| LÂCHER1, verbe I. − Emploi trans. A. − Qqn/qqc. lâche qqc. 1. Qqn lâche qqc. a) Rendre moins serré, tenir moins tendu. Synon. desserrer, détendre, relâcher.Lâcher sa ceinture (d'un cran), une corde, un ressort. Il avait déjà le doigt appuyé sur la détente et s'apprêtait à la lâcher (Murger, Scènes vie jeun.,1851, p. 7). b) MAN. Lâcher (la) bride*, les rênes* et p. méton. la main (à un cheval). ,,Tenir la bride moins courte pour laisser courir ou faire courir le cheval`` (Ac. 1935). − Au fig. Lâcher (la) bride*, les rênes*, la main à. Donner libre cours à. Désormais certains de leur empire, les trente lâchèrent la main au crime (Chateaubr., Essai Révol., t. 2, 1797, p. 101). 2. Qqc. lâche (le ventre), vx.[Le suj. désigne un corps à vertu laxative] Rendre libre. Emploi abs. Les pruneaux lâchent (Littré). − P. anal. La terreur lâche le ventre aux quadrupèdes et aux oiseaux (Cuvier, Anat. comp., t. 2, 1805, p. 119). B. − Qqn lâche qqc.Lancer brusquement, faire partir brusquement. 1. [L'obj. désigne un geste violent] Synon. décocher.Lâcher un coup de poing, un coup de pied. Pour un oui, pour un non, Fontan lui lâchait des claques (Zola, Nana,1880, p. 1295). − P. anal. Un cheval lâche une ruade. (Dict. xixeet xxes.). − [L'obj. désigne un projectile, un explosif] Lâcher un coup de fusil. Faire éclater, tirer brusquement. Une frégate anglaise vient à lâcher une bordée, et tous les bravaches de s'enfuir (Las Cases, Mémor. Ste-Hélène, t. 1, 1823, p. 95).Il lâcha son unique fusée éclairante. La fusée s'enflamma, tournoya, illumina une plaine et s'y éteignit : c'était la mer (Saint-Exup., Vol nuit,1931, p. 123). 2. Au fig. Lancer des propos violents ou inconvenants. Il se versait à boire coup sur coup, et lâchait des gaillardises (Flaub., Cœur simple,1877, p. 13).Le maître de police lâchait contre l'agent qui l'avait trahi une bordée d'effrayantes injures (G. Leroux, Roul. tsar,1912, p. 78). C. − Qqn lâche qqc.Cesser de tenir ou de garder. 1. [L'obj. désigne un inanimé concr.] Laisser tomber (quelque chose que l'on porte). Elle lâcha son panier. Les provisions roulèrent sur le tapis, des choux-fleurs, des oignons, des pommes (Zola, Page amour,1878, p. 860).Elle lâche sa pile d'assiettes, mais les rattrape à temps et les tient appliquées sur sa poitrine (Romains, Knock,1923, III, 8, p. 19). ♦ Lâcher la vapeur. La laisser s'échapper en diminuant la pression. Le bateau stoppe et lâche sa vapeur. L'immobilité subite nous réveille (Fromentin, Voy. Égypte,1869, p. 42). ♦ Lâcher qqc. sur qqn.Elles lui lâchèrent sur la tête une potée d'eau de vaisselle (France, Barbe-Bleue, Mir. Gd St Nic., 1909, p. 88). − Loc. verb. Lâcher pied*; lâcher la rampe*; lâcher prise*. − En partic. a) Fam. [L'obj. désigne une somme d'argent] Accorder, donner (plus ou moins de bon cœur). L'usurier ne voulait lâcher les sommes qu'au fur et à mesure de l'achat des créances (Balzac, C. Birotteau,1837, p. 83).Il fit son service avec abnégation. Pierrot lui lâcha un gros pourboire, le repas terminé (Queneau, Pierrot,1942, p. 172). ♦ Loc. verb. pop. Les lâcher (au compte-gouttes, avec un élastique). Dépenser, payer avec parcimonie. Il arrive, quand vous donnez de l'argent, qu'il y ait en vous quelque chose qui pleure. Non de les lâcher, mais que ce soit si inutile (Montherl., Lépreuses,1939, p. 1482). b) [L'obj. désigne une marchandise] Se défaire de. C'est l'absence de ravitaillement. Les gros commerçants ne veulent pas lâcher leurs stocks (Camus, Révolte Asturies,1936, II, 2, p. 413).Toute la collection de cet imbécile de Boller. Comme c'est intelligent de lâcher dix-huit toiles d'un seul coup sur le marché! (Duhamel, Passion J. Pasquier,1945, p. 157). c) [L'obj. désigne un gaz intestinal ou un excrément] Laisser échapper. Je fais un peu partie de lui (...) à force d'habiter le drap où son cœur a battu, la culotte où il a lâché ses vents (Arnoux, Roi,1956, p. 360). 