| * Dans l'article "LUTTER,, verbe trans." LUTTER, verbe trans. A. − 1. Lutter contre, avec une personne, un animal; deux adversaires luttent (ensemble, entre eux, l'un avec l'autre, l'un contre l'autre).S'opposer dans un corps à corps ou en combattant de près pour terrasser un adversaire ou se défendre contre lui. Lutter aux poings; lutter des pieds et des mains. Rocambole avait lutté corps à corps avec un ours, l'avait poignardé, en était quitte pour deux ou trois coups de griffe sans aucune gravité (Ponson du Terr., Rocambole,t. 5, 1859, p. 465).Apparaissent les corps de deux hommes qui s'étreignent, le poignard à la main, et qui, luttant ainsi, pénètrent en scène pied à pied (Montherl., Malatesta, 1946, I, 1, p. 437): 1. Oui, je t'ai permis quelquefois de lutter dans l'ombre contre moi, avec ton armure, ton casque, et ton épée qui battait nos flancs, l'idiote, mais je croyais lutter avec un vainqueur.
Giraudoux, Judith, 1931, I, 5, p. 61. ♦ P. métaph.: 2. Il y a deux partis à prendre contre ce terrible ennemi [la douleur], l'un de l'éviter le plus possible, de lui échapper à travers les distractions, l'agitation, les plaisirs; l'autre de le saisir au collet, de lutter avec lui corps à corps, et de ne se distraire que par cette lutte même.
Constant, Journaux, 1804, p. 87. ♦ [Sans compl. désignant l'adversaire] Un char sur lequel crie, lutte et se tord avec désespoir Proserpine saisie par Pluton (Hugo, Rhin, 1842, p. 75).Il luttait, les dents serrées; il se livrait à la jouissance du corps à corps (Genevoix, Raboliot, 1925, p. 273). − SPORTS. [Avec ou sans compl.] Faire de la lutte, pratiquer le sport de la lutte (v. ce mot A 1 sports). Le peuple, avec ses mille bouches retentissantes comme des buccins, exaltant son favori qui «ne savait pas lutter», le proclama roi des arènes (Cladel, Ompdrailles, 1879, p. 32).Sur la prairie où jadis les vierges de Sparte frottées d'huile luttaient nues avec les garçons, une pauvre petite fille molestait un cochon rétif (Barrès, Voy. Sparte, 1906, p. 187). − P. métaph., ÉLEV. [En parlant du bélier] Couvrir la brebis. (Dict. xixeet xxes.). 2. P. anal. S'opposer (à un groupe) pour chercher à le vaincre en attaquant et en se défendant par l'emploi de la force matérielle, principalement dans une action militaire. Lutter avec les armes, les armes à la main; lutter courageusement, héroïquement, victorieusement; lutter sans relâche, sans merci; lutter pied à pied. Si ces deux armées eussent eu à lutter dans une bataille générale, sans doute l'infériorité du nombre de l'armée française, et son infériorité en artillerie et cavalerie, ne lui eussent pas permis de résister (Las Cases, Mémor. Ste Hélène, t. 1, 1823, p. 347).Comment sont nées les barricades? Pour lutter contre les cavaleries royales, le peuple n'ayant jamais de cavalerie (Malraux, espoir, 1937, p. 529).On doit remarquer cependant que ni la Kriegsmarine ni la marine italienne ne pouvaient lutter à armes égales avec leurs adversaires (Le Masson, Mar., 1951, p. 11): 3. Confondus avec les dieux ou luttant contre eux comme les titans, guerriers effrayants dans la Bible ou les chansons de geste, ogres dévorant les enfants dans les contes de fées, les géants perdent peu à peu de leur mystère avec l'évolution de l'humanité.
Quillet Méd.1965, p. 492. − [Sans compl. désignant l'adversaire] L'angoissante rumeur de la tranchée qui lutte (Dorgelès, Croix de bois, 1919, p. 190): 4. Nous succombions; Lafayette accourut,
Montra la France, eut Washington pour maître,
Lutta, vainquit, et l'Anglais disparut.
Béranger, Chans., t. 3, 1829, p. 148. B. − Au fig. 1. Lutter contre, avec qqn (un individu, un groupe); deux individus, deux groupes luttent (entre eux, l'un contre l'autre, l'un avec l'autre) a) S'opposer fortement pour faire triompher ses idées, ses intérêts, imposer sa volonté, sa supériorité. Lutter contre un rival, contre un tyran; lutter avec son père; partis qui luttent entre eux; lutter en justice; lutter judiciairement contre qqn. Les églises nationales de la plupart des pays de l'Europe luttent presque incessamment contre la cour de Rome; les conciles luttent contre les papes (Guizot, Hist. civilisation, 1828, leçon 10, p. 15).Un complexe de grandes firmes mondiales qui collaborent ou luttent entre elles en usant de leur pouvoir de monopole (Perroux, Écon. xxes., 1964, p. 566): 5. Elle était trop jeune, trop faible. Elle n'était pas de force à lutter avec la police allemande, elle avait cédé, fléchi, comme a fléchi Jeanne d'Arc.
