| INSTITUER, verbe trans. I. A. − [Le compl. d'obj. dir. désigne une chose] Établir d'une manière durable, donner commencement à. Instituer un concours, un ordre religieux, un tribunal, un usage; instituer une académie, une confrérie, une enquête, une fête, une règle. N'importe! On doit fournir aux travailleurs un capital, ou bien instituer le crédit! (Flaub., Bouvard, t. 2, 1880, p. 32).Cet empereur (...) institua une cour, des fonctions, des titres, des costumes, des respects, comme il institua tout. Autant qu'un décret peut faire un monde, il fit un monde (Alain, Propos,1928, p. 799).Si une nation yougoslave était instituée près de notre frontière, l'Autriche perdrait la domination des Slaves très nombreux qui font maintenant partie de l'Empire (Martin du G., Thib., Été 14, 1936, p. 89).Le Figaro a institué une rubrique « anti Littré », où dénoncer les fautes de français que l'on peut relever même dans les meilleurs auteurs (Gide,Journal,1941,p. 79) : 1. Et je contemplais le monde, songeant que si quelque magicien, d'un coup de baguette, instituait sur la terre l'Éden avec sa paix, bientôt les hommes recommenceraient entre eux leurs égorgeades, sans autre motif que celui de se désennuyer.
Montherl., Pte Inf. Castille,1929, p. 643. ♦ Emploi pronom. à sens passif. Les fêtes qui s'instituent pour les événements (Littré). Le 16 février, s'instituait le service du travail obligatoire, procurant au « Gouvernement » le moyen de fournir sans limites à l'ennemi la main-d'œuvre qu'il exigeait (De Gaulle, Mém. guerre,1956, p. 89). − P. ext. Établir, instaurer. Instituer un débat; instituer une comparaison, une discussion. À Dieu ne plaise que je perde des moments précieux à instituer un parallèle entre ces deux illustres défenseurs des droits du peuple! (Robesp., Discours, Guerre, t. 8, 1792, p. 77).C'est à Reid et Kant que je rapporte en grande partie la polémique que j'ai instituée contre l'empirisme, dans la personne de Locke (Cousin, Hist. philos., xviiies., t. 2, 1829, p. 557): 2. Au lieu qu'il [Redi] se borne à répéter, avec chacun, que les asticots naissent de la viande putréfiée, il veut s'en assurer par lui-même. Et, pour cela, il institue quelques expériences des plus simples, fort bien conçues et exécutées avec soin.
J. Rostand, Genèse vie,1943, p. 20. ♦ Emploi pronom. à sens passif. Une sorte de confession s'instituait, où le chirurgien, puis le naturaliste, puis le chimiste, puis le ministre des finances racontaient chacun sa dernière expérience (Giraudoux, Bella,1926, p. 18).C'est à ce niveau aussi que s'institue la véritable symétrie du plaisir et de la douleur, qui est une symétrie de valeur et non d'épreuve vécue (Ricœur, Philos. volonté,1949, p. 104). B. − [Le compl. d'obj. dir. désigne une pers.] 1. Établir dans une charge, une fonction. Instituer un évêque, un fonctionnaire, un juge, un notaire. Il [le duc de Bourgogne] passa quelques jours dans son Duché, y confirma et institua (...) tous les officiers du Duché nommés sous le règne de son père (Barante, Hist. ducs Bourg., t. 2, 1821-24, p. 348).Un autre qui croyait à l'Incarnation du Saint-Esprit, au Paraclet (...) institua dans la Lombardie (...) douze apôtres et douze apostolines, chargés de prêcher son culte (Huysmans, Là-bas, t. 1, 1891, p. 102).Je ne veux pas proposer tout un programme de réformes, mais je demande que soit institué l'homme qui mettra au point ce programme et le réalisera (Barrès, Cahiers, t. 12, 1919, p. 233): 3. Quant aux commissaires de la République et aux préfets de la libération, (...) ils sont nommés en secret, reçoivent le texte authentique du décret qui les institue et se tiennent prêts à surgir des fumées de la bataille.
