| LOGER, verbe A. − Emploi trans. 1. a) [Une pers. loge un être vivant] Placer une ou plusieurs personnes, un animal ou plusieurs animaux dans un lieu qui, de façon permanente ou temporaire, leur serve d'habitation ou d'abri. C'était la même chose, du côté du nord, dans les chambrées où s'entassaient des soldats (...) − On n'y foutrait pas des cochons. Mais c'est bien bon pour loger des hommes! (Moselly, Terres lorr.,1907, p. 259): 1. Le presbytère est assez grand pour y loger une femme et une ribambelle de gosses, ce n'est pas la place qui manque! Quelle bonne vie ce serait!
Queffélec, Recteur,1944, p. 85. b) [Une pers. loge qqn ou, emploi abs., une pers. loge (à tel endroit, sous telle ou telle condition)] Héberger, procurer un logement le plus souvent moyennant finance. Cet hôtel était tenu par un frère du vieux Pilois (...). On n'y logeait qu'au trimestre et des personnes recommandées (A. Daudet, Pt Chose,1868, p. 306).L'on vous loge chez l'habitant avec défense de cracher sur les tapis et l'ordre d'être convenable avec les dames (Salacrou, Terre ronde,1938, II, 1, p. 172): 2. ... souviens-toi de ces trois maximes : Ne loge jamais ta maîtresse chez toi. Ne garde jamais la même plus de trois mois. Si tu sens que tu en deviens amoureux, prends-en une seconde.
Taine, Notes Paris,1867, p. 220. − Expressions ♦ Loger le diable en sa bourse (vieilli); v. diable C 3 b.Suivons bien les prescriptions, obéissons aux injonctions (...) sous peine d'expulsions toujours dures (...) pour peu que l'on loge le diable dans sa bourse (Verlaine,
Œuvres compl., t. 4, Mes hôp., 1891, p. 387). ♦ Ici on loge à pied et à cheval (vx). On héberge piétons, cavaliers et chevaux. Ils arrivèrent à Orangis vers les neuf heures et s'arrêtèrent à l'auberge de la cloche, où les époux Poitrine logeaient à pied et à cheval (France, Dieux ont soif,1912, p. 126). ♦ Au passif. Être logé à la même enseigne; en être logé là. Fam. Être bien logé, nous voilà bien logés. Être dans une situation fâcheuse. Belle nouvelle! Nous en sommes tous logés là, dit le caporal; mais obéissez-moi, et vous vous en trouverez bien (Stendhal, Chartreuse,1839, p. 54). − Emploi pronom réfl. ♦ Prendre, trouver un logement. Le pauvre grand homme de province revint rue de la Lune; où ses impressions furent si vives en revoyant l'appartement vide, qu'il alla se loger dans un méchant hôtel de la même rue (Balzac, Illus. perdues,1839, p. 537).Il n'y put tenir, il déguerpit, abandonna cette maison maudite, et, escorté d'Arcangeli, alla se loger d'emprunt, dans le paisible hôtel Windsor (Bourges, Crépusc. dieux,1884, p. 89). ♦ Prendre, trouver place. Elle frôle l'aveugle, lui donne des coups de coude, lui marche sur les pieds, le fait reculer, le force à se loger entre le buffet et l'armoire où la chaleur ne rayonne pas (Renard, Poil Carotte,1894, p. 110). 2. [Une pers. loge une chose] a) Placer, mettre en place, ranger. M. Triballet avait encore l'habitude lorsqu'il s'était servi des ciseaux de les loger derrière son oreille, comme les employés font d'une plume (Champfl., Souffr. profess. Delteil,1853, p. 72): 3. C'est là que sont venus s'enterrer tous les volumes de Pascal et ses papiers et c'est de là qu'ils sont partis quand MllePérier a quitté Bien-Assis. Elle ne peut certainement pas les loger dans sa petite maison près de la cathédrale.
Barrès, Cahiers, t. 5, 1907, p. 309. b) Faire entrer, faire pénétrer. Eh bien, maintenant, mon cher ami, faites un mouvement, un seul, et je vous loge une balle dans la tête (Dumas, Monte-Cristo, t. 1, 1846, p. 94).Elle logeait aussi dans sa mémoire la somme totale de leurs dépenses les plus strictement nécessaires (Roy, Bonheur occas.,1945, p. 117): 4. Vous vous en fourrez dans le coco du lapin et du vin à treize. Où donc, sans indiscrétion, que vous logez tout cela, maman? Pour avaler tant de choses, vous avez donc les boyaux, comme des manches d'habits?