2. [L'obj. désigne un animé] Cesser de tenir. Elle croyait nager; mais, dès qu'il la lâchait, elle se débattait en criant, et, les mains tendues, frappant l'eau, elle se rattrapait où elle pouvait (Zola, Fortune Rougon,1871, p. 201).Dis-leur de me lâcher, avec leurs sales mains. Ils me font mal (Anouilh, Antig.,1946, p. 167). − Ne pas lâcher (d'un cran, d'un pied, d'une semelle, des yeux). Ne pas quitter (d'un cran, d'une semelle, des yeux). Pourquoi est-ce que vous êtes toujours avec moi et ne me lâchez-vous pas d'un pied? (Claudel, Part. midi,1906, I, p. 997). − Loc. verb. fig. Lâcher la proie pour l'ombre*. − Emploi pronom. réciproque : 1. ... une masse formée de deux hommes étrangement mêlés, épaule contre épaule, les bras autour du cou l'un de l'autre. Le corps à corps de deux combattants qui se sont entraînés dans la mort et s'y maintiennent, incapables pour toujours de se lâcher...
Barbusse, Feu,1916, p. 356. 3. [L'obj. désigne un cri, un propos incongru] Ne pas pouvoir retenir, laisser échapper. Lâcher un hurlement, une sottise. Je lâche quelques bêtises parce que je n'ai pas la tête à ce que je fais (Colette, Cl. école,1900, p. 47).Peut-être le gaffeur (...) n'avait-il pas lâché sans malice ni fiel sa bourde (Arnoux, Zulma,1960, p. 28). D. − Qqn lâche qqc./qqn 1. Cesser de retenir ou de détenir. a) [L'obj. désigne un animal] Lâcher son chien.
α) CHASSE. ,,Lâcher les chiens. Les laisser courir après la bête`` (Ac. 1935). − Lâchez après, contre, sur ♦ P. anal. Hamilcar divisa ses cavaliers par escadrons, mit entre eux des hoplites, et il les lâcha sur les mercenaires (Flaub., Salammbô, t. 2, 1863, p. 150). ♦ Au fig. Lâcher les huissiers après, sur un débiteur (Ac.).
β) En partic. − Lâcher dans.Mettre en liberté dans (un lieu). Lâcher un âne dans un pré (Ac.). − [L'adj. désigne un volatile] Faire prendre son essor à. Lâcher un pigeon. Certains oiseaux, plus délicats, étaient lâchés dans des volières (Gide, Voy. Urien,1893, p. 16).Ils avisent quelques abeilles qui sont à butiner sur les fleurs, les attrapent et les enferment dans une boîte à miel, puis, lorsqu'elles se sont repues, ils les lâchent (Maeterl., Vie abeilles,1901, p. 118). ♦ FAUCONN. ,,Lâcher l'autour, l'épervier. Le laisser partir`` (Ac. 1935). b) [L'obj. désigne une pers. captive] Synon. élargir, libérer.Lâcher un prisonnier (Ac.). − P. anal. Jamais on n'est lâché [au ministère] avant l'heure réglementaire (Maupass., Sur l'eau,1888, p. 324).Il suffit d'un peu de bise du nord pour qu'on entende, comme un grésillement, la sortie des écoles (...) : tous ces enfants qu'on lâche dans de la lumière dorée (Giono, Roi sans divertiss.,1947, p. 29). c) [L'obj. désigne un inanimé] Domaine des transp. − Libérer (un navire, un ballon). Les Chinois (...) font partir leurs pétards et lâchent sur la campagne extra-muros (...) leurs montgolfières incendiaires en l'honneur du Dragon du Ciel (Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 247). − Détacher (des amarres). Lâchez-tout, comme disent les pilotes sur les navires et les aérostiers sur les ballons! À la garde de Dieu et à votre garde! (Hugo,Corresp.,1856,p. 239). − Loc. verb. Lâcher du lest*. d) [L'obj. désigne un liquide ou ce qui retient un liquide]
α) Laisser s'écouler. Lâcher les eaux d'un lac, d'un bassin. Les écluses lâchent leurs eaux sur les canots de ce loueur de Nogent (Giraudoux, Siegfried et Lim.,1922, p. 303).
