| INSENSIBILITÉ, subst. fém. A. − État d'un être, d'un organe ou d'un corps dépourvu de sensibilité physique ou qui n'a pas (ou plus) la sensibilité physique normale ou habituelle. Insensibilité partielle, totale; insensibilité d'un nerf. M. Chirol fut aussi frappé de paralysie, et le coup fut tel qu'il tomba dans un état d'insensibilité presque absolue (Brillat-Sav., Physiol. goût,1825, p. 206).Autrefois, chez grand'mère, je respirais de l'éther, jusqu'à l'insensibilité (Colette, Cl. s'en va,1903, p. 85).La négation peut s'exprimer symboliquement : j'accuse cette main d'avoir commis un péché, suit une paralysie ou une insensibilité (Mounier, Traité caract.,1946, p. 385): 1. − Immédiatement, (...) le patient, sous l'influence du fluide, tombe dans une extase exquise!... Et, alors, ça y est, insensibilité complète! Tu as tout ton temps! Tu peux charcuter, taillader, ouvrir, fermer, tu es comme chez toi! Tu ne trouves pas ça épatant?...
Feydeau, Dame Maxim's,1914, I, 19, p. 22. − [Avec un compl. prép. à] Insensibilité à la douleur. (Dict. xixeet xxes.). − P. anal. [En parlant d'un corps physique] Éloignez-les l'un de l'autre, ils [les deux métaux en contact] rentrent très justement dans leur insensibilité (Delacroix, Journal,1853, p. 64). B. − État d'une personne dépourvue de sensibilité morale, incapable d'émotions, de sentiments, de sympathie. Insensibilité absolue, apparente, parfaite, naturelle, voulue; une personne d'une rare insensibilité. Savez-vous quelqu'un à qui le mariage de Swann a fait beaucoup de peine? C'est à ma femme. Oriane a souvent ce que j'appellerai une affectation d'insensibilité. Mais au fond, elle ressent avec une force extraordinaire (Proust, Sodome,1922, p. 678).Les instructeurs avaient appris que « j'avais fait preuve d'insensibilité » le jour de l'enterrement de maman (Camus, Étranger,1942, p. 1170).V. ataraxie ex. 3 : 2. Il ressentait plus de dépit encore que de chagrin. Il avait l'insensibilité des médecins, pour qui la souffrance des autres signifie expérience, profit, intérêt professionnel, et qui ne s'enrichissent guère qu'aux dépens de la douleur ou de la mort.
Martin du G., Thib., Belle sais., 1923, p. 875. − [Avec un compl. prép. à] Insensibilité aux émotions, aux reproches. Parlant de l'égoïsme des poètes qui trop souvent dans leur tour d'ivoire se lavent les mains de tout, de leur insensibilité aux malheurs publics (Cendrars, Bourlinguer,1948, p. 137). − En partic. ♦ Indifférence en amour ou à l'amour. J'ai été célèbre par mon insensibilité (...). Vous jouez votre vie à séduire une femme qui, dit-on, n'a pas de cœur (Ponson du Terr., Rocambole, t. 3, 1859, p. 80): 3. Elle était coquette, aimable, séduisante jusqu'à la fin de la fête, du bal, de la soirée; puis, le rideau tombé, elle se retrouvait seule, froide, insouciante, et néanmoins revivait le lendemain pour d'autres émotions également superficielles. Il y avait deux ou trois jeunes gens complètement abusés qui l'aimaient véritablement, et dont elle se moquait avec une parfaite insensibilité. Elle se disait : − Je suis aimée, il m'aime! Cette certitude lui suffisait.
Balzac, Langeais,1834, p. 235. ♦ Indifférence à certaines réalités d'ordre artistique ou intellectuel, incapacité à les comprendre et surtout à s'en émouvoir. Elle avait un jeu mécanique, d'une insensibilité inimaginable; toutes les notes étaient égales; nul accent nulle part (Rolland, J.-Chr., Buisson ard., 1911, p. 1347).J'étais d'une insensibilité totale devant tout texte scolaire; les mots sur les livres d'étude avaient à mes yeux je ne sais quel vêtement gris, uniforme, qui m'empêchait de distinguer entre eux et de les saisir (Lacretelle, Silbermann,1922, p. 28): 4. Distinguer dans les vers le fond et la forme; un sujet et un développement; le son et le sens; considérer la rythmique, la métrique et la prosodie comme naturellement et facilement séparables de l'expression verbale même, des mots eux-mêmes et de la syntaxe; voilà autant de symptômes de non-compréhension ou d'insensibilité en matière poétique.
Valéry, Variété III,1936, p. 50. [Avec un compl. prép. à] L'insensibilité de Tourguéneff aux délicatesses du talent, aux raffinements de style auxquels il ne comprenait rien, aux finesses de l'esprit, qu'il préférait un peu gros (Goncourt, Journal,1893, p. 474).− P. métaph. Insensibilité de la nature. L'insensibilité de la mer, l'immutabilité du spectacle me révoltent (Baudel., Poèmes prose,1867, p. 18). Prononc. et Orth. : [ε
̃sɑ
̃sibilite]. Att. ds Ac. dep. 1694. Étymol. et Hist. 1. 1314 « absence de sensibilité physique » (H. de Mondeville, Chirurgie, éd. A. Bos, 76); 2. a) 1588 « absence de sensibilité morale » (Montaigne, Essais, éd. A. Thibaudet, III, 6, p. 1008); b) 1634 « fait d'être insensible à l'amour » (Corneille, La Suivante, II, 4). Empr. du b. lat.insensibilitas « insensibilité »; cf. aussi la forme insensibleté (sens 1) chez H. de Mondeville, op. cit., 275. Fréq. abs. littér. : 245. Fréq. rel. littér. : xixes. : a) 418, b) 333; xxes. : a) 296, b) 327. Bbg. Gohin 1903, p. 291. |