Van der Meersch, Invas. 14, 1935, p. 253. ♦ [Sans compl. désigant la pers. ou le groupe opposé] Il avait en horreur les scènes domestiques et préférait courber la tête plutôt que de lutter. Gérard (...) ne répondait rien quand son père se fâchait (Champfl., Avent. MlleMariette, 1853, p. 197): 6. Toute différence suscite une réaction sociale, qui doit être suivie d'une garde et d'une riposte: le conformiste ne veut pas lutter. Toute différence féconde n'est maintenue, contre le hurlement des hommes habitués, que par le courage solitaire...
Mounier, Traité caract., 1946, p. 590. − P. anal. [Le suj. désigne une chose, une force, un sentiment] Être, entrer en opposition, en conflit; se heurter, s'affronter. La suprême lueur des soleils de la Grèce Luttait avec la nuit sur des fronts inspirés (Leconte de Lisle, Poèmes barb., 1878, p. 349).Le devoir et la passion luttent dans son coeur. Le devoir triomphera, parce que l'enfant est noble et français (Adam, Enf. Aust., 1902, p. 408).Une passion dont le ressort est seulement l'intérêt n'est pas de taille à lutter contre une autre qui mobilise ensemble l'intérêt et l'orgueil (Benda, Trahis. clercs, 1927, p. 46). ♦ [Le sujet désigne une pers.] Lutter entre (deux choses). Être partagé, divisé entre (des forces, des tendances en opposition). [Le] neveu qui, Cid nouveau, luttant entre le monde et Dieu, Prit ce biais d'être malade (Verlaine,
Œuvres compl., t.3, Invectives, 1896, p.335).En faisant cet aveu, Mmede Fontanin luttait visiblement entre la honte d'accuser l'insouciance de son mari, et la fierté de révéler le dévouement de son fils (Martin du G., Thib., Été 14, 1936, p. 185). b) Se mesurer, entrer en compétition (dans une épreuve, dans un domaine quelconque) pour chercher à emporter l'avantage. Synon. rivaliser (de), concurrencer, disputer de, faire assaut de.Lutter à la course; lutter de vitesse avec, contre qqn; lutter de, (en) beauté; lutter d'élégance, d'amitié. Si l'amour eût ranimé ces yeux tristes, Victorine aurait pu lutter avec les plus belles jeunes filles (Balzac, Goriot, 1835, p. 21).J'ai étudié vingt fois la manière de sa course, quand il luttait contre ses camarades. À présent que c'est contre moi, j'ai tout oublié (Montherl., Olymp., 1924, p. 267): 7. ...tous les hommes qui se croyaient forts par le pouvoir ou la richesse luttaient à qui mieux mieux de turbulence et d'ambition. Divisés en factions rivales, ils ne s'accordaient qu'en une seule chose, leur haine acharnée contre Brunehilde...
Thierry, Récits mérov., t. 2, 1840, p. 118. − P. anal. [Le suj. désigne une chose] Les dérivés de la houille ne pouvaient lutter contre l'indigo ou la garance, car, s'ils donnaient des couleurs plus éclatantes, elles étaient cependant moins solides (Jolly, Blanchiment text., 1900, p. 30).Platon, Spinoza, Hegel, ont pu développer des vues qui luttent en ampleur avec les perspectives de l'incarnation. Et cependant aucune de ces métaphysiques n'est arrivée à franchir les limites de l'idéologie (Teilhard de Ch., Phénom. hum., 1955, p. 328). − Locutions ♦ Lutter à qui + verbe au futur ou au cond. à valeur de fut. dans le passé. [Le suj. désigne une pers. ou p. anal. une chose] Les religieuses, toutes nobles et la plupart appartenant à des familles riches, luttaient d'amour-propre, entre elles, à qui enrichirait cette église (Stendhal, Abbesse Castro, 1839, p. 182).Ce tableau effroyable où la pierre et le fer luttent à qui sera le plus dur, le plus laid, le plus froid (Green, Journal, 1943, p. 19). ♦ Lutter à + verbe à l'inf. Ces dames, qui luttaient entre elles à tirer des hommes des sommes extravagantes (Zola, E. Rougon, 1876, p. 335). 2. Lutter contre, ou plus rarement, avec qqc.; lutter pour qqc. (subst. ou verbe à l'inf.).Faire des efforts soutenus et énergiques pour vaincre quelque chose, pour obtenir, faire triompher quelque chose. Des navigateurs qui, à l'extrémité de la terre, et après avoir eu à lutter sans cesse contre les brumes, le mauvais temps et le scorbut, ont parcouru une côte inconnue (Voy. La Pérouse, t. 2, 1797, p. 134).Le pauvre bougre, il luttait ferme dans ses ténèbres pour continuer sa vie de chien (Aragon, Beaux quart., 1936, p. 148): 8. ...il regardait à ses pieds les pentes de la montagne, où l'élite héroïque qui lutte pour une foi vivante, quelle que soit cette foi, s'efforce éternellement de parvenir au faîte: − ceux qui mènent la guerre sainte contre l'ignorance, la maladie, la misère...