β) Ouvrir pour produire un écoulement. Lâcher les écluses, un robinet, une vanne. − P. métaph. Lâcher la bonde*.
γ) Au fig. − Exprimer ce qu'on a longtemps retenu. Lâcher un aveu. Je voulais être à la fois son père, son bienfaiteur et, lâchons le mot, son amant (Balzac, Cous. Bette,1846, p. 10). ♦ Loc. verb. pop. Lâcher le morceau*, le paquet*. − Dire ce qu'on devrait garder pour soi. Lâcher un secret. E. − Au fig. Qqn/qqc. lâche qqn/qqc. 1. Qqn lâche qqc./qqn.Abandonner, quitter. Synon. fam. laisser tomber.Lâcher un appartement, un métier, son patron. Puisque vous n'y teniez plus d'ennui, vous avez bien fait de lâcher la marine (Flaub., Corresp.,1878, p. 132).Faire un journal, c'est devenu une corvée. Certains jours, il me prend envie de lâcher tout ça... de redemander un poste dans un lycée (Abellio, Pacifiques,1946, p. 414): 2. ... que de peines pour en arriver là! Que de fois j'ai été désespéré et sur le point de tout lâcher, et quel métier que celui d'écrivain! L'expérience passée ne sert à rien, chaque œuvre nouvelle pose des problèmes nouveaux, devant lesquels on se sent toutes les incertitudes et toutes les angoisses d'un débutant...
Claudel, Corresp. [avec Gide], 1910, p. 157. 2. Qqn lâche qqn a) Rompre définitivement les relations avec. Il est entendu que toutes les femmes manquent de savoir-vivre lorsqu'elles nous lâchent (Huysmans, Sœurs Vatard,1879, p. 325).J'estime qu'une amitié telle et de tant d'années ne doit pas être rompue sans un motif déclaré et qu'on ne doit condamner ni lâcher personne sans dire pourquoi (Bloy, Journal,1900, p. 12). b) Quitter. Un brave homme (...) se mit à lui raconter longuement les derniers instants de son oncle. Quand il le lâcha, la voiture était partie. Jacques perdit une heure à chercher un cabriolet de louage (Zola, M. Férat,1868, p. 201). c) Domaine du sport.Distancer, prendre de l'avance sur. Lâcher ses concurrents, le peloton. La manière dont il a gagné retient surtout l'attention. Il s'est détaché à 60 kilomètres de l'arrivée, il a franchi les deux derniers cols en tête après avoir lâché Nilsson et Raymond Martin, deux spécialistes de l'escalade (Le Monde,14 juill. 1981, p. 16, col. 2). 3. Qqc. lâche qqn.Abandonner, quitter. Petite chose accroupie sur mon lit, (...) j'attendais que la douleur me lâchât (Barrès, Homme libre,1889, p. 143). II. − Emploi intrans. Être défaillant. Synon. (se) casser, (se) rompre.Son cœur a lâché; ses nerfs ont lâché. Prenez garde que la corde ne lâche (Ac.1935). III. − Emploi pronom. spécifique A. − Se détendre. Les cordes de cette harpe se sont lâchées (Ac.1935). B. − Se laisser aller. Le refrain recommença, plus ralenti et plus larmoyant, tous se lâchèrent (Zola, Assommoir,1877, p. 590). − En partic., vieilli ou région. Ne pas contrôler ses fonctions naturelles. Elle [la femme du moribond] ne se rendait compte de rien. Elle a dit simplement : « Vous avez peut-être raison, il va passer ». Quelque temps après, ayant soulevé le drap, elle a dit encore : « Le voilà qui se lâche, c'est la fin » (Bernanos, Journal curé camp.,1936, p. 1196). REM. Lâchure, subst. fém.,,Évacuation contrôlée ou forcée d'eau stockée dans un barrage réservoir`` (Colas-Cab. 1968). P. méton. Volume d'eau ainsi évacué. Les pertes par évaporation et filtration s'accumulent à mesure qu'on descend dans la vallée. On pourrait remédier à ces deux inconvénients par des lâchures faites de l'amont vers l'aval (Bourde, Trav. publ.,1929, p. 360). Prononc. et Orth. : [lɑ
