| LOINTAIN, -AINE, adj. et subst. masc. I. − Adjectif A. − [Dans l'espace] 1. a) [En parlant d'un lieu] Gén. littér. Qui se trouve au loin. Synon. éloigné; anton. proche.Villes, quartiers lointain(e)s; contrées, régions, terres lointaines; astres, cieux, horizons lointains; îles, mers, montagnes lointaines; lointaines campagnes; lointains rivages. Au fond du ciel immense, (...) la lune, lointaine, solitaire et triste (Maupass., Mt-Oriol,1887, p. 101). b) [En parlant de pers., de leurs attributs] Qui vit dans, qui vient de, qui est originaire d'une contrée éloignée. Madagascar (...) je suis content que le drapeau français flotte sur ces populations lointaines, quoique, personnellement, ça ne me fasse pas la jambe plus belle (Pagnol, Marius,1931, I, 1, p. 14): 1. Aujourd'hui encore, de très lointains étrangers y affluent [au Grand Hôtel], touchés par le bruissement de Paris comme le sont les astronomes par les lumières des étoiles mortes...
Fargue, Piéton Paris,1939, p. 234. − [P. allus. à l'hist. et à la litt.] La princesse lointaine. La comtesse de Tripoli dont s'était épris le troubadour Jaufré Rudel. À Londres je connus Bella, Princesse moins lointaine Que son mari le capitaine Qui n'était jamais là (Toulet, Contrerimes,1920, p. 70): 2. J'aimai toujours la France, dit l'officier sans bouger. Toujours. J'étais un enfant à l'autre guerre et ce que je pensais alors ne compte pas. Mais depuis je l'aimai toujours. Seulement c'était de loin. Comme la princesse lointaine.
Vercors, Silence mer,1942, p. 36. c) [En parlant d'une action] Qui se déroule dans des régions situées à une grande distance. Enfermée en son ménage, elle ne connaissait guère que sa rue, et quand elle s'aventurait dans un autre quartier, il lui semblait accomplir un voyage lointain en une ville inconnue et étrangère (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Pardon, 1882, p. 657). 2. [En parlant de phénomènes visuels, sonores] a) Qui provient de loin, dont l'origine se situe en un lieu éloigné. Lueur, lumière lointaine; chant, écho lointain; rumeur lointaine; bruit sourd et lointain. Je m'étais endormi au son lointain de ces airs de danse ronde (...) qui m'arrivaient assourdis, fondus, poétisés, à travers du tranquille silence (Loti, Rom. enf.,1890, p. 295).Et, tandis que Joigneau rentre dans le bourg, plusieurs grondements lointains annoncent enfin l'orage (Martin du G., Vieille Fr.,1933, p. 1062). b) P. anal. Qui semble venir de loin. Il parla très bas, d'une voix lointaine, qui semblait monter du passé (Zola, Rêve,1888, p. 132).Mathilde se pencha sur le front de mon ami, l'embrassa et lui dit : « Au revoir, mon enfant » d'une voix si blanche, si triste, et en même temps si solennelle, que je crus entendre l'adieu déjà lointain d'une mourante (G. Leroux, Parfum,1908, p. 93). 3. PHYS., CHIM. (Rayonnement) infrarouge lointain. (Rayonnement) infrarouge dont la longueur d'onde est grande par rapport à celles du spectre visible. Anton. proche.Dans l'infrarouge proche et lointain existent des bandes très intenses (Schatzman, Astrophys.,1963, p. 13). − (Rayonnement) ultraviolet lointain. (Rayonnement) ultraviolet dont la longueur d'onde est très éloignée de celle du spectre visible. Anton. proche.L'absorption du NACI pur incolore ne commence que dans l'ultra-violet assez lointain et l'on n'observe pas d'effet photo-électrique dans l'ultra-violet moyen et dans le visible (M. Curie, Luminescence,1934, p. 71). B. − Au fig. 1. Absent, détaché, distant, qui semble se situer ailleurs. a) [En parlant d'une pers.] Méprisant et lointain, le garçon ne les regardait pas (Miomandre, Écrit sur eau,1908, p. 25): 3. Octave était devenu un amoureux. Je m'en aperçus dès notre première conversation, à sa manière de rappeler un souvenir, à sa façon d'être tout à coup présent ou lointain, aux questions qu'il me posait sur un ton brûlant comme si je l'intéressais beaucoup.
