| LAMENTER, verbe A. − Usuel, emploi pronom. 1. [Le suj. désigne une pers.] Se plaindre de façon souvent bruyante et prolongée, pour exprimer sa douleur, déplorer un malheur, un ennui. a) Emploi abs. Je n'ai jamais eu une tristesse aussi réelle au fond du cœur. Mais je me suis trop lamenté en vous écrivant : cette mélancolie sur moi-même finirait par vous ennuyer (J.-J. Ampère, Corresp.,1824, p. 307).Il semblait que sa douleur s'échappait plus violente encore qu'à l'ordinaire, et on l'entendait du dehors se lamenter avec une voix haute et monotone qui navrait le cœur (Hugo, N.-D. Paris,1832, p. 383): 1. Comme l'homme sait mal souffrir! Un enfant qui se lamente sans décence. Si c'était moi qui me lamentais ainsi! Mais moi, en sept ans, pas un seul mouvement d'abandon n'a été toléré...
Montherl., Celles qu'on prend,1950, III, 1, p. 817. ♦ [En prop. incise] Dire en se lamentant. « Il nous quittera » se lamentaient les uns : « Non, certes, le voici resté » applaudirent les autres (Mallarmé, Dern. mode,1874, p. 785).[Avec méton. du suj.] On entendit une voix se lamenter, celle de Rachel pleurant ses enfants et ne voulant pas être consolée (Baudel., Paradis artif.,1860, p. 454). b) [Suivi d'un compl.] − Se lamenter sur + subst.Se lamenter sur son sort, sur soi-même. Ne nous lamentons sur rien; se plaindre de tout ce qui nous afflige ou nous irrite, c'est se plaindre de la constitution même de l'existence (Flaub., Corresp.,1852, p. 16).Elle se voyait Bérénice et se lamentait sur les exigences de l'empire et sur la grandeur du renoncement (Duhamel, Désert Bièvres,1937, p. 71). − Se lamenter de + subst. ou verbe à l'inf.Je me lamente de la perte de Madame de Montcalm (Lamart., Corresp.,1832, p. 273).Il se lamentait d'être exilé dans le plus triste lieu du monde où ses talents étaient enfouis (Guéhenno, Jean-Jacques,1950, p. 125). − Rare. Se lamenter + prop. complétive introd. par que.Il se lamente que la police défende les hommes-affiches (Goncourt, Journal,1881, p. 129). 2. P. anal., littér. [Le suj. désigne un animal ou une chose] Émettre un cri, un son évoquant une lamentation. Quand le jour se meurt, la cloche se lamente (Quinet, Napoléon,1836, p. 184).Et l'on entend aussi se lamenter l'autan (Apoll., Alcools,1913, p. 96): 2. De maigres chiens, épars, allongeant leurs museaux, Se lamentaient, poussant des hurlements lugubres.
Leconte de Lisle, Poèmes barb.,1878, p. 172. B. − Gén. vieilli ou littér. 1. Emploi intrans. a) [Le suj. désigne une pers.; correspond à A 1 a supra] Exprimer, proférer des lamentations. Vous avez beau pleurer et lamenter (Ac.1798-1935).Depuis le commencement jusqu'à la fin de nos singuliers repas tête à tête, je n'arrêtais point de lamenter de la sorte (Milosz, Amour. initiation,1910, p. 79). Rem. Cet emploi est signalé comme peu usité dès Ac. 1835. − Au fig. Ce récit, qui lamente, qui rit en frémissant et qui griffe (Frapié, Maternelle,1904, p. 8). b) [Le suj. désigne un animal; correspond à A 2 supra] Le crocodile lamente (Ac.1935).Le vent soufflait dans les arbres et la hulotte lamentait (Chateaubr., Mém., t. 4, 1848, p. 143). 2. Emploi trans. a) Déplorer, regretter vivement quelque chose en proférant des lamentations. Lamenter la mort de qqn. Je lamente les adversités de la race de saint Louis (Chateaubr., Mém., t. 4, 1848p. 11): 3. Ils croient appeler l'avenir; ils ne font que lamenter le passé. Quand ils lamentent le passé, leurs désirs sont des souvenirs et des regrets, leurs anticipations des réminiscences.
Barrès, Cahiers, t. 14, 1922, p. 98. − [Suivi d'une prop. compl. introd. par que] Il lamente que l'enseignement du français en France n'enseigne pas le français parlé (Benda, Fr. Byz.,1945, p. 216). b) [Avec compl. d'obj. interne] Exprimer, réciter, chanter quelque chose sur le mode de la lamentation. Lamenter un chant funèbre. Et le grillon frileux, amant de l'étincelle, N'en voyant plus, hélas! Cesse de lamenter sa plainte accoutumée (Murger, Nuits hiver,1861, p. 96).La voix douce de Dignimont, qui lamente une petite complainte de soldat ou de matelot (Colette, Naiss. jour,1928, p. 25). Prononc. et Orth. : [lamɑ
̃te], (il se) lamente [lamɑ
̃:t]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. Ca 1225 intrans. (G. de Coinci, éd. V.F. Koenig, II chast 10, 812); 2. fin xives. trans. (E. Deschamps, Balade ds
Œuvres, éd. G. Raynaud, t. 7, p. 63, 19); 3. mil. xves. se lamenter (J. Régnier, Fortunes et adversitez, éd. E. Droz, p. 55). Du b. lat. lamentare « pleurer; pleurer sur », du class. lamentari « gémir; se plaindre, se lamenter; déplorer ». L'a. fr. use plus souvent de formes issues de croisements : gaimenter (fin xes.), garmenter (ca 1150); v. DEAF, col. 50-51 et 283-84, encore vivants dans certains parlers, v. FEW t. 5, p. 139a et b. Fréq. abs. littér. : 485. Fréq. rel. littér. : xixe: a) 346, b) 729; xxes. : a) 1 257, b) 616. |