ʃe], [la-], (il) lâche [lɑ:ʃ]. Ac. 1694, 1718 lascher, ensuite lâcher. Étymol. et Hist. I. Laisser aller en relâchant, en déliant ce qui retient A. « détendre, relâcher un lien qui retient » 1. ca 1100 lascier les resnes (Roland, éd. J. Bédier, 3349); ca 1200 lasquier sa main [en tenant les rennes d'un cheval] (1recontinuation de Perceval, éd. W. Roach, ms. T, 13092); ca 1235 fig. (H. d'Andeli, Bataille des 7 ars, 245 ds T.-L. : aus langues laschier les frains); ca 1270 lasquier au destrier le frain (Richard le Beau, 1000, ibid.); 2. début xiies. lascier cordes [d'une embarcation pour appareiller] (Benedeit, S. Brendan, 385, ibid.); 3. 2emoitié xiiies. laschier la porte (Gaufrey, 250, ibid.); 4. 1530 « (d'une arme à feu) partir » (Palsgr., p. 681 b). B. « délier, libérer » 1. 1160-74 fig. « libérer, délier (qqn, d'un vœu) » (Wace, Rou, éd. A. J. Holden, 5494, var.; cf. note crit. de l'éd.); 2. a) ca 1200 « délier les courroies qui maintiennent les serres du faucon afin qu'il prenne son vol » (Renart, éd. E. Martin, XI, 1573); b) 1552 (Est., s.v. immittere : [canes] laschez apres les cerfs); id. (ibid., s.v. emittere : lascher les gens de cheval sur l'ennemi); 3. ca 1256 lascher le ventrail (A. de Sienne, Régime du corps, 133, 1 ds T.-L.); 4. 1468 « libérer (un prisonnier) » (Lenglet du Fresnoy, Preuves en append. aux Mém. de Commynes, t. III, p. 82). II. Faiblir, cesser 1. ca 1175 soi laschier de « cesser de » (Benoît de Ste-Maure, Ducs de Norm., 11063 ds T.-L.); 1176-84 soi laschier « faiblir, s'arrêter » (G. d'Arras, Eracle, 1757, ibid.); 2. 1360-70 emploi abs. « abandonner, capituler (d'un combattant) » (B. de Sebourg, XIII, 94, ibid.); 1616-20 lascher le pied « lâcher pied (id.) » (D'Aubigné, Hist. univ., VII, 23 ds Hug.); 3. 1377 « ne plus s'accrocher, lâcher prise (d'un oiseau de proie) » (G. de La Buigne, Deduis, 411 ds T.-L.). III. Laisser ou faire s'écouler, tomber; émettre, lancer A. 1306 laschier cops de bastons; laschier quarriaus et pierres (G. Guiart, Royaux lignages, éd. N. de Wailly et L. Delisle, 18658 et 21167). B. 1538 « laisser échapper de ses mains (un objet) » (Est., s.v. dimittere); 1580 lacher une parolle (Montaigne, Essais, II, XXIII, éd. A. Thibaudet et M. Rat, p. 665); 1644 (Corneille, Rodogune, III, 4 : ... Il n'est plus temps, le mot en est lâché). C. av. 1544 « abandonner (qqn) » (Marot, Rondeaux, 66 ds Hug.). D. « laisser s'écouler » 1. 1552 (Est., s.v. Solvere : Plourer, lascher les larmes); 1635 lascher de l'eau « pisser » (L.C. Discret, Alizon, I, 2, éd. Anc. théâtre fr., t. 8, p. 404); 2. 1552 (Est., s.v. relaxare : ouvrir et lascher les sources des fontaines). Du lat. vulg. laxicare « laxum fieri » (v-vies. ds TTL s.v.), devenu par dissimilation *lassicare. Laxicare est un fréquentatif de laxare « étendre, élargir; détendre, débrider, relâcher (habenas, vincula; claustra); ouvrir » au propre et au fig., spéc. « relâcher, élargir (qqn); accorder; cesser de jouer son rôle, cesser, lâcher ». Fréq. abs. littér. : 3 474. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 2 037, b) 5 810; xxes. : a) 8 396, b) 4 883. Bbg. Chautard (É). La Vie étrange de l'arg. Paris, 1931, p. 276. - Quem. DDL t. 6. - Rice (C.C.). Romance etymol. P.M.L.A. 1911, t. 26, p. 339. - Tilander (G.). Étymol. rom. St. neophilol. 1946/47, t. 19, pp. 306-307. |