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ISOLER, verbe trans.
I. − Emploi trans.
A. −
1.
a) Isoler qqn, qqc.Mettre à part, mettre à l'écart matériellement ou moralement. Il se tut, et, jusqu'à la fin du déjeuner, sembla se désintéresser de la conversation. Son ouïe rebelle l'isolait chaque jour davantage (Martin du G., Thib., Belle sais., 1923, p. 905).L'indifférence isole l'individu, coupe le contact avec tous les autres membres d'un groupe (Choisy, Psychanal.,1950, p. 38):
1. Sans doute [les écrivains français] ont-ils cultivé leurs étrangetés et cela même qui les isolait; mais c'est pour s'être sentis isolés dès l'abord, c'est pour en avoir éprouvé de l'amertume et du découragement, qu'ils se sont obstinés par orgueil à suivre les sentiers détournés... Massis, Jugements,1924, p. 248.
Absol. Pensé à Platon, à sa longue souffrance. La souffrance n'est pas donnée à tous avec la même persistance. Elle isole et ennoblit (Green, Journal,1951, p. 134):
2. Bientôt nous (...) fûmes comme deux êtres échoués dans une île déserte; car non seulement les malheurs isolent, mais encore ils font taire les mesquines conventions de la société. Balzac, Lys,1836, p. 211.
b) En partic.
α) Isoler une personne, un malade. Le séparer des autres, le mettre dans une chambre à part. Une femme de 55 ans (...) ayant (...) eu à l'âge de 18 ans une crise d'obsession criminelle pour laquelle Charcot l'avait fait isoler (Janet, Obsess. et psychasth.,1903, p. 48).Bien que la contagion soit exceptionnelle il faut commencer par isoler les malades (G.-H. Rogerds Nouv. Traité Méd., fasc. 1, 1926, p. 190).
β) Isoler une région, un quartier. Établir un cordon sanitaire autour de lui :
3. À l'intérieur même de la ville, on eut l'idée d'isoler certains quartiers particulièrement éprouvés... Ceux qui y vivaient jusque-là ne purent s'empêcher de considérer cette mesure comme une brimade spécialement dirigée contre eux... Camus, Peste,1947, p. 1354.
γ) Isoler électriquement, thermiquement, phoniquement (un objet, un lieu). Empêcher tout transfert d'électricité, de chaleur, de vibrations sonores, de cet objet ou ce lieu vers l'extérieur ou réciproquement, en le revêtant d'un isolant ou en le munissant d'un ou de plusieurs isolateurs :
4. Les cylindres (...) comportent une enveloppe en tôle mince destinée à les isoler thermiquement par rapport à l'extérieur... Bailleul, Matér. roulant ch. de fer,1951, p. 43.
[Sans déterm. adv.] Pour qu'un appareil électrique fonctionne, les parties de l'appareil traversées par le courant électrique doivent être isolées (Encyclop. Sc. Techn.t. 7, 1972, p. 79).
2. [Avec compl. prép.]
a) Isoler dans qqc.
[Le compl. désigne un lieu] Quelques jours après, on m'a isolé dans une cellule où je couchais sur un bat-flanc de bois (Camus, Étranger,1942, p. 1175).Les hommes âgés s'étaient réfugiés à un bout de la salle où la fumée de leur pipe les isolait comme dans une alcôve (Guèvremont, Survenant,1945, p. 124).
[Le compl. désigne un comportement] Je ne saurais nommer ceux que l'affection de Marguerite Moreno isolait dans le tête à tête, je crois que je ne les connus pas tous (Colette, Fanal,1949, p. 186).
b) Isoler de qqn, de qqc.Un pilier nous isole de l'assistance (Mauriac, Th. Desqueyroux,p. 209).Un grand calme isolait le hameau du reste du monde (Arland, Ordre,1929, p. 68):
5. On s'inquiéta, parmi nous, de restituer les lois naturelles de la musique poétique, d'isoler la poésie même de tous les éléments étrangers à son essence... Valéry, Variété IV,1938, p. 16.
En partic. Mettre à l'abri de quelque chose. L'individu roi, (...) que sa force isole de toute influence (Huyghe, Dialog. avec visible,1955, p. 356).
B. − BIOL., CHIM. Isoler (une substance, un organisme). Mettre en évidence, appréhender la réalité de la substance, de l'organisme; extraire, séparer. Isoler un germe, un virus; isoler un ferment, une hormone; isoler (qqc.) par centrifugation. Isoler dans le foie la substance qui agit sur le sucre de canne pour le transformer en glucose (Cl. Bernard, Notes,1860, p. 46).Le délicat processus des cristallisations fractionnées (...) qui (...) avait permis d'isoler le radium (Goldschmidt, Avent. atom.,1962, p. 18):
6. Un chimiste découvre en quelques heures les propriétés singulières d'un corps. Mais il a dépensé des mois à isoler ce corps et des années à se rendre capable d'une telle œuvre. France, Pierre bl.,1905, p. 294.
P. anal. Isoler (un phénomène). Synon. identifier.Nous sommes depuis deux ou trois mois sur le point d'isoler et de définir une maladie nouvelle, une véritable entité morbide (Duhamel, Maîtres,1937, p. 197).
C. − Au fig. Isoler (un fait, une notion). Considérer une chose en elle-même, indépendamment de son contexte. Isoler par la pensée. On ne saurait, sans fausser le texte [des Dialogues et fragments philosophiques de Renan], isoler un passage, une idée, un mot (Péguy, De la Grippe II,1900, p. 8).La notion de climat est souvent imprécise, difficile à isoler des autres conditions géographiques (Mounier, Traité caract.,1946, p. 125):
7. Si savante que soit la composition [des Noces de Cana], elle me paraît confuse. Il y a deux ou trois groupes qu'on isole rapidement, mais c'est tout... Green, Journal,1934, p. 217.