Chardonne, Romanesques,1937, p. 30. b) [En parlant de la physionomie] Regards lointains. Tous quatre me dévisagent, avec une expression lointaine... Je souffre à crier, je souffre d'un plaisir affreux, comme si ma robe fût tout à coup tombée (Colette, Cl. s'en va,1903, p. 7).Il avait revu ses yeux bleu de lin, curieusement lointains et idéalistes, en retrait des spectacles immédiats, réservés pour des technicités très élaborées (Malègue, Augustin, t. 1, 1933, p. 244). c) [En parlant des activités, des attitudes] Cette ironie un peu lointaine que vous aimez chez les gens d'église (Toulet, Tendres mén.,1904, p. 109).Arthur Rance et moi étions seuls à discuter, car Rouletabille semblait parti pour quelque rêve lointain et ne s'occupait en aucune façon de ce que nous disions (G. Leroux, Myst. ch. jaune,1907, p. 121). 2. Qui n'a pas de rapport direct (avec quelque chose, quelqu'un). a) Synon. de indirect.C'est dans la mesure où nous prendrons conscience des causes proches et lointaines de cet écroulement que nous aurons des chances de nous en relever (Mauriac, Journal occup.,1944, p. 307). b) Synon. de faible.Les rats et les souris ne présentent que de lointaines analogies avec l'homme (Carrel, L'Homme,1935, p. 60). c) Qui est mal connu, qui est étranger. Il admirait avec feu certains grands hommes; mais ceux-ci appartenaient à des sphères si lointaines qu'elles me paraissaient mythiques (Beauvoir, Mém. j. fille,1958, p. 108). d) CHIM. Qui a été obtenu au terme de plusieurs réactions. La plasmoquine, dérivé lointain de la quinoléine, fut introduite en 1926 (Hist. gén. sc.,t. 3, vol. 2, 1964, p. 439). C. − P. anal. [Dans le temps] Qui nous reporte à une grande distance. 1. [Au passé] Reculé. Anton. récent.Époques, événements, siècles lointains; souvenir vague et lointain; (dans) un lointain passé. Une femme qui fut de mes amies − je dis fut, non qu'elle ait cessé de l'être, mais parce qu'à mesure que la vie avance, tout nous apparaît sinon passé, du moins lointain (Montesquiou, Mém., t. 3, 1921, p. 229).L'asepsie était inconnue en ces temps très lointains (Bergson, Deux sources,1932, p. 158). − [En parlant de pers.] Éloigné. L'action présente et future de l'homme, maître désormais des distances, armé de tout ce que la science met à son service, dépasse de beaucoup l'action que nos lointains aïeux ont pu exercer (Vidal de La Bl., Princ. géogr. hum.,1921, p. 15). 2. [Au futur] a) Éloigné. Avenir proche ou lointain. M. Fallières (...) préparait, disait-on, une candidature plus ou moins lointaine à la présidence de la République (Proust, Guermantes 2,1921, p. 317).Cette fatigue physique accumulée, dont je ne sais trop comment elle me permettra d'atteindre sans avoir fléchi, la date encore lointaine du 1erjuillet (Du Bos, Journal,1926, p. 35). − [P. méton., en parlant d'une pers.] Je voudrais que ce lecteur encore lointain [de l'an 2000] puisse se former une idée de ce qu'était un écrivain à notre époque (Green, Journal,1945, p. 184). b) À long terme. À lointaine échéance. Le général D. Haig avait immédiatement accepté les directives que je lui avais envoyées le 23 septembre, fixant comme objectifs lointains Achiet-le-Grand, Bapaume et Bertincourt (Joffre, Mém., t. 2, 1931, p. 259): 4. J'ai toujours été pour ma part très sensible à l'influence de ces perspectives toutes proches (une suite de journée, une fin de journée qui promet; alors que les perspectives de joies lointaines m'excitent assez peu...).