Huysmans, Sœurs Vatard,1879, p. 65. − P. iron. [Le compl. d'obj. dir. désigne une pers.] Mais, en voulant monter par-dessus un banc (...) voilà un des sous-pieds qui craque, et la jambe du pantalon qui remonte (...) la femme du censeur (...) m'emmène (...). On me loge dans la défroque d'un petit (Vallès, J. Vingtras Enf., 1879, p. 48). − Emploi pronom. réfl. indir. Il n'avait eu que deux filles, l'une morte de bonne heure, l'autre mariée à un fou, qui s'était logé une balle dans la tête (Zola, Fécondité,1899, p. 515). Rem. Dans le cas des deux constr. 1 et 2, l'emploi des prép. et des adv., le plus souvent de lieu, est fréq. : à, ou, chez, dans, en, entre, sous, sur; ailleurs, ensemble, ici, là. 3. [Quelque chose loge un être vivant] Pouvoir héberger, abriter. Le vieux couvent logeait maintenant les pompiers, et d'ingénieuses adaptations embellissaient son architecture (Malègue, Augustin, t. 1, 1933, p. 290): 5. Nous aperçûmes auprès d'une maison une grande quantité d'enfans qui s'enfuirent à notre approche; il nous parut vraisemblable que cette maison logeait tous les enfans du district...
Voy. La Pérouse,t. 2, 1797, p. 101. − P. métaph. Comment, monsieur, se défier d'une femme qui rehausse en or ses moindres paroles. Elle vous aime, voilà tout. Votre cœur est donc bien petit qu'il ne puisse loger deux amours? (Balzac, Les Ressources de Quinola,1842, IV, 6, p. 287). 4. [Quelque chose loge une chose] Pouvoir contenir, être installé. L'autre [trou] sert d'entrée à un canal qui loge le nerf facial dans son trajet au travers du rocher (Cuvier, Anat. comp., t. 2, 1805, p. 44): 6. Ma chambre s'ouvrait directement dans la pièce qui servait de salle à manger, qui logeait alors le piano et dans laquelle on dépliait, le soir, un lit pour ma sœur Cécile.
Duhamel, Jard. bêtes sauv.,1934, p. 20. − Emploi pronom. réfl. Dans son esprit simple et nu, les idées se logent comme des balles dans un mur (France, Lys rouge,1894, p. 58). Rem. Dans ce dernier emploi les constr. prép. et adv. sont à nouveau possibles. B. − Emploi intrans. 1. [Le suj. désigne un être vivant] Avoir, faire quelque part sa demeure, sa résidence permanente ou provisoire; habiter; prendre pension chez. Loger à la belle étoile. Né le 29 mars 1613, [M. de Saci] élevé dans la paroisse de Saint-Merry où logeait sa famille, il fit paraître dès l'enfance une piété exemplaire, qui édifiait le curé, M. Hillerin, et que rien jamais ne démentit (Sainte-Beuve, Port-Royal, t. 2, 1842, p. 320): 7. Voussard « mangeait » chez Patasson. « Manger chez un tel », cela signifie, chez nous, qu'on y loge aussi. Soixante francs par mois pour la pension complète : Voussard ne risquait pas d'y gâter sa taille, qu'il garda maigre...
Colette, Mais. Cl.,1922, p. 172. − P. métaph. Être entièrement contenu dans, trouver la pleine expression de soi dans. Tu vendrais, s'il est un obstacle, ton épaule contre un coup d'épaule. Tu loges dans ton acte même. Ton acte, c'est toi... tu t'échanges ... ta signification se montre, éblouissante (Merleau-Ponty, Phénoménol. perception,1945, p. 520). 2. [Le suj. désigne une chose] Trouver place. Il vit alors ce qu'il n'avait pas bien vu : en ces yeux soupçonneux logeait une bonté de rude femme populaire (Malègue, Augustin, t. 2, 1933, p. 287): 8. J'éprouvais le besoin de sentir plus solides et plus durables que moi-même ceux dont j'avais besoin pour m'orienter. Pour connaître où revenir. Pour exister. En eux mon pays logeait tout entier et vivait par eux en moi-même.
Saint-Exup., Lettre otage,1943, p. 395. Prononc. et Orth. : [lɔ
ʒe], (il) loge [lɔ:ʒ]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. I. Intrans. 1. ca 1140 « établir son camp » (Geffrei Gaimar, Histoire des Anglais, éd. A. Bell, 5788); 2. ca 1280 au fig. (Adenet le Roi, Cléomadès, éd. A. Henry, 14951); 3. 1487 être logé « avoir sa demeure en un endroit » ([L. Garbin], Vocab. lat.-fr. d'apr. FEW t. 16, p. 448b); 1530 loger (Palsgr., p. 613a). II. Trans. 1. ca 1155 pronom. « dresser une tente, établir son camp » (Wace, Brut, 12284 ds T.-L.); 2. 1erquart du xiiies. trans. « placer quelqu'un quelque part » (Reclus de Molliens, Carité, 206, 6, ibid. : quant on l'ot ou fiens logié); 3. 1390 « établir quelqu'un dans une maison » (Archives Nationales, P 13551, pièce 104 ds Gdf. Compl.); 4. 1580 « mettre (une chose) quelque part » (Montaigne, Essais, I, 26, éd. P. Villey et V.-L. Saulnier, p. 151); 5. 1842 « faire entrer, faire pénétrer » (Stendhal, Nouv. inéd., p. 305). Dér. de loge*; dés. -er. Fréq. abs. littér. : 2 735. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 4 638, b) 4 897; xxes. : a) 3 399, b) 3 007. Bbg. Gougenheim (G.). Notes sur le vocab. de Robert de Clari et de Villehardouin. Romania. 1945, t. 68, pp. 406-412. |