De Gaulle, Mém. guerre,1956, p. 177. − Emploi pronom. réfl. S'attribuer une fonction de sa propre autorité. En temps de révolution il est naturel que plusieurs s'instituent eux-mêmes et prennent l'autorité (Littré). 2. [Avec un attribut du compl. d'obj. dir.] Instituer qqn (comme) + subst. désignant une charge, une fonction.Le Pape a été institué par Jésus-Christ comme son vicaire sur la terre (Ac.1935).Il l'avait si bien accoutumée à toutes ses façons d'avarice (...) qu'il lui laissa sans crainte les clefs de la dépense, et l'institua la maîtresse au logis (Balzac, E. Grandet,1834, p. 221).Cet archevêque (...) pensa à ses amis de Port-Royal, et donna ordre à ses grands-vicaires d'instituer M. Singlin comme supérieur officiel des deux maisons (Sainte-Beuve, Port-Royal, t. 3, 1848, p. 123).Tu es honnête, toi! Quand je serai riche, je t'instituerai mon régisseur (Flaub., Éduc. sent., t. 1, 1869, p. 112). − Emploi pronom. réfl. Les erreurs judiciaires datent évidemment du jour où un homme osa s'instituer juge des autres (Clemenceau, Vers réparation,1899, p. 47).À la Chambre, il s'était institué dès le premier jour, du droit de l'éloquence, le porte-parole autorisé des groupes socialistes (Vogüé, Morts,1899, p. 51).S'il faut s'instituer et son propre notaire Et son propre greffier et son double témoin (Péguy, Tapisserie N.-D.,1913, p. 702). ♦ P. ext. Je m'instituai grand homme dès mon enfance, je m'étais frappé le front en me disant comme André Chénier : « Il y a quelque chose là! » (Balzac, Peau chagr.,1831, p. 95).Pourquoi sa femme n'était-elle pas près de lui? Et quelle était cette ravissante créature qui s'était instituée sa garde-malade? (Ponson du Terr., Rocambole, t. 2, 1859, p. 149).Sigognac, dont Blazius s'était institué professeur, étudiait dans sa chambre avec le vieux comédien et se façonnait à cet art difficile du théâtre (Gautier, Fracasse,1863, p. 204). 3. DR. Désigner par testament. Synon. constituer.Instituer un héritier; instituer qqn (son) héritier. Caton (...) fait porter la loi Voconia qui défend : 1 D'instituer héritière une femme, fût-ce une fille unique, mariée ou non mariée (Fustel de Coul., Cité antique,1864, p. 88): 4. La personne que le pauvre Barbey, aux trois quarts détruit, institua sa légataire daigne y consentir, mais à condition que tout ce qui ne sera pas le texte même du mort soit soumis à son examen.
Bloy, Journal,1902, p. 116. − P. ext. Instituer qqn (l') héritier de qqc. : 5. ... vous bénéficierez comme nous (...) de cette fruition des grâces dont la communauté de Solesmes a été investie, lorsque le Pape Grégoire XVI l'institua l'héritière des privilèges accordés par ses prédecesseurs aux congrégations de Cluny, des saints Vanne et Hydulphe et de saint Maur.
Huysmans, Oblat, t. 2, 1903, p. 23. ♦ Emploi pronom. réfl. D'autres prônaient sérieusement (...) la domination de l'esprit méditerranéen (...). Contre les barbares du Nord et de l'Est, ils s'instituaient avec pompe les héritiers d'un nouvel empire romain (Rolland, J.-Chr., Nouv. Journée, 1912, p. 1531). II. − Vx. ,,Établir dans la connaissance, la science de quelque chose`` (DG). III. − Vx. Doter d'institutions. Lorsqu'il s'agit d'instituer de nouveau un peuple, ou de lui donner des sentiments, des habitudes ou des opinions qu'il n'a pas (Maine de Biran, Journal,1816, p. 171). REM. 1. Institué, -ée, part. passé et adj.,dr. Héritier institué ou p. ell., institué. Héritier désigné par testament. La disposition par laquelle un tiers serait appelé à recueillir le don, l'hérédité ou le legs, dans le cas où le donataire, l'héritier institué ou le légataire, ne le recueillerait pas, ne sera pas regardée comme une substitution, et sera valable (Code civil,1804, art. 898, p. 162). 2. Institutif, -ive, adj.,dr. admin. Qui institue quelque chose, lui confère un statut officiel ou légal. Le texte institutif (Belorgey, Gouvern. et admin. Fr.,1967, p. 68).Recevant de plein droit la gestion de certains services (...), le district a pour compétences supplémentaires celles qui lui sont le cas échéant dévolues par la décision institutive (Belorgey, Gouvern. et admin. Fr.,1967p. 285). Prononc. et Orth. : [ε
̃stitɥe], (il) institue [ε
̃stity]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1219 « établir d'une manière durable » (Cartul. de Cysoing, p. 103 ds Gdf. Compl. : en le dessus dicte terre y instituons des hostes avoecq ceulz qui ja y sont institues); 1326 « établir quelque chose » (Vie St Grégoire, I, 883 ds T.-L.); ca 1350 « établir officiellement dans une fonction » (Gilles Li Muisis, Poésies, I, 128 ds T.-L.); ca 1500 instituer qqn en son lieu « désigner comme son successeur » (Commynes, Mém., éd. J. Calmette, t. 3, p. 6); 1552 « faire de quelqu'un son héritier » (Est.); 2. 1466 « enseigner » (P. Michault, Doctrinal du Temps Présent, éd. Th. Walton, XLVIII, 5); 3. 1761 « doter d'institutions politiques » (J.-J. Rousseau, Du Contrat social, 2eversion, éd. R. Derathé, livre II, chap. 7, p. 381). Empr. au lat.instituere « placer dans », « établir », « fonder », « organiser (un état) ». Fréq. abs. littér. : 474. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 457, b) 722; xxes. : a) 642, b) 850. Bbg. Quem. DDL t. 13 (s. v. institutif). - Ranft 1908, pp. 37-38. |