Romains, Hommes bonne vol.,1939, p. 129. II. − Subst. masc. A. − [Dans l'espace] 1. Lieu, plan situé à une grande distance (de celui où l'on se trouve, de celui dont on parle). a) Dans le lointain. À une distance perçue comme éloignée. La nuit grandissait, des becs de gaz dans le lointain s'allumaient un à un (Zola, Nana,1880, p. 1474).J'entendis distinctement un grand bruit de forges dans le lointain (Maupass., Contes et nouv., t. 2, Voy. Horla, 1887, p. 1326).Quelques coups de tonnerre grondèrent dans le lointain (Moselly, Terres lorr.,1907, p. 136). − Au lointain (littér.). Au loin. Ô la Femme! Prudent, sage, calme ennemi, (...) Tuant tous les blessés, pillant tout le butin, Et répandant le fer et la flamme au lointain (Verlaine,
Œuvres compl., t. 2, Amour, 1888, p. 78).Lui regardait au lointain (Fabre, Xavière,1890, p. 54).Seul, parfois, ils voyaient miroiter au lointain Dans sa vasque de pierre un lac couleur d'étain (Heredia, Trophées,1893, p. 190). Rem. Au lointain est déconseillé par certains puristes, qui recommandent les équivalents au loin et dans le lointain. b) [Dans des descriptions de paysages] Au plur., littér. Lointains bleus, bleuâtres, brumeux, vaporeux. En été, après dîner (...) toutes les voitures du pays (Milan) se rendent au Bastion di porta Rense, élevé de trente pieds au-dessus de la plaine (...) on aperçoit les Alpes (...). C'est un des plus jolis lointains dont l'œil puisse jouir (Stendhal, Rome, Naples et Flor.,1817, p. 111).La neige éphémère est jolie sous nos climats. Un moment, elle change les résonances et les perspectives, elle précise et rapproche les lointains (Chardonne, Claire,1931, p. 213).Quelques rochers, un maigre ruisseau (très bleu quand il faisait beau) et pas d'arbres, derrière quoi il y avait des lointains aussi durs et aussi rêveurs qu'en Espagne, à ce que j'imaginais (Jouve, Scène capit.,1935, p. 190). c) Le lointain de. La partie éloignée, reculée de. Il fit quelques pas hors de l'hôtel; il vit l'Aar avec sa belle robe verte, et, dans le lointain du ciel, une cime blanche qui flottait : il en fut bouleversé de joie (Rolland, J.-Chr., Antoinette, 1908, p. 906).Des lampes s'éteignaient quelque part très loin dans les brumes de la nuit éplorée, très loin, très loin, plus loin que le lointain des mers (Milosz, Amour. initiation,1910, p. 172). − Au plur. Lui, il se déplaçait; on pouvait ainsi le suivre du regard : c'est vers en haut qu'il se déplaçait, vers les dessus et les lointains de la pierraille, du côté des grandes parois (Ramuz, Derborence,1934, p. 249).Habitué aux horizons torrides de la Méditerranée, j'ai été étonné de sentir que les lointains de l'Adriatique étaient froids (Giono, Voy. Ital.,1953, p. 145). − [Désigne un plan éloigné à l'intérieur d'une pièce, d'un local] Rare. Ici, à la ganterie et aux lainages, une masse épaisse de chapeaux et de chignons barrait les lointains du magasin (Zola, Bonh. dames,1883, p. 541): 5. Lahrier, du même coup, avait tourné la tête, et tous deux ils fouillaient le lointain de la pièce où se dandinait, saluant les murs de droite et de gauche, un petit vieux monsieur au crâne nu, au visage mangé de barbe grise.
Courteline, Ronds-de-cuir,1893, 1ertabl., II, p. 37. B. − Spécialement 1. PEINT., DESSIN. Plan le plus reculé (d'un tableau). Anton. premier plan.La magie des lointains, cette partie de la peinture qui attache les imaginations tendres, est peut-être la principale cause de sa supériorité sur la sculpture (Stendhal, Hist. peint. Ital., t. 1, 1817, p. 152).Breughel de Velours est le plus connu avec ses paysages qui s'évanouissent en lointains d'un azur idéal (Gautier, Guide Louvre,1872, p. 155). 2. THÉÂTRE, rare. Fond du théâtre, partie de la scène la plus éloignée du public. Anton. face.Chaque fois qu'un acteur quitte l'avant-scène pour aller au lointain où il doit parler, il est d'usage de lui envoyer d'avance les premiers mots (Thibaut, Manuel souffleur, s.d., p. 79): 6. La scène ou pour mieux dire le Plateau étant divisé en plans se partage en deux parties : celle comprenant les premiers plans se désigne par la Face; les derniers plans constituent le lointain. Face et lointain prennent également leurs désignations respectives de cour et jardin.
Genin, Lang. planches,1911, p. 35. C. − P. anal., souvent littér. [Gén. dans le temps] − [Dans le passé] Époque très reculée, contexte très ancien. Nous ne pouvons les situer [les personnages de Michel-Ange, Vinci, Raphaël] dans aucun point de l'histoire positive; nous sommes obligés, pour leur trouver un monde, de les reculer jusque dans les lointains vaporeux de la légende (Taine, Philos. art, t. 2, 1865, p. 311): 7. En d'autres temps, sans doute aurais-je été curieux du passé de madame Mauchon : mais alors, la tragédie était trop le lot commun, des heures manquaient pour s'occuper d'événements rétrospectifs que la guerre reculait vers un lointain de préhistoire.
