n'est pas un emploi conj. mais où malgré est un subst. compl. de j'en aie et que le pron. rel. La graphie correspondant à cet emploi serait d'ailleurs plutôt mal gré. Cf. sur ce point la rem. de Le Gal 1932 : ,,Certains font remarquer qu'on devrait écrire mal gré que et non malgré que, puisque malgré est composé de l'ancien adjectif mal, mauvais, et de gré. Cette graphie retiendrait dans la bonne voie beaucoup de personnes qui, à cause de la soudure, prennent malgré que pour synonyme de quoique. Entendu! Haro sur la soudure!`` 2. La confusion entre cette loc. où que est le pron. rel. ayant pour antécédent malgré et la loc. conj. est parfois telle que l'on rencontre, forgées sur le même modèle, les loc. bien que j'en aie, en dépit* que j'en aie, quoique j'en aie, et aussi quoi que j'en aie. Cf. p. ex. Grev. 1969 § 978 N.B. 2 : Bien qu'il en eût. Quoi qu'elle en ait, elle grommelle mais s'incline (Le Monde, 18 oct. 1977, p. 12). 3. La confusion graphique observée entre malgré et mal gré que en emploi non conj. s'observe également au niveau de la loc. adv. bon gré mal gré parfois orthographiée bon gré malgré. À Chatelleraud le voyageur est contraint, bon gré malgré, de payer son tribut aux ardents couteliers dont cette ville est remplie (Dusaulx, Voy. Barège, t. 1, 1796, p. 31). Pour détruire la contemplation, il faut, bon gré malgré, s'en prendre à la vertu de religion elle-même (Bremond, Hist. sent. relig., t. 4, 1920, p. 548). REM. Maugré, prép.,vx et région. (nord de la France). a) Var. de mal gré. Je ferais le petit Jupiter et de bon ou de maugré je forcerais la belle Europe à me suivre (Borel, Champavert,1833, p. 14).Faut que j'tienne bongré maugré ma carcasse ed'bout (Martin du G., Gonfle,1928, I, 2, p. 1179).b) Var. de malgré. Queuqu'un qui lui dirait qu'son Thomas n'est pas le meilleur homme du monde, j'crois ben qu'elle lui arracherait les yeux, maugré que ce soit un petit mouton (Leclercq.Prov. dram.,Savet. et financ., 1835, p. 228). Prononc. et Orth. : [malgʀe]. Att. ds Ac. dep. 1694. V. mal2. Étymol. et Hist. A. 1. Ca 1165 mal gré « contre le gré de quelqu'un, en dépit de sa volonté » (B. de Ste-Maure, Troie, 352 ds T.-L., s.v. gré); ca 1225 malgré ds l'expr. malgré lor denz « en dépit de leurs efforts » (Hist. G. le Maréchal, 433, ibid.); 2. 1650 « en dépit de quelque chose » (Corneille, Andromède, V. 2). B. Loc. conj. 1. ca 1250 malgré que j'en aie, que tu en aies, etc. « en dépit de moi, de toi... » (Doon de Mayence, éd. A. Pey, 161 : Mau gré que il en ait); 2. 1787 malgré que « bien que, quoique » (Fér. Crit. t. 2 qui précise ,,l'on ne doit pas dire, malgré que vous m'en ayiez prié, pour, quoique vous m'en ayiez prié``). Comp. de mal1* et de gré*; a supplanté la forme régulière maugré, 1176-81 (Chrétien de Troyes, Chevalier Lion, éd. M. Roques, 6172) bien att. en a. et m. fr., vieillie à partir du xviies. Fréq. abs. littér. : 15 039. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 20 018, b) 21 314; xxes. : a) 22 172, b) 22 122. Bbg. De Gorog (R. P.). The Medieval Fr. prepositions and the question of synonymy. Philol. Quart. 1972, t. 51, pp. 358-359. − Lew. 1968, p. 90. − Morel (M.-A.). Ét. sur les moy. gramm. et lex. ... Thèse, Paris III, 1980, pp. 738-791. − Örtenblad (O.). Mél. gramm. Studier i modern Språkvetenskap, Uppsala, 1898, no1, pp. 61-69. |