Rolland, J.-Chr., Maison, 1909, p. 960. SYNT. Lutter contre la tempête, les flots, les vents; lutter contre des obstacles, des difficultés; lutter contre le froid, la fatigue, la maladie; lutter avec, contre le sommeil; lutter avec, contre la nature, le destin, la mort; lutter contre une impression, une sensation; lutter contre les passions, contre soi-même; lutter pour la vie, pour l'existence, pour le droit, pour la justice, pour le progrès. ♦ Loc. Lutter contre vents et marées. Déployer tous ses efforts pour venir à bout d'obstacles multiples: 9. Le gouvernement, non sans courage, lutta encore pendant quelques mois contre vents et marées, ne renonçant pas aux réformes, persistant à se montrer plus libéral que le parlement, le forçant à donner aux protestants un état civil.
Bainville, Hist. Fr., t. 2, 1924, p. 24. − [Sans compl.] Même chez un être qui n'est pas vil, la tentation demeure forte, l'âge venu, de ne plus lutter, de s'attabler, de consentir à être ce personnage nanti que voient les autres (Mauriac, Journal 1, 1934, p. 63). Rem. a) L'emploi trans., inusité à l'époque moderne, se rencontre à plusieurs reprises chez Giono avec le sens de «se battre avec quelqu'un» (cf. supra A 1): − Je te lutte, dit Julia. − Moi aussi, je te lutte, dit le garçon. Il essaie d'enlacer la taille de Julia, comme pour la déraciner, mais elle plaque sa forte main à la culotte du garçon, elle le soulève (Gd troupeau, 1931, p. 154). On relève chez le même aut. l'emploi pronom. à valeur réciproque: On leur faisait se casser les reins en se luttant (ibid., p. 128). b) On relève en outre un emploi trans. à compl. d'obj. interne. Une ombre de moi-même, rien de plus, qui a été, qui n'est plus (...) et qui luttait une lutte géante dans mon âme (Quinet, Ahasvérus, 1833, 3ejourn., p.226). REM. 1. Luttable, adj.,hapax. [Correspond aux emplois cités supra rem. a] Avec qui l'on peut se battre. Je le sens soudain tout mollet (...) Puis, je me rends compte qu'il est plus luttable (Giono, Baumugnes, 1929, p. 191). 2. Luttant, subst. masc.Celui qui lutte, combattant. Comme des poissons frits sous la chaleur, les luttants se recroquevillaient (Montherl., Songe, 1922, p. 143). Prononc. et Orth.: [lyte], (il) lutte [lyt]. Att. ds Ac. dep. 1694. Homon. luter. Étymol. et Hist. 1. Ca 1100 loiter intrans. «faire effort pour se renverser l'un l'autre, en se prenant à bras le corps» (Roland, éd. J. Bédier, 2552: prenent sei a braz ambesdous por loiter); 2. a) ca 1274 «déployer toute son énergie pour surmonter un obstacle» Contre vent... molt i luite (Adenet Le Roi, Berthe, éd. A. Henry, 919); b) 1545 trans. «réprimer un sentiment, une envie, etc.» avoit quelque vice luicté (J. Bouchet, Epistres familieres de Traverseur, 79 ds Hug.); 3. 1342 intrans. «couvrir la brebis (du bélier)» (Renart le contrefait, 26266 ds T.-L.); 4. 1588 [éd.] «rivaliser avec quelque chose» (Montaigne, Essais, éd. P. Villey-Saulnier, I, XXV, p. 137); 5. 1613 [éd.] luiter «s'affronter pour imposer sa volonté, sa domination» (M. Regnier, Discours au Roi ds
Œuvre compl., éd. J. Plattard, p.176); 6. 1807 (en parlant d'inanimés) «s'opposer par son action, son influence» (Staël, Corinne, t.3, p.278). Du lat. lŭctāre, moins usuel que lŭctāri «lutter, combattre»; le développement de la voyelle initiale qui semble refléter tantôt un ŭ
, tantôt un ū
du lat. n'est pas clair (v. FEW t.5, p.439b); la réduction de -ui- à -u- n'est apparue que début xviies. (Charron, Sagesse,II, 1 ds Hug.). Fréq. abs. littér.: 3 392. Fréq. rel. littér.: xixes.: a) 4 139, b) 4 952; xxes.: a) 4 932, b) 5 270. Bbg. Sain. Sources t. 2 1972 [1925], p. 81. |