Estaunié, Appel route,1921, p. 206. − [Dans l'avenir] Oh! quelle réponse rauque, excédée, à peine intelligible, où l'on sentait l'effort du malade obligé de se retourner dans son lit, de détacher ses yeux d'un lointain déjà entrevu (A. Daudet, Nabab,1877, p. 88).Pour Yves, c'était là une question très sérieuse, arrêter l'emplacement de cette petite maison, où il entrevoit, au fond d'un lointain mélancolique et étrange, sa retraite, sa vieillesse et sa mort (Loti, Mon frère Yves,1883, p. 284). Prononc. et Orth. : [lwε
̃tε
̃], fém. [-εn]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. I. Adj. A. Dans l'espace 1. d'une chose ca 1140 un lointain reialme (Pèlerinage de Charlemagne, 68 ds T.-L.); 1269-78 loingtiens pelerinages (Jean de Meun, Rose, éd. F. Lecoy, 9848); 1762 « qui vient de loin » (J.-J. Rousseau, Emile, IV, éd. B. Gagnebin et M. Raymond, p. 679 : ma table couverte ... de charognes lointaines); b) 1283 fig. loingtien degré de lignage (Beaumanoir, Beauvaisis, éd. A. Salmon, § 446); 2. a) d'une pers. ca 1140 « qui demeure, qui vient de loin » (Geffrei Gaimar, Estoire des Engleis, éd. A. Bell, 4498); b) fig.
α) 1erquart xiiies. estre a Dieu lointains (Renclus de Molliens, Miserere, 24, 12 ds T.-L.);
β) 2emoitié xiiies. parente lontaigne (Institutes, BN fr. 1064, fol. 46 b ds Gdf.);
γ) 1422 lointaing immitateur des orateurs (Alain Chartier, Quadrilogue invectif, éd. E. Droz, prol., p. 1, 6). B. Dans le temps ca 1160 « qui remonte loin » molt lointaing äage (Eneas, 543 ds T.-L.). II. Subst. 1. 1155 « pays lointain » (Wace, Brut, éd. I. Arnold, 3846), ex. isolé; 2. 1640 peint. (A. Oudin, Seconde partie des Rech. ital. et fr. d'apr. FEW t. 5, p. 406 b; éd. 1642, p. 342 b); 3. 1685 « plan situé dans l'éloignement » en lointain (La Fontaine, Filles de Minée ds
Œuvres, éd. R. Groos et J. Schiffrin, t. 1, p. 334). D'un lat. vulg. *longitanus (également postulé par les dér. ital. et cat., FEW, loc. cit.), dér. de longe (v. loin), peut-être d'apr. *subitanus (v. soudain), class. subitaneus. Fréq. abs. littér. : 5 613. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 5 097, b) 6 970; xxes. : a) 11 605, b) 8 806. DÉR. Lointainement, adv.a) [Dans l'espace] Au loin, dans le lointain. Le ciel était d'un bleu profond et tendre. L'air était sec, léger. Je respirais avec délices et tout mon être s'exaltait à l'idée de cette longue marche, de cette traversée de l'immense pays qui s'étendait lointainement devant nous (Gide, Voy. Congo,1927, p. 736).Ces après-dînées de dimanche, la campagne est vide, sans même une fumée qui traîne, lointainement (Pourrat, Gaspard,1931, p. 83).P. anal. Avec les caractères de ce qui vient de loin. Les lourdes cloches de la Cathédrale voisine l'emplissent [un jardinet] de leurs volées, et le piano d'une inconnue, sonnent lointainement! (Valéry, Lettres à qq.-uns,1945, p. 23).b) Au fig. Faiblement, vaguement. Je souffre moins ce matin après une bonne longue nuit, tout en sentant depuis dix minutes que lointainement la douleur recommence à poindre (Du Bos, Journal,1927, p. 176).Quoi? quoi? s'écria Agnès d'une voix franchement étonnée, et à peine inquiète, très lointainement inquiète (Drieu La Roch., Rêv. bourg.,1937, p. 122).Presque aveugle et aux trois quarts sourd, on ne s'avise de rien, ou si lointainement, si obscurément qu'il vaut mieux n'en rien dire (Arnoux, Zulma,1960, p. 231).Dans une faible mesure, à un moindre degré. Une information lointainement analogue à l'information consciente est peut-être à la base des phénomènes d'interaction de la mécanique ondulatoire (Ruyer, Cybern.,1954, p. 29).c) [Dans le temps] De beaucoup, très. L'étrangeté de ce roman pharaonique, le passé lointainement reculé dont il venait (Goncourt, Journal,1889, p. 1086).− [lwε
̃tεnmɑ
̃]. − 1resattest. a) Ca 1140 dans le temps « pendant longtemps » (Geoffroi Gaimar, Estoire des Engleis, éd. A. Bell, 4309), b) 1155 dans l'espace « au loin » (Wace, Brut, éd. I Arnold, 3832) - xvies., Hug., rare à l'époque mod.; de lointain (suff. -ment2*) : 1 du sens temporel de l'a. fr. lointain « qui dure longtemps » ca 1220 (Gui de Cambrai, Barlaam et Josaphat, 10164 ds T.-L.). − Fréq. abs. littér. : 20. |