II. − Emploi pronom réfl.
A. −
1. Se mettre à l'écart. Avoir scrupule à s'isoler, avoir la faculté de s'isoler. Il y a un conflit curieux entre l'instinct de société et la tendance du couple à s'isoler... (Chardonne, Épithal.,1921, p. 143).Je comprenais vaguement qu'en parlant, j'entr'ouvrirais le rideau qui me séparait encore des autres et me permettait de m'isoler (Gyp, Souv. pte fille,1927, p. 9):
8. J'avais quitté Paris avec l'espoir de pousser assez loin ce nouveau roman (...). La trop agréable société des Simon Bussy à Roquebrune, et l'impossibilité de m'isoler ont coupé mon élan. Gide, Journal,1927, p. 828.
2. [Avec compl. prép.]
a) S'isoler dans qqc., s'isoler en qqc. (vieilli)
[Le compl. désigne un lieu] Parmi les ordres religieux, les uns s'isolèrent dans des monastères, les autres restèrent dans le monde (Carrel, L'Homme,1935, p. 357).Nous avions, l'un et l'autre, l'orgueil d'avoir tout lu et nous nous isolions dans un coin du préau pour parler littérature (Sartre, Mots,1964, p. 187).
P. anal. Puis, ayant déployé sur la table son portefeuille de chagrin, il s'isola dans la fumée d'un gros cigare (France, Jocaste,1879, p. 136).
[Le compl. désigne une activité, un sentiment] S'isoler dans la lecture; s'isoler dans l'ivresse, dans l'oubli. Je m'abstrais et m'isole dans le travail (Mallarmé, Corresp.,1866, p. 198).Elle s'isola en une prière inconnue et suppliante! (Maupass., Contes et nouv., t. 1, Pardon, 1882, p. 661).Elle boit l'eau fraîche en fermant les yeux, pour s'isoler mieux dans sa jouissance (Montherl., Encore inst. bonh.,1934, p. 690).
b) S'isoler de qqn, de qqc.Elle avait loué les deux étages supérieurs pour s'isoler des voisins, faire librement travailler ses élèves et maintenir autour d'elle une bonne marge de silence (Duhamel, Combat ombres,1939, p. 248).Se séparant des autres, l'homme s'isole du monde (J. Vuillemin, Essai signif. mort,1949, p. 302):
9. ... lasse des efforts que je faisais pour m'isoler des objets extérieurs, incapable d'attention dans l'étude ou de règle dans la réflexion, je me laissais dominer par la tristesse de mes impressions extérieures. Sand, Lélia,1833, p. 192.
B. − Acquérir sa forme propre, son autonomie. [La nageoire] s'isole chez les requins de manière à constituer un organe indépendant, sauf à la base (E. Perrier, Zool., t. 3, 1903, p. 2428).Chaque impression de l'esprit est en elle-même ce qu'elle est, elle s'isole dans sa plénitude présente, elle ne comporte aucune trace de l'avenir, aucun manque (Sartre, Être et Néant,1943, p. 177):
10. ... à travers ce brouillard, comme montent d'un jet les arbres, de la brume lentement déchirée, un à un les odeurs et les sons avaient jailli, s'isolant, se précisant, prenant leur forme, se faisant reconnaître, s'imposant à lui. Vialar, Odeurs et sons,1953, p. 17.
Prononc. et Orth. : [izɔle], (il) isole [izɔl]. Att. ds Ac. dep. 1718. Étymol. et Hist. 1. a) 1653 « faire prendre la forme d'une île » (Saint-Amant, Moyse sauvé, éd. Ch. L. Livet ds Œuvres, t. 2, p. 313 : Une branche du Nil [...] isole une prairie); b) 1690 archit. (Fur. : Isoler. Faire une piece d'architecture degagée qui ne touche point à une autre. Pour embellir ce chasteau, il le faudroit isoler); 2. av. 1697 s'isoler (Mmede Sévigné ds Quem. DDL t. 20); 1722 (Marivaux, Spectateur fr., 1721-1724, feuille 10, p. 161 : Mais avisez-vous de vous isoler, sortez-vous de la foule, vous n'êtes plus pour elles que le sujet tout au plus de deux ou trois distractions); 3. 1758 « faire apparaître séparément » (Diderot, Poésie dramatique, p. 277 : Il faut mettre les figures ensemble, les rapprocher ou les disperser, les isoler ou les grouper); 4. 1758 « mettre (un corps) en dehors du contact d'un autre corps conducteur d'électricité » (Paulian, Dict. portatif de physique d'apr. FEW t. 4, p. 729a); 1789 isolant adj. (Annales de Chimie, II, 9 ds Fonds Barbier); 1890 isolant subst. (Lar. 19eSuppl.); 5. 1761 « considérer à part, sortir du contexte » (Rousseau, La Nouvelle Héloïse, t. 2, p. 323); 6. 1821 chim. « obtenir un corps hors de ses combinaisons chimiques » (Kapeler, Caventou, Manuel pharm. et drog., t. 1, p. 148); 7. 1867 ling. langues isolantes (Littré). Formé sur isolé*; dés. -er. Fréq. abs. littér. : 973. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 976, b) 1 103; xxes. : a) 1 300, b) 1 931. Bbg. Gohin 1903, p. 345. - Kohlm. 1901, p. 48. - Sain. Arg. 1972 [1907], p. 127. - Wind 1928, p